Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2013 CCI 254

Date : 20130913

Dossier : 2008-3719(GST)G

 

ENTRE :

 

ANTHONY M. SPECIALE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

Le juge Margeson

[1]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi à l’égard de l’appelant un avis de cotisation portant le numéro 05DP0326520, daté du 15 mars 2007 et comportant un montant de taxe nette de 59 588,59 $, des intérêts nets de 4 350,32 $ et des pénalités de 8 657,07 $, relativement à une déclaration de taxe sur les produits et services (« TPS ») applicable à la période s’étendant du 1er janvier 2004 au 30 avril 2006.

[2]             Le ministre a refusé des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») demandés de 68 990 $.

[3]             L’appelant conteste par le présent appel le refus de ces CTI.

La preuve

[4]             Anthony M. Speciale a fait ses études à l’Université de Toronto ainsi qu’à la Faculté de droit Osgoode Hall. Sa carrière d’avocat a commencé en 1976-1977 et il exerce toujours le droit, principalement en litiges de nature civile. Son opinion était que 715866 Ontario Limited (« 715866 ») était chargée d’exploiter son cabinet à titre de [traduction] « nue‑fiduciaire ».

[5]             L’appelant est le fondateur de cette entité et, à ce jour, il en est l’unique dirigeant et administrateur. L’entreprise est en règle, et c’est son épouse qui en détient les actions.

[6]             715866 n’est que fiduciaire. Elle n’a pas d’états financiers. Ceux-ci sont produits par le cabinet d’avocat de l’appelant. 715866 n’est pas inscrite aux fins de la TPS. Ses cotisations sont nulles depuis sa constitution en société. L’appelant a produit toutes les déclarations de TPS et inclus tous les CTI auxquels lui-même et 715866 ont eu droit pour les années d’imposition applicables. À compter de 2003, il a tenté de reporter prospectivement des pertes de revenu qui étaient assujetties à la TPS, payée au taux de 7 p. 100.

[7]             L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») lui a demandé un échantillonnage des factures dont il s’était servi pour établir sa demande de CTI.

[8]             Il a ensuite déclaré que toute demande concernant les périodes antérieures à 2003 serait exclue.

[9]             Il a déclaré que le talon de chèque apparaissant à la pièce A‑3 en tant que reçu no 5530 était caractéristique des paiements qu’il faisait. Les factures de téléphone étaient également payées par 715866. Il a reconnu que le relevé Visa figurant à la pièce A‑3, sous le numéro 5541, comportait des éléments à la fois personnels et professionnels. De plus, les montants figurant sous les numéros 5570 (Visa) et 5520 (Rogers) n’ont pas été déclarés. Il a remis ces documents à l’ARC, à titre d’échantillonnage de ses reçus, au stade de la vérification.

[10]        La pièce R‑1 a été introduite sur consentement, à l’exception de l’onglet 4. La pièce A‑4, à l’onglet 20, indique qu’il possédait bel et bien des véhicules. Les frais de renouvellement des plaques d’immatriculation n’ont pas été déclarés. Le coût du véhicule automobile Ford Villager n’a pas été déclaré. Il a fait référence au relevé de chèques figurant à la pièce A‑4 de l’onglet 21, et il a indiqué que les montants inscrits et les catégories qui avaient été biffés n’étaient pas déclarés.

[11]        Les reçus d’Ikea et de Costco se rapportaient à du mobilier destiné au bureau. La pièce R‑1, à l’onglet 19, faisait état de chèques tirés sur son compte général. Les grands livres de chèques sont disponibles, mais n’ont pas été produits en raison du privilège du secret professionnel de l’avocat, et il a été allégué qu’un échantillonnage des factures serait suffisant, mais l’avocate de l’intimée a rejeté cette opinion et elle a fait valoir que les grands livres généraux n’étaient pas des documents originaux.

[12]        L’appelant a déclaré que les feuilles de calcul et les renseignements figurant à la pièce R‑2, aux onglets 7 et 8, avaient été fournis à l’intimée.

[13]        À ce stade, l’appelant a demandé s’il pouvait modifier son avis d’appel en vue d’inclure l’argument de la diligence raisonnable, mais l’intimée s’y est opposée et cette requête a été rejetée.

[14]        L’appelant a déclaré qu’il fallait ajouter à la liste fournie par l’intimée tous les éléments surlignés en jaune qui figurent à la pièce A-4 de l’onglet 23, car ils représentent des éléments non payés par carte de crédit.

[15]        L’onglet 26 de la pièce A‑4 faisait état de montants consignés par l’appelant dans ses déclarations de TPS et dans lesquelles l’appelant demandait des CTI. Ces montants ont été rejetés par le ministre, qui a indiqué qu’il était impossible de vérifier les montants déclarés, même après en avoir fait la demande lors d’un appel téléphonique.

[16]        La pièce A‑4, à l’onglet 30, comportait des copies de déclarations de TPS et de calculs de TPS faits par l’appelant. Ce dernier a déclaré que les déclarations parlaient d’elles-mêmes.

[17]        En contre-interrogatoire, l’appelant a déclaré qu’au cours de la période s’étendant du 1er novembre 2000 au 30 avril 2006, il exerçait le droit, principalement au cabinet d’Anthony M. Speciale, dans le domaine des litiges civils. Il n’avait pas eu d’autres revenus, ni d’autres activités. Son revenu personnel était à titre de praticien unique et, durant cette période, il a produit ses déclarations en tant que tel.

[18]        Il a établi les déclarations de TPS pour la période en question. Une personne non formée à cette fin l’a aidé à remplir le grand livre. Il n’a pas évoqué la question d’une fiducie nue dans l’avis d’opposition.

[19]        La déclaration T2 dont il est question à l’onglet 21 de la pièce R‑2, relativement à 715866 Ontario Limited, fait mention de cette dernière à titre de fiduciaire seulement, et le ministre aurait donc dû savoir qu’il s’agissait d’une nue‑fiduciaire. Cependant, on lui a fait remarquer que la déclaration modifiée figurant à l’onglet 11 de la pièce A‑2 ne faisait pas mention d’une nue‑fiduciaire et que la même chose s’appliquait à sa déclaration générale T2 pour 1998. Rien n’était dit à propos de la société à numéro.

[20]        On lui a fait remarquer qu’il avait tout d’abord produit des relevés Visa et d’autres relevés de cartes de crédit comme preuve des fournitures qu’il avait utilisées dans le cadre de sa pratique du droit, mais que ces relevés ne font maintenant pas l’objet d’une déclaration.

[21]        On lui a fait remarquer que la facture portant le numéro 5600, un état de compte d’Union Gas, ne pouvait pas faire l’objet d’une déclaration. Une autre facture, portant le numéro 5592, n’incluait pas la TPS.

[22]        L’intimée a renvoyé l’appelant à une longue liste de reçus ou de factures figurant à la pièce A‑3 et a fait remarquer que l’appelant ne pouvait pas se prévaloir d’un nombre élevé de ces éléments, qu’il ne les avait pas identifiés, qu’ils ne comportaient aucune preuve de paiement, qu’ils avaient été délivrés à une entité différente, qu’ils ne contenaient aucune indication qu’ils étaient liés à des activités professionnelles, qu’ils se rapportaient à sa résidence, qu’ils étaient liés à des montants payés par Visa qui ne faisaient pas l’objet d’une déclaration, qu’il s’agissait de dépenses personnelles ou qu’ils ne faisaient plus l’objet d’une déclaration.

[23]        L’appelant a déclaré qu’il ignorait pourquoi certaines factures avaient été adressées à lui, et d’autres à 715866. De plus, 715866 ne déclarait aucun revenu ni aucune dépense.

[24]        Il n’a pas inclus les deux entités dans sa déclaration de revenus, car un fiscaliste lui avait conseillé de ne pas le faire. 715866 n’était qu’une fiduciaire.

[25]        Il a déclaré que 715866 avait conclu le bail.

[26]        L’appelant a dit qu’il avait déclaré les pertes en 2001. On lui a laissé entendre que les pertes n’avaient rien à voir avec les CTI qu’il avait demandés au cours de ce processus et que les montants calculés à partir des factures ne correspondaient pas aux montants déclarés à l’onglet 8 de la pièce R‑2; à la page 17, le montant inscrit à titre de CTI TPS à 100 p. 100 équivaut à 2 138,39 $, tandis que le montant déclaré au moment de la production s’élevait à 6 030 $.

[27]        On a laissé entendre à l’appelant que la Cour ne disposait pas de la preuve appropriée permettant de justifier ces déclarations.

[28]        À la pièce R‑2, à l’onglet 8, page 19, il y a des éléments qui ne devraient pas faire l’objet d’une déclaration. À la page 20, il y a des dépenses relatives à des éléments personnels qui ont fait l’objet d’une déclaration, qui n’auraient pas dû le faire et qui ne le font plus.

[29]        À la page 25, les montants déclarés pour Costco et Sam’s Club contiennent des éléments de nature personnelle.

[30]        À la page 26, il y a des éléments de dépense pour automobile qui ont été déclarés initialement, mais ce n’est plus le cas maintenant.

[31]        On a indiqué à l’appelant qu’au moment de la vérification, les documents produits n’étaient pas complets ou exacts. Il a dit qu’il [traduction] « devait préparer quelque chose ».

[32]        Lors de son réinterrogatoire, l’appelant a dit que 715866 n’avait pas été constituée dans le but d’éviter d’avoir affaire à des créanciers. Il assumait une responsabilité à titre d’administrateur. Il avait dû signer des garanties personnelles pour les véhicules.

[33]        L’intimée a fait témoigner Todd Lichty. Ce dernier, au service de l’ARC depuis 2006, exerce les fonctions de chef d’équipe par intérim en matière d’appels. Il s’est occupé de ce dossier, l’ayant reçu de la Division de la vérification.

[34]        Il a examiné l’avis d’opposition auquel il est fait référence à la pièce R‑1, à l’onglet 5. L’avis porte la date du 13 juin 2007. Les CTI ont été refusés, parce que les documents étaient insuffisants. Ces derniers ont été demandés.

[35]        Il a reçu un sommaire des dépenses et des CTI demandés, mais aucun document original n’a été reçu.

[36]        Ce témoin a complété le montant indiqué à la pièce R‑1 de l’onglet 4, en vue d’analyser la liste de CTI que l’appelant avait produite et de déterminer quels autres documents devaient être fournis. L’appelant s’est opposé à ce que l’on admette ce document en preuve, mais il l’a été. Il a conclu que les listes et les chèques payés que l’appelant avait fournis n’étaient pas suffisants pour pouvoir calculer les CTI. Il fallait des documents originaux.

[37]        L’inscrit était Anthony M. Speciale, et non 715866. Les documents fournis ont soulevé des questions quant à savoir si l’appelant était l’acquéreur des fournitures. Il a fait remarquer que le montant des CTI demandés serait supérieur au montant qu’il serait possible de demander. Il n’a pas tenu compte des paiements par carte de crédit. Il a fait remarquer que 715866 n’était pas inscrite aux fins de la TPS.

[38]        Il n’a jamais vu les versions originales des documents figurant à la pièce A‑3. Ces documents ne concernaient pas tous l’appelant et ils auraient suscité des doutes même s’ils avaient été des documents originaux.

[39]        Le document figurant à l’onglet 15 de la pièce R‑3 exposait l’historique du dossier qui datait de plusieurs mois, et il y a de nombreux retards qui ont été causés par l’appelant. Bien des documents ont été demandés et promis, mais ils n’ont jamais été produits.

[40]        Les créances irrécouvrables n’auraient pas d’incidence sur le montant de TPS, car la TPS est facturée à ce moment-là. Il n’y a pas de CTI dans le cas des créances irrécouvrables.

[41]        Il a dit n’avoir jamais indiqué à l’appelant qu’il avait fait un paiement en trop. La TPS est créditée au moment où elle est payée. Personne ne subit des pertes à appliquer ultérieurement.

[42]        715866 n’était peut-être pas l’acquéreur des fournitures et n’avait donc peut‑être pas droit aux crédits, même si l’on avait fourni des documents originaux.

[43]        M. Lichty n’aurait pas pu faire droit aux CTI sans les documents originaux, et il n’a donc jamais pris en considération l’entente de fiducie simple.

[44]        La pièce A‑4, à l’onglet 30, contenait la déclaration de TPS originale de l’appelant. Il ne l’a pas vue, sauf dans son ordinateur. Avant aujourd’hui, il n’avait jamais vu les calculs présentés aux pages 2 et 3 de ce document.

[45]        Cependant, s’il les avait vus, ceux-ci auraient suscité de sérieux doutes, car les montants indiqués étaient des estimations. Les CTI doivent être fondés sur des montants réellement payés et il faut qu’ils soient justifiés par des documents originaux.

[46]        En contre-interrogatoire, on l’a orienté vers la pièce A‑4, à l’onglet 30, la déclaration de TPS, et on lui a laissé entendre qu’une personne pouvait demander des CTI rétrospectivement.

[47]        Il a déclaré avoir passé le compte en revue et qu’il y avait plusieurs autres comptes qui faisaient l’objet d’un examen. On l’a renvoyé à la pièce A‑2, à l’onglet 14. Il s’agissait d’un avis de cotisation daté du 29 décembre 2004, et il y était question de pertes en capital nettes de 999 301 $ qu’il était possible d’imputer à d’autres années. Il a dit que, pour les besoins de la présente affaire, les pertes importaient peu. La question se résume à savoir si la TPS a été payée. L’article 169 de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») exige que l’on produise des documents originaux. Il n’est pas nécessaire d’examiner la question d’une nue‑fiduciaire.

[48]        Il a indiqué qu’il avait passé en revue le sommaire des calculs de TPS que l’appelant avait établi. Il n’en a examiné que le quart, parce qu’aucun document original n’avait été fourni.

[49]        Lors de son réinterrogatoire, on l’a renvoyé à la déclaration de TPS figurant à la pièce A‑4, à l’onglet 30, et il a dit qu’il n’y avait rien dans cette pièce qui concernait des créances irrécouvrables.

L’argumentation de l’appelant

[50]        Dans son argumentation, l’appelant a déclaré que la Cour se devait de soupeser et d’examiner la preuve et de trancher l’affaire selon la prépondérance des probabilités.

[51]        Mila (du bureau de l’ARC) lui a écrit et lui a dit qu’il se pouvait qu’elle consigne en preuve les pages 64 à 73 de l’interrogatoire préalable. Elle a ajouté que le vérificateur et l’agent des appels seraient présents à l’audience. Mila n’a pas été appelée à témoigner. La Cour devrait donc tirer une inférence défavorable à l’encontre de l’intimée. Mila avait été interrogée.

[52]        Le témoignage de l’appelant a été cordial et cohérent. Il a fait des concessions au sujet des cartes de crédit et des paiements personnels.

[53]        La thèse de l’appelant n’a pas été ébranlée. Son témoignage n’a pas été réfuté. Les documents n’ont pas été fabriqués. La Cour devrait tenir compte des circonstances.

[54]        L’intimée a tenté de montrer que la société à numéros était un subterfuge, mais il ne s’agit pas là d’une conclusion que la preuve étaye. Une déclaration T‑2 a été produite pour l’année 2004. Elle ne faisait état d’aucun revenu, et indiquait qu’elle agissait comme fiduciaire. Elle a été constituée en vue de gérer le cabinet à titre de mandataire.

[55]        Cette société détenait un intérêt à bail. Le bail indique le montant du loyer à payer. Les fonds provenaient du cabinet. 715866 possédait des véhicules. La déclaration T‑1 figurait dans les déclarations de revenus du cabinet. Qui est responsable des factures et qui est le bénéficiaire? L’appelant est la personne responsable de 715866. Le ministre a admis la relation en acceptant les déclarations de 715866.

[56]        Le vérificateur ignorait la relation entre l’appelant et 715866. L’appelant n’a jamais dit qu’aucun document ne serait fourni. Il a demandé une prorogation de délai.

[57]        Todd Lichty ne s’est jamais occupé de ce genre de situation auparavant. Revenu Canada a convenu que l’appelant avait droit à ce type de crédit.

[58]        Le vérificateur s’est concentré sur les cartes de crédit et les dépenses personnelles de l’appelant. Il n’en a examiné que le quart. Cela est manifestement injuste. L’appelant a fourni une preuve montrant ce que le contribuable faisait.

[59]        L’appelant s’est acquitté du fardeau de la preuve.

[60]        Des chèques ont été fournis à titre d’exemple, et il aurait fallu que le ministre passe ensuite à l’étape suivante. Il a tout simplement fait abstraction des documents. S’il n’en avait pas assez, il aurait dû examiner les documents que j’ai fournis. En se basant sur ces documents, il a éliminé la TPS.

[61]        Il est permis de demander des crédits de taxe sur les intrants pour les pertes. C’est ce qu’il a fait. L’appelant a montré qu’il disposait d’assez de crédits de taxe sur les intrants et qu’ils étaient suffisants pour réfuter la prétention du ministre. Si la Cour ne souscrit pas à cette thèse, il s’ensuit que le résultat est punitif.

[62]        La question des pertes n’est pas une théorie. Il y en avait pour plus de 3 000 000 $. M. Lichty ne s’est pas arrêté suffisamment aux faits. La meilleure position de l’intimée était que la question des pertes n’est pas encore réglée. Le contribuable devrait avoir droit à une certaine considération. Qu’est-ce que le contribuable peut faire de plus?

[63]        Il a fourni au ministre des photocopies de documents. C’est la personne finale qui bénéficie de la fourniture. Dans le cas présent, le cabinet, l’appelant.

[64]        715866 n’a pas été constituée à titre de fiduciaire de l’appelant. Il est injuste de rejeter ces crédits.

[65]        Aucun fait n’a été présenté à l’appui des présomptions contenues dans la réponse modifiée.

[66]        L’appelant a invoqué les décisions Lau c. Canada, 2007 CCI 718, [2007] GSTC 171, Davis c. Canada, 2004 CCI 662, [2004] GSTC 134, Leowski c. Canada, [1996] ACI no 829 (QL), [1996] GSTC 55, et Canada c. Merchant Law Group, 2010 CAF 206, [2010] ACF no 990 (QL).

[67]        Il dit que les décisions Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, 2007 CAF 226, [2007] ACF no 836 (QL), et Technogold Imports Inc. c. Canada, [1998] ACI no 109 (QL), [1998] GSTC 31, se distinguent de la présente espèce.

[68]        Il y a, dans le cas présent, suffisamment d’éléments de preuve pour faire droit à l’appel en tout ou en partie. S’il est accueilli en partie, la Cour devrait se servir des chiffres indiqués à la pièce A‑4 et admettre ensuite 7 p. 100 de ces chiffres. Cela exclut tous les montants payés par carte de crédit.

[69]        La Cour pourrait conclure qu’il n’y a pas de taxe à payer, parce qu’elle peut réduire le montant qu’a déclaré le contribuable.

L’argumentation de l’intimée

[70]        La règle de droit qui s’applique dans le cas présent est simple. L’appelant a‑t‑il acquis des biens entre novembre 2003 et le 30 avril 2006 aux termes du paragraphe 169(1) de la Loi sur la taxe d’accise?

[71]        Pour pouvoir accorder à l’appelant un redressement quelconque, il est nécessaire de satisfaire à plusieurs conditions :

1.       Il doit être inscrit. Il l’était.

2.       L’inscrit doit acquérir une fourniture ou un service au cours de la période. Cela n’est pas contesté.

3.       Le bien ou le service doit être assujetti à la TPS. Cela est contesté.

4.       La personne qui demande les crédits doit être tenue de payer la taxe, d’acquérir le crédit ou de payer la TPS. Cela est contesté.

[72]        La fourniture doit être consommée dans le contexte d’une activité commerciale. Dans le cas présent, le bureau à domicile n’est pas admissible.

[73]        L’appelant ne peut pas déclarer des dépenses de pose de toiture et des achats à l’épicerie. Ces éléments ne sont pas assujettis aux règles régissant les crédits de taxe sur les intrants (les « CTI »). L’article 169 est simple. C’est le seul qui soit applicable. Le paragraphe 169(4) exige que l’inscrit fournisse suffisamment de renseignements pour que l’on puisse calculer le montant des CTI.

[74]        Suivant la valeur de la fourniture, il existe une échelle croissante. Plus le crédit est admissible, plus les renseignements exigés doivent être détaillés. La majeure partie des montants que déclare l’appelant n’est pas conforme à la disposition. L’appelant aurait pu faire l’exercice et donner des chiffres, mais il ne l’a pas fait. Le ministre n’est pas tenu de le faire.

[75]        Dans la décision Systematix, la question en litige était la même que dans le cas présent. Les documents étaient-ils suffisants? Il a été conclu dans cette affaire-là que la loi est impérative et que, à l’article 3, elle exige que les personnes qui ont payé la TPS à des fournisseurs aient en main les numéros d’inscription aux fins de la TPS valides de ces fournisseurs quand elles demandent des crédits de taxe sur les intrants.

[76]        Dans le cas présent, l’appelant doit être débouté. Les chèques payés ne sont pas suffisants. Ils n’indiquent pas le numéro de TPS du fournisseur, ni le montant de TPS payé. L’inscrit doit être tenu de payer le montant. L’article 169 comporte une formule qu’il est nécessaire de respecter. Pour ce qui est de l’argument des créances irrécouvrables, il y a de nombreux éléments qu’il est nécessaire d’établir si l’on veut déduire une créance irrécouvrable.

[77]        Le montant doit être taxable ou détaxé. Il doit être payé en vue d’une contrepartie. Il doit être fait à un bénéficiaire qui faisait affaire avec le contribuable sans lien de dépendance. Il faut demander s’il s’agit en tout, ou en partie seulement, d’une créance irrécouvrable. Le montant doit être radié dans les livres du fournisseur, pas en tant que CTI. Le fournisseur doit déduire la créance irrécouvrable et la consigner dans sa déclaration de TPS.

[78]        Le contribuable doit indiquer dans sa déclaration où il a déduit le montant et prouver ensuite que celui-ci n’a pas été payé. Il y a un délai de prescription de quatre ans. Dans le cas présent, il n’existe aucune preuve de ce qui précède.

[79]        Selon la preuve présentée à la Cour, l’appelant ne déduisait pas une créance irrécouvrable. Il consignait des chiffres dans sa déclaration de TPS afin de pouvoir demander un remboursement. Il n’a pas été établi que le montant de 6 030 $ qui est mentionné à la pièce A‑4, à l’onglet 30, était réel. Il s’agissait simplement d’un chiffre approximatif dont se servait l’appelant pour demander un remboursement.

[80]        À l’onglet 8 de la pièce R‑1, l’appelant est arrivé à un chiffre qui est inférieur à celui qu’il a demandé. Le chiffre indiqué à l’onglet 30 de la pièce A‑4 est donc erroné. Il a tout simplement inscrit un chiffre au hasard pour ses pertes. S’il fallait que l’on exclue tous les éléments non admissibles, on arriverait à un chiffre inférieur à celui que l’appelant a indiqué à l’onglet 8 de la pièce R‑1, soit 2 138,39 $, à titre de CTI demandés. L’appelant dit que cela importe peu. Donnez‑moi un solde de zéro, j’ai des pertes que le ministre a refusées. L’appel devrait être rejeté.

[81]        Pour ce qui est de la question de la fiducie nue, il n’existe aucune preuve de l’existence d’une fiducie. 715866 n’est pas la fiduciaire de l’appelant. Il ne suffit pas de produire une déclaration disant simplement qu’il s’agit seulement d’une fiduciaire; cela n’en crée pas une.

[82]        L’argument de la fiducie nue a été analysé dans les décisions Lau et Leowski.

[83]        Selon l’intimée, une fiducie nue désigne la situation dans laquelle le fiduciaire détient un bien pour quelqu’un d’autre. Une entreprise n’est pas un bien.

[84]        Dans la décision Leowski, il y avait une déclaration de fiducie et un bien était en cause. Il ne s’agissait pas d’une entreprise.

[85]        Dans la décision Lau, on a conclu que, lorsque des associés font affaire avec des tiers ayant un lien de dépendance, ils doivent en être avisés. Le simple fait d’inscrire le mot « fiduciaire » dans une déclaration ne suffit pas. L’appelant avait tort lorsqu’il a fait valoir que le fardeau de la preuve qui lui incombait reposait sur la prépondérance des probabilités. Il doit réfuter les présomptions du ministre; il n’est pas raisonnable de faire valoir que la Cour devrait tirer une inférence défavorable à l’encontre de l’intimée au vu des faits de l’espèce. L’intimée n’essayait pas de montrer que 715866 était un subterfuge.

[86]        Aucune preuve n’établit que 715866 était la propriétaire des automobiles, mais uniquement des plaques. L’appelant n’a pas établi que 715866 exerçait ses activités en sa faveur. La preuve de l’existence de la fiducie est vague et évasive. Celle-ci n’avait aucun revenu et aucuns chèques.

[87]        Il convient de rejeter l’appel, et il faudrait appliquer un tarif de dépens majoré, parce que l’appelant est responsable de la production tardive de documents et a fait de nombreuses concessions à la barre. Il est également responsable d’un retard injustifié.

[88]        En réplique, l’appelant a déclaré que la question des dépens devrait être reportée à une autre occasion.

Analyse et décision

[89]        Dans son argumentation, l’appelant semble blâmer quelque peu la personne du vérificateur et déclare que ce dernier ignorait la relation entre l’appelant et 715866. De plus, il a soutenu que le vérificateur n’avait jamais eu affaire à ce genre de situation auparavant. De plus, a-t-il dit, le vérificateur n’avait examiné que le quart des déclarations et s’était concentré sur les dépenses personnelles payées par cartes de crédit.

[90]        Cependant, la Cour a conclu que M. Lichty était un témoin honnête et franc. La Cour est convaincue qu’il savait ce qu’il faisait.

[91]        Son principal souci était que l’appelant n’avait pas fourni assez de documents pour que l’on puisse faire droit aux crédits. Il lui a donné toutes les occasions possibles de fournir des documents originaux à l’appui de sa demande de CTI et a indiqué qu’ils n’avaient pas été produits. Ce qu’il avait reçu de l’appelant était un sommaire des dépenses et des CTI demandés, mais pas de documents originaux à l’appui des montants demandés.

[92]        Il a établi la pièce R‑1, onglet 4, en vue d’analyser les listes de CTI que l’appelant avait produites ainsi que de déterminer quels autres documents étaient requis. Il n’en a reçu aucun. Ses conclusions selon lesquelles les chèques payés et les listes n’étaient pas suffisants pour pouvoir faire les calculs semblaient raisonnables. L’inscrit était l’appelant, et non 715866, et ce fait amène en soi à se demander si l’appelant était l’acquéreur des fournitures et des services.

[93]        De plus, il a découvert des documents qui étaient sans rapport avec l’appelant et ce fait, en soi, aurait suscité des doutes, même si les documents avaient été des originaux.

[94]        Ce témoin a déclaré que l’appelant avait causé de nombreux retards et que de nombreux documents qui avaient été demandés et promis par l’appelant n’avaient pas été fournis.

[95]        Sa position était que la question des créances irrécouvrables n’aiderait pas la cause de l’appelant, parce que la TPS est imputée au moment de la fourniture des biens ou des services. La question de savoir si 715866 était l’acquéreur de certaines des fournitures a posé des problèmes et, de ce fait, cette entité n’aurait peut-être pas eu droit aux crédits, même si des documents originaux avaient été fournis.

[96]        Le témoin n’a jamais examiné l’argument de la fiducie nue, parce qu’il n’aurait pas pu accorder les crédits sans les documents originaux.

[97]        Un autre sujet de préoccupation était que les montants déclarés étaient des estimations, alors que les CTI doivent être fondés sur les montants réellement payés.

[98]        Il a affirmé catégoriquement que, en l’espèce, les pertes importaient peu. La question se résume à savoir si la TPS a été payée. En gardant cela à l’esprit, il n’a passé en revue que le quart des documents environ, parce qu’aucun document original n’a été fourni.

[99]        De plus, il a examiné la déclaration de TPS figurant à la pièce A‑4, à l’onglet 30, et il n’y était pas question de créances irrécouvrables.

[100]   Pour ce qui est de l’argument que l’appelant a mis de l’avant au sujet du fait que la Cour tire une inférence défavorable à l’encontre de l’intimée, parce qu’un certain nombre d’employés de l’ARC n’ont pas été appelés comme témoins, la Cour ne relève aucun fondement dans cet argument et il est rejeté. L’appelant a fait valoir que son témoignage était franc et cohérent, mais la Cour conclut que ce témoignage n’a pas traité de la question que le vérificateur a soulevée, soit le manque de documents originaux en vue d’appuyer la demande de l’appelant.

[101]   L’appelant a déclaré n’avoir jamais dit au vérificateur qu’aucun autre document ne serait fourni; une autre prorogation de délai n’aurait pas réglé ce problème, et, même au procès, aucune tentative n’a été faite en ce sens. L’appelant a semblé laisser entendre dans son argumentation qu’une fois qu’il avait fourni les chèques au vérificateur, le ministère public aurait dû faire plus que cela pour justifier sa prétention. La Cour rejette cet argument. Elle est convaincue que le vérificateur n’a pas simplement fait abstraction des documents fournis, comme l’appelant l’a laissé entendre.

[102]   La Cour souscrit à l’argument de l’intimée selon lequel la question qui lui est soumise est simple. L’appelant a-t-il acquis les biens au sens du paragraphe 196(1) de la Loi sur la taxe d’accise entre les dates pertinentes?

[103]   S’il l’a fait, il y a dans ce cas certains seuils qu’il est nécessaire d’atteindre afin de pouvoir obtenir le redressement sollicité. Les seuils que le contribuable n’a pas atteints, selon l’intimée, sont les suivants :

1.       Le bien ou le service était-il assujetti à la TPS?

2.       L’appelant n’a pas établi qu’il était la personne qui avait payé la taxe, acquis le crédit ou payé la TPS.

3.       L’appelant n’a pas établi que la fourniture a été consommée dans le contexte d’une activité commerciale. Un grand nombre des éléments que l’appelant a énumérés n’ont pas été consommés de cette façon.

4.       Tout particulièrement, l’appelant doit fournir suffisamment de renseignements pour que l’on puisse calculer le montant du crédit.

[104]   La Cour souscrit à l’argument de l’intimée selon lequel la majeure partie des montants que l’appelant a demandés n’est pas conforme à la disposition. Elle a déjà fait des commentaires sur le poids qu’elle accorde à la preuve du vérificateur à cet égard, et il en résulte que la preuve de l’appelant ne convainc pas la Cour que ce dernier a droit aux montants demandés. Comme l’a mentionné le vérificateur, l’appelant n’a pas fourni les documents originaux requis et, de ce fait, il ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.

[105]   Les chèques payés et les factures que l’appelant a fournis, de même que ses calculs estimatifs, sont loin de représenter le degré de preuve dont il a besoin pour qu’on lui accorde les crédits qu’il demande.

[106]   Quant à l’argument des créances irrécouvrables, la Cour est persuadée que l’appelant n’a pas prouvé, d’une manière conforme aux exigences de la Loi, l’existence de la créance irrécouvrable déclarée ainsi que l’a indiqué l’intimée dans son argumentation.

[107]   La Cour n’est pas convaincue que l’appelant déclarait en fait une créance irrécouvrable et, comme l’a soutenu l’intimée, l’appelant semble avoir simplement consigné des chiffres dans sa déclaration de TPS afin de pouvoir demander un remboursement.

[108]   La Cour est convaincue, au vu de la preuve, que les chiffres que l’appelant a fournis sont incohérents et ne correspondent pas au montant demandé à titre de crédit (voir la pièce A‑4, à l’onglet 30, ainsi que la pièce R‑2, à l’onglet 8).

[109]   La Cour rejette l’argument de la fiducie nue, qui n’a aucune incidence sur le résultat de la présente affaire. Il n’existe aucune preuve de l’existence d’une relation fiduciaire et, comme l’a fait valoir l’intimée, le fait d’indiquer ce nom dans une déclaration n’en fait pas une réalité.

[110]   Les décisions auxquelles il a été fait référence étayent cette conclusion.

[111]   L’appel est rejeté avec dépens partie‑partie en faveur de l’intimée.

[112]   L’intimée a demandé une majoration du tarif; la Cour n’est toutefois pas d’avis qu’il s’agit là d’un résultat approprié dans le cas présent, mais il s’en est fallu de peu.

[113]   L’appelant demande que la question des dépens soit reportée à une date ultérieure, mais cette position est rejetée elle aussi.

Les présents motifs du jugement modifiés remplacent les motifs du jugement datés du 13 août 2013.

 

Signé à New Glasgow (Nouvelle-Écosse), ce 13e jour de septembre 2013.

 

 

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour d’octobre 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 254

 

DOSSIER DE LA COUR No :          2008-3719(GST)G

 

INTITULÉ :                                      ANTHONY M. SPECIALE et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 5 et 6 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge T. E. Margeson

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 13 septembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Samantha Hurst

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                             Nom :                  

 

                        Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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