Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2008-101(IT)G

 

ENTRE :

 

WINSTON BLACKMORE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus les 23, 24, 25, 26, 30 et 31 janvier, les 1er, 2, 6, 7, 8, 9, 10, 27, 28 et 29 février, les 1er et 2 mars et les 2, 3 et 4 mai 2012, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me David R. Davies

Me Natasha S. Reid

 

Avocats de l'intimée :

Me Lynn M. Burch

Me David Everett

Me Selena Sit

Me Zachary Froese

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 et 2006 sont rejetés, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

          Les parties disposent de 60 jours à compter de la date des motifs pour présenter des observations écrites sur les dépens, si elles ne parviennent pas par ailleurs à une entente.

 

Signé à Summerside (Île‑du-Prince‑Édouard), ce 21e jour d'août 2013.

 

 

« Diane Campbell »

La juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de février 2014.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


TABLE DES MATIÈRES

 

 

INTRODUCTION ET APERÇU...................................................................... 1

 

LES DÉCLARATIONS DE REVENUS PERSONNELLES DE L'APPELANT ET LES NOUVELLES COTISATIONS......................................................................... 4

 

L'HISTORIQUE LÉGISLATIF DE L'ARTICLE 143........................................ 5

 

LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES ET PRINCIPALES............................... 8

 

          A.      L'interprétation de la loi

          B.      La connaissance d'office

          C.      Résumé des questions préliminaires

 

LA PREUVE................................................................................................... 21

 

          A.      Les témoins

          B.      Le site de Bountiful : son aménagement et son histoire

          C.      La religion : le mormonisme et les Églises LDS et FLDS

          D.      La composition de la communauté, ses croyances et ses pratiques

          E.      Le UEPT

          F.      J. R. Blackmore & Sons Ltd.

          G.      Les autres sociétés

          H.      Les biens personnels

 

L'ANALYSE DE LA COUR : LA SIGNIFICATION DU TERME « CONGRÉGATION »   34

 

          Introduction et remarques préliminaires

 

          A.      Vivre et travailler ensemble (p. 37)

                   1.       Les observations de l'appelant

                   2.       La thèse de l'appelant

                   3.       Les observations de l'intimée

                   4.       La thèse de l'intimée

                   5.       Analyse

 

          B.      L'adhésion aux pratiques et aux croyances (p. 53)

                   1.       Les observations de l'appelant

                   2.       La thèse de l'appelant

                   3.       Les observations de l'intimée

                   4.       La thèse de l'intimée

                   5.       Analyse

 

          C.      La propriété de biens (p. 77)

                   1.       Les observations de l'appelant

                   2.       La thèse de l'appelant

                   3.       Les observations de l'intimée

                   4.       La thèse de l'intimée

                   5.       Analyse

 

                   D.      Le fait de consacrer sa vie professionnelle aux activités de la congrégation (p. 92)

                   1.       Les observations de l'appelant

                   2.       La thèse de l'appelant

                   3.       Les observations de l'intimée

                   4.       La thèse de l'intimée

                   5.       Analyse

 

LES PÉNALITÉS......................................................................................... 100

 

CONCLUSION............................................................................................. 107

 

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 264

Date : 20130821

Dossier : 2008-101(IT)G

 

ENTRE :

 

WINSTON BLACKMORE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Campbell

 

INTRODUCTION ET APERÇU

 

[1]             Tous les appels dont la Cour est saisie ont ceci en commun : ils soulèvent tous une question différente ou un ensemble de questions différentes auxquelles il faut apporter des réponses. C'est la raison pour laquelle la Cour entend ces appels. Et chacun de ces appels, avant d'être introduit devant la Cour, aura son historique propre. La différence entre les présents appels et d'autres est que l'appelant, Winston Blackmore, et la communauté de Bountiful ont fait depuis longtemps l'objet de l'attention des médias, des journaux à la télévision.

 

[2]             Bien que l'appelant et les membres de la communauté de Bountiful, et leur pratique de la polygamie, aient fait l'objet de nombreuses controverses et de beaucoup d'attention de la part des médias, ces débats n'ont aucune incidence sur la décision finale que je dois rendre à l'égard de la situation fiscale de l'appelant et de ses disciples de Bountiful.

 

[3]             Les présents appels portent sur la question de savoir qui est responsable du paiement de l'impôt exigé de l'appelant : est‑ce l'appelant lui‑même ou les membres de la communauté de Bountiful? La réponse à cette question est tributaire de l'application d'une disposition de la loi relativement autonome et obscure, qui, jusqu'à ce jour, était inconnue de nombreux fiscalistes. C'est la première fois que la Cour, ou que tout tribunal canadien, examine l'article 143 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[4]             L'issue des présents appels dépend entièrement de la question de savoir si l'appelant et la communauté de Bountiful peuvent se prévaloir de l'article 143 de la Loi. Après avoir fait l'objet d'une vérification et de nouvelles cotisations au titre du paragraphe 15(1), de l'alinéa 6(1)a) et de l'article 5 de la Loi, l'appelant a vu une somme d'environ 1,8 million de dollars ajoutée au calcul de son revenu. Il s'est opposé aux nouvelles cotisations établies à son égard au motif que l'article 143 devrait s'appliquer. Ainsi, l'article 143 de la Loi s'applique‑t‑il de manière à réduire ou à effacer la dette fiscale de l'appelant?

 

[5]             L'article 143 se trouve à la section F de la partie I de la Loi, qui s'intitule « Règles spéciales applicables en certains cas ». Cet article prévoit un régime fiscal distinct pour les organismes communautaires religieux qui peuvent prouver que leur communauté est une « congrégation » au sens du paragraphe 143(4) de la Loi. Le terme « congrégation » apparaît au tout début de la disposition :

 

143(1) Organismes communautaires. Lorsqu'une congrégation, ou une ou plusieurs de ses agences commerciales, exploite une ou plusieurs entreprises ayant notamment pour objet de veiller à la subsistance ou à l'entretien des membres de la congrégation ou de toute autre congrégation, les règles suivantes s'appliquent :

 

[...]

 

Le terme « agence commerciale » se trouve également défini, et, si c'est une société qui exploite une entreprise au sein de la communauté pour le compte de ses membres, le capital‑actions doit appartenir à la congrégation pendant toute une année civile donnée. L'appelant soutient qu'il répond aux quatre critères de la définition de « congrégation », et que les membres de la congrégation étaient les propriétaires bénéficiaires des actions de J. R. Blackmore & Sons Ltd. (la « société ») inscrites aux noms de l'appelant et de Kevin, Guy et Richard Blackmore.

 

[6]             Si ce que l'appelant avance est exact et que l'article 143 s'applique, les répercussions seront considérables, non seulement pour l'appelant, mais également pour les membres de Bountiful. Aux termes de la disposition, une fiducie non testamentaire est réputée être établie et s'appliquer à la communauté. Cela signifie que, pour les fins de l'impôt, tout l'actif et les biens de la congrégation, ou de toute agence commerciale de la congrégation, sont réputés constituer l'actif et les biens de la fiducie réputée. Par conséquent, tout revenu tiré d'un bien ou des activités commerciales de la congrégation sera réputé constituer le revenu de la fiducie réputée. Vu que les agences commerciales de la congrégation sont réputées avoir agi à titre de mandataires de la fiducie réputée en toute matière liée à la congrégation, le revenu tiré de leurs activités commerciales sera également réputé être le revenu de la fiducie.

 

[7]             À son tour, le paragraphe 143(2) autorise une congrégation admissible à faire un choix et à attribuer son revenu à ses membres. Ce choix de procéder à l'attribution réputée du revenu de la congrégation à ses membres signifie que le revenu sera imposé entre les mains de ses membres. Bien sûr, si le revenu devait être laissé entre les mains de la fiducie réputée, il serait imposé selon le taux marginal le plus élevé applicable aux contribuables particuliers, mais s'il pouvait être attribué en parts égales aux membres de la communauté, il serait imposé selon l'imposition à taux progressif et en fonction des exemptions dont ces particuliers contribuables bénéficient.

 

[8]             Si l'article 143 s'applique en l'espèce, l'appelant sera déchargé de son fardeau fiscal, lequel incombera alors aux membres de Bountiful. En pareil cas, la société serait vue comme un mandataire de la communauté ou une prolongation de la congrégation, qui détiendrait ses actifs et son revenu pour le compte de la congrégation et de ses membres. Le principe d'attribution du revenu aux membres admissibles d'une communauté tient compte du fait que l'actif ne fait l'objet d'aucune appropriation personnelle, ce qui est conforme à l'objet de l'article 143, éliminant ainsi tout risque de double imposition qui découlerait de cotisations établies au titre des paragraphes 15(1) et 6(1) de la Loi.

 

[9]             Pour que l'appelant ait gain de cause, la communauté de Bountiful doit être visée par la définition exhaustive de « congrégation » qui apparaît au paragraphe 143(4) de la Loi. La Cour doit d'abord définir les caractéristiques des quatre aspects de la définition. Pour répondre à la question de savoir si la communauté de Bountiful satisfait à chaque critère, il convient de tirer des conclusions de fait relativement au mode de fonctionnement de la communauté pendant les années en cause, mais aussi d'examiner l'histoire et les doctrines du mormonisme, domaine qui ne ferait normalement pas l'objet d'une analyse de la Cour. À cet égard, il était essentiel d'avoir recours à des témoignages d'experts. Comme on pouvait s'y attendre en matière de doctrine religieuse, une partie des témoignages d'experts a été peu concluante, sans compter qu'il a été impossible aux experts de parvenir à un consensus à l'égard de certaines parties des questions en litige.

 

[10]        Il s'agit d'une affaire inusitée pour la Cour, non seulement en ce qui a trait aux faits, mais également en ce qui concerne les questions religieuses, l'application unique de l'article 143 de la Loi et le régime d'imposition qui peut s'appliquer à une communauté admissible à titre de « congrégation ».

 

LES DÉCLARATIONS DE REVENUS PERSONNELLES DE L'APPELANT ET LES NOUVELLES COTISATIONS

 

[11]        Pour chacune des années en cause en l'espèce, l'appelant a déclaré le revenu total suivant :

 

Année d'imposition

Description des revenus

Revenus déclarés

2000

 

Revenu d'emploi de J. R. Blackmore & Sons Ltd.

Revenu d'entreprise

Total

15 915 $  

   5 000 $  

20 915 $  

2001

Revenu d'emploi de J. R. Blackmore & Sons Ltd.

Revenu d'entreprise

Total

26 578 $  

   5 000 $  

31 578 $*

2002

Revenu d'emploi de J. R. Blackmore & Sons Ltd.

Intérêts

Revenu de dividendes de J. R. Blackmore & Sons Ltd.

Total

30 424 $  

66 $  

  14 000 $  

44 490 $  

2003

Revenu d'emploi de J. R. Blackmore & Sons Ltd.

Revenu d'emploi de l'école élémentaire de Bountiful

Total

18 677,50 $  

      1 000 $  

19 677,50 $  

2004

Revenu d'emploi de J. R. Blackmore & Sons Ltd.

Intérêts

Total

16 194 $  

        64 $  

16 258 $  

2006

Revenu d'emploi de Kootenay Preservers Ltd.

Intérêts

Total

39 000 $  

        53 $  

39 053 $  

* 31 578 $ est le revenu imposable qui a été déclaré pour l'année d'imposition 2001 (au par. 39 de l'avis d'appel modifié une troisième fois et admis par l'intimée au par. 1 de sa réponse à l'avis d'appel modifié une troisième fois). Toutefois, l'intimée a déclaré que ce montant s'élevait à 31 363 $ au par. 32h) de sa réponse.

 

[12]        Par suite de la vérification de l'employeur qu'elle a menée à l'égard de la société, l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, et les sommes totales suivantes ont été ajoutées au calcul du revenu de ce dernier :

 

Résumé des nouvelles cotisations

 

Paragraphe 15(1)

 

Article 5

Alinéa 6(1)a)

2000

277 395 $

  *

 

 

 

2001

527 751 $

  *

 

 

 

2002

235 537 $

  *

25 468 $

 

 

2003

174 111 $

  *

40 953 $

241 527 $

 

2004

153 681 $

 

 

179 945 $

 

2006

néant

 

néant

néant

Conforme à la déclaration

 

 

 

 

 

 

Total

1 368 475 $

 

66 421 $

421 472 $

 

 

 

 

 

 

 

* Des pénalités pour faute lourde ont été calculées à l'égard de ces montants en application du paragraphe 163(2) de la Loi et de l'article 34 de la loi de la Colombie‑Britannique intitulée Income Tax Act (Loi de l'impôt sur le revenu).

 

[13]        Des pénalités pour faute lourde à l'égard des montants ajoutés en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi ont également été ajoutées à l'égard des années d'imposition 2000, 2001, 2002 et 2003.

 

L'HISTORIQUE LÉGISLATIF DE L'ARTICLE 143

 

[14]        L'article 143 de la Loi a été édicté en réponse aux procédures judiciaires intentées par certaines colonies huttérites et à la décision que la Cour d'appel fédérale a finalement rendue dans l'arrêt Le rév. Wipf c. La Reine, [1975] C.F. 162 (C.A.F.), à l'égard de ces procédures. Le projet de loi C‑11 de la 30e législature, 3e session, 26 Elizabeth II, 1977, a abrogé ce qui était alors l'article 143 de la Loi, qui portait sur les « corporations distributrices d'électricité, de gaz ou de vapeur », et l'a remplacé par l'article actuel, qui porte sur les « organismes communautaires ». La nouvelle disposition s'applique à l'année d'imposition 1977 et aux années d'imposition ultérieures; elle concerne les communautés qui sont visées par cette disposition en superposant une fiducie réputée à leurs activités, et elle permet aux communautés de faire un choix à l'égard du mode d'attribution des revenus à ses membres.

 

[15]        Dans la décision Le rév. Wipf c. La Reine, [1973] C.F. 1382 (C.F. 1re inst.), les procédures judiciaires concernant les huttérites ont découlé du fait que certaines colonies huttérites ont refusé d'être liées par une entente que d'autres colonies huttérites avaient conclue avec le fisc à l'égard du régime d'imposition qui régirait ces colonies. Après que ces colonies (toutes membres des communautés huttérites Darius‑Leut), qui étaient en désaccord, ont contesté leurs cotisations, la Commission de révision de l'impôt a, en 1972, confirmé les cotisations que le ministre du Revenu national (le « ministre ») avait établies à l'égard de leur revenu. Cette décision a fait l'objet d'un appel devant la division de première instance de la Cour fédérale en 1973. La Cour fédérale a conclu que les profits totaux générés par les activités commerciales d'une colonie devraient être attribués à ses membres en parts égales, bien que ces membres aient cédé ou remis leurs actions aux dirigeants de la colonie en leur qualité de fiduciaires ou en tant que société. La Cour fédérale a conclu que les membres gagnaient un revenu grâce aux activités agricoles de la colonie, malgré la preuve qui a été soumise selon laquelle aucun membre de la colonie ne gagnait de revenu ni n'avait de bien, ni ne recevait d'argent de l'État. Quand elle est arrivée à sa conclusion, la division de première instance de la Cour fédérale a renvoyé à de nombreux articles des statuts constitutifs de la colonie.

 

[16]        À la page 1389 de la décision Wipf de la division de première instance de la Cour fédérale, les demandeurs ont soutenu que « chaque membre de la colonie, pris individuellement, parce qu'il a renoncé à la propriété privée de biens et à tout droit à compensation pour son travail, n'a aucun salaire et donc aucun revenu imposable », contrairement à d'autres colonies huttérites qui étaient parvenues à une entente avec le fisc au sujet de la manière dont elles seraient imposées.

 

[17]        Il a été interjeté appel de la décision rendue par la division de première instance devant la Cour d'appel fédérale, qui a infirmé la décision au profit des demandeurs huttérites. On a soutenu que, vu que les profits étaient répartis en fonction des besoins, et non selon un pourcentage particulier, pas plus qu'ils n'étaient partagés également, les membres ne gagnaient aucun revenu. La Cour d'appel fédérale a conclu que ni les activités agricoles de la colonie ni les profits tirés de ces activités n'appartenaient aux membres des colonies à titre individuel, mais qu'ils étaient attribuables au fiduciaire ou à la société de chaque colonie, selon le cas. À la page 165, le juge Thurlow a exprimé l'avis selon lequel les profits tirés des activités commerciales d'une communauté n'appartenaient à aucun membre particulier, à quelque moment que ce soit de sa relation avec la communauté. Les juges Ryan et Smith étaient d'avis que le contrat des communautés constituées en société et le mémoire des conventions des communautés non constituées en société régissaient les bénéfices fournis aux membres qui pourraient être considérés comme un revenu à l'égard des services rendus (aux pages 169 et 170). La Cour d'appel fédérale a ordonné au ministre d'établir une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les membres de la communauté touchaient un revenu égal à la valeur du bénéfice qu'ils recevaient des fiduciaires de la communauté, ou en partant du principe que les membres ne gagnaient aucun revenu. Malheureusement, la Cour d'appel fédérale n'a pas abordé la question du calcul de ces montants d'un point de vue pragmatique.

 

[18]        Le fisc a interjeté appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada, mais le juge en chef Laskin a rejeté l'appel en deux phrases : [TRADUCTION] « Il ne sera pas nécessaire de vous entendre, Me Matheson. Nous souscrivons à la décision de la Cour d'appel fédérale et le présent pourvoi est, par conséquent, rejeté avec dépens. » ([1976] A.C.S. no 125 (QL)).

 

[19]        Par suite de cette série de décisions et du régime de propriété adopté par les huttérites, le Parlement a, en 1977, introduit le nouvel article 143, pour traiter de la question de l'imposition des organismes communautaires religieux. C'est ce qui ressort des débats et des travaux tant de la Chambre des communes que du Sénat. Bien que le comité plénier et le Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques de la Chambre des communes soient restés muets au sujet du traitement réservé aux huttérites dans le projet de loi C‑11, le Comité permanent des banques et du commerce du Sénat a entendu des témoignages qui portaient directement sur le traitement réservé aux huttérites (30e législature, 3e session, no 2 (le 9 novembre 1977)).

 

[20]        On peut trouver d'autres éléments de preuve montrant que cette disposition a été édictée afin de remédier à la situation particulière des huttérites dans le discours portant sur le mode de vie des huttérites que l'avocat de la communauté huttérite de Lehrerleut a prononcé devant le comité du Sénat (30e législature, 3e session, no 9 (le 30 novembre 1977)). Il est intéressant de souligner que l'avocat, tout comme le conseiller du comité, étaient d'avis que la nouvelle disposition légale avait été conçue de manière à viser uniquement les huttérites, bien que le libellé de la disposition puisse également permettre à la communauté amish de s'en prévaloir dans certaines circonstances. On peut trouver d'autres éléments de preuve montrant que cette disposition a été rédigée afin de régler la question de l'imposition des communautés huttérites dans des déclarations que le ministre des Finances de l'époque, l'honorable Jean Chrétien, a faites en réponse aux questions qui lui étaient adressées, déclarations selon lesquelles les communautés huttérites devaient faire leur choix dans les délais impartis par le nouvel article 143, et payer leurs impôts conformément aux dispositions de cet article, si elles souhaitaient bénéficier du régime prévu en matière de répartition du revenu (30e législature, 3e session, no 12 (le 30 novembre 1977)).

 

[21]        L'article 143 de la Loi a fait l'objet de plusieurs modifications depuis son édiction. En 2000, la définition de « congrégation » a été modifiée et structurée (ch. 19, art. 41) de manière à intégrer toutes les caractéristiques attribuées au terme « congrégation » à la définition énoncée au paragraphe 143(4). La partie du critère à quatre volets qu'on décrit actuellement à l'alinéa b), « elle adhère aux pratiques et croyances de l'organisme religieux dont elle fait partie et agit en conformité avec les principes de cet organisme », était à l'origine l'unique attribut du terme « congrégation ». La modification de 2000 en a fait le deuxième volet de la définition de « congrégation », qui est énoncée au paragraphe 143(4) de la Loi et qui compte dorénavant quatre éléments. Les autres modifications apportées depuis 1994 n'ont pas d'incidence sur l'application de l'article aux présents appels.

 

LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES ET PRINCIPALES

 

[22]        La question principale est de savoir si la communauté de Bountiful répond à la définition de « congrégation » au sens du paragraphe 143(4) de la Loi, autrement dit si elle répond aux conditions suivantes :

 

a)       ses membres vivent et travaillent ensemble;

 

b)      elle adhère aux pratiques et croyances de l'organisme religieux dont elle fait partie et agit en conformité avec les principes de cet organisme;

 

c)       elle ne permet pas à ses membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef;

 

d)      elle exige de ses membres qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation.

 

[23]        La dernière question est de savoir si l'appelant est passible de pénalités pour faute lourde en application du paragraphe 163(2) de la Loi pour les années d'imposition 2000 à 2003.

 

[24]        Je dois répondre à deux questions préliminaires avant de me livrer à l'analyse de l'article 143 de la Loi, et, notamment, établir quel est le sens que le paragraphe 143(4) de la Loi donne au terme « congrégation ». Ces deux questions préliminaires sont de savoir, premièrement, comment appliquer les principes d'interprétation de la loi à l'article 143, et, deuxièmement, comment appliquer la connaissance d'office à la jurisprudence et aux manuels relatifs aux huttérites.

 

A.      L'interprétation de la loi

 

[25]        L'avocat de l'appelant s'est prononcé en faveur d'une interprétation libérale de l'article 143. En revanche, l'avocat de l'intimée a soutenu que la Cour devrait adopter une interprétation plus restrictive du fait de l'historique législatif et de l'intention du législateur en édictant l'article 143, compte tenu des décisions Wipf portant sur les communautés huttérites.

 

[26]        L'avocat de l'appelant a bien structuré ses observations en adoptant l'approche actuelle de la Cour suprême du Canada, exposée dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, et initialement exprimée dans l'arrêt Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94. De manière générale, cette approche est la combinaison d'une analyse textuelle, contextuelle et téléologique d'une disposition, le libellé de la disposition devant être lu dans tout son contexte et dans son sens grammatical et ordinaire, d'une manière qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur (E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., 1983, à la page 87, et l'arrêt Markevich).

 

[27]        Toutefois, si « le libellé d'une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d'interprétation » (Hypothèques Trustco, au paragraphe 10), ce qui permet aux contribuables de s'en remettre au sens clair d'une disposition, le cas échéant.

 

[28]        Dans l'arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, la Cour suprême du Canada a étoffé ces principes d'interprétation; au paragraphe 23, elle s'est ainsi exprimée :

 

Le degré de précision et de clarté du libellé d'une disposition fiscale influe donc sur la méthode d'interprétation. Lorsque le sens d'une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l'appliquer. La mention de l'objet de la disposition [TRADUCTION] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Lorsque, comme en l'espèce, la disposition peut recevoir plus d'une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d'importance au contexte, à l'économie et à l'objet de la loi en question. Par conséquent, l'objet d'une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d'une disposition, mais à donner l'interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.

 

[29]        Autrement dit, si le libellé d'une disposition est clair et précis, il convient d'adopter une interprétation textuelle et la question s'arrête là. Si le libellé n'est ni clair ni précis, en ce sens qu'il pourrait donner lieu à plus d'une interprétation raisonnable, il convient alors d'adopter une approche unifiée, qui tienne tout à la fois compte du contexte et de l'objet de la loi, en vue d'établir le sens de la disposition.

 

[30]        La définition de « congrégation » comprend un critère à quatre volets, et pour que l'article 143 de la Loi s'applique, il faut satisfaire aux quatre éléments du critère. Selon le libellé de cette disposition, le terme « congrégation » « répond aux conditions suivantes » (dans la version anglaise de cette disposition, on emploie le verbe « means » (« signifie ») par opposition à « includes » (« comprend »)), ce qui illustre l'intention du législateur d'énoncer une définition exhaustive. L'avocat de l'intimée a souligné à juste titre que le législateur avait, au paragraphe 143(4) de la Loi, donné au terme « congrégation » une définition non seulement distincte du sens ordinaire du terme, mais également distincte du sens indéfini qu'il revêt ailleurs dans la Loi. Par conséquent, il est clair que la définition énoncée au paragraphe 143(4) de la Loi est propre à la disposition qui la contient.

 

[31]        L'avocat de l'intimée a fait valoir que la définition de « congrégation » ne donnait pas lieu à plus d'une interprétation raisonnable, et que, même s'il y a ambiguïté, que celle‑ci soit explicite ou latente, les colonies huttérites devraient être considérées comme [TRADUCTION] « la norme de référence » à laquelle il faudrait comparer toute autre « congrégation ». Par conséquent, une analyse contextuelle et téléologique ne révélerait aucune ambiguïté.

 

[32]        Je ne souscris pas à cette observation. Bien que je convienne du fait que l'édiction de l'article 143 soit directement et historiquement liée aux colonies huttérites et aux décisions Wipf relatives à ces colonies, le terme « huttérite » n'apparaît nulle part dans la disposition. Si le législateur souhaitait que ce groupe soit « la norme de référence », il l'aurait dit. Bien que les huttérites puissent être considérés comme un exemple de groupe visé par cette disposition, le libellé de l'article 143 de la Loi peut s'appliquer à tout groupe religieux pouvant être qualifié de « congrégation ».

 

[33]        Le libellé même de cette disposition prévoit son application aux autres groupes communautaires qui sont en mesure de satisfaire au critère à quatre volets. Les termes employés pour décrire chacun de ces quatre volets ne sont ni clairs ni précis. En fait, cela ressortait clairement des observations qu'aussi bien l'appelant que l'intimée ont présentées à l'égard du premier volet du critère : les membres vivent et travaillent ensemble. Si les quatre mots précédents (que j'ai soulignés) étaient clairs et explicites, il aurait été facile aux parties, ou à l'une des parties, de commencer leurs observations en donnant une définition précise et d'expliquer ensuite comment les faits venaient étayer leur position. Aucune des parties n'a procédé ainsi. Quand le libellé n'est pas clair, il est essentiel de s'en remettre au contexte et à l'objet. Aucun des éléments de la définition de « congrégation » n'est clair et sans équivoque, et il sera donc essentiel, quand viendra le temps d'examiner chacun des volets de ce critère, d'adopter une approche textuelle, contextuelle et téléologique aux fins de l'analyse. Dans cet esprit, je dois réfléchir aux éléments dont je peux tenir compte lors de l'approche « contextuelle » en l'espèce, particulièrement en ce qui a trait aux mesures législatives et à l'histoire parlementaire relatives à l'article 143 ainsi qu'à la série de décisions relatives aux huttérites qui ont conduit à l'édiction de la disposition.

 

[34]        Avant les années 1990, les tribunaux hésitaient généralement à consulter l'historique parlementaire et à avoir recours à des documents tels que le Hansard, les rapports consultatifs ou encore les débats. Depuis lors, toutefois, la Cour suprême du Canada a maintes fois fait référence à l'historique parlementaire dans ses motifs. Malgré cela, la Cour a recours à de tels documents avec prudence :

 

[...] À la condition que le tribunal n'oublie pas que la fiabilité et le poids des débats parlementaires sont limités, il devrait les admettre comme étant pertinents quant au contexte et quant à l'objet du texte législatif. [...]

 

(R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, à la page 484)

 

[35]        Dans son ouvrage Interprétation des lois (4e éd., Les Éditions Thémis, 2009), à la page 505, Pierre‑André Côté résume ce point de vue de la manière suivante :

 

Cette approche en termes de poids plutôt que d'admissibilité, unanimement préconisée par la doctrine contemporaine, permet de faire l'économie de débats souvent stériles sur des questions d'admissibilité et donne au tribunal accès à des informations qui lui permettront de rendre une décision plus éclairée, tout en le laissant libre de reconnaître le poids approprié à ces informations. La porte est donc ouverte, mais le juge doit garder la poignée bien en main, car la prudence s'impose.

 

En outre, d'après Pierre‑André Côté, aux pages 627 et 628, il est possible d'avoir recours à l'interprétation jurisprudentielle dans l'examen du contexte législatif :

 

Paragraphe 1 : L'interprétation jurisprudentielle comme élément du contexte

 

Les tribunaux font l'hypothèse que le législateur est informé des décisions judiciaires rendues avant l'édiction de la loi : celles‑ci peuvent donc être considérées comme faisant partie du contexte d'énonciation du texte législatif et, à ce titre, elles peuvent être pertinentes à son interprétation.

 

Si, par exemple, le législateur, intervenant pour la première fois dans une matière jusque-là régie par des décisions judiciaires seulement, utilise un terme auquel les tribunaux ont donné, dans le contexte, un sens bien précis, on supposera que ce sens était connu et que le législateur n'a pas voulu s'en écarter :

 

« [TRADUCTION] Lorsque, dans une loi du Parlement, on trouve un mot que les tribunaux ont déjà interprété, il y a lieu de présumer qu'il est pris dans ce sens‑là. » [Note de bas de page : North British Railway c. Budhill Coal & Sandstone, [1910] A.C. 116, 127 (Lord Loreburn), extrait cité par le juge Pigeon dans Howarth c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1976] 1 R.C.S. 453, 473. [...]]

 

D'une manière plus large, l'examen des décisions judiciaires peut être de nature à expliquer l'objet d'une intervention du législateur et ainsi constituer un élément important de l'historique d'un texte législatif. En effet, une modification législative peut s'expliquer par la volonté de faire échec à une interprétation jurisprudentielle, de la consacrer par un texte ou encore d'en tirer les conséquences. [...]

 

[Certaines notes de bas de page n'ont pas été reproduites.]

 

[36]        Par conséquent, il convient d'examiner les décisions judiciaires rendues au sujet des huttérites, vu qu'elles font partie du contexte de l'édiction de l'article 143 et du contexte législatif. Cela me conduit à la seconde question préliminaire, relative aux caractéristiques de la connaissance d'office et à la mesure dans laquelle la Cour peut prendre connaissance d'office de certaines conclusions de fait dans ces décisions.

 

B.      La connaissance d'office

 

[37]        La connaissance d'office est une question importante, parce que son application peut permettre de faire l'économie des exigences habituelles en matière de preuve devant un tribunal, ce qui ferait en sorte que les exigences en matière d'admissibilité seraient réduites. Si on admet un fait d'office, alors ce fait ne fera ni l'objet du fardeau de la preuve habituel ni, en dernier lieu, du contre‑interrogatoire.

 

[38]        La « connaissance d'office » a été définie de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

19.13 La connaissance d'office est l'acceptation par un tribunal judiciaire, dans une procédure civile ou criminelle, sans exiger de preuve à l'appui, de la véracité d'un fait ou d'une situation donné. La Cour peut admettre d'office, sans exiger des parties qu'elles les étayent par des preuves, des faits a) qui sont si connus qu'ils ne sauraient être mis en doute par des personnes raisonnables, ou b) que l'on peut démontrer, de manière immédiate et exacte, en recourant à des sources facilement accessibles dont l'exactitude ne saurait être remise en doute. La pratique consistant à prendre connaissance d'office de faits se justifie. Elle permet d'accélérer le travail des tribunaux, elle favorise l'uniformité des décisions et permet aux tribunaux de rester à l'écoute des changements dans la société. En outre, la connaissance d'office tacite qu'on ne manque sûrement pas de faire lors de chaque audience est indispensable au processus normal de raisonnement.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

(Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, Butterworths, 3e éd.)

 

[39]        Pour qu'un fait soit admis d'office, il faut satisfaire à l'un des deux critères énoncés dans l'extrait reproduit ci‑dessus. On les désigne communément sous l'appellation « critère de Morgan » (E. M. Morgan, « Judicial Notice » (1943‑1944), 57 Harv. L. Rev. 269). C'est une approche restreinte de la connaissance d'office, mais la Cour suprême du Canada l'a confirmée dans deux arrêts : R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, et R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458.

 

[40]        Dans l'arrêt Spence, le juge Binnie, qui s'exprimait au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré ce qui suit, au paragraphe 60 : « les limites acceptables de la connaissance d'office varient selon la nature de la question considérée » (citant ainsi le professeur Kenneth Culp Davis, Administrative Law Treatise (2e éd., 1980) vol. 3, à la page 139). Aux paragraphes 61 à 63, il a donné plus de détails au sujet de ce principe :

 

[61]      Autrement dit, plus un fait a une incidence directe sur l'issue du procès, plus le tribunal doit faire observer le critère rigoureux formulé par Morgan. Ainsi, dans l'arrêt Find, la partialité dont auraient pu faire preuve les jurés en raison du caractère répugnant des infractions reprochées à l'accusé ne touchait pas à la culpabilité ou à l'innocence et, en ce sens, elle ne constituait pas un fait « en litige ». Notre Cour a néanmoins appliqué les critères proposés par Morgan en raison du caractère crucial de la question, vivement débattue, pour l'issue du pourvoi. Pour certains observateurs éminents, ces critères ne devraient s'appliquer qu'aux faits en litige (voir, p. ex., Paciocco et Stuesser, p. 286; McCormick, p. 316). À mon avis, toutefois, la position adoptée par notre Cour dans l'arrêt Find est plus stricte. Il appert de ses décisions qu'elle commencera par appliquer les critères de Morgan, quelle que soit la nature des « faits » dont on demande l'admission d'office. Ces critères sont « la » référence et, s'ils sont respectés, le « fait » est admis d'office et le débat est clos.

 

[62]      Si les critères de Morgan ne sont pas remplis à l'égard d'un fait « en litige », celui‑ci ne sera pas admis d'office, ce qui mettra également fin au débat.

 

[63]      C'est en matière de faits sociaux et de faits législatifs que les critères de Morgan, bien qu'ils soient pertinents, ne sont pas nécessairement concluants. Il existe divers degrés de notoriété et d'incontestabilité. Certains « faits » législatifs sont nécessairement empreints d'hypothèses, de prévisions, de présomptions, d'impressions et de voeux pieux. Sauf en ce qui concerne les faits en litige, les limites de la connaissance d'office sont inévitablement assez élastiques. Néanmoins, les critères de Morgan joueront un rôle important lorsque le fait législatif ou social aura une incidence sur l'issue du procès. [...]

 

[41]        Dans ces extraits de l'arrêt Spence, la Cour suprême du Canada a établi une distinction entre trois types de faits :

 

a)       les faits en litige, à savoir les faits relatifs aux questions en litige;

 

b)      les faits législatifs, à savoir les faits relatifs à la politique législative ou judiciaire;

 

c)       les faits sociaux, à savoir les faits relatifs au processus de recherche des faits constituant la preuve définie comme la recherche en sciences sociales visant à établir le contexte pour trancher la question en litige.

 

[42]        La manière dont les tribunaux appliquent les critères de Morgan à ces trois différentes catégories de faits sera finalement tributaire de l'incidence directe que les faits auront sur le coeur de la question à trancher : « plus un fait a une incidence directe sur l'issue du procès, plus le tribunal doit faire observer le critère rigoureux formulé par Morgan » (voir l'arrêt Spence, au paragraphe 61). Comme la Cour suprême du Canada l'a souligné au paragraphe 63 de l'arrêt Spence, quand il est question de faits législatifs et de faits sociaux, les critères de Morgan ne sont pas nécessairement concluants. Un juge peut faire preuve de plus de souplesse quand il examine des faits sociaux et législatifs. En bref, quand il examine ce type de faits, un juge doit garder à l'esprit plusieurs questions‑clés :

 

a)       quelle est l'incidence d'un « fait » sur l'issue du procès;

 

b)      une personne raisonnable accepterait‑elle un tel « fait » pour le but précis auquel il doit servir;

 

c)       quelle est la fiabilité possible du « fait », laquelle augmente avec l'incidence que ce fait aura sur l'issue de l'affaire.

 

[43]        L'avocat de l'intimée m'a demandé de prendre connaissance d'office des faits tirés des décisions relatives aux huttérites qui ont conduit à l'édiction de l'article 143, ainsi que d'un récent renvoi instruit par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, Reference re: Section 293 of the Criminal Code of Canada (B.C.), 2011 BCSC 1588, [2011] B.C.J. No. 2211 (QL), communément appelé le « renvoi sur la polygamie ». L'appelant a souscrit aux observations de l'intimée à l'égard de la règle de la connaissance d'office pour ce qui est de faits dans les décisions judiciaires (voir la transcription, aux pages 3340 à 3342). En outre, l'intimée a tenté de s'appuyer sur des extraits de deux livres : The Hutterites in North America (Les huttérites en Amérique du Nord) (Rod A. Janzen et Max Stanton, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2010) et The Secret Lives of Saints: Child Brides and Lost Boys in Canada's Polygamous Mormon Sect (La vie secrète des Saints : épouses‑enfants et garçons perdus dans la secte mormone polygame du Canada) (Daphne Bramham, Random House Canada, Toronto, 2008). L'appelant fait valoir que les faits tirés d'extraits de ces livres n'ont pas été versés au dossier en l'espèce, et que, vu que ces extraits ne satisfont pas aux rigoureux critères de Morgan, ils ne peuvent pas être introduits au stade de la plaidoirie pour affermir la position de l'intimée. Notamment, l'avocat de l'appelant s'est opposé à ce que la Cour se fie au texte de l'ouvrage The Secret Lives of Saints, l'auteur de cet ouvrage ayant assisté à la majorité des présentes procédures en tant que représentante des médias.

 

[44]        L'avocat de l'appelant a renvoyé la Cour à la décision de la Cour suprême de l'Île‑du‑Prince‑Édouard Holland c. Prince Edward Island School Board Regional Administrative Unit No. 4, 1986 CanLII 178, et plus exactement aux commentaires qui y ont été formulés à l'égard de la recevabilité et de la valeur probante des manuels et des traités scientifiques. La Cour suprême de l'Île‑du‑Prince‑Édouard a déclaré ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Bien qu'il ne fasse aucun doute qu'ils méritent l'importance considérable que leur accordent les praticiens de la discipline en question, la Cour ne peut se reposer sur eux de la même manière à des fins d'établissement de la preuve.

 

L'avocat de l'appelant a souligné le fait que cette décision était fondée sur une décision de 1914, Rex v. Anderson (1914), 5 W.W.R. 1052 (C.S. Alb.). La Cour suprême de l'Île‑du‑Prince‑Édouard s'est fondée sur l'extrait suivant de la décision Anderson :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Il est parfois possible d'accorder plus de poids à l'opinion d'un éminent auteur qu'à celle d'un témoin assermenté, et c'est ce qui arrive en fait dans de nombreux cas, mais il n'en demeure pas moins que, si cette opinion se présente sous la forme d'un traité, il devient impossible de poser des questions et de vérifier si une opinion peut être nuancée concernant une affaire particulière. Un témoin ayant forgé toutes ses opinions à partir de celles des autres n'aurait pas les qualifications requises pour être considéré comme un expert [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[45]        Je me penche maintenant sur l'application de ces principes aux décisions relatives aux huttérites, y compris le récent renvoi sur la polygamie, les manuels sur les huttérites, et, pour finir, l'ouvrage The Secret Lives of Saints.

 

[46]        Les décisions relatives aux huttérites, et notamment les décisions Wipf, font partie du contexte de l'édiction de l'article 143. Vu que les quatre éléments du critère énoncé dans la définition du terme « congrégation » sont loin d'être clairs et sans ambiguïté, il est impératif, pour interpréter et appliquer cette disposition, de faire référence au contexte législatif. L'avocat de l'intimée a renvoyé la Cour aux débats parlementaires, tant à la Chambre des communes qu'au Sénat, où on a directement fait référence aux communautés huttérites lors des discussions relatives à l'édiction de l'article 143 (voir les observations écrites de l'intimée, à la page 84, paragraphes 414 à 416). L'avocat de l'appelant a aussi reconnu que l'article 143 avait été rédigé en réponse aux procédures intentées par les communautés huttérites (voir les observations écrites de l'appelant, au paragraphe 43) et a convenu du fait que la Cour pouvait admettre d'office des conclusions de fait qui ont été tirées dans ces décisions.

 

[47]        Il se peut que les décisions Wipf soient utiles pour définir le type de communauté que le législateur avait à l'esprit et qui est susceptible d'être considérée comme une « congrégation » au sens de l'article 143. Bien que je souscrive aux observations de l'avocat de l'appelant selon lesquelles le caractère officiel des documents relatifs aux congrégations ne constitue pas une exigence essentielle de l'article 143, il est intéressant de souligner que les clauses du mémoire des conventions dont il a été question dans les décisions Wipf sont presque identiques à celles qui ont été citées dans une affaire dont un tribunal américain a été saisi et qui avait trait à l'imposition de colonies huttérites, qui faisaient partie d'une Église constituée en société dans le Dakota du Sud (Hofer v. United States, 64 Ct. Cl. 672 (1928)). Il s'agit d'un indicateur du caractère notoire de certains faits relatifs au mode de vie des huttérites, comme la pratique de la vie communautaire, l'attitude relative à la propriété et le degré de dévotion attendu des membres de la communauté (voir l'arrêt Wipf, au paragraphe 10).

 

[48]        J'adopte une approche plus prudente en ce qui a trait à la connaissance d'office du renvoi sur la polygamie. L'avocat de l'intimée a souligné le fait que, dans les motifs de cette décision, le juge Bauman avait dressé un historique de la communauté de Bountiful (voir les observations écrites de l'intimée, à la page 93, paragraphe 449). L'intimée a aussi fait valoir que, quand un fait appartenait au [TRADUCTION] « milieu contextuel », il n'était pas nécessaire d'appliquer le critère rigoureux qui a été défini dans l'arrêt Spence (voir les observations écrites de l'intimée, à la page 141, paragraphe 630). De manière générale, la Cour peut admettre d'office de nombreux faits relatifs à la communauté de Bountiful, notamment s'ils sont de nature générale. Toutefois, le fait d'admettre d'office des faits susceptibles d'avoir été mis en cause lors de l'audition d'une autre affaire comporte des risques évidents. Bien que je doive ici me pencher sur la même communauté que celle que le juge Bauman a étudiée dans le renvoi sur la polygamie, les appels dont je suis saisie soulèvent des questions complètement différentes, et le processus d'établissement des faits qui en découle sera nécessairement différent, vu qu'il exigera de tenir compte des faits propres aux questions précises dont je suis saisie. En outre, il se peut que j'aie entendu suffisamment de témoignages en l'espèce à l'égard des questions ici en litige, et qu'il ne soit pas nécessaire que j'aie recours aux témoignages qui ont été donnés lors du renvoi sur la polygamie. Il s'agit de deux affaires distinctes, lesquelles ont donné lieu à deux audiences distinctes, à l'occasion desquelles des questions distinctes ont été soulevées. Par conséquent, je conclus que la Cour peut admettre d'office le renvoi sur la polygamie en ce qui concerne les faits relatifs au contexte général, si nécessaire, mais seulement si ces faits ne prêtent pas à controverse. L'histoire de la communauté de Bountiful en serait un bon exemple.

 

[49]        Toutefois, en ce qui concerne les inquiétudes que l'appelant a exprimées au sujet de faits susceptibles d'être considérés comme controversés, je n'ai pas l'intention, pas plus que je ne juge qu'il soit nécessaire, de me fonder sur des faits tirés du renvoi sur la polygamie. Par exemple, l'avocat de l'intimée s'est fondé sur des conclusions de fait tirées de ce renvoi, lesquelles étaient, selon lui, incompatibles avec la notion d'une communauté dont les membres vivent et travaillent ensemble. L'intimée a soutenu qu'une communauté polygame telle que celle de Bountiful ne pourra jamais se réclamer de l'article 143 de la Loi, parce qu'elle ne pourrait jamais s'autosuffire en tant que communauté. À cet égard, l'intimée a fait référence à des conclusions de fait tirées du renvoi sur la polygamie relatives aux phénomènes du [TRADUCTION] « trafic des filles » et des [TRADUCTION] « garçons perdus ». L'avocat de l'appelant a remis en cause les méthodes employées dans le renvoi sur la polygamie pour parvenir aux conclusions relatives au trafic transfrontalier de filles, et il a également souligné le fait qu'aucune preuve n'avait été produite devant la Cour au sujet du phénomène des [TRADUCTION] « garçons perdus ». Peu importe que ces questions soient pertinentes, ou qu'elles ne le soient pas, comme l'affirme l'appelant, pour savoir si les membres de la communauté vivaient et travaillaient ensemble, je n'ai pas l'intention de me fier à de telles conclusions de fait tirées du renvoi sur la polygamie, sauf pour ce qui est des faits de nature clairement générale et non controversés.

 

[50]        La troisième source que l'avocat de l'intimée a demandé à la Cour d'examiner est le manuel sur les huttérites intitulé The Hutterites in North America (Les huttérites en Amérique du Nord), notamment la description du fonctionnement des communautés huttérites, et, en partant du principe que ces communautés sont [TRADUCTION] « la norme de référence », la manière dont leur fonctionnement diffère de celui de la communauté de Bountiful. L'avocat de l'appelant a répondu que les faits énoncés dans ce manuel n'avaient pas été vérifiés et qu'ils ne satisfaisaient pas aux critères de Morgan relatifs à la connaissance d'office. Malgré les arguments formulés par l'appelant à l'encontre de l'utilisation par l'intimée d'extraits de ce manuel, dans ses propres observations, l'avocat de l'appelant a renvoyé à des extraits de l'ouvrage Hutterite Society (La société huttérite) (John A. Hostetler, Johns Hopkins University Press, 1974, 1997, à la page 198), manuel qui dépeint le mode de vie des huttérites et leur vision de la propriété (voir les observations écrites de l'appelant, au paragraphe 43, note de bas de page 19, et au paragraphe 104, note de bas de page 44).

 

[51]        Pour établir s'il faut appliquer rigoureusement les critères de Morgan à ces extraits de manuels, comme l'avocat de l'appelant l'a laissé entendre, il faut garder à l'esprit que les questions dont je suis saisie concernent la communauté de Bountiful, et non une communauté huttérite. Par conséquent, vu que ces « faits sociaux » ne règlent pas les questions en litige, je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire d'appliquer rigoureusement les critères de Morgan. Toutefois, les avocats des deux parties ont convenu du fait que l'article 143 avait été édicté en réponse aux décisions Wipf relatives aux communautés huttérites. Par conséquent, les exigences relatives à la connaissance d'office des extraits sont plus élevées que celles qui s'appliqueraient à tout autre fait social susceptible d'être admis d'office. Comme le juge Binnie l'a déclaré, « les critères de Morgan joueront un rôle important lorsque le fait législatif ou social aura une incidence sur l'issue du procès » (voir l'arrêt Spence, au paragraphe 63). Manifestement, le mode de vie des huttérites n'est pas suffisamment connu ou généralement accepté pour être aisément vérifiable.

 

[52]        Ce raisonnement s'inscrit dans la logique de la décision que j'ai rendue d'imposer des limites au témoignage d'expert de M. Cragun à l'issue du voir‑dire. En dépit du fait qu'il a lu de nombreux documents au sujet des communautés huttérites, visité une colonie huttérite et rencontré M. John Friesen, expert des communautés huttérites, M. Cragun a reconnu qu'il n'avait qu'une [TRADUCTION] « connaissance pratique » des huttérites (voir la transcription de l'interrogatoire principal de M. Cragun, à la page 1624). En soi, la conduite des huttérites ne peut être considérée comme un fait « que l'on peut démontrer, de manière immédiate et exacte, en recourant à des sources facilement accessibles dont l'exactitude ne saurait être remise en doute ».

 

[53]        Je n'ai pas l'intention de prendre connaissance d'office d'extraits de ce manuel, parce qu'il contient des faits ayant trop d'incidence sur l'issue du procès et qu'il ne satisfait pas au critère défini par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Spence. En outre, il se peut qu'il ne soit pas nécessaire de faire référence à ce manuel, parce qu'il est possible de se fonder sur les faits généraux et non controversés relatifs au mode de vie des huttérites, tels qu'ils ressortent de la jurisprudence susmentionnée, ainsi que sur les renseignements concrets contenus dans les documents constitutifs de l'Église huttérite, comme il en a été question dans les décisions Wipf.

 

[54]        Bien que le juge Bauman ait fait référence à l'ouvrage de Daphne Bramham, The Secret Lives of Saints, dans le renvoi sur la polygamie, ce qui ajoute du poids au fait que je pourrais en prendre connaissance d'office, j'ai conclu que les faits sociaux dont il est question dans ce livre pourraient se situer au coeur des questions dont je suis saisie en l'espèce. Par conséquent, il convient d'appliquer rigoureusement les critères de Morgan, et il n'est satisfait à aucun de ces critères. Par exemple, la Cour devrait se fonder sur les faits qui ont été produits en preuve à l'égard de l'emplacement physique des membres de la communauté pour établir si ceux‑ci vivent et travaillent ensemble, plutôt que sur des « faits » tirés de manuels qui n'ont été produits par les avocats que lors de la plaidoirie.

 

C.      Résumé des questions préliminaires

 

[55]        L'approche qu'il convient d'adopter pour procéder à une analyse des questions relevant de l'article 143 de la Loi exige de procéder à une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique. Bien que les huttérites ne représentent pas [TRADUCTION] « la norme de référence » à l'égard de cette disposition, ils sont un exemple de groupe que le législateur avait à l'esprit quand il a édicté cette disposition. Par conséquent, il conviendra, le cas échéant, de tenir compte des décisions Wipf en ce qui concerne l'édiction de l'article 143, ainsi que du contexte législatif et du libellé de la disposition. J'aurai également recours aux faits généraux qui peuvent être utiles énoncés dans les motifs du renvoi sur la polygamie. Je ne pourrai me fonder que sur des faits de nature générale et non controversés.

 

[56]        La Cour ne peut admettre d'office des extraits des manuels relatifs aux huttérites ou à la communauté de Bountiful, parce qu'ils contiennent des faits qui ont trop d'incidence sur l'issue du procès. Les critères de Morgan devraient donc être appliqués rigoureusement, et il en résulterait qu'il ne serait satisfait à aucun des critères.

 

LA PREUVE

 

[57]        Contrairement à la majorité des appels en matière d'impôt sur le revenu, les questions principales ne portent en aucune manière sur des questions fiscales; elles portent plutôt sur des doctrines, des principes, des croyances et des pratiques religieux, notamment en ce qui a trait à la grande tradition du mormonisme, à la gouvernance épiscopale et à la succession apostolique. Il y avait de nombreux termes, comme le « Priesthood Work », le « United Effort Plan » ou le « United Effort Plan Trust », la « loi de consécration » et la « dîme », qui m'étaient complètement inconnus ou dont je n'avais jamais traité auparavant. Il était crucial que les témoignages d'expert aident la Cour à appréhender un domaine complexe et spécialisé afin de permettre à celle‑ci de bien comprendre la preuve et les questions à trancher.

 

A.      Les témoins

 

[58]        Neuf personnes, dont trois experts, ont témoigné sur une période de quatre semaines. Les témoins ordinaires comprenaient Winston Blackmore, Estanislao « Stan » Oziewicz, journaliste au Globe and Mail, et des personnes qui résidaient ou avaient résidé à Bountiful. Chacun des trois experts a fait l'objet d'un voir‑dire exhaustif d'un ou deux jours. J'ai limité les témoignages de tous les experts, de manière plus ou moins importante, et établi des limites bien définies en vue de leur témoignage. (Les motifs que j'ai rendus oralement à la suite de chaque voir‑dire seront publiés et joints aux présents motifs pour aider à comprendre comment et pourquoi j'ai circonscrit les témoignages de ces experts, notamment en ce qui a trait à leurs déclarations au sujet de la communauté de Bountiful.)

 

[59]        J'ai limité le témoignage de M. William John Walsh, témoin expert de l'appelant, aux questions de doctrine générale et sous‑jacente, à l'histoire et aux principes de la foi mormone. Je ne lui ai pas permis de témoigner au sujet de la communauté de Bountiful. Le premier expert cité par l'intimée, M. Ryan Cragun, est un expert en sociologie des religions, spécialisé en mormonisme, y compris le mormonisme fondamentaliste. J'ai accepté que M. Cragun témoigne en qualité d'expert en ce qui concerne ses domaines d'expertise, soit la sociologie des religions, le mormonisme et son histoire, sa doctrine, ses croyances, ses pratiques et ses principes, et, plus précisément, en ce qui concerne son expertise à l'égard des courants de la foi mormone que sont l'Église fondamentaliste de Jésus‑Christ des saints des derniers jours (l'« Église FLDS ») et l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours (l'« Église LDS »). Je ne lui ai pas permis de témoigner en qualité d'expert à l'égard des huttérites ou de leur foi, ni à l'égard de la communauté de Bountiful. J'ai permis au second témoin expert de l'intimée, M. Randall Balmer, de témoigner en qualité d'expert dans son domaine d'expertise déclaré, à savoir l'histoire religieuse américaine, avec une spécialisation en gouvernance religieuse, relativement aux organismes religieux, aux traditions, à l'histoire, aux croyances et aux principes du mormonisme.

 

B.      Le site de Bountiful : son aménagement et son histoire

 

[60]        La communauté de Bountiful est constituée de plusieurs localités, le site principal se trouvant à Lister, en Colombie‑Britannique. Le site de Bountiful n'apparaît pas sur les cartes, et il s'agit en fait du nom familier qu'on donne principalement à Lister. Il est situé dans le Sud‑Est de la Colombie‑Britannique, près de la frontière américaine. Le site de Bountiful a été établi au milieu des années 1940 par le neveu du père de l'appelant, Harold Blackmore. Le père de l'appelant, Raymond Blackmore, est ensuite devenu le chef de la communauté.

 

[61]        Selon les déclarations de l'appelant, il y a également un certain nombre de terrains où des membres de la communauté résident, à Yahk, à Canyon, à Creston et à Cranbrook. L'appelant considérait également que des lieux de travail de la société situés en Colombie‑Britannique et en Alberta font partie de la communauté de Bountiful, et ce, bien qu'ils n'y soient pas situés physiquement.

 

[62]        En 2000, Lister était constituée de plusieurs lots et d'un cimetière (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 70). Trois lots étaient enregistrés au nom de la société de l'école élémentaire et secondaire de Bountiful, trois lots (à savoir celui sur lequel se trouve le cimetière, le terrain de 210 acres des parents de l'appelant et le terrain de départ de 80 acres de Harold Blackmore) au nom du United Effort Plan Trust (« UEPT »), un lot au nom de Guy Blackmore, ainsi qu'un lot au nom de l'appelant et d'une de ses soeurs (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, aux pages 70, 71, et 80 à 84). L'appelant a déclaré que Bountiful, à proprement parler, couvrait environ 750 à 800 acres au total. Quelque 55 maisons se trouvent situées sur le site principal, et environ 50 de ces maisons se trouvent sur les terres du UEPT en 2000 (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, aux pages 88 et 144). De nombreux autres terrains, toutefois, appartenaient à la société, à l'appelant ou à d'autres membres de la communauté à des endroits tels que Yahk, Canyon et Kitchener, et se trouvaient tous dans un rayon de 50 kilomètres les uns des autres. L'appelant a affirmé que les règlements en matière de zonage et de densité de population étaient à l'origine d'une croissance à ces autres endroits.

 

[63]        La communauté était propriétaire de cinq ou six maisons situées sur un lot de 45 acres à Canyon, près de Lister. Bien que ce lot ait été à l'origine enregistré au nom de Dalmon Oler, il a été transféré à la société de l'école élémentaire et secondaire de Bountiful pour être soustrait à la forclusion au profit de la banque, à l'encontre de M. Oler et de son entreprise.

 

[64]        À l'origine, des terrains avaient été achetés à Yahk parce que la société y avait entrepris de l'exploitation forestière dans les années 1980. Finalement, Guy et Kevin Blackmore ont acheté deux lots adjacents, situés à 15 kilomètres de Lister, à des fins résidentielles, avec les fonds de la société.

 

[65]        Kevin Blackmore a temporairement utilisé, à titre de résidence, un terrain situé à Kitchener, où la société avait à l'origine un centre de réparation du matériel.

 

[66]        En outre, la société était propriétaire ou locataire de terrains dans tout le Nord‑Est de la Colombie‑Britannique ainsi qu'en Alberta, terrains qui servaient aux travailleurs exerçant l'exploitation forestière de la société ainsi qu'à leurs familles, qui y résidaient également de manière périodique.

 

[67]        À divers moments, l'appelant a été propriétaire de terrains situés à Lister, à Creston, à Ryan Station, à Kitchener et à Trail, ainsi qu'en Alberta, à Crowsnest Pass, à Calgary et à Coleman. Une maison se trouvait sur chacun des terrains situés à Calgary et à Coleman. Certains de ces terrains étaient grevés d'une hypothèque. Certains terrains étaient détenus conjointement avec d'autres membres de la communauté, et, au fil des ans, certains ont été transférés ou vendus.

 

[68]        Le terrain situé à Cranbrook a été acheté en juillet 1990 et a été grevé de deux hypothèques. En 2005, ce terrain a été cédé à la première et seule épouse de l'appelant reconnue par la loi, Jane Blackmore, en vertu de la répartition et du partage des biens prévus par l'entente de séparation et de divorce à laquelle l'appelant et Jane Blackmore étaient parvenus. Il est intéressant de souligner que leur entente de séparation ne contient aucune référence à de quelconques droits auxquels le terrain aurait pu être assujetti en matière de fiducie à l'égard du United Effort Plan (« UEP »), du UEPT, de la J. R. Blackmore Trust ou de la Blackmore Trust. En fait, aucun des terrains qui ont été grevés d'une hypothèque, cédés ou vendus pendant les années en cause ne faisait l'objet d'une divulgation à l'égard d'une quelconque fiducie pour le compte des membres de la communauté à l'égard d'entités telles que le UEP ou le UEPT. C'était également vrai des terrains dont la société était propriétaire.

 

C.      La religion : le mormonisme et les Églises LDS et FLDS

 

[69]        L'appelant a été excommunié par l'Église principale (LDS) parce que lui et ses adeptes continuaient à pratiquer la polygamie, à savoir le fait d'avoir plusieurs épouses, pratique à laquelle l'Église principale avait renoncé en 1890.

 

[70]        L'appelant est devenu évêque de la communauté en 1984, communauté qu'il a baptisée « Bountiful ». Bien que son père ait également été excommunié, l'appelant avait été baptisé au sein de l'Église principale, parce que son père continuait de suivre les enseignements originaux de Joseph Smith Jr., le prophète fondateur. Joseph Smith a eu la « Première Vision » à New York en 1820, et les mormons croient qu'en 1823, il a eu une autre révélation, à l'occasion de laquelle il a été informé de l'existence de « plaques d'or ». En 1827, Joseph Smith a pu déterrer ces plaques, qui ont finalement été traduites et publiées dans l'ouvrage intitulé Book of Mormon (le « Livre de Mormon »), publié pour la première fois en 1830. Cet événement a servi de base à la fondation de l'Église du Christ, qui, en 1838, a été finalement rebaptisée Église LDS. En 1832, Joseph Smith a été confirmé dans son rôle de « président de la haute prêtrise » au sein de l'Église. En 1844, en Illinois, Joseph Smith a été assassiné par une foule qui avait pris d'assaut la prison dans laquelle il avait été enfermé. Après sa mort, on ne savait pas lequel de ses successeurs potentiels deviendrait le prochain chef de l'Église. Une majorité a suivi Brigham Young comme étant le nouveau chef de l'Église LDS. Toutefois, un certain nombre de groupes ont prétendu détenir l'autorité prophétique après la mort de Joseph Smith, dont les strangites, qui suivaient James Strang, l'Église du Christ et l'Église réorganisée de Jésus‑Christ des saints des derniers jours, connue aujourd'hui sous le nom de Communauté du Christ, parmi les fondateurs de laquelle se trouvaient la veuve de Joseph Smith et son fils.

 

[71]        La seule personne qui peut recevoir des révélations à l'égard de l'Église est son président (voir le rapport d'expert de M. Balmer, aux paragraphes 4 à 8).

 

[72]        Comme il en est fait mention dans le rapport d'expert de M. Balmer, au paragraphe 9 : [TRADUCTION] « Le fait que l'autorité révélatrice appartienne au président de l'Église LDS est important. » Aux paragraphes 10 à 12, M. Balmer souligne que la plupart des groupes religieux chrétiens sont organisés sous la forme d'une des trois formes de « politie » ou de gouvernance suivantes :

 

a)       la gouvernance congrégationaliste, dans laquelle l'autorité est dévolue à la congrégation locale;

 

b)      la gouvernance presbytérale, qui est une forme de gouvernement représentatif au sein duquel des congrégations locales élisent des représentants;

 

c)       la gouvernance épiscopale, dans laquelle l'évêque gouverne.

 

[73]        Au paragraphe 13 de son rapport d'expert, M. Balmer explique ce qu'est l'autorité épiscopale, dont l'Église LDS relève, de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

13.       La gouvernance épiscopale est la gouvernance par les évêques, principe qui repose sur la succession apostolique. En ce qui concerne l'Église catholique romaine, par exemple, le pape tire son autorité de siècles de succession apostolique remontant à saint Pierre, qui a été le premier évêque de Rome et un des apôtres de Jésus. Dans le cas de la gouvernance épiscopale, l'autorité est transmise d'un évêque à l'autre en vertu de la succession apostolique. [...]

 

[74]        Ainsi, les mormons sont organisés selon les principes de la gouvernance épiscopale et gouvernés par des évêques dont la légitimité doit se fonder sur les règles de la succession apostolique, soit la transmission de successeur en successeur, sans interruption, de l'autorité et des pouvoirs dont Joseph Smith, prophète fondateur, a été investi.

 

[75]        Les tensions avec les non-mormons découlaient de la fermeture des mormons au monde extérieur ainsi que de leur pratique de la polygamie. Après l'assassinat de Joseph Smith, et face aux pressions externes et aux problèmes juridiques relatifs à la pratique de la polygamie, un manifeste a été proclamé en 1890, aux termes duquel la polygamie a été interdite.

 

[76]        À Salt Lake City, en Utah, lors d'une conférence générale qui s'est tenue le 6 octobre 1890, Wilford Woodruff, qui était alors le quatrième président et prophète de l'Église LDS, a publié le manifeste de Woodruff, qui interdisait la pratique de la polygamie au sein de l'Église LDS. Un second manifeste, publié en 1904, précisait que ceux qui persisteraient à observer cette pratique seraient excommuniés. Les membres qui ont continué de pratiquer la polygamie après la publication de ces manifestes ont rompu leurs liens avec l'Église LDS en 1935, du fait du désaveu par l'Église LDS de la pratique de la polygamie. Sous la direction de Leroy S. Johnson, ces membres ont ensuite été connus sous l'appellation « The Work » ou « The Priesthood Work », et finalement sous l'appellation actuelle, l'Église FLDS. L'Église FLDS compte environ 10 000 membres. Ses membres se concentrent principalement à Hilldale, en Utah, et à Colorado City, en Arizona, ainsi qu'à Bountiful, en Colombie‑Britannique. Il existe également d'autres groupes au sein des mormons fondamentalistes, tels que l'Apostolic United Brethren (le groupe Allred) et le Latter Day Church of Christ (le groupe de Kingston). Il existe également des groupes indépendants de mormons fondamentalistes, qui ne sont associés à aucun groupe organisé.

 

[77]        Selon M. Balmer, l'Église FLDS n'a pas de légitimité apostolique, parce que la scission qui a eu lieu avec l'Église principale LDS a rompu la ligne de succession qui remontait à Joseph Smith, le prophète fondateur. Toutefois, lors du contre‑interrogatoire, l'appelant a déclaré qu'il ne croyait pas que cette ligne de succession eût été corrompue d'une quelconque manière du fait de la scission ou que la prétention d'autres groupes à la succession apostolique fût en aucune manière plus valable que la sienne. Il a ajouté qu'il restait membre de l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours telle que Joseph Smith Jr. l'avait fondée, mais qu'il n'était pas membre de l'Église LDS (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, aux pages 488, 502 et 503).

 

[78]        En 1991, sous l'autorité de celui qui était alors son président, Rulon Jeffs, l'Église FLDS a été constituée en société. Rulon Jeffs a été président de l'Église FLDS jusqu'en 2002, et, pendant cette période, l'appelant relevait de lui en sa qualité de [TRADUCTION] « chef de la prêtrise ». Le 29 mai 2002, l'appelant, qui avait occupé les fonctions de fiduciaire du UEPT, a été démis de ses fonctions, et, le 2 juin 2002, il a également été démis de ses fonctions d'évêque de Bountiful. L'appelant a déclaré qu'il croyait qu'à cette époque, Rulon Jeffs était manipulé par son fils, Warren Jeffs, bien que ce soit ce dernier qui ait véritablement excommunié l'appelant en 2003.

 

[79]        Quand il a succédé à son père en tant que président de l'Église FLDS, Warren Jeffs a nommé Jim Oler évêque de Bountiful. En 2003, l'appelant a été officiellement excommunié et déclaré apostat ([TRADUCTION] « quelqu'un [...] qui a renoncé aux principes fondateurs de la foi mormone »; voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, à la page 502) par l'Église FLDS, parce qu'il avait refusé de reconnaître Warren Jeffs comme président et prophète de cette Église.

 

D.      La composition de la communauté, ses croyances et ses pratiques

 

[80]        En 2002, la communauté de Bountiful s'est scindée en deux groupes, constitué chacun d'environ 450 personnes. Le premier groupe suivait les enseignements de Warren Jeffs, établi en Utah. Ce groupe a suivi James Oler à titre d'évêque et de chef de la communauté de Bountiful. L'autre groupe a suivi l'appelant, qui avait nommé Duane Palmer comme évêque de la communauté après la scission. Par suite de cette scission, des dissensions sont apparues entre les membres d'une même famille, et, comme je l'ai compris des déclarations de l'appelant et d'autres témoins, ces dissensions existent toujours à ce jour, et les membres des deux groupes n'ont pas de relations les uns avec les autres et ne se parlent pas.

 

[81]        Avant la scission de 2002, l'appelant avait quelque 20 épouses. Il a déclaré qu'à l'époque de la scission, huit ou neuf de ces épouses les avaient quittés, lui et la communauté. Les épouses « célestes » de l'appelant, ainsi que leurs quelque 67 enfants (l'appelant n'était pas certain du nombre total; voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, à la page 324), vivaient dans un regroupement de maisons comprenant sept ou huit bâtiments, à Bountiful. Un de ces bâtiments contenait une salle de lessive, un appartement, une grande cuisine industrielle et une salle à manger pouvant accueillir de 175 à 200 personnes (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 211). L'appelant a déclaré que les membres de la communauté de Bountiful pouvaient se servir de cette cuisine. Un autre de ces bâtiments était une résidence comptant six chambres à coucher, laquelle appartenait à l'origine au père de l'appelant. Toutefois, pendant les années en cause, l'appelant ne résidait avec aucune de ses épouses et leur famille. Il habitait plutôt avec sa mère, dans un appartement situé dans le sous‑sol d'un duplex à Bountiful. L'appartement du haut était occupé par une de ses épouses.

 

[82]        À Bountiful, beaucoup d'hommes ainsi qu'un petit nombre de femmes travaillaient pour la société. Des salaires étaient payés en fonction des besoins essentiels de groupes particuliers au sein de la communauté.

 

[83]        D'après les témoignages de Marjorie Johnson, de Marlene Palmer et de Miriam Oler, un principe central de leur foi est le concept du [TRADUCTION] « chef de la prêtrise », qui découle de l'autorité sacerdotale héritée en ligne directe du prophète fondateur, Joseph Smith Jr. Vu que cette autorité est transmise uniquement par les hommes (à l'exception, comme M. Cragun l'a souligné, de la Communauté du Christ, qui a permis aux femmes d'être ordonnées prêtres dans les années 1970 : voir la transcription de l'interrogatoire principal de M. Cragun, à la page 2080), ces témoins reconnaissent leur père, ou, une fois qu'elles deviennent une des épouses d'un mariage polygame, leur mari, comme leur [TRADUCTION] « chef de la prêtrise ». Quand les membres de sexe masculin atteignent l'âge de 12 ans, et pourvu qu'ils en soient jugés dignes, ils sont autorisés à recevoir cette prêtrise. Il existe deux types de prêtrise : la prêtrise d'Aaron et la prêtrise de Melchisédech, appellations toutes deux tirées de passages de l'Ancien Testament. La prêtrise d'Aaron tire son nom du frère de Moïse et de la charge sacerdotale qui incombe à sa lignée. Les mormons croient que Melchisédech était le grand prêtre d'Abraham (voir la transcription de l'interrogatoire principal de M. Cragun, aux pages 2082 et 2083).

 

[84]        Il existe différents niveaux, ou rangs, au sein des deux types de prêtrise. La prêtrise d'Aaron est la prêtrise inférieure, et, si un garçon en gravit tous les échelons, il aura accès à la prêtrise de Melchisédech, au sein de laquelle le niveau le plus élevé est celui d'apôtre. Les prophètes ou présidents de l'Église sont choisis parmi les apôtres. Quand on a demandé à M. Cragun si le modèle exposé ci‑dessus existait au sein de l'Église FLDS aussi bien que de l'Église LDS, il a déclaré que cela dépendait de l'époque considérée. Toutefois, il a affirmé que la prêtrise d'Aaron ainsi qu'une partie de la prêtrise de Melchisédech existaient au sein de l'Église FLDS (voir la transcription de l'interrogatoire principal de M. Cragun, aux pages 2083 et 2084).

 

[85]        L'appelant a affirmé que les garçons pouvaient devenir diacres au sein de la prêtrise d'Aaron à 12 ans, instructeurs à 14 ans et prêtres à 16 ans. L'appelant a été baptisé et ordonné prêtre d'Aaron à 16 ans, et peu de temps après, il est devenu un ancien. Finalement, en 1984, il a été ordonné grand prêtre et évêque de Bountiful par Leroy S. Johnson, alors président du Priesthood Work.

 

[86]        Certains membres poursuivaient leurs études à l'extérieur de la communauté, et, quand ils revenaient, ils offraient leurs services gratuitement aux membres, mais, parfois, il leur arrivait de travailler en dehors de Bountiful en échange d'un salaire. L'appelant a cité l'exemple de sa première femme, Jane Blackmore, qui avait reçu une formation de sage‑femme et d'infirmière et qui travaillait tant à l'intérieur de Bountiful qu'à l'extérieur. Jusqu'à ce que la maison et le terrain situés à Calgary soient vendus, ils servaient de résidence à plusieurs membres de la communauté qui poursuivaient des études à Calgary.

 

[87]        Bountiful, comme de nombreuses communautés, organisait une variété d'activités sociales, telles que des rodéos, des parties de hockey et des barbecues. En revanche, contrairement aux autres communautés, Bountiful entretenait des pratiques qui lui étaient propres. L'appelant pratiquait et administrait la dîme, une des premières pratiques de l'Église mormone. Cette pratique de la dîme, associée à la « loi de consécration », fait partie d'un programme religieux plus large appelé l'« Ordre uni », qui signifie que tous les membres de la communauté adoptent un mode de vie selon lequel tout est mis en commun dans la communauté. La loi de consécration exige de consacrer son temps, ses talents et ses biens à l'Église. Toutefois, les experts ne sont pas parvenus à s'entendre au sujet de la réalité de la pratique de la loi de consécration au sein de l'Église mormone. L'idéal de vie en commun des membres a été appelé UEP, et le moyen d'atteindre cet objectif est le UEPT, entité propriétaire des biens immobiliers.

 

[88]        À l'origine, si des personnes souhaitaient joindre l'Ordre uni, ou, comme l'appelant l'a appelé, l'Ordre de Zion (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 124), elles devaient transférer tous leurs biens à l'Église, et elles ne recevaient en retour que ce qui leur était nécessaire pour satisfaire leurs besoins. En outre, on s'attendait de ces personnes qu'elles apportent à la communauté une contribution au moins égale à 10 % de leur revenu. En remplacement de la dîme, certains membres apportaient une contribution sous forme de travail (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Marlene Palmer, à la page 1349). Selon le témoignage de l'appelant, les fonds tirés de cette pratique servaient à payer, entre autres choses, les frais d'obsèques de membres ou les frais médicaux d'urgence, quand il pouvait être nécessaire de transporter quelqu'un à l'hôpital. Miriam Oler a déclaré qu'elle ou son conjoint n'étaient en aucune façon tenus de donner leurs biens au UEPT, mais qu'elle devait donner 10 % de son revenu, une « dîme », à la communauté (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Miriam Oler, à la page 2829).

 

[89]        La communauté s'engageait également dans des [TRADUCTION] « appels de famine », autre activité propre à la communauté de Bountiful, qui consistait à ce que les membres, pendant une période de trois mois, n'utilisent que les aliments qu'ils avaient en réserve ou des aliments en conserve, ou vivent simplement de manière plus frugale, et donnent le plus d'argent possible. L'appelant envoyait la somme obtenue à Rulon Jeffs, président de l'Église FLDS. Il a également décrit ces activités comme des [TRADUCTION] « appels d'argent ». Les appels de famine existaient également comme moyen de lever des fonds pour les projets communautaires ou pour payer les impôts fonciers. Toutefois, d'après le témoignage de Miriam Oler, un de ces appels a été fait en vue de bâtir un entrepôt communautaire, lequel n'a jamais vu le jour (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Miriam Oler, à la page 2842). La preuve ne donne pas à penser que les membres de la communauté aient reçu une quelconque forme de compte‑rendu de l'utilisation de ces fonds ou que des dossiers aient été tenus relativement à la pratique de la dîme, ou aux appels de famine ou d'argent.

 

E.      Le UEPT

 

[90]        Le UEPT a été constitué le 9 novembre 1942, en Utah. Il ressort de la pièce R‑5 que son objet principal était caritatif et philanthropique. Pour atteindre ses objectifs, le UEPT pouvait s'engager dans des entreprises commerciales légitimes (voir la pièce R‑5, à la page 4). À cette fin, les fiduciaires étaient autorisés à détenir le titre de propriété de tout bien, ainsi que le pouvoir de gérer ces biens, d'en disposer et de les contrôler (voir la pièce R‑5, à la page 3). Le UEPT avait également le pouvoir d'établir des salaires et de trancher les autres questions de rémunération ainsi que de déclarer des dividendes (voir la pièce R‑5, aux pages 5 et 6).

 

[91]        L'appelant a été nommé fiduciaire le 25 février 1986. Le 3 novembre 1988, la déclaration de fiducie du UEPT a été modifiée et mise à jour, et selon ses termes, de nouveaux biens avaient été ajoutés, et d'autres devaient bientôt venir s'ajouter aux biens de la fiducie et de ses fiduciaires à titre de « consécrations » (voir la pièce R‑5, à la page 2). Par suite de la scission survenue en 2002 au sein de la communauté au sujet de la direction de Warren Jeffs, l'appelant a été démis de ses fonctions de fiduciaire du UEPT. En 2005, une cour de district de l'Utah a conclu que tous les fiduciaires devaient être démis de leurs fonctions, parce qu'ils s'étaient rendus coupables d'abus de confiance en protégeant et en séparant les biens de la fiducie. La cour a nommé un fiduciaire spécial, Bruce Wisan (voir la pièce R‑5, aux pages 2 à 9).

 

[92]        Pendant les années en cause, trois parcelles situées à Lister étaient détenues par les fiduciaires du UEPT. Ces terres avaient été acquises en 1987. Jusqu'à ce qu'il soit démis de ses fonctions en 2002, l'appelant était l'un de ces fiduciaires. Quand la cour a nommé le fiduciaire spécial, tous les biens détenus par le UEPT, y compris les trois parcelles situées à Lister, ont été retirés de la fiducie et transférés au fiduciaire spécial. Selon les documents, le UEPT était le propriétaire bénéficiaire des biens (voir les pièces R‑4 et R‑5). Selon les témoignages de Marlene Palmer et de Miriam Oler, l'appelant et les membres n'ont jamais eu de discussion au sujet des biens du UEPT, pas plus que les membres n'ont vu de documents ou de relevés concernant ces biens détenus par le UEPT.

 

[93]        Lors du contre-interrogatoire, quand on a demandé à l'appelant s'il avait consacré des biens au UEPT, il a déclaré ceci : [TRADUCTION] « Tout bien qui a été inscrit à mon nom, je le détenais pour le compte du UEPT. » Quand on lui a demandé d'être plus précis, il a convenu du fait que ni lui ni la société n'avaient jamais signé de document concernant le transfert de la propriété de biens immobiliers au UEPT (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, à la page 574).

 

F.      J. R. Blackmore & Sons Ltd.

 

[94]        La société a été constituée le 14 mai 1980. Les actionnaires étaient David Kevin Blackmore, Richard Blackmore, Richard Guy Blackmore et l'appelant. Winston Blackmore pouvait être le seul signataire des chèques émis par la société, mais autrement, les chèques devaient porter la signature de deux actionnaires (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, aux pages 428 à 430).

 

[95]        Pendant la période en cause, la société menait diverses activités en différents lieux. Cela comprenait les activités et les lieux suivants :

 

a)       de l'exploitation forestière à Ryan Station, à Yahk, à Fernie, à Canmore, à Coleman et à Grassy (où 2 000 acres étaient exploités), tous ces sites se trouvant en Alberta;

 

b)      des activités de traitement du bois, d'écorçage et de fabrication de poteaux de clôture dans des usines situées à Sparwood, à Caven Creek, à Lumberton, à Cranbrook (où se trouvait un important site de traitement sous pression des poteaux de clôture) et, en Alberta, à Sundre (où se trouvait un important site de transformation pour le bois de clôture de la société), ainsi qu'en Idaho, à Bonner's Ferry;

 

c)       des fermes sur des terres louées de la bande indienne Lower Kootenay, à Creston Flats.

 

Le principal site de réparation de moteurs, de systèmes de transmission et d'autres pièces d'équipement était situé à Kitchener, en Colombie‑Britannique. Des opérations de coupe étaient également menées à Windermere, à Radium, à Findlay, à Lavington et à Canal Flats, des sites tous situés en Colombie‑Britannique (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, aux pages 44, 45, et 157 à 178). Vu que nombre de ces lieux de travail se trouvaient loin de Bountiful, on avait mis des logements à la disposition des travailleurs. Il y avait parfois une maison, une caravane, un campement ou des logements locatifs. Par exemple, à Sundre, en Alberta, se trouvaient une maison, des caravanes et des logements locatifs destinés à accueillir les travailleurs d'usine (voir la transcription des interrogatoires principaux de Winston Blackmore, à la page 158, et de Ken Oler, aux pages 954 à 989). Vu que Sundre est située à 550 ou 570 kilomètres de Lister, ou à environ 6,5 à 7,5 heures de route, il était essentiel d'avoir de tels logements. Les 20 à 25 travailleurs qui se trouvaient à Sundre pouvaient être en mesure de retourner à Lister une fois tous les 15 jours (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, aux pages 453 à 459, de l'interrogatoire principal de Ken Oler, aux pages 956 et 957, et du contre‑interrogatoire de Ken Oler, aux pages 1006 et 1007). Marlene Palmer a déclaré qu'elle faisait la cuisine au campement de Lumberton, qui se trouvait à environ 100 kilomètres de Lister. Tant à Kitchener qu'à Caven Creek, on entretenait des maisons sur chaque chantier ou à proximité.

 

[96]        Pendant les années en cause, la société employait de 55 à 60 personnes, et 30 à 40 personnes de plus pendant la période estivale. La majorité des employés étaient des membres de la communauté, même si l'on employait aussi quelques employés extérieurs. En été, la société embauchait également des écoliers pour accomplir diverses tâches. Des enfants, âgés de 12 à 14 ans, comptaient les poteaux constituant les faisceaux, débardaient ces faisceaux, graissaient les machines, conduisaient les tracteurs, participaient au rassemblement et au marquage du bétail, et supervisaient les vis à grain, les chargements et le nettoyage des débusqueuses (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, aux pages 422 à 424). Les enfants plus âgés, de 15 à 17 ans, conduisaient l'équipement lourd.

 

[97]        L'appelant établissait le montant des salaires qui étaient versés aux employés de la société (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Ken Oler, à la page 959). Marlene Palmer et Marjorie Johnson travaillaient toutes les deux dans les bureaux de la société et gagnaient de 500 $ à 700 $ la quinzaine. Le salaire de Marlene Palmer a augmenté jusqu'à ce qu'elle soit payée 700 $ la quinzaine en 2006. Miriam Oler a déclaré que, quand son conjoint, Chance Quinton, a commencé à travailler pour la société, il était célibataire et recevait des chèques mensuels de 1 100 $, qu'il endossait au nom de l'appelant en échange d'une somme de 80 $ à 100 $ par mois (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Miriam Oler, aux pages 2787 et 2788). Toutefois, quand M. Quinton et Mme Oler se sont épousés, le salaire de M. Quinton a augmenté, et il a gardé l'intégralité de son salaire pour son usage personnel (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Miriam Oler, aux pages 2906 et 2907). Les enfants gagnaient à peu près 2 $ l'heure, parce qu'ils endossaient leurs chèques au nom de l'appelant, qui leur donnait de plus petits montants en argent comptant (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, aux pages 426 et 431 à 433).

 

[98]        Pendant les années en cause, la société faisait appel aux services d'un cabinet comptable externe pour remplir ses déclarations de revenus et l'aider à établir ses états financiers, à faire la réconciliation bancaire et à calculer la TPS. Ces comptables externes se rendaient aux bureaux de la société au moins deux fois par mois. Jusqu'en 2005, Marlene Palmer était responsable de la tenue quotidienne des comptes.

 

[99]        La société était propriétaire d'un certain nombre de terrains, tant avant que pendant les années en cause, et elle a acquis des terrains à Kitchener, à Cranbrook et à Creston de 1996 à 2002. En 1996, la société a acheté un terrain à Kitchener pour une somme de 110 000 $, en 1997, un terrain situé chemin Lumberton, à Cranbrook, pour une somme de 117 600 $, lequel a par la suite été hypothéqué pour une somme de 1,4 million de dollars, en 1998, deux terrains situés chemin Lumberton, à Cranbrook, pour des sommes de 610 000 $ et de 8 000 $, et un de ces terrains a par la suite été hypothéqué pour une somme de 650 000 $, et en 1998, un terrain à Creston (voir les pièces R‑4 et R‑5). L'appelant et plusieurs autres personnes se sont portés garants des hypothèques. En 2006, les biens‑fonds situés chemin Lumberton ont été cédés au prix d'achat de 900 000 $ (voir la pièce R‑6).

 

[100]   La société avait également un compte bancaire aux États‑Unis, à Bonner's Ferry (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 281) et des biens meubles, dont un avion Cessna de 1973 acheté au prix de 165 000 $ (voir la pièce R-4). Sur une période de plusieurs années, les administrateurs ont adopté des résolutions aux termes desquelles des dividendes ont été distribués aux actionnaires, y compris à l'appelant.

 

[101]   En 2005, la société a déposé un avis d'intention de faire une proposition concordataire. Toutefois, dans la déclaration énumérant ses biens, ses dettes et ses créanciers, il n'était question d'aucune fiducie, notamment le UEPT, qui pourrait avoir une incidence sur ses biens‑fonds ou ses avoirs.

 

G.      Les autres sociétés

 

[102]   D'autres sociétés étaient aussi exploitées à Bountiful, certaines afin de soutenir les activités de la société. Quand la société a fait faillite après la scission de 2002, des membres ont constitué d'autres sociétés pour reprendre la direction des opérations et des activités qui étaient auparavant menées par la société. Les biens de la société ont été répartis autant que possible entre ces nouvelles sociétés ainsi qu'entre les membres de la communauté.

 

H.      Les biens personnels

 

[103]   Plusieurs témoins ont déclaré que rien n'interdisait aux membres d'avoir des biens personnels à leur nom et d'en disposer comme ils le jugeaient bon. Ils pouvaient avoir des comptes bancaires séparés, posséder des voitures (par exemple, Marjorie Johnson a déclaré qu'elle avait acheté une fourgonnette en 2003 et en était restée propriétaire pendant trois ans (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Marjorie Johnson, aux pages 1092 et 1097)), mener des activités commerciales par le truchement de leurs propres entreprises constituées en sociétés, et être propriétaires du mobilier domestique classique. Certains membres avaient des cartes de crédit, des marges de crédit, des prêts bancaires, et certains membres s'accordaient entre eux des prêts avec modalités de remboursement.

 

L'ANALYSE DE LA COUR : LA SIGNIFICATION DU TERME « CONGRÉGATION »

 

Introduction et remarques préliminaires

 

[104]   La communauté de Bountiful peut‑elle être considérée comme le type d'organisme communautaire religieux que le législateur avait à l'esprit quand il a édicté l'article 143 de la Loi? La réponse dépend de la question de savoir si la communauté de Bountiful satisfait à tous les critères de la définition du terme « congrégation » qui est énoncée au paragraphe 143(4) de la Loi :

 
Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article :
 
[...]
 
« congrégation » Communauté, association ou assemblée de particuliers, constituée ou non en société, qui répond aux conditions suivantes :
 
ases membres vivent et travaillent ensemble;
 
belle adhère aux pratiques et croyances de l'organisme religieux dont elle fait partie et agit en conformité avec les principes de cet organisme;
 
celle ne permet pas à ses membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef; 
 
delle exige de ses membres qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation.
 
[...]
 
[Non souligné dans l'original.]

 

Si la communauté de Bountiful répond à cette définition, ses membres, ainsi que l'appelant, peuvent se prévaloir du régime d'imposition particulier qui est prévu par cette disposition.

 

[105]   Si, comme l'appelant le prétend, Bountiful satisfait aux quatre critères énoncés ci‑dessus, de a) à d) inclusivement, la dette fiscale qui a été calculée à l'égard de l'appelant pourrait bien être retirée à ce dernier et répartie entre les membres de la communauté de Bountiful, et ce, en imposant la fiducie réputée. La communauté de Bountiful pourrait choisir d'effectuer chaque année une distribution présumée de son revenu pour les besoins de l'impôt à ses membres. L'intimée est d'avis que la communauté de Bountiful ne satisfait à aucun des quatre critères énoncés dans la définition de « congrégation », et que, par conséquent, les cotisations établies à l'égard de l'appelant à titre personnel devraient être confirmées.

 

[106]   Pour analyser chacun de ces critères, j'appliquerai les conclusions que j'ai tirées dans la section intitulée « Les questions préliminaires et principales », à savoir : 1) l'interprétation de la loi selon une approche textuelle, contextuelle et téléologique; 2) si nécessaire, la connaissance d'office et l'utilisation de la jurisprudence relative aux huttérites et du renvoi sur la polygamie.

 

[107]   Bien que le libellé du paragraphe 143(4) soit de nature générale et qu'aucun tribunal, y compris la Cour, ne l'ait encore interprété, il n'en demeure pas moins strict dans le sens où sa formulation est tout à la fois exhaustive (utilisation du terme « définitions ») et conjonctive (utilisation du terme « répond aux conditions suivantes »). Le fait qu'une communauté doive satisfaire aux quatre critères définis au paragraphe 143(4) pour bénéficier du régime fiscal particulier que cette disposition prévoit sous-entend que le législateur avait une forme bien précise de « congrégation » à l'esprit quand il a édicté cette disposition.

 

[108]   La définition du terme « congrégation » énoncée au paragraphe 143(4) est rédigée en langage non technique. Pour interpréter correctement cette disposition, il convient d'adopter une approche textuelle, contextuelle et téléologique unifiée. L'introduction du paragraphe, qui précède l'énumération des quatre éléments constitutifs de la définition, est ainsi libellée :

 

Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article :
 
[...]

 

« congrégation » Communauté, association ou assemblée de particuliers, constituée ou non en société [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

L'utilisation par le législateur du terme « définitions » indique l'exhaustivité, ou, autrement dit, indique que l'intégralité du sens du terme se trouve dans les mots qui suivent. Il ressort aussi clairement des termes « constituée ou non en société » que, bien qu'ils puissent être utiles, les statuts constitutifs ne sont pas une condition préalable essentielle pour qu'une communauté, une association ou une assemblée de particuliers puisse satisfaire aux conditions énoncées à l'article 143. Dans l'article 143, le terme « congrégation » a reçu une définition précise, par opposition au sens ordinaire qu'on attribue à ce terme dans la langue courante et à la définition du terme qui ressort de la jurisprudence en ce qui concerne l'alinéa 8(1)c) de la Loi.

 

[109]   Dans l'arrêt McRae c. La Reine, 1997 CanLII 4844, 97 D.T.C. 5124, la Cour d'appel fédérale a conclu que le juge de première instance avait adopté une définition trop restrictive du terme « congrégation » à l'alinéa 8(1)c). Au paragraphe 36 de la décision Kraft c. La Reine, no 89‑1548(IT)G, 99 D.T.C. 693, le juge Bowman (tel était alors son titre) a déclaré que la vision que le tribunal de première instance avait d'une « congrégation » lors de l'examen de l'alinéa 8(1)c) dans la décision McRae était indûment limitée :

 

[...] car on omet ainsi de prendre en compte les diverses façons dont les gens peuvent se réunir pour adorer Dieu ou les diverses croyances, les divers antécédents et les diverses motivations qui peuvent exister chez les membres du groupe hétérogène pouvant constituer une assemblée ou congrégation. [...]

 

Dans son bulletin IT‑141R (consolidé), l'Agence du revenu du Canada a également donné une interprétation large du terme « congrégation » à l'alinéa 8(1)c) de la Loi :

 

15.       Une « congrégation » n'est définie ni par la structure de l'Église, ni par des limites territoriales, ni par le nombre de personnes réunies en un même endroit. Il s'agit du rassemblement ou de la réunion de personnes auxquelles un ministre donne de l'orientation spirituelle, des conseils et de l'inspiration. Un groupe d'élèves rassemblés pour recevoir un enseignement scolaire n'est pas une congrégation. Il n'est pas nécessaire que les personnes satisfaisant au critère du statut aient la charge d'une seule congrégation déterminée. Elles peuvent avoir la charge de plusieurs congrégations. La composition des congrégations peut être diversifiée et changeante, et elle exige qu'il y ait ni participation volontaire ni homogénéité en matière de croyance religieuse. On considère en général que les aumôniers dans les hôpitaux, les pénitenciers, les forces armées et d'autres organisations du même genre desservent ou ont la charge de congrégations.

 

A.      Vivre et travailler ensemble

 

Les membres de la communauté de Bountiful vivent‑ils et travaillent‑ils ensemble?

 

1.       Les observations de l'appelant

 

[110]   L'avocat de l'appelant s'est exprimé en ces termes :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Le législateur a établi un lien entre les aspects sociaux et familiaux de la vie et du mode de subsistance des membres de la congrégation d'une part et l'appartenance de ces derniers à la congrégation d'autre part. Pour résumer, le législateur a décrit une communauté au sein de laquelle l'identité de groupe était complètement intégrée à la vie et au mode de subsistance des membres.

 

(Observations écrites de l'appelant, au par. 39, point 2.)

 

L'avocat de l'appelant a fait valoir que la communauté de Bountiful constituait un [TRADUCTION] « groupe cohérent et identifiable », qui [TRADUCTION] « traite les gens de l'intérieur très différemment de ceux de l'extérieur », et que ses membres étaient [TRADUCTION] « unis par leur religion », laquelle [TRADUCTION] « est au coeur de l'identité des membres de la communauté » (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 58).

 

[111]   L'avocat de l'appelant a examiné la preuve sous les angles suivants : a) la socialisation, les amitiés, les résidences et le culte; b) le mariage et les relations familiales; c) l'éducation; d) le mode de subsistance.

 

[112]   On a adopté une approche introspective à l'égard de la socialisation; il y a des contacts limités avec l'extérieur.

 

[TRADUCTION]

 

[...] Les membres établissent leur résidence sur les terres appartenant aux membres du groupe; même quand ils résident physiquement loin du site principal de la communauté, ils continuent d'avoir des contacts sociaux avec les membres du groupe, à l'exclusion des étrangers [...]

 

(Observations écrites de l'appelant, à l'alinéa 109a).)

 

[113]   Les mariages entre les membres de la communauté sont arrangés, et la majorité des mariages sont polygames. Il s'agit de [TRADUCTION] « l'unité de base pour l'administration des biens au sein du groupe » (voir les observations écrites de l'appelant, à l'alinéa 109b)).

 

[114]   Les membres de la communauté de Bountiful reçoivent leur éducation à des établissements d'enseignement de la communauté, sauf quand l'obtention de titres professionnels exige qu'ils poursuivent des études à l'extérieur.

 

[115]   En ce qui a trait à la distribution des maisons, les membres vivaient dans des unités familiales, on leur disait quand et où déménager, et ils changeaient fréquemment de résidence.

 

[116]   Les résidences permanentes étaient aussi proches du site principal que le zonage le permettait. Des résidences temporaires se trouvaient aux lieux de travail de la société dans le Sud‑Est de la Colombie‑Britannique, ou juste de l'autre côté de la frontière, en Alberta. Indépendamment du fait qu'une résidence permanente ou temporaire ait été située au lieu principal ou non, le critère essentiel pour les membres restait leur participation à la vie de l'Église. Les membres de la communauté avaient des contacts sociaux, pratiquaient leur religion et interagissaient avec d'autres membres, en excluant les non-membres, peu importe où leur résidence était située physiquement (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 160).

 

[117]   L'avocat de l'appelant a cité d'autres circonstances révélatrices de l'existence d'une vie communautaire, à savoir : a) le stockage communautaire des aliments; b) les repas du dimanche pris à la [TRADUCTION] « maison‑cuisine »; c) le fait que certains biens communautaires, par exemple le lait, soient distribués aux membres lorsqu'ils sont disponibles; d) l'organisation d'activités sociales pour les membres sans interaction avec les non‑membres.

 

[118]   Pour ce qui est du fait de travailler ensemble, les membres de la communauté faisaient don de leur temps et de leur travail pour des projets communautaires, et ils participaient aux [TRADUCTION] « journées de travail », qui se tenaient le samedi.

 

[119]   Jusqu'à ce qu'elle fasse faillite, la société était le principal employeur de la communauté, et elle exerçait principalement des activités dans les domaines de la foresterie et de l'agriculture.

 

2.       La thèse de l'appelant

 

[120]   Selon l'avocat de l'appelant, les membres de la communauté partagent et échangent leurs résidences, et ils sont coupés du monde extérieur, vu la manière dont ils ont des contacts sociaux les uns avec les autres et dont ils éduquent leurs propres membres, vu le mode de vie familial imposé par le dirigeant de l'Église, vu les mariages arrangés, vu le mode de subsistance reposant sur les employeurs de la communauté et vu la pratique de la religion excluant les non‑membres. Le fait d'être membre de la communauté est complètement intégré au fait d'être membre de l'Église, et, par conséquent, l'appelant soutient que les membres satisfont au premier critère énoncé au paragraphe 143(4) de la Loi, puisqu'ils vivent et travaillent ensemble.

 

3.       Les observations de l'intimée

 

[121]   L'intimée est d'avis que ce ne sont pas tous les membres de la communauté de Bountiful qui vivent et travaillent ensemble à proximité, parce qu'ils résident dans un certain nombre de communautés et à des lieux de travail dispersés dans toute la Colombie‑Britannique, l'Alberta et les États‑Unis. La société exerçait des activités d'exploitation forestière à divers endroits, certains étant situés à une distance de 550 à 570 kilomètres du site principal de Lister.

 

[122]   L'intimée a résumé sa thèse de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

La Loi est pragmatique, et non spirituelle ou théorique. Pour le fisc, « vivre ensemble » exige que les personnes concernées cohabitent au même endroit et au même moment. « Travailler ensemble » exige que les personnes concernées travaillent à des projets communs au même endroit et au même moment. [...]

 

(Observations écrites de l'intimée, au par. 463.)

 

[123]   En partant du principe que les huttérites étaient [TRADUCTION] « la norme de référence », l'intimée a examiné le mode de fonctionnement des communautés huttérites. Les colonies huttérites comptent normalement une centaine de membres. Toutes les colonies appartiennent à l'une des trois branches ou « leut » de la foi huttérite, et toutes ces colonies font partie de la Hutterian Brethren Church, l'Église huttérite. Quand les colonies comptent plus que 100 membres, un groupe se détache de la colonie « mère » pour former une colonie « fille », et ce, pour fonctionner efficacement. Les membres de chaque colonie vivent ensemble à l'intérieur de frontières définies et travaillent ensemble dans un environnement largement agricole pour faire vivre leur colonie (voir l'arrêt Wipf, à la page 164). Dans l'arrêt Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958, à la page 968, le juge Ritchie a formulé les commentaires suivants (reproduits dans la décision Hutterian Brethren Church of Wilson c. La Reine, [1979] 1 C.F. 745, à la page 751) :

 

Je suis convaincu [...] que la foi et la doctrine de la religion huttérite imprègnent toute l'existence des membres de toutes les colonies huttérites et, à cet égard, j'adopte le langage dont s'est servi le savant juge de première instance dans ses motifs de jugement quand il dit :

 

[TRADUCTION] Pour un Huttérite, l'Église est toute sa vie. La colonie est une association de personnes en fraternité spirituelle. La preuve tangible de cette communauté spirituelle est la communauté matérielle (secondaire) qui les entoure. Ils ne cultivent pas uniquement pour cultiver, c'est le moyen d'existence qui leur garantit le plus d'indépendance vis‑à‑vis du monde extérieur. Le ministre est le chef spirituel et séculier de la communauté.

 

[124]   L'intimée a fourni de nombreux exemples de membres de la communauté qui ne travaillaient pas ensemble, comme l'exige le paragraphe 143(4) :

 

a)       certains membres suivaient des études et finissaient par travailler à l'extérieur de Bountiful;

 

b)      certains membres de la communauté exploitaient diverses entreprises qui fournissaient des services tant aux membres de la communauté qu'aux non‑membres, et, si l'entreprise était constituée en société, les actions ne faisaient l'objet d'aucune fiducie visant les autres membres de la communauté;

 

c)       la société employait des personnes de l'extérieur de la communauté.

 

4.       La thèse de l'intimée

 

[125]   L'intimée a défini l'expression « vivent et travaillent ensemble » en fonction du contexte législatif et de l'intention du législateur. Elle a accordé de l'importance à l'inclusion et à l'emplacement de la conjonction « et » entre les verbes « vivent » et « travaillent », laissant entendre qu'il existait un lien entre ces deux concepts, lequel n'existerait pas dans le cas d'organismes non communautaires.

 

[126]   L'avocat de l'intimée a résumé son argumentation de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Des gens résidant dans des maisons différentes, des villes différentes, des provinces différentes, voire des pays différents, ne « vivent pas ensemble », même s'ils ont en commun des liens familiaux et des croyances. Des gens travaillant dans des villes différentes, des provinces différentes, voire des pays différents, ne « travaillent pas ensemble », même s'ils ont en commun des liens familiaux et des croyances.

 

(Observations écrites de l'intimée, au par. 463.)

 

5.       Analyse

 

[127]   Le premier élément de la définition de « congrégation » (qui exige que « ses membres vivent et travaillent ensemble ») est succinct, et, au premier abord, il semble bien se prêter à une interprétation littérale. Ce n'est toutefois pas le cas.

 

[128]   Les trois termes fondamentaux de cet élément de la définition sont « vivent », « travaillent » et « ensemble ». Le législateur a employé la conjonction « et » pour coordonner les verbes « vivent » et « travaillent », de telle sorte que les membres d'une congrégation doivent satisfaire à ces deux conditions pour se prévaloir de la disposition. Le fait de répondre à une de ces conditions mais pas à l'autre ne suffit pas pour satisfaire à ce critère.

 

[129]   Le dictionnaire The Oxford English Dictionary, http://www.oed.com/, définit le sens courant du verbe « live » (« vivre ») de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

8. a) Établir, avoir sa résidence, habiter, résider. Employé habituellement avec un complément adverbial précisant le lieu ou les autres habitants. Aussi (fam.), dans un sens large, en parlant d'objets : se trouver, avoir sa place.

 

[130]   Le dictionnaire Webster's Ninth New Collegiate Dictionary, 1985, définit le sens courant du verbe « work » (« travailler ») de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

1. activité lors de laquelle on exerce sa force ou ses capacités pour faire ou accomplir quelque chose :

 

a : effort physique ou mental soutenu visant à surmonter des obstacles et à atteindre un objectif ou un résultat;

 

b : le travail, la tâche ou le devoir qui constitue le moyen habituel de subsistance de quelqu'un;

 

c : une tâche, un devoir, une fonction ou une affectation précise qui fait souvent partie d'une activité plus large ou représente une phase de cette activité.

 

[131]   Le dictionnaire Webster's définit également l'adverbe « together » (« ensemble »), comme ce mot est ici employé, de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

1. a : à ou dans un endroit, une formation, un regroupement ou un groupe;

 

b : dans une assemblée : en tant que groupe;

 

2. a : en contact;

 

b : en association ou en relation;

 

[...]

 

4. a : par une action combinée;

 

5. a : les uns avec les autres;

 

b : comme un tout

 

[132]   De même, The Oxford English Dictionary, seconde édition, volume XVIII, du terme « Thro » au terme « Unelucidated », Clarendon Press, Oxford, 1989, définit « together » (« ensemble ») de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

1. a) Dans un rassemblement, une société, une formation ou une assemblée;

 

[...]

 

2. a) Dans une assemblée ou une société; dans un endroit;

 

b) De deux personnes ou de deux choses : en compagnie l'une de l'autre, réunies ou en contact.

 

3. En ce qui concerne un objet unique.

 

a) En union ou en combinaison de parties ou d'éléments; dans un état d'unité; de manière à former un tout uni.

 

[...]

 

4. Au même moment, d'un coup, simultanément (évoque habituellement « en combinaison ou en association »).

 

5. Sans pause, de manière continue, consécutive, ininterrompue, « en cours », « sans cesse » (pour faire référence au temps, moins fréquemment à l'espace).

 

6. De concert ou en coopération avec; avec une unité d'action; de manière unifiée; de manière conjointe.

 

[133]   Bien que l'adverbe « ensemble » puisse revêtir plusieurs significations, on pourrait généralement employer les termes suivants pour décrire l'utilisation par le législateur de l'adverbe « ensemble » à l'article 143, dans le sens générique ordinaire du terme :

 

                    en contact les uns avec les autres;

                    à proximité;

                    les uns avec les autres;

                    assemblés en un lieu;

                    à un moment donné;

                    par l'action ou l'effort combinés;

                    en un endroit, en une formation, en un regroupement ou en un groupe.

 

Le mot « ensemble » sous‑entend que les actions décrites par les verbes « vivre » et « travailler » sont accomplies par une action combinée, en groupe, en un lieu donné et en même temps.

 

[134]   En tant qu'adverbe, comme il est employé à l'alinéa a), « ensemble » vise à qualifier les deux verbes « vivre » et « travailler », c'est‑à‑dire à fournir des informations ou à répondre à des questions au sujet de la manière, du lieu, du temps, de la fréquence et des autres circonstances entourant l'activité ou les activités exprimées par les deux verbes dans cette disposition.

 

[135]   D'après les définitions du dictionnaire, le mot « ensemble » qualifie ou décrit les circonstances entourant le verbe « vivre » en exprimant le fait que les membres doivent « habiter, résider ou cohabiter » ou « établir leur maison ou leur résidence en un lieu particulier » en « un seul lieu » ou « être rassemblés en un seul endroit », « en la compagnie les uns des autres » et « en contact les uns avec les autres ». Employé avec le verbe « travailler », l'adverbe « ensemble » qualifie les membres qui « exercent une activité » ou « sont employés afin de gagner leur vie » ou qui « accomplissent un effort physique ou mental en vue de faire ou d'accomplir quelque chose », et, encore une fois, le fait qu'ils accomplissent ces tâches « ensemble » exprime le fait que ces tâches sont accomplies « en un seul lieu » ou que les membres sont « rassemblés en un seul lieu », « les uns avec les autres » et « en contact les uns avec les autres » pour les accomplir.

 

[136]   Il ressort de la lecture textuelle de l'exigence consistant à vivre et à travailler ensemble, compte tenu du sens ordinaire et courant des mots « vivre », « travailler » et « ensemble », que le législateur visait à ce que les membres d'une congrégation vivent et travaillent en un même lieu et en même temps. Le sens courant sous‑entend que les membres sont ensemble la plupart du temps, voire tout le temps. Quand ils ne travaillent pas ensemble, ils vivent ensemble. Ainsi, « rassemblés en un seul lieu », « les uns avec les autres » et « au même moment » sont des expressions qui s'appliquent dans le cas de l'article 143. L'emploi de la conjonction « et » et de l'adverbe « ensemble » exige que les membres vivent et travaillent à proximité physiquement, dans une zone limitée ayant des frontières facilement déterminables.

 

[137]    L'alinéa a) est indirectement lié au libellé de l'alinéa d), vu que ce dernier exige des membres qu'ils « consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation ». Il s'ensuit que les membres doivent être attachés à leur terre ou avoir des liens étroits avec un lieu particulier du fait de ces activités. L'exigence consistant à se consacrer à des activités impose des limites géographiques à la dispersion géographique possible des membres. Par conséquent, la terre sur laquelle ces membres vivent et travaillent ensemble doit nécessairement être adjacente, contiguë, ou tout du moins immédiatement et facilement accessible aux membres, de telle sorte qu'il soit réaliste pour eux de consacrer leur vie professionnelle aux activités de la congrégation, comme l'exige l'alinéa d).

 

[138]   Vu que l'expression « vivent et travaillent ensemble » signifie que les membres sont ensemble la plupart du temps, voire tout le temps, la norme à laquelle les membres doivent satisfaire est élevée. Si l'interprétation est élargie d'une quelconque manière, on court alors le risque de réduire l'expression à la notion générale de « fonctionner d'une manière intégrée » ou de « vivre en communauté », ce qui n'était clairement pas l'intention du législateur si l'on se fie à la nature même de la formulation qu'il a employée. Si, de manière hypothétique, les membres, ou certains d'entre eux, travaillent à distance de l'endroit où ils vivent, cette distance doit être suffisamment courte pour ne pas empêcher les membres, de façon quotidienne et continue, de consacrer leur vie professionnelle aux activités de la congrégation.

 

[139]   Pour finir, en ce qui concerne une approche textuelle, il n'est nulle part précisément question des huttérites dans la disposition, comme je l'ai noté dans la section « Les questions préliminaires et principales ». L'intimée a parlé à de nombreuses reprises des huttérites comme étant [TRADUCTION] « la norme de référence » pour l'application de l'article 143. Tout groupe religieux, y compris une colonie huttérite, visé par la définition de « congrégation » énoncée dans cet article peut se prévaloir de l'article 143. Toutefois, il est possible d'examiner et de comparer les colonies huttérites du point de vue de leur structure précise, de leur mode d'expansion, de leur fonctionnement et de la façon dont elles rédigent leurs statuts constitutifs, parce qu'il est possible d'admettre d'office la jurisprudence relative à ces colonies.

 

[140]   Les huttérites font partie intégrante de l'histoire législative de l'article 143. Par leur mode de fonctionnement, les colonies huttérites se distinguent du reste de la société, et, de ce fait, en tant que groupe, elles peuvent se prévaloir du régime fiscal unique que prévoit l'article 143. Dans ce contexte, il est raisonnable de se fonder sur la jurisprudence et d'en tirer des conclusions afin de comparer les membres de la communauté de Bountiful aux membres des colonies huttérites en ce qui concerne le fait qu'ils « vivent et travaillent ensemble ». Les groupes huttérites ne fonctionnement pas selon les règles normales de la propriété privée. Les agences commerciales de la congrégation doivent avoir pour objet de subvenir aux besoins de la communauté. Le libellé même de l'alinéa a) promeut l'idée que, par sa nature même, une congrégation est autosuffisante, et il donne à penser que telle était l'intention du législateur en édictant cette disposition. On peut soutenir que, plus les membres d'une communauté vivent « ensemble », plus la communauté peut être autosuffisante.

 

[141]   Les colonies huttérites illustrent les concepts d'indépendance et d'autosuffisance, vu qu'elles sont repliées sur elles‑mêmes, que leurs membres vivent ensemble dans un espace délimité, mais que, dès qu'elles grossissent et prennent de l'expansion, généralement au‑delà d'un maximum de 100 membres, les colonies s'étendent et forment de nouvelles colonies. Elles font cela de manière modulaire. Les membres des nouvelles colonies continueront, à l'instar des membres des colonies mères, d'être repliés sur eux‑mêmes, de fonctionner indépendamment du monde extérieur, de vivre en communauté dans des frontières établies, de renoncer à l'individualisme et à la propriété privée et de travailler ensemble dans un environnement largement agricole pour faire vivre leur colonie (voir l'arrêt Wipf, aux par. 2 et 3).

 

[142]   Vu l'interprétation que j'ai donnée de l'alinéa a), l'observation la plus spontanée et la plus frappante qui s'impose est à quel point les résidences de la communauté de Bountiful, qu'elles soient permanentes ou temporaires, se trouvent éparpillées. Même si les résidences principales des membres se trouvaient au site principal de Lister, ainsi qu'à plusieurs autres endroits, à Canyon et à Yahk, ainsi qu'à Kitchener pendant une courte période, ces résidences n'en demeuraient pas moins séparées par une distance allant jusqu'à 50 kilomètres. La preuve étayait le fait que certains membres habitaient aussi dans la communauté de Cranbrook (voir la pièce R‑4, sous l'onglet 6, et la pièce R‑5, sous l'onglet 94). Alan Oler fréquentait l'église de Bountiful, mais il vivait à Arrow Creek, à 10 à 15 minutes de route de Bountiful (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Miriam Oler, aux pages 2854 et 2855). En dehors du regroupement de maisons, d'écoles, de granges et de caravanes qui se trouvait à Lister, les membres de la communauté résidaient à divers endroits en Colombie‑Britannique et en Alberta, certains jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres de distance du site principal. Compte tenu de ces faits, on ne peut affirmer que les membres de la communauté de Bountiful « vivent ensemble ».

 

[143]   On ne peut pas non plus dire des membres qu'ils travaillaient ensemble. Les lieux de travail étaient largement dispersés à plusieurs endroits en Colombie‑Britannique et en Alberta, ainsi qu'à Bonner's Ferry, en Idaho. Une des épouses de l'appelant, Ruth Lane, faisait régulièrement l'aller‑retour entre Bountiful et Bonner's Ferry, aux États‑Unis, où la société l'employait. Dans de nombreux cas, les distances étaient trop grandes pour que les membres de la communauté rentrent chez eux chaque jour ou même régulièrement. La preuve a montré que certains membres travaillaient à proximité de Bountiful et pouvaient y retourner chaque fin de semaine, mais certains membres, en raison de la distance, ne pouvaient y retourner qu'une fin de semaine sur deux. Aussi, il ressortait clairement de la preuve que certains membres de la famille des travailleurs accompagnaient les équipes aux sites d'exploitation forestière éloignés et habitaient dans des résidences fournies par la société. Dans ces cas, les travailleurs et leur famille « vivaient et travaillaient » à de nombreux endroits différents très éloignés de la communauté de Bountiful en tant que telle.

 

[144]   En fait, l'appelant encourageait les membres de la communauté à travailler à l'extérieur de la communauté, ce qui contredit directement l'exigence énoncée à l'alinéa a). Selon les déclarations de Stan Oziewicz, qui a visité Bountiful et a publié un article dans le Globe and Mail en décembre 2002, l'appelant lui a dit à l'époque que les membres étaient [TRADUCTION] « encouragés à vivre et à travailler à l'extérieur des terres de l'Église, et c'est ce que la moitié d'entre eux faisaient » (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Stan Oziewicz, à la page 1202). Dans d'autres cas, certains membres de la communauté de sexe féminin travaillaient dans des hôpitaux à l'extérieur de Bountiful comme infirmières et sages‑femmes. L'appelant encourageait les garçons de Bountiful à obtenir leur statut de résident en Alberta pour qu'ils puissent obtenir leur permis de conduire pour camions à 18 ans (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Marlene Palmer, à la page 1341). Certains membres vivaient à Calgary, en Alberta, pendant un certain temps pour y fréquenter l'université, et Ken Oler a déclaré qu'il avait travaillé à Creston, auprès de l'entreprise de vente de tracteurs de son père, jusqu'à l'âge de 25 ans (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Ken Oler, aux pages 1013 à 1015). David Oler a travaillé pour un certain nombre de fermes laitières dans la vallée de Creston. Certains membres avaient leurs propres entreprises constituées en sociétés, lesquelles offraient des services et des biens, non seulement aux membres de la communauté, mais également aux non‑membres. On n'imposait aucune restriction à ces pratiques.

 

[145]   La seule conclusion qu'il convient de tirer à partir des déclarations des témoins est que les membres ne travaillaient pas ensemble, parce que tous les membres ne travaillaient pas exclusivement dans l'environnement de la communauté. Les faits étayent ma conclusion selon laquelle les membres de la communauté n'avaient aucune intention de vivre et de travailler ensemble à proximité et de manière continue, conformément à l'intention du législateur qui sous-tend la disposition. En outre, et bien que cela soit moins pertinent pour ma conclusion, le fait que les sociétés établies à Bountiful offraient librement des services et des biens à l'extérieur de la communauté montre que les frontières entre la communauté et le monde extérieur étaient floues. En plus d'être dispersés dans l'espace, les membres entretiennent apparemment des relations commerciales à grande échelle avec le monde extérieur. Cela va à l'encontre du principe sous‑jacent selon lequel le capital et le revenu sont communautaires. Bien que les membres d'une communauté puissent être amenés, par nécessité, à interagir dans une faible mesure avec des étrangers et tomber encore sous le coup de ma définition de l'expression « vivent et travaillent ensemble », le caractère très répandu de cette pratique à Bountiful éloigne davantage la communauté des paramètres que j'ai établis à l'égard de l'alinéa a).

 

[146]   Bien que je n'accepte pas l'argument de l'avocat de l'intimée selon lequel les colonies huttérites sont [TRADUCTION] « la norme de référence », l'histoire législative et la jurisprudence qui ont conduit à l'édiction de l'article 143 tirent leur origine du mode de vie des huttérites. À notre connaissance, c'est la seule communauté que le législateur avait à l'esprit quand il a édicté la disposition. Il ressort des informations générales contenues dans la jurisprudence relative aux huttérites qu'il ne fait aucun doute que les membres de la communauté de Bountiful ne vivent pas et ne travaillent pas ensemble de la même manière que les huttérites. Les huttérites vivent et travaillent dans des zones géographiquement définies et à proximité, conformément aux définitions que j'ai attribuées aux mots « vivre », « travailler » et « ensemble ». Cela est largement rendu possible par la division des colonies, chaque nouvelle colonie se faisant le miroir de la colonie mère. Les huttérites se concentrent sur l'agriculture pour faire vivre les membres de la communauté, et il ne fait aucun doute que cela contribue au maintien de l'homogénéité et de l'indépendance de la colonie envers le monde extérieur. Les membres vivent de manière communautaire, dans des résidences de type caserne :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Leurs besoins matériels comme les vêtements, la nourriture, le logement, les soins médicaux et dentaires, le matériel et l'outillage et tout ce qui leur est nécessaire est fourni par la colonie, par l'intermédiaire de ses dirigeants ou administrateurs. [...]

 

(Voir la décision Wipf (C.F. 1re inst.), à la page 1389.)

 

La preuve étaye le fait que la communauté de Bountiful possède certains éléments constitutifs d'une communauté. Toutefois, dans l'ensemble, son organisation ne ressemble pas à la structure rigide caractéristique des colonies huttérites. Les membres de Bountiful vivent dans différents lieux répartis dans différentes provinces et aux États‑Unis, et non dans un lieu géographique unique et fermé, comme les huttérites. Les membres peuvent être amenés à travailler et à vivre occasionnellement avec leur famille à des endroits éloignés, alors que les membres des colonies huttérites travaillent « ensemble » et exercent principalement des activités agricoles.

 

[147]   Bien que mon recours à la structure huttérite soit fondé sur le contexte factuel tiré de la jurisprudence, et que cela vise à illustrer le type de communauté que le législateur visait quand il a édicté l'article 143, il convient de noter que l'intimée n'a produit aucun témoignage d'expert admissible à l'égard des communautés huttérites. Bien que M. Cragun ait fait référence aux communautés huttérites dans son rapport d'expert, j'ai conclu qu'il n'était pas qualifié pour témoigner à titre d'expert sur ce sujet particulier, à l'égard du « mode de vie des colonies huttérites ou de Bountiful ou à effectuer des comparaisons entre elles » (voir la transcription du voir‑dire de la décision relative à M. Cragun, à la page 1945).

 

[148]   Les membres de la communauté ne travaillaient pas ensemble de manière constante. Les membres de la communauté de Bountiful se livraient à diverses activités commerciales, et, tandis que plusieurs membres étaient au service de la société, d'autres exploitaient des entreprises indépendantes. Pour étayer la thèse selon laquelle les membres travaillaient ensemble, l'appelant a invoqué les « journées de travail » qui se tenaient le samedi, quand les membres n'étaient pas occupés ailleurs et qu'ils étaient disponibles pour faire don de leur temps et de leur travail à des projets communautaires. Il y avait d'autres cas dans lesquels des membres faisaient don de leur temps et de leur travail à la communauté lorsque cela leur était demandé. Même si les journées de travail peuvent donner à penser qu'il existe à Bountiful une pratique selon laquelle les membres « travaillent ensemble » à des moments donnés, cela ne suffit pas pour conclure, vu l'ensemble de la preuve démontrant le contraire, que les membres de la communauté travaillaient ensemble au sens de l'alinéa a), à savoir qu'ils travaillaient ensemble, à proximité, de façon continue et constante.

 

[149]   La preuve qui a été produite par l'appelant à l'égard de la composition des familles, à savoir la manière dont les membres organisaient leur résidence et fonctionnaient à l'égard des biens, n'est pas concluante, et elle sera moins pertinente à l'égard de la question de savoir si Bountiful est visée par la définition de « congrégation », à savoir si ses membres demeurent à proximité dans un espace défini. De nombreux exemples sont ressortis de la preuve relative à la composition des familles à la communauté de Bountiful : la résidence de l'appelant lui‑même, qui vivait avec sa mère et non avec une de ses épouses multiples; Miriam Oler ne vivait pas de manière régulière avec son père, Dalmon Oler, qui rendait visite à cette famille une nuit par semaine; Marjorie Johnson, une des épouses multiples de l'appelant, ne vivait jamais avec l'appelant. Toutefois, il n'y a rien dans le paragraphe 143(4) qui précise comment les membres de la communauté doivent résider, ou quel est le type de composition familiale exigé pour satisfaire à la disposition.

 

[150]   En outre, bien que la production et la consommation communautaires d'aliments soient vraisemblablement des conséquences du fait que les membres vivent et travaillent ensemble, l'alinéa a) ne l'exige pas explicitement. La preuve fournit de nombreux exemples à cet égard : la plupart des foyers disposaient de leur propre cuisine; la grande maison de l'appelant avait sa propre cuisine, que des membres utilisaient occasionnellement, notamment pour le repas du dimanche; les « appels de famine » étaient présentés comme un moyen de lever des fonds; certains membres avaient leur propre jardin; certaines récoltes étaient vendues à l'étranger; les bovins à viande étaient vendus dans le commerce. Le dimanche, les membres de Bountiful prenaient leur repas ensemble dans la « maison‑cuisine » après les offices religieux, mais la preuve a montré que la plupart des maisons disposaient de leur propre cuisine ainsi que de leur propre garde-manger la majorité du temps. Encore une fois, bien qu'ils ne soient pas concluants en tant que tels, ces faits étayent ma conclusion selon laquelle les membres de la communauté ne vivaient pas « ensemble ».

 

[151]   Indépendamment de l'analyse comparative entre la vie au quotidien à Bountiful et dans les colonies huttérites, en partant d'une approche textuelle, contextuelle et téléologique ainsi que des attributs qui, comme je l'ai conclu, sont nécessaires pour définir le sens de l'expression « vivent et travaillent ensemble », la communauté de Bountiful ne peut pas être qualifiée d'exemple de groupe cohérent et identifiable que le législateur avait à l'esprit et bénéficier du régime fiscal particulier en cause. Bien que les membres de la communauté de Bountiful soient unis par leur religion et qu'ils constituent une communauté tout à la fois patriarcale, hiérarchique et fonctionnant de manière communautaire à de nombreux égards, la communauté de Bountiful ne satisfait pas au critère énoncé à l'alinéa a), parce qu'elle n'est pas capable de satisfaire à l'exigence voulant que ses membres « vivent et travaillent ensemble » de la manière prévue par le législateur quand il a édicté la disposition. Bountiful semble être intégrée d'un point de vue social et coupée du monde extérieur, mais ses membres ne vivent pas et ne travaillent pas ensemble au sens de la définition que j'ai donnée de ces mots. Je suis parvenue à la conclusion que le critère en cause doit être appliqué rigoureusement et conformément à mon interprétation, qui est tout à la fois étroite et restreinte. Bountiful est trop dispersée et fragmentée pour être reconnue comme le type de communauté que le législateur avait à l'esprit quand il a édicté l'article 143, ce que confirme l'exemple relatif aux huttérites.

 

[152]   Avant de clore la présente partie, je veux brièvement examiner plusieurs arguments que tant l'intimée que l'appelant ont avancés dans leurs observations. L'appelant a abordé son analyse du caractère communautaire de Bountiful en faisant référence à un cadre qui ne s'inscrit pas dans le texte de la loi. Ce cadre de [TRADUCTION] « contacts sociaux, relations familiales, éducation et subsistance » n'est pas non plus fondé sur la doctrine. L'appelant s'est concentré sur ce qui pourrait être interprété comme l'esprit ou l'objet présumé de l'exigence consistant à ce que les membres « vivent et travaillent ensemble », qui semble être, du point de vue de l'appelant, que les membres [TRADUCTION] « vivent et travaillent ensemble de manière intégrée » plutôt que « vivent et travaillent ensemble ». Le fait que les membres « vivent et travaillent ensemble » sous‑entend que les membres sont ensemble en tout temps, que ce soit pendant les heures de travail ou en dehors. Il s'agit d'une norme élevée, et, en fait, d'une norme extrêmement exigeante à laquelle les communautés doivent satisfaire pour se prévaloir de la disposition en cause.

 

[153]   Toutefois, cela ne signifie pas qu'il s'agit d'une norme à laquelle il est impossible de satisfaire, et, du fait du régime fiscal particulier qui peut être accordé aux communautés qui y satisfont, il convient d'adopter une interprétation restrictive et bien définie. Si la norme était élargie de telle sorte qu'une communauté comme celle de Bountiful, dont les membres sont dispersés géographiquement tant pour vivre que pour travailler, puisse s'en prévaloir, alors la signification de « vivent et travaillent ensemble » se restreindrait à la notion plus générale de « fonctionner d'une manière ou selon un mode intégré » ou de « vivre de manière communautaire ». Une telle interprétation autoriserait une dispersion géographique, comme celle des membres de Bountiful, ce qui va directement à l'encontre de l'intention du législateur et du sens ordinaire qu'il convient de donner, comme je l'ai conclu, à l'exigence consistant à ce que les membres « vivent et travaillent ensemble ».

 

[154]   En ce qui a trait aux observations de l'intimée relatives aux paramètres de la signification de l'expression « vivent et travaillent ensemble », la suggestion selon laquelle [TRADUCTION] « des gens résidant dans des maisons différentes, des villes différentes, des provinces différentes, voire des pays différents, ne “vivent pas ensemble” » (voir les observations écrites de l'intimée, au par. 463) est déraisonnable et trop restrictive. Bien que le fait de vivre dans des pays, des provinces et des villes différents fasse en sorte qu'il n'est pas satisfait à cette exigence, le fait de vivre dans des maisons différentes, vu le sens que j'ai donné à « vivre » et « travailler ensemble » ne devrait pas aller, et n'ira pas, à l'encontre de la satisfaction à cette exigence.

 

[155]   Mon second commentaire a trait au fait que l'intimée se fonde sur deux phénomènes associés aux communautés polygames : les « garçons perdus » et la « traite des filles ». Bien que de tels phénomènes puissent révéler que ces communautés peuvent être instables, ils ne traitent pas du fait que les membres « vivent et travaillent ensemble ». Au lieu de cela, ces deux phénomènes portent plus précisément sur la question de la composition de la communauté, à savoir qui en fait partie et qui n'en fait pas partie, en ce qui concerne les membres. Plus important encore, très peu de témoignages ont porté sur ces deux phénomènes au cours de l'instruction. La seule référence concernait le fils de Marlene Palmer, Clayton, que l'appelant a banni de la communauté alors qu'il était adolescent (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Marlene Palmer, à la page 1520). L'intimée n'a fait référence au phénomène des « garçons perdus » que dans son argumentation et elle a cité le renvoi sur la polygamie et le livre de Daphne Bramham, The Secret Lives of Saints. Aucune preuve relative à la traite des filles n'a été présentée à l'audience, et l'intimée s'est encore une fois fondée sur le témoignage d'expert qui a été donné lors du renvoi sur la polygamie. Par conséquent, je ne me référerai pas à ces deux phénomènes, pas plus que je ne me fonderai sur eux, dans mon approche et mon analyse à l'égard de l'alinéa a).

 

 

B.      L'adhésion aux pratiques et aux croyances

 

La communauté de Bountiful adhère‑t‑elle aux pratiques et aux croyances de l'organisme religieux dont elle fait partie et agit‑elle en conformité avec les principes de cet organisme?

 

[156]   L'analyse de la seconde partie du critère dépend largement du cadre que je définis à l'égard de la signification et de la portée de l'expression « organisme religieux ». Un tel cadre permettra à la Cour d'établir, dans un premier temps, de quel organisme religieux la communauté de Bountiful fait partie pendant les périodes qui ont précédé et suivi la scission survenue dans la communauté en 2002, et, dans un second temps, si la communauté adhère aux pratiques, aux croyances et aux principes de cet organisme religieux.

 

[157]   Contrairement à mon analyse du premier élément, à savoir de l'alinéa a), ce second volet intégrera, dans une plus grande mesure, les témoignages d'experts. Toutefois, bien qu'aucun des experts n'ait été autorisé à témoigner au sujet de la vie à Bountiful, j'ai limité en bref le témoignage de chaque expert de la manière suivante :

 

a)       M. John Walsh, témoin expert de l'appelant, a été autorisé à témoigner au sujet de l'histoire, des principes et de la doctrine du mormonisme, mais pas de la vie quotidienne à Bountiful;

 

b)      M. Ryan Thomas Cragun, premier témoin expert de l'intimée, a été autorisé à témoigner au sujet de l'Église LDS et de l'Église FLDS et de concepts particuliers, tels que la consécration et la dîme. Il n'a pas été autorisé à témoigner au sujet des huttérites;

 

c)       M. Randall Balmer, second témoin expert de l'intimée, a été autorisé à témoigner au sujet de la gouvernance, de l'histoire du mormonisme ainsi que de l'organisation religieuse et des groupes mormons fondamentalistes.

 

1.       Les observations de l'appelant

 

[158]   Selon l'approche que l'avocat de l'appelant a adoptée, l'expression « organisme religieux » impose peu d'exigences et doit être interprétée de manière libérale. Selon l'appelant, la communauté de Bountiful satisfait au second volet de la définition énoncée à l'alinéa b) parce que, pendant la période qui a précédé la scission de 2002, elle faisait partie du mormonisme et de l'Église FLDS, aussi appelée « The Priesthood Work ». Après la scission de 2002, il est possible que Bountiful ait fait partie de trois organismes religieux : le mormonisme, l'Église FDLS, ou la communauté de Bountiful en tant que telle, dirigée par l'appelant et incluant tous les autres groupes religieux qui considéraient M. Blackmore comme leur chef spirituel (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 84).

 

La période précédant la scission : du 1er janvier 2000 à novembre 2002

 

[159]   Bien que l'avocat de l'appelant ait proposé deux organismes religieux dont la communauté de Bountiful pouvait faire partie, le mormonisme et l'Église FLDS, ces deux organismes ont été décrits comme [TRADUCTION] « une alternative, mais il s'agit de deux groupes qui ne s'excluent pas mutuellement [...]. Ils se recoupent » (voir la transcription des observations orales de l'appelant, à la page 3027).

 

[160]   Monsieur Walsh était d'avis que le mormonisme était un organisme religieux au sein duquel il existait des sous‑groupes, et que la communauté de Bountiful faisait partie du mormonisme pendant la période précédant la scission de 2002. Les membres de la communauté suivaient les principes d'organisation mormons, parce qu'ils croyaient que Joseph Smith Jr. était un prophète du Seigneur et que le Livre de Mormon était la parole de Dieu (voir le rapport d'expert de M. Walsh, à la page 7, par. 5).

 

[161]   L'avocat de l'appelant s'est également fondé sur les commentaires de M. Balmer. Il a décrit le mormonisme comme [TRADUCTION] « une entité plus large, plus générale » (voir la transcription du contre‑interrogatoire de M. Balmer, à la page 2717). L'avocat de l'appelant a, par conséquent, soutenu que la communauté de Bountiful faisait partie de l'organisme religieux [TRADUCTION] « général » du mormonisme (voir la transcription des observations orales de l'appelant, à la page 3034).

 

[162]   Le second organisme dont la communauté de Bountiful pouvait faire partie était l'Église FLDS. Les membres de ce groupe avaient fait partie du courant principal de l'Église mormone, mais, comme ils ont continué de pratiquer la polygamie après que cette pratique a été interdite par les membres du courant principal, ils ont été excommuniés.

 

[163]   Monsieur Walsh est d'avis que la communauté de Bountiful a un lien historique étroit avec l'Église FLDS, parce que ses membres croient aux enseignements de Joseph Smith et qu'ils pratiquent la polygamie et vivent en communauté (voir le rapport d'expert de M. Walsh, à la page 15, par. 24).

 

[164]   Bien que M. Balmer n'ait pas examiné directement la période ayant précédé la scission et en dépit du fait qu'il a déclaré que l'appelant avait rompu ses liens avec l'Église FLDS, l'avocat de l'appelant a souligné le fait que, selon les déclarations de M. Balmer, l'Église FLDS était un organisme religieux dont la communauté de Bountiful pouvait faire partie (voir la transcription de l'interrogatoire principal de M. Balmer, aux pages 2601 et 2602). L'avocat de l'appelant a soutenu que le témoignage de M. Cragun appuyait également la conclusion selon laquelle l'Église FLDS était un organisme religieux dont la communauté de Bountiful pouvait faire partie.

 

La période suivant la scission : à partir de novembre 2002

 

[165]   L'avocat de l'appelant a cité trois organismes religieux dont la partie de la communauté de Bountiful dirigée par l'appelant pouvait faire partie après la crise relative à la direction de Bountiful et la scission de 2002, à l'issue de laquelle certains membres ont suivi les enseignements de Warren Jeffs et d'autres la direction spirituelle de l'appelant :

 

a)       le mormonisme;

 

b)      l'Église FLDS;

 

c)       un organisme religieux qui serait dirigé par l'appelant, lequel inclurait d'autres groupes religieux dont les membres voyaient l'appelant comme leur chef spirituel.

 

[166]   L'avocat de l'appelant a employé le même argument à cet égard pour affirmer que la communauté de Bountiful faisait partie de l'organisme religieux qu'était le mormonisme, de la même manière qu'il avait affirmé qu'il s'agissait d'un choix envisageable pour la période précédant la scission. Les membres ont continué de suivre les premiers enseignements du prophète Joseph Smith, pratiquant tant la polygamie que la vie en communauté, et ils ont continué de se considérer comme des mormons, dans le cadre plus large du mormonisme.

 

[167]   À titre de seconde possibilité, l'avocat de l'appelant a laissé entendre que la communauté de Bountiful continuait d'appartenir à l'organisme religieux qu'est l'Église FLDS après la scission de la communauté, et ce, bien que Warren Jeffs ait excommunié l'appelant de l'Église FLDS en février 2003. L'appelant, en tant que chef de la communauté de Bountiful, a perpétué la première forme du Priesthood Work, commencé dans les années 1930, ainsi que les enseignements de Joseph Smith Jr., en dépit du fait que Warren Jeffs se soit approprié le nom de l'Église FLDS. L'appelant a aussi continué d'être le chef de certains courants de l'Église FLDS aux États‑Unis.

 

[168]   L'avocat de l'appelant a comparé la période d'agitation relative à la direction observée en 2002 à la période qui a suivi le décès de Joseph Smith en 1844, au cours de laquelle plusieurs candidats ont prétendu à la direction. L'avocat de l'appelant a fait valoir que, de la même manière, tant l'appelant que Warren Jeffs avaient prétendu être le chef de la véritable continuité de l'Église FLDS.

 

[169]   Pour étayer cet argument, l'avocat de l'appelant s'est fondé sur les déclarations de M. Balmer relatives à la légitimité de prétentions conflictuelles à la direction au sein d'un organisme régi par le principe de la succession apostolique. Par conséquent, selon le témoignage d'expert, il peut y avoir de nombreux prétendants légitimes à la succession au sein d'un organisme religieux. Au décès de Rulon Jeffs, l'appelant a légitimement prétendu à la succession, vu qu'il faisait partie d'un tout petit nombre de membres ayant été ordonnés grands prêtres de l'Église FLDS :

 

[TRADUCTION]

 

Ainsi, de la même manière que Brigham Young, James Strang et d'autres ont prétendu succéder à Joseph Smith, tant Winston Blackmore que Rulon [sic, devrait être Warren] Jeffs ont prétendu succéder à Rulon Jeffs. M. Balmer a reconnu que ces prétentions étaient légitimes dans le cas d'un organisme régi par le principe de la succession apostolique, et que tous les prétendants avaient légitimement le droit de prétendre qu'ils faisaient partie de l'organisme. [...]

 

(Observations écrites de l'appelant, au par. 94.)

 

[170]   D'après les observations de l'appelant, la troisième possibilité est que la communauté de Bountiful, ainsi que d'autres groupes aux États‑Unis, constituent un organisme religieux dont ils sont des parties constituantes et dont Winston Blackmore est le chef spirituel.

 

2.       La thèse de l'appelant

 

[171]   La communauté de Bountiful est une partie constituante du mormonisme, de l'Église FLDS ou de la communauté de Bountiful elle-même, tout comme plusieurs groupes aux États‑Unis qui suivent la direction spirituelle de l'appelant. Toutes ces possibilités sont ouvertes parce que l'expression « organisme religieux », au sens de la Loi, n'impose pas d'exigence particulière en dehors du fait qu'il doit s'agir d'un :

 

[TRADUCTION]

 

« organisme [...] qui adhère à des croyances qui comprennent la croyance en un être suprême ». [En outre], c'est la croyance en l'existence d'un être suprême qui fait de l'organisme en question un organisme religieux. Cela étant dit, la définition [...] n'impose aucune exigence en dehors du fait qu'on doit être en présence d'un organisme.

 

(Observations écrites de l'appelant, au par. 63.)

 

[TRADUCTION]

 

[...] l'exigence selon laquelle un organisme communautaire doit être un organisme communautaire religieux vise simplement à assurer que les groupes visés par l'article 143 sont de bonne foi quand ils s'engagent à adopter un mode de vie communautaire et qu'il existe un certain degré de permanence.

 

(Observations écrites de l'appelant, au par. 51.)

 

3.       Les observations de l'intimée

 

[172]   L'intimée a rejeté les trois possibilités offertes par l'appelant au sujet des organismes religieux dont la communauté de Bountiful pourrait faire partie, tant avant qu'après la scission de 2002, parce qu'aucune d'elle ne tombe sous le coup de la définition d'« organisme religieux » au sens de la Loi.

 

[173]   L'intimée s'est concentrée sur les divers éléments du libellé de l'alinéa b), en se fondant principalement sur les rapports d'expert et sur les témoignages de MM. Cragun et Balmer.

 

[174]   Selon M. Cragun, il n'y avait que quatre « organismes religieux » dont la communauté de Bountiful pouvait faire partie :

 

[TRADUCTION]

 

1. L'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours (l'« Église LDS »), établie à Salt Lake City, en Utah, aux États‑Unis;

 

2. L'Église fondamentaliste de Jésus‑Christ des saints des derniers jours (l'« Église FLDS »), établie à Colorado City, en Arizona;

 

3. La grande tradition du « mormonisme »;

 

4. Les mormons fondamentalistes indépendants.

 

(Rapport d'expert de M. Cragun, à la page 10, au par. 21.)

 

[175]   L'intimée a fait valoir que, sur le fondement de la preuve, la communauté de Bountiful relevait de la quatrième catégorie énoncée par M. Cragun, soit le groupe des mormons fondamentalistes indépendants, et est constituée de la famille polygame étendue de l'appelant. D'après le témoignage de M. Cragun, il existe deux types de groupes mormons indépendants, ceux qui pratiquent la polygamie (les fondamentalistes) et les autres. Les groupes qui pratiquent la polygamie :

 

[TRADUCTION]

 

[...] sont le plus souvent des familles. Il se peut que certaines soient en contact avec certains des groupes organisés susmentionnés, ou même, à l'occasion, qu'ils rendent visite à ces groupes. Ou non. La caractéristique principale qui distingue les mormons fondamentalistes indépendants des mormons fondamentalistes organisés est que les membres de ces deux groupes ne croient pas en la même structure hiérarchique.

 

(Rapport d'expert de M. Cragun, à la page 19, au par. 50.)

 

[176]   D'après l'intimée, la communauté de Bountiful ne peut pas faire partie de la première catégorie énoncée par M. Cragun, l'Église LDS, parce que cette Église a désavoué la pratique de la polygamie en 1890. En outre, l'appelant n'a pas prétendu qu'il faisait partie de l'Église LDS, et il a reconnu que ses prédécesseurs avaient été excommuniés de l'Église LDS parce qu'ils avaient continué à pratiquer la polygamie.

 

[177]   L'intimée a soutenu que la communauté de Bountiful ne faisait pas non plus partie de l'Église FLDS, surtout après la scission de la communauté en 2002. M. Cragun a souligné que la scission découlait d'un différend relatif à la direction de l'Église, au sujet de l'identité du vrai prophète. Les membres de la communauté de Bountiful qui ont suivi la direction de l'appelant n'ont pas accepté Warren Jeffs comme prophète de l'Église FLDS. Comme M. Cragun l'a souligné :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Un désaccord au sujet de l'identité du prophète ou de qui a l'autorité pour être le prophète est un désaccord majeur. [...]

 

(Rapport d'expert de M. Cragun, aux pages 13 et 14, par. 32.)

 

[178]   L'intimée s'est fondée sur le rapport d'expert et le témoignage de M. Balmer pour faire valoir qu'avant la scission de 2002, l'Église FLDS n'avait [TRADUCTION] « pas de légitimité apostolique ». Le mormonisme est défini par la gouvernance épiscopale, autrement dit, ce sont les évêques qui gouvernent. Comme M. Balmer l'a souligné, [TRADUCTION] « la légitimité doit se fonder sur les règles de la succession apostolique, [...] la transmission de successeur en successeur, sans interruption, depuis Joseph Smith Jr., que les mormons reconnaissent comme le prophète des “derniers jours” » (voir le rapport d'expert de M. Balmer, à la page 10, au par. 19). L'appelant prétend qu'il tire son autorité de Joseph Smith Jr. par l'intermédiaire de Leroy S. Johnson. Toutefois, quand ce dernier a rompu avec l'Église LDS au sujet de la polygamie, cette succession sacerdotale a été brisée (voir les observations écrites de l'intimée, au par. 547).

 

[179]   L'intimée s'est fondée sur le rapport d'expert de M. Balmer pour étayer sa thèse selon laquelle l'Église FLDS est un groupe dissident qui ne peut pas prétendre tirer son autorité de la succession apostolique, que ce soit avant ou après la scission de 2002, du fait que ses membres continuent de pratiquer la polygamie (voir les observations écrites de l'intimée, aux par. 553 et 554). Cela a rompu la succession après le premier et le second manifestes, aux termes desquels la polygamie a été désavouée. D'après M. Balmer, par conséquent, l'Église FLDS n'a pas de légitimité apostolique, et la prétention de l'appelant selon laquelle il détient quelque autorité que ce soit est donc rejetée à deux titres, premièrement parce que son ordination présumée lui venait d'un groupe dissident, l'Église FLDS, et deuxièmement parce qu'il a été excommunié de l'Église FLDS en 2002 (voir le rapport d'expert de M. Balmer, à la page 13, au par. 26, et à la page 17, au par. 42).

 

[180]   Bien que certains groupes — et plus particulièrement les strangites (qui détenaient une lettre donnant à penser que Joseph Smith avait nommé James Strang comme successeur), l'Église du Christ et l'Église réorganisée de Jésus‑Christ des saints des derniers jours (connue sous le nom de Communauté du Christ, parmi les fondateurs de laquelle se trouvaient la veuve de Joseph Smith et son fils) — puissent être en position de se réclamer d'une autorité apostolique directement tirée de Joseph Smith Jr. (ou d'un mandat direct ou d'un lien direct, comme M. Balmer y a fait référence dans son témoignage; voir la transcription de l'interrogatoire principal de M. Balmer, à la page 2596), l'appelant est incapable de formuler une prétention similaire et de se réclamer d'une succession directe.

 

[181]   En ce qui a trait à la troisième catégorie de la liste de M. Cragun, l'intimée a fait valoir que, vu que le mormonisme est une tradition religieuse et non un organisme religieux, la communauté de Bountiful ne pouvait pas prétendre qu'elle faisait partie du mormonisme.

 

[182]   Soulignant que les déclarations de l'appelant n'étaient pas cohérentes au sujet de l'identité de l'organisme religieux dont la communauté de Bountiful aurait fait partie, l'intimée a fait valoir que, dans le meilleur des cas, la communauté de Bountiful pouvait faire partie de la quatrième catégorie de la liste de M. Cragun, les mormons fondamentalistes indépendants.

 

4.       La thèse de l'intimée

 

[183]   Avant la scission de 2002, la communauté de Bountiful faisait peut‑être partie de l'Église FLDS. Toutefois, si on se fie au témoignage d'expert de M. Balmer, l'Église FLDS n'est pas un organisme religieux, et il n'est donc pas satisfait à la définition énoncée à l'alinéa b). La communauté de Bountiful ne peut pas non plus faire partie de l'Église LDS, parce que celle-ci a désavoué la polygamie, que les membres de la communauté de Bountiful pratiquent encore, et, pour finir, elle ne fait pas partie du mormonisme, parce qu'il s'agit d'une tradition et non d'un organisme religieux. Au mieux, on peut dire que la communauté de Bountiful est constituée de mormons fondamentalistes indépendants, à savoir l'appelant et sa famille élargie, mais elle ne fait pas partie d'un organisme religieux au sens de la Loi.

 

[184]   L'intimée a examiné diverses définitions susceptibles de s'appliquer au terme « organisme », insistant sur le fait qu'un organisme religieux était considéré comme [TRADUCTION] « l'ensemble » et devait être [TRADUCTION] « constitué de plusieurs communautés, lesquelles devaient toutes répondre à la définition de “congrégation” » (voir les observations écrites de l'intimée, au par. 525). L'expression « faire partie » employée à l'alinéa b) sous‑entend [TRADUCTION] qu'« une communauté isolée ne peut pas répondre à la définition de congrégation [parce qu']une communauté ne peut pas faire partie d'elle‑même (voir les observations écrites de l'intimée, au par. 526).

 

5.       Analyse

 

[185]   Ce volet du critère exige de procéder à une interprétation du type de groupe religieux que le législateur avait à l'esprit comme répondant aux paramètres de l'article 143 au moment de son édiction. Il convient également d'examiner la portée de l'expression « organisme religieux » d'un point de vue textuel, contextuel et téléologique.

 

[186]   Pour fonder mon analyse sur de bonnes bases, je me pencherai d'abord sur le libellé de l'alinéa b). Je crois qu'il y a six questions auxquelles il convient de répondre pour tirer une conclusion à l'égard de la question de savoir si la communauté de Bountiful faisait partie d'un organisme religieux; ces questions s'organisent de la manière suivante :

 

a)       Qu'est-ce qu'un organisme?

 

b)      Qu'est-ce qu'un organisme religieux?

 

c)       Que signifie « faire partie » dans ce contexte?

 

d)      De quel organisme religieux la communauté de Bountiful pourrait‑elle faire partie?

 

e)       Quels sont les pratiques, les croyances et les principes de cet organisme religieux?

 

f)       La communauté de Bountiful adhère‑t‑elle à ces pratiques et à ces croyances et agit‑elle en conformité avec les principes de cet organisme religieux?

 

[187]   La Loi définit l'expression « organisme religieux » de la manière suivante :

 

« organisme religieux » Organisme, autre qu'un organisme de bienfaisance enregistré, dont une congrégation est une partie constituante, qui adhère à des croyances qui comprennent la croyance en un être suprême et qui se manifestent dans les principes religieux et philosophique de l'organisme.

 

La définition contient les caractéristiques suivantes :

 

a)       c'est un organisme, autre qu'un organisme de bienfaisance enregistré;

 

b)      une congrégation est une partie constituante de l'organisme;

 

c)       l'organisme adhère à des croyances qui se manifestent dans les principes religieux et philosophique de l'organisme;

 

d)      ces croyances comprennent la croyance en un être suprême.

 

L'intimée a reconnu que les membres de la communauté de Bountiful avaient tous [TRADUCTION] « la croyance en un être suprême » (voir les observations écrites de l'intimée, au par. 519). Toutefois, le premier critère de la définition d'un « organisme religieux » exige que la communauté de Bountiful soit un « organisme ».

 

[188]   Tant l'appelant que l'intimée ont renvoyé au terme « organisme » tel qu'il est défini par les dictionnaires, vu que le terme n'est pas défini dans la Loi. Les définitions proposées par l'appelant sont particulièrement pertinentes :

 

a)       Oxford English Dictionary : [TRADUCTION] « système établi dans un but déterminé »;

 

b)      Black's Law Dictionary : [TRADUCTION] « groupe de personnes (comme un syndicat ou une société) formé dans un but commun ».

 

(Observations écrites de l'appelant, au par. 65.)

 

[189]   Monsieur Walsh s'est fondé sur le terme « organisme » au sens du dictionnaire quand il a commenté ce terme.

 

[190]   Monsieur Cragun a défini le terme « organisme » d'un point de vue sociologique de la manière suivante : [TRADUCTION] « un groupe de personnes qui s'identifient les unes aux autres et qui travaillent ensemble dans un but commun » (voir le rapport d'expert de M. Cragun, à la page 9, par. 18, citant W. Richard Scott, 2004, « Reflections on a Half‑Century of Organizational Sociology » (Retour sur un demi‑siècle de sociologie des organisations), Annual Review of Sociology 30(1):1‑21).

 

[191]   Dans son témoignage principal, M. Cragun a formulé les commentaires suivants à l'endroit des « organismes », insistant sur la distinction entre les traditions religieuses et les organismes religieux :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Ainsi, nous les sociologues, quand nous nous penchons sur l'idée d'un organisme, nous cherchons un groupe de personnes ayant un sentiment d'appartenance et une cohésion. Ces personnes ont l'impression d'appartenir au même groupe, non? Elles ont un certain sentiment d'être liées. Il y a une structure, non? Les organismes ont un sens de la structure, ce qui va généralement de pair avec une certaine notion de qui fait partie et qui ne fait pas partie du groupe. Ainsi, il est possible de disposer de balises relativement claires pour savoir qui est membre de l'organisme et qui ne l'est pas. Et, bien sûr, les membres sont ensemble pour une raison, quelle que soit cette raison. Ils ont donc un but ou un intérêt commun pour lequel ils travaillent.

 

Un organisme religieux est donc un organisme selon cette définition sociologique, qui comprend un élément du surnaturel, quelque croyance d'ordre surnaturel commune aux membres de cet organisme, non? Ainsi, nous avons la tradition mormone, qui renvoie aux croyances collectives et à ces idées, et, dans le cas de cette tradition, derrière le paravent du mormonisme, il y a des organismes religieux particuliers.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

(Transcription de l'interrogatoire principal de M. Cragun, aux pages 1953 et 1954.)

 

[192]   Monsieur Balmer a employé le terme « organisme » dans le sens de « politie » ou de gouvernance :

 

[TRADUCTION]

 

Premièrement, c'est instructif en ce qui concerne la « politie » (la gouvernance) des saints des derniers jours. La plupart des groupes chrétiens sont organisés selon l'une de trois formes de gouvernance : congrégationaliste, presbytérale et épiscopale (j'ai délibérément employé des minuscules; bien qu'il soit tentant d'associer chacune de ces formes avec les dénominations correspondantes, les adjectifs — et les gouvernances auxquelles ils renvoient — sont plus généraux).

 

(Rapport d'expert de M. Balmer, à la page 7, par. 10.)

 

[TRADUCTION]

 

La gouvernance congrégationaliste confère le pouvoir à la congrégation locale. [...]

 

(Rapport d'expert de M. Balmer, à la page 7, par. 11.)

 

[TRADUCTION]

 

La gouvernance presbytérale est une forme de gouvernement représentatif, dans lequel la congrégation locale élit des représentants. [...]

 

(Rapport d'expert de M. Balmer, à la page 8, par. 12.)

 

[TRADUCTION]

 

La gouvernance épiscopale est le gouvernement par les évêques, principe qui repose sur la notion de succession apostolique. [...]

 

(Rapport d'expert de M. Balmer, à la page 8, par. 13.)

 

[193]   Quand on lui a demandé lors de l'interrogatoire principal ce qu'il entendait par « organisme religieux », M. Balmer a formulé les commentaires suivants, dans lesquels il fait également référence à la tradition religieuse :

 

[TRADUCTION]

 

R.        Je comprends « organisme religieux » comme l'incarnation institutionnelle d'un groupe particulier de personnes qui pourrait entrer dans la catégorie plus large d'une tradition religieuse.

 

Q.        Et qu'entendez‑vous par « incarnation institutionnelle »?

 

R.        La manière dont ce groupe serait organisé, ou sa gouvernance, comment il se perçoit du point de vue de l'organisation et de la gouvernance.

 

(Transcription de l'interrogatoire principal de M. Cragun, à la page 2586.)

 

[194]   Dans un contexte judiciaire ou législatif, le terme « organisme » est généralement suivi d'un qualificatif qui renvoie au but de l'entité en question. Dans le cas de la Loi, les organismes religieux mis à part, il existe des « organismes de bienfaisance » dont la quasi‑totalité des ressources est consacrée à des activités et à des fins de bienfaisance (voir l'alinéa 149.1(1)a) de la Loi). Je n'ai rien trouvé dans la jurisprudence au sujet du terme « organisme » tel qu'il est employé dans le cas des organismes de bienfaisance. En dehors de la Loi, on trouve de nombreux exemples de l'utilisation de ce terme, comme « organisation criminelle » dans le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, ou « criminalité organisée » dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. En ce qui a trait à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le juge O'Reilly, de la section de première instance de la Cour fédérale, au paragraphe 31 de la décision Thanaratnam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 349, a décrit « certaines caractéristiques d'une organisation » comme étant « l'identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base ».

 

[195]   Par conséquent, la signification du terme « organisme » est largement tributaire du contexte dans lequel il est employé.

 

[196]   En plus des définitions générales que les dictionnaires donnent du terme « organisme » et des interprétations des experts, et bien qu'aucune des parties n'ait fourni de définition exhaustive de l'expression « faire partie », je considère que le fait que la congrégation doive « faire partie » d'un organisme religieux est un aspect essentiel de la définition.

 

[197]   L'adjectif « constituent » (« partie ») est employé à la version anglaise de l'alinéa b) de la Loi. Le dictionnaire Concise Oxford Dictionary of Current English (8e édition, 1992, Clarendon Press‑Oxford) en donne la définition suivante :

 

[TRADUCTION]

 

formant un tout, ou contribuant à le constituer.

 

[198]   On trouve la définition suivante dans le Oxford English Dictionary (2e édition, 1989, Clarendon Press‑Oxford) :

 

[TRADUCTION]

 

1. Élément constitutif ou formateur de quelque chose; formateur, essentiel; caractéristique, distinctif.

 

2. Qui constitue ou forme conjointement. D'un élément unique : qui contribue à former ou à constituer; composante.

 

[...]

 

[199]   Si une congrégation « fait partie » d'un tout, ou si elle « contribue à former ou à constituer » un organisme religieux, cela sous‑entend qu'il y a d'autres « parties ». D'un point de vue textuel, selon une lecture littérale, il y a d'autres congrégations qui, également, « font partie » de l'organisme religieux. Toutefois, est‑il possible de n'avoir qu'une seule congrégation qui fait partie d'un organisme plus large? Par exemple, si les congrégations huttérites étaient dissoutes, à l'exception d'une seule congrégation relevant de l'Église huttérite, cette congrégation isolée ne serait‑elle pas toujours admissible à titre de partie d'un organisme religieux plus large? Bien qu'il s'agisse d'une interprétation possible, elle est moins concluante dans le cas de l'exemple relatif aux huttérites, qui a eu pour effet de mener à l'édiction de la disposition en cause. Par conséquent, pour définir de quel organisme religieux la communauté de Bountiful fait partie ou faisait partie, j'adopte l'opinion selon laquelle il y a d'autres congrégations formant partie du plus grand tout.

 

[200]   Bien qu'ils ne soient pas [TRADUCTION] « la norme de référence », les huttérites fournissent une illustration claire de la manière dont la disposition en cause peut et devrait être appliquée : il existe plusieurs colonies huttérites, qui « contribuent à former ou à constituer » le plus grand tout, l'Église huttérite. Bien que l'Église huttérite soit constituée en société, l'article 143 n'exige pas explicitement que les organismes religieux soient constitués en société. Toutefois, pour être réaliste, il peut être difficile pour un organisme religieux qui n'est pas constitué en société de satisfaire aux critères de la disposition. Le fait de ne pas être constitué en société ajoute certainement aux obstacles à surmonter en matière de preuve. En l'absence de statuts constitutifs ou d'acte constitutif précis, qui définit l'organisme religieux en cause, il faut mener une enquête plus large sur la nature et la situation d'une communauté qui cherche à se prévaloir de l'article 143. Alors, essentiellement, une telle enquête devra viser à établir les principes religieux et philosophique de l'organisme, lequel fait partie de la tradition religieuse plus grande, ses pratiques, ses croyances et ses principes, et si ces pratiques, croyances et principes correspondent aux principes religieux et philosophique de l'organisme religieux dont la communauté fait prétendument partie et les complètent.

 

[201]   En me fondant sur les observations des parties, je crois qu'il est possible que la communauté de Bountiful appartienne à l'un ou l'autre des cinq groupes suivants :

 

a)       l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours, ou le « mormonisme » en général;

 

b)      l'Église LDS;

 

c)       l'Église FLDS, tant avant la scission de 2002 qu'après;

 

d)      l'Église FLDS avant la scission de 2002, et un groupe de mormons fondamentalistes indépendants après la scission;

 

e)       un groupe de mormons fondamentalistes indépendants qui ne fait pas partie d'un organisme religieux.

 

[202]   Après avoir examiné toute la preuve dont j'ai été saisie, j'ai conclu que les membres de la communauté de Bountiful ne sont pas membres d'un organisme religieux, mais qu'ils forment un groupe de mormons fondamentalistes indépendants. J'étudierai chacune des cinq possibilités dans l'ordre où je les ai énoncées.

 

L'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours, ou le « mormonisme » en général

 

[203]   Monsieur Walsh soutient que « l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours » a une signification religieuse plus large si on la compare à l'Église établie à Salt Lake City, en Utah — l'Église principale LDS. M. Walsh est d'avis que :

 

[TRADUCTION]

 

[...] les congrégations et les sous-organismes relevant de l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours revendiquent l'utilisation exclusive de cette appellation, ou alors refusent l'usage de cette appellation à des groupes précis. L'Église LDS en est un excellent exemple. [...] Essentiellement, les désaccords au sujet de l'utilisation de l'appellation « Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours » pour décrire un organisme religieux, un sous‑organisme ou une congrégation constituent une lutte au sujet de la question de savoir qui est dans les bonnes grâces de Dieu et qui ne l'est pas; qui détient le pouvoir sacerdotal légitime et qui ne le détient pas [...]

 

(Rapport d'expert de M. Walsh, aux pages 6 et 7, par. 3.)

 

Par conséquent, M. Walsh croit que l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours est un organisme religieux distinct de l'Église principale LDS et qu'elle comprend [TRADUCTION] « tous les organismes qui croient qu'ils sont les héritiers légitimes du pouvoir sacerdotal de Joseph Smith » (voir le rapport d'expert de M. Walsh, à la page 5, par. 1). Par conséquent, M. Walsh affirme que la communauté de Bountiful fait partie de l'organisme religieux connu sous l'appellation de mormonisme.

 

[204]   Tant M. Cragun que M. Balmer se sont inscrits en faux contre les conclusions de M. Walsh. De l'avis d'expert de M. Cragun, le « mormonisme » n'est pas un organisme religieux d'attache, comme M. Walsh le laisse entendre, mais une [TRADUCTION] « tradition » religieuse dans laquelle des religions peuvent s'inscrire. M. Cragun ne souscrit pas à l'opinion de M. Walsh selon laquelle il existe un organisme appelé l'« Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours » distinct de l'Église principale LDS. M. Cragun soutient que la position de M. Walsh prête à confusion et qu'elle est incorrecte. M. Cragun a souligné le fait que, dans deux affidavits antérieurs du 3 mars 2010 et du 7 juin 2010 (voir les pièces R‑6, onglet 127, et R‑6, onglet 128, respectivement), M. Walsh avait contredit ses propres déclarations, formulées dans son rapport d'expert et dans son témoignage. Dans ces affidavits, M. Walsh décrit le mormonisme comme un terme englobant les traditions religieuses, culturelles et institutionnelles chrétiennes associées à l'Église LDS, fondée par Joseph Smith Jr. le 6 avril 1830. Selon M. Cragun, cette description, qui apparaît dans les affidavits antérieurs de M. Walsh, et qui est contraire aux déclarations qu'il a faites dans le rapport d'expert dont je dispose, est une affirmation exacte selon laquelle le mormonisme est une tradition religieuse, et non un organisme religieux.

 

[205]   Monsieur Cragun, au paragraphe 43 de son rapport d'expert, a décrit la tradition « mormone » de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

[...] un vague ensemble de croyances et de principes que les membres d'un groupe d'organismes religieux ont en commun. [...] Un « organisme religieux » peut faire partie d'une « tradition religieuse » ou d'une « famille de religions », mais une « tradition religieuse » ne peut pas être un « organisme religieux ».

 

[206]   Monsieur Cragun conclut, au paragraphe 44 de son rapport d'expert, que toute prétention selon laquelle le mormonisme est un « organisme religieux », comme M. Walsh le prétend dans son rapport d'expert :

 

[TRADUCTION]

 

[...] fait intentionnellement l'amalgame entre une « tradition religieuse » et un « organisme religieux ». Je suis d'avis qu'une telle prétention fait preuve de mauvaise foi et n'est pas viable.

 

[207]   Monsieur Balmer a également fait part de son désaccord à l'égard de la position adoptée par M. Walsh, selon laquelle un organisme religieux appelé l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours a une existence distincte de celle de l'Église LDS. M. Balmer a déclaré, au paragraphe 37 de son rapport d'expert, que, si M. Walsh voulait plutôt faire référence à l'« Église mormone » ou au « mormonisme » comme étant l'organisme religieux dont la communauté de Bountiful faisait partie :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Pour y parvenir, et vu la gouvernance épiscopale de l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours, vous devriez être en mesure de démontrer l'existence d'une autorité apostolique remontant directement, sans interruption, à Joseph Smith Jr. Du fait de sa pratique persistante de la polygamie, que Wilford Woodruff, prophète de l'Église LDS, a interdite en 1890, l'Église FLDS en est incapable. M. Blackmore ne peut pas non plus le prétendre de manière crédible, tant en raison de son « ordination » au sein de l'Église FLDS (qui n'est pas l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours) que du fait qu'il n'a plus aucun statut au sein de cette Église. Par conséquent, même si nous reconnaissions la légitimité de l'Église FLDS du point de vue de la succession apostolique — ce à quoi l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours se refuse fermement — M. Blackmore ne peut pas prétendre à la légitimité apostolique, et ce, à double titre.

 

[208]   J'accepte les témoignages aussi bien de M. Cragun que de M. Balmer et je conclus que le mormonisme n'est pas un organisme religieux, mais bien une tradition religieuse, de la même manière que nous voyons le christianisme comme une tradition religieuse. Cette conclusion s'accorde avec le témoignage de ces deux experts. Il semblerait aussi qu'il s'agisse de l'opinion la plus répandue parmi les experts de ce domaine. Je crois aussi que la position de M. Walsh, telle qu'elle ressort de son rapport d'expert et de son témoignage, est douteuse, vu la position contraire qu'il a adoptée dans des affidavits antérieurs, signés en 2010. Je rejette la position de M. Walsh, qui, au mieux, est incorrecte et, au pire, vise à induire la Cour en erreur. Il a clairement remplacé l'expression correcte, soit « la tradition religieuse du mormonisme », qui apparaît dans ses affidavits, par l'expression incorrecte « l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours » dans son rapport d'expert et dans son témoignage que j'ai entendu dans les présents appels.

 

[209]   L'objet de la disposition, qui exige qu'une congrégation fasse partie d'un organisme religieux, est d'en assurer l'application aux groupes qui font clairement partie d'un organisme plus large et bien établi avec lequel ils ont un objectif commun. Même si je disposais d'un quelconque élément de preuve susceptible d'étayer la conclusion selon laquelle le « mormonisme » est un organisme religieux, par opposition à une tradition, cela conduirait à une interprétation de cette disposition qui serait exagérément large et contraire à l'intention du législateur. Une telle conclusion pourrait permettre à une diversité de groupes et de personnes, adhérant tous à des croyances différentes et non communes fondées sur des principes religieux et philosophique divergents, de se cacher derrière le paravent du mormonisme. Certains groupes pratiquent la polygamie, d'autres non. Ces pratiques différentes différencient sans doute radicalement ces groupes les uns des autres, annihilant la possibilité qu'ils appartiennent au même organisme religieux. De tels groupes ne partagent pas l'« objet commun » ou les « intérêts communs » requis, quels qu'ils soient.

 

[210]   Par conséquent, je conclus que la communauté de Bountiful ne fait pas partie de l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours et que M. Walsh, à mauvais escient, a utilisé cette expression et l'a associée au mormonisme en général, parce que ni l'un ni l'autre n'est un organisme religieux, et, en fait, le mormonisme est une tradition religieuse, suivant la définition que M. Cragun a donnée à ce terme.

 

L'Église LDS

 

[211]   Je ne peux pas non plus accepter le fait que la communauté de Bountiful fasse partie de l'Église principale LDS, et, ce qui est plus important encore, l'appelant n'a jamais prétendu que la communauté de Bountiful faisait partie de l'Église LDS. Ma conclusion se fonde sur les éléments suivants :

 

(i)      Il y a eu une scission au sein de l'Église LDS au moment de la publication du manifeste de Woodruff en 1890, aux termes duquel la pratique de la polygamie a été désavouée. Cela a conduit à la scission entre l'Église LDS et les mormons fondamentalistes, qui ont continué de pratiquer la polygamie, tandis que l'Église LDS excommuniait les membres qui continuaient à la pratiquer. M. Cragun a souligné le fait que, de nos jours, l'Église LDS continuait de nier l'existence de tout lien avec les mormons fondamentalistes ou les groupes continuant à pratiquer la polygamie, comme c'est le cas de la communauté de Bountiful.

 

(ii)     Les croyances et les principes de l'Église LDS n'exigent pas des membres qu'ils vivent et travaillent ensemble ou qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de leur communauté, pas plus qu'ils n'interdisent aux membres d'être propriétaires de biens (voir le rapport d'expert de M. Cragun, à la page 12, par. 28). Cela va à l'encontre des exigences de la Loi ainsi que des prétentions de l'appelant.

 

[212]   L'appelant n'a jamais prétendu qu'il faisait partie de l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours, que ce soit du mormonisme en général ou de l'Église LDS. Au paragraphe 3 de son avis d'appel modifié une troisième fois, l'appelant a déclaré qu'il faisait partie de l'Église FLDS, mais pas de l'Église FLDS dirigée par Warren Jeffs. Après la scission de 2002, il a fait référence à son groupe comme à un [TRADUCTION] « sous‑groupe » du groupe qui existait avant la scission de 2002. Bien qu'il ait fait référence au fait d'avoir des liens avec d'autres communautés établies aux États‑Unis dont les membres partageaient les mêmes points de vue, il n'a pas produit d'éléments de preuve relatifs aux caractéristiques de ces groupes et à la question de savoir s'ils pouvaient être visés par la définition de « congrégation », de telle sorte que la communauté de Bountiful pourrait être considérée comme faisant partie d'un organisme religieux constitué de ces congrégations.

 

L'Église FLDS avant et après la scission de 2002, ou l'Église FLDS avant la scission de 2002 et un groupe de mormons fondamentalistes après la scission de 2002

 

[213]   La communauté de Bountiful faisait‑elle partie de l'Église FLDS avant ou après la scission survenue dans la communauté en 2002? Cette scission a eu lieu en raison d'un désaccord quant à la question de savoir si Warren Jeffs était le prophète de l'Église FLDS. L'appelant a été excommunié de l'Église FLDS au milieu de l'année 2002. Environ la moitié des membres ont suivi l'appelant, tandis que l'autre moitié ont suivi Warren Jeffs, qui a nommé un chef à la tête de ses adeptes dans la communauté. Comme M. Cragun l'a souligné dans son rapport d'expert, au paragraphe 32 :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Un désaccord au sujet de l'identité du prophète ou de qui a l'autorité pour être le prophète est un désaccord majeur. [...] Vu que le groupe de Bountiful s'est dissocié des autres membres de l'Église FLDS en ce qui a trait à une croyance clé, les membres de Bountiful ne pouvaient plus faire partie de l'Église FLDS après 2002.

 

[214]   Quand il a souligné la nature et les conséquences graves de l'excommunication et de l'apostasie dans la tradition mormone, M. Cragun, au paragraphe 33, s'est ainsi exprimé : [TRADUCTION] « les membres excommuniés se retrouvent complètement coupés de l'organisme religieux qui les a excommuniés ». Par conséquent, il serait difficile de conclure que la partie de la communauté de Bountiful qui était dirigée par l'appelant faisait partie de l'Église FLDS après la scission de 2002, même si l'Église FLDS est un organisme religieux, et ce, parce que le groupe de l'appelant ne partageait plus une croyance clé que les autres membres de l'Église FLDS avaient encore, à savoir que Warren Jeffs était le prophète successeur légitime ainsi que le prêtre dirigeant de l'Église FLDS.

 

[215]   Monsieur Cragun semble penser que la communauté de Bountiful, telle qu'elle était, intacte, avant la scission de 2002, faisait partie d'un organisme religieux ou tout du moins d'un plus grand groupe religieux, à savoir l'Église FLDS (voir le rapport d'expert de M. Cragun, au par. 30). M. Balmer, pour sa part, remet toutefois en cause la légitimité même de l'Église FLDS d'un point de vue historique. Vu que le mormonisme relève de la gouvernance épiscopale, autrement dit qu'il est gouverné par des évêques, la transmission de l'autorité sacerdotale est très importante, et tout désaccord au sujet de l'autorité légitime du prophète constitue un désaccord majeur.

 

[216]   Monsieur Balmer est d'avis que l'appelant est radié [TRADUCTION] « à double titre » de l'Église LDS, parce que la transmission de l'autorité sacerdotale a été interrompue à deux reprises en ce qui concerne les prétentions de l'appelant : la première fois par Leroy S. Johnson, fondateur de l'Église FLDS, et la seconde fois quand l'appelant a été excommunié par l'Église FLDS en 2002. La gouvernance épiscopale exige que la transmission de l'autorité sacerdotale ou la succession se fasse de manière ininterrompue; la communauté de Bountiful, tant avant qu'après la scission de 2002, ne peut donc pas prétendre à une telle succession. Rendre une conclusion différente reviendrait à faire fi de la croyance fondamentale de la succession apostolique. Ainsi, l'appelant ne peut prétendre à l'autorité au sein d'un organisme religieux en vertu d'une succession apostolique ininterrompue quand cet organisme fonctionne selon les règles de la gouvernance épiscopale.

 

[217]   Monsieur Balmer ne souscrivait pas non plus à la position adoptée par M. Walsh relativement au fait que les membres de la communauté de Bountiful se voyaient comme des membres de l'Église LDS. M. Balmer est d'avis que des croyances et des modes de culte cohérents ne suffisaient pas à établir la filiation. Comme M. Balmer l'a succinctement souligné au paragraphe 28 :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Généralement, ce genre de prétention appellera la réponse suivante : ce n'est pas parce que vous dormez dans un garage que vous êtes une voiture; de la même manière, en soi, entendre une personne affirmer qu'elle est mormone (ou encore catholique ou presbytérienne, voire une Chevrolet) ne fait pas en sorte que c'est le cas.

 

[218]   Messieurs Cragun et Balmer ont des opinions divergentes au sujet de la situation de la communauté de Bountiful au sein de l'Église FLDS avant la scission de 2002. Toutefois, il est important de noter qu'ils abordent cette question à partir de points de vue différents (M. Cragun d'un point de vue sociologique et M. Balmer d'un point de vue historique).

 

[219]   Que ce soit dans leur rapport d'expert ou dans leur témoignage, ni M. Cragun ni M. Balmer n'ont été parfaitement clairs au sujet de la question de savoir si l'Église FLDS était un organisme religieux ou non. Ni l'un ni l'autre ne s'est prononcé de manière définitive sur la question. Au paragraphe 30 de son rapport d'expert, M. Cragun a déclaré que l'Église FLDS était un [TRADUCTION] « groupe religieux » avant l'excommunication de Winston Blackmore en 2002, mais qu'elle ne tombait pas sous le coup de la définition d'« organisme religieux » au sens de la Loi. Toutefois, j'ai restreint le témoignage de M. Cragun à l'égard de son interprétation de l'article 143. À la fin du paragraphe 30, il résume son point de vue, mais sa formulation est telle que cela reste ambigu :

 

[TRADUCTION]

 

 [...] on peut douter du fait que, même avant 2002, les personnes vivant à Bountiful « faisaient partie » ou étaient un « organisme religieux », vu qu'il est improbable que l'Église FLDS satisfasse aux critères d'un « organisme religieux ».

 

Ensuite, au paragraphe 41 de son rapport d'expert, il mentionne, presque en aparté, qu'en fait, l'Église FLDS répond aux critères d'un « organisme religieux », contrairement au mormonisme. Il contredit ainsi les déclarations qu'il a formulées au paragraphe 30. Contrairement à la prétention de l'appelant selon laquelle le témoignage de M. Cragun étaye la conclusion voulant que l'Église FLDS soit un organisme religieux, M. Cragun a laissé entendre que l'Église FLDS était [TRADUCTION] « similaire à l'organisme religieux » décrit dans la Loi, mais qu'elle n'était pas visée par cette définition parce qu'elle n'était pas organisée de la même manière que les colonies huttérites (voir le rapport d'expert de M. Cragun, au par. 30; non souligné dans l'original).

 

[220]   Monsieur Balmer est également resté vague dans son rapport d'expert et dans son témoignage à l'égard de cette question. Toutefois, il a établi clairement que la controverse, ou tout du moins l'incertitude, régnait parmi les experts dans ce domaine.

 

[221]   Aucun des deux experts n'a directement fourni à la Cour ce que je considère comme une déclaration concise et sans ambiguïté sur cette question, et j'imagine que c'est en partie parce qu'elle est voilée par la question de la polygamie et que tout le monde préfère faire l'autruche plutôt que de s'y attaquer.

 

[222]   Cependant, le rapport d'expert et le témoignage de M. Balmer donnent l'impression claire que l'Église FLDS ne pourrait pas être admissible à titre d'organisme religieux légitime, parce que la succession apostolique a été interrompue en raison du fait que les membres du groupe ont continué de pratiquer la polygamie. Tout au long de son rapport d'expert, M. Balmer a fait référence à l'Église FLDS comme étant un « groupe dissident », et jamais comme étant un « organisme religieux ».

 

[223]   Pour définir quelle était la situation de la communauté de Bountiful avant la scission de 2002, il est essentiel de vérifier si l'Église FLDS est un organisme religieux au sens du paragraphe 143(4). Pour l'application de la Loi, je ne crois pas que l'Église FLDS soit admissible à titre d'organisme religieux. Si j'adoptais l'interprétation plus large que l'appelant donne au terme « organisme religieux », il me serait alors possible de conclure que l'Église FLDS est, en fait, un organisme religieux dont la communauté de Bountiful fait partie. La définition d'« organisme religieux » que l'appelant a proposée est celle d'un organisme dont les membres croient en un être suprême (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 63). Toutefois, une telle interprétation fait fi d'autres éléments clés de la définition, à savoir que l'organisme doit avoir des « parties constituantes », et aussi que ses membres doivent adhérer à des croyances particulières et identifiables. Si le terme « partie constituante » devait être interprété largement, comme signifiant simplement « lié à », alors peut‑être que l'Église FLDS pourrait être encore admissible à titre d'organisme religieux. Toutefois, si je me fonde sur l'interprétation qui devrait selon moi être faite du terme « partie constituante », je rejette l'interprétation plus large proposée par l'appelant parce qu'elle ne va pas dans le sens de ce qui était, selon moi, l'intention du législateur, à savoir qu'il devait exister d'autres congrégations, lesquelles sont des composantes ou des « parties constituantes » du plus grand tout : l'organisme religieux.

 

[224]   Monsieur Cragun s'est exprimé au sujet des conséquences graves découlant de l'excommunication. M. Balmer était d'avis que, quand la question de la pratique de la polygamie a poussé Leroy S. Johnson à rompre ses liens avec l'Église LDS, il a interrompu la succession sacerdotale, par suite de quoi l'Église FLDS est devenue une entité illégitime, qui ne pouvait plus se prévaloir de la succession apostolique. Cela va dans le droit fil des commentaires formulés par M. Cragun au sujet de la gravité de l'excommunication. Au paragraphe 25 de son rapport d'expert, M. Balmer a souligné ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Par conséquent, selon la doctrine officielle et les déclarations répétées de l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours, toute personne faisant partie d'une union polygame n'est pas membre de l'Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours.

 

Une rupture aussi prononcée avec l'Église principale que celle survenue au sein de l'Église FLDS appuierait la conclusion selon laquelle l'Église FLDS n'a pas la légitimité voulue pour être un organisme religieux, parce que, essentiellement, pour dire les choses de manière simpliste, le groupe qui prétend constituer l'Église FLDS n'adhère plus aux croyances et aux principes de l'organisme religieux principal.

 

[225]   Dès lors, est‑il possible que l'Église FLDS soit un « organisme religieux reconstitué » avec ses croyances propres, auxquelles ses membres adhèrent? Je ne pense pas, parce qu'il doit y avoir beaucoup plus qu'un simple nom d'un groupe qui « s'identifie » comme un organisme religieux. Il doit y avoir un objet commun et un sens plus large d'une collectivité identifiable constituant le grand organisme admissible. Compte tenu de la preuve, l'Église FLDS apparaît plus comme une vague association de groupes divergents que comme l'organisme religieux structuré prévu par la Loi. Pour que l'Église FLDS tombe sous le coup de la définition d'un « organisme religieux » au sens de la Loi, ces groupes divergents doivent satisfaire au critère des « congrégations », et il ressort de la preuve que ce n'est pas le cas.

 

[226]   Même si j'établissais que l'Église FLDS est un organisme religieux, un autre argument qui irait à l'encontre de la conclusion selon laquelle la communauté de Bountiful pourrait faire partie de l'Église FLDS est que je dispose de très peu d'éléments de preuve étayant le fait que les membres de Bountiful eux‑mêmes se soient fortement identifiés à l'Église FLDS en tant qu'organisme religieux. Bien que certains des témoins ordinaires se soient identifiés eux‑mêmes et aient identifié leur communauté comme membres et comme faisant partie de l'Église FLDS avant la scission de 2002, l'appelant a fait de multiples déclarations et s'est efforcé de diverses manières de se dissocier, et de dissocier la communauté de Bountiful, de l'Église FLDS, soulignant qu'il n'avait rien en commun avec l'Église FLDS et qu'il n'avait pas signé de formulaire d'adhésion quand l'Église a été [TRADUCTION] « organisée officiellement » en 1991 (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 134). L'appelant a décrit son groupe de la manière suivante : [TRADUCTION] « les fondamentalistes, comme tous les groupes relevant de l'Église FLDS, sont radicalement différents les uns des autres, parce qu'ils sont sous l'autorité de la personne qui se trouve à être responsable de leur groupe particulier » (voir les extraits de l'interrogatoire préalable de Winston Blackmore du 11 mars 2010 déposés en preuve par l'intimée, questions et réponses 821 et 822, à la page 148). Ces déclarations font écho à d'autres déclarations faites par l'appelant au sujet de la nature fragmentée de l'Église FLDS en tant que groupe et de l'indépendance des sous‑groupes qui pourraient s'identifier à l'Église FLDS. Cela infirme toute idée d'adhésion aux pratiques, aux croyances et aux principes communs aux membres d'un organisme religieux.

 

Résumé des conclusions relatives à l'application de l'alinéa b)

 

[227]   Pour résumer, une lecture textuelle, contextuelle et téléologique de l'article 143 donne à penser que le législateur voulait que cette disposition s'applique aux organismes religieux établis et définissables qui ont un objet sous‑jacent commun. Il ressort de la preuve d'expert que le mormonisme n'est pas un organisme religieux dont la communauté de Bountiful pourrait faire partie, parce que le mormonisme est une tradition.

 

[228]   La communauté de Bountiful ne peut pas faire partie de l'organisme religieux qu'est l'Église principale LDS, parce que ses membres n'adhérent pas aux croyances de l'Église LDS. Ils pratiquent la polygamie, que l'Église LDS a désavouée.

 

[229]   Je qualifierais l'Église FLDS de groupe dérivé dont les membres se considèrent comme des mormons et pratiquent la polygamie. Pourtant, c'est précisément cette pratique les distinguant comme groupe qui les empêche d'être considérés comme des membres de l'organisme religieux mormon principal, autrement dit de l'Église LDS. De plus, les commentaires formulés par l'appelant, au sujet de la nature distincte de son groupe et d'autres groupes semblables, infirment la théorie selon laquelle ces groupes pourraient former un groupe ou une structure organisée dont la cohésion repose sur un objet ou un but commun, comme il a été décrit dans les définitions du terme « organisme » dans les présents motifs.

 

[230]   Vu que les experts ont du mal à s'entendre sur les limites précises de l'Église FLDS en tant qu'« organisme religieux », et que M. Cragun semble se contredire, comme il ressort de la preuve dans son ensemble et des déclarations de l'appelant au sujet de son appartenance à l'Église FLDS, je préfère me fier à l'opinion de M. Balmer selon laquelle l'Église FLDS n'est pas un organisme religieux, parce que la transmission du pouvoir sacerdotal ne s'y est pas faite de manière ininterrompue. Je conclus par conséquent que l'Église FLDS n'est pas visée par la définition énoncée au paragraphe 143(4), telle que le législateur l'entendait. Tout au plus, la communauté de Bountiful est un groupe indépendant de mormons fondamentalistes qui ne peuvent pas respecter les limites que j'ai définies pour cette partie de la définition de « congrégation ».

 

C.      La propriété de biens

 

La communauté de Bountiful permet‑elle à ses membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef?

 

[231]   Pour satisfaire à cet élément de la définition d'une « congrégation », la preuve doit appuyer la conclusion selon laquelle la communauté de Bountiful ne permet pas à ses membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef. Je conclus que le libellé du troisième volet de la définition est plus clair et moins ambigu que celui des trois autres. Bien que l'appelant ait proposé une nouvelle interprétation relative à la « propriété bénéficiaire », cette approche n'est pas convaincante parce qu'elle exigerait de la Cour qu'elle aille au‑delà du libellé du texte et se livre à une surinterprétation de cet élément de la définition.

 

1.       Les observations de l'appelant

 

[232]   L'appelant n'a fourni aucun fondement factuel établissant comment la communauté de Bountiful ne permet pas à ses membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef. Au lieu de cela, l'avocat de l'appelant a proposé une interprétation de l'alinéa c) qui va dans le sens des normes particulières de la communauté de Bountiful en matière de biens, puis s'est appuyé sur ces faits pour étayer cette interprétation particulière.

 

[233]   Selon l'avocat de l'appelant, la communauté de Bountiful ne permettait pas à ses membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef pour les raisons suivantes :

 

a)       la majorité des membres n'étaient pas propriétaires de biens immeubles;

 

b)      la propriété des biens immeubles était affectée de la manière la plus avantageuse pour la communauté et essentiellement attribuée à quelques personnes qui se trouvaient au sommet de la hiérarchie religieuse;

 

c)       la propriété des biens meubles était attribuée plus largement, mais l'usage des biens meubles et immeubles était soumis au bon plaisir des chefs de l'Église;

 

d)      le risque était réparti entre les membres de la communauté dans son ensemble;

 

e)       le contrôle sur les biens était entre les mains de la direction de l'Église.

 

(Observations écrites de l'appelant, au par. 240.)

 

[234]   L'avocat de l'appelant ne croit pas que le législateur voulait que l'expression « de leur propre chef » employée à l'égard des biens renvoie à la « propriété en common law »; il pense que le législateur voulait plutôt qu'elle renvoie à la « propriété bénéficiaire », qui ne comprend pas tous les attributs de la propriété, à savoir la possession, l'usage, le risque et le contrôle.

 

[235]   Selon l'avocat de l'appelant, la preuve établit que les droits des membres de la congrégation relatifs aux biens ne sont pas des droits entiers de possession, d'usage, de risque et de contrôle. Il faut adopter une interprétation de l'alinéa c) ayant une portée suffisamment large pour couvrir différents types de pratiques communautaires en matière de biens, car même la règle relative à l'interdiction d'être propriétaire en vigueur dans les colonies huttérites est relative et contextuelle, plutôt qu'absolue (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 104).

 

[236]   Les membres de la communauté de Bountiful ne traitent pas les biens selon les normes de comportement « habituelles » du capitalisme, mais, plutôt, leur relation envers les biens est régie par des principes d'ordre doctrinal que les mormons fondamentalistes ont interprétés comme étant communautaires par nature (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 111).

 

[237]   La pratique tant de la « consécration » que de la « dîme » fait partie d'une mission ou d'un principe religieux plus large appelé l'« Ordre uni », qui signifie que les membres vivent de telle manière que tous les membres de la communauté peuvent profiter ensemble et en parfaite égalité de toute chose (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, aux pages 139 et 140). Selon l'appelant, ces pratiques sont des pratiques communautaires relatives aux biens qui sont conformes aux exigences de l'alinéa c). L'Ordre uni est généralement compris comme étant le but à atteindre, tandis que la loi de consécration représente le moyen d'atteindre ce but. D'un point de vue doctrinal, il était exigé des membres de la communauté de Bountiful qu'ils consacrent tout leur temps, tous leurs talents et tous leurs biens à l'Église. Il n'existait pas de directive précise selon laquelle les membres devaient remettre tous leurs biens à une entité particulière, mais il était impératif qu'ils consacrent leur vie et leurs biens au United Effort Plan, dans le sens où celui‑ci est l'idée ou le concept sous-jacent de vie communautaire pour le UEPT (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 242).

 

[238]   L'avocat de l'appelant a soutenu que l'ensemble de la preuve étayait le fait que la loi de consécration était en vigueur à Bountiful. À cet égard, M. Walsh a souligné l'importance du concept [TRADUCTION] d'« intendance » pour les mormons, autrement dit, de la doctrine selon laquelle chaque membre doit utiliser chaque bien qu'il possède pour le bien de la communauté et le partager avec des membres moins nantis.

 

[239]   Les pratiques de la communauté qui vont dans le sens de cette approche communautaire de la propriété des biens sont notamment les suivantes : la dîme et le UEPT, deux mécanismes visant à accomplir l'Ordre uni; la distribution de maisons parmi les membres, selon les instructions des chefs de l'Église; les appels de famine.

 

[240]   Voici des exemples d'autres comportements illustrant l'existence d'une approche communautaire aux biens :

 

                    Les membres participaient à des « journées de travail » organisées pour les besoins de divers projets communautaires, pour lesquelles ils n'étaient pas rémunérés.

 

                    La société versait des salaires et des avantages en fonction des besoins plutôt que des heures de travail effectuées, des tâches accomplies ou d'une norme relative au salaire minimal.

 

                    Certains des 95 véhicules que la société possédait étaient utilisés tant par les personnes employées par la société que par les autres. Des cartes de crédit émises au nom de l'appelant étaient distribuées aux employés de la société pour qu'ils achètent de l'essence et des pièces, mais c'était alors la société qui réglait la note.

 

                    Vu le mode de vie de la communauté, il n'était pas question d'épargne ou de placements dans des REÉR, pas plus que cela n'était nécessaire.

 

                    L'appelant avait le sentiment de ne pas avoir de contrôle sur les terres inscrites à son nom, et il a affirmé que, si le président de l'Église lui en avait donné la directive pendant la période qui a précédé la scission, il aurait transféré ces terres au UEPT.

 

                    Les titres fonciers et les actes de transfert montrent simplement que des membres détenaient des titres juridiques, et que, de temps en temps, ils transféraient ces titres.

 

                    Quand les membres recevaient des directives à l'égard de leurs biens, ils s'y conformaient et agissaient comme on le leur demandait.

 

2.       La thèse de l'appelant

 

[241]   Dans ses observations, l'avocat de l'appelant a laissé entendre que, de la manière dont il avait libellé l'alinéa c), le législateur avait décrit [TRADUCTION] « un concept intentionnellement nébuleux permettant une certaine marge de manoeuvre » (voir la transcription des observations orales de l'appelant, à la page 3016). Vu que de nombreux termes employés à l'article 143 n'ont pas de sens technique, la disposition devrait être interprétée librement. Le législateur a choisi d'employer une formulation négative pour décrire les règles relatives à la propriété en vigueur au sein d'une congrégation ainsi qu'une description, « de leur propre chef », qui n'a pas de sens unique, précis ou technique en droit fiscal ou en droit des biens.

 

[242]   Dans le cas du droit fiscal, les types de propriété les plus pertinents sont la propriété en common law et la propriété bénéficiaire. C'est de la propriété bénéficiaire, avec ses quatre attributs fondamentaux que sont la possession, l'usage, le risque et le contrôle, que découlent généralement les conséquences fiscales (voir les observations écrites de l'appelant, aux par. 99 et 100). Quand les membres d'une communauté ne possèdent pas les quatre attributs de la propriété bénéficiaire, ils ne sont pas propriétaires « de leur propre chef » (voir la transcription des observations orales de l'appelant, à la page 3053).

 

[243]   La disposition n'impose pas d'autre exigence que celle de ne pas s'engager dans les pratiques capitalistes ordinaires en matière de biens. Le contrôle sur les actifs était exercé au profit de la communauté, et, selon la doctrine, il était exigé des membres qu'ils consacrent leur temps, leurs talents et leurs biens à l'Église (voir la transcription des observations orales de l'appelant, à la page 3078) afin que s'accomplisse l'utopie de l'« Ordre uni ». L'appelant a laissé entendre que la croyance religieuse subjective des membres de la communauté de Bountiful, soit d'agir en tout temps pour le bien de la communauté et d'être prêt à céder la possession, l'usage et le contrôle d'un élément d'actif à la demande d'un chef religieux, suffisait pour satisfaire au critère énoncé à l'alinéa c). Par conséquent, il n'était pas permis aux membres de la communauté de Bountiful, d'un point de vue religieux et doctrinal, d'être propriétaires de biens de leur propre chef (voir la transcription des observations orales de l'appelant, aux pages 3079 et 3082).

 

3.       Les observations de l'intimée

 

[244]   Selon l'intimée, il n'existe aucune preuve qu'il n'était pas permis aux membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef, que ce soit dans les pratiques de la communauté elle-même ou dans les doctrines et les pratiques de l'Église LDS ou de l'Église FLDS. Le UEPT n'est pas propriétaire de tous les biens immeubles de la communauté de Bountiful. Il existe de nombreux exemples de membres qui sont propriétaires de biens, comme des obligations financières, des comptes bancaires personnels, des prêts bancaires, des caravanes, des véhicules, des assurances, des revenus et des biens personnels.

 

[245]   L'intimée a souligné qu'il n'était pas interdit aux membres de la communauté de Bountiful d'être propriétaires de biens, comme des véhicules ou des comptes bancaires. Il n'a été produit aucun document montrant que des biens inscrits au nom des membres personnellement étaient détenus pour le compte du UEPT.

 

[246]   L'intimée a attiré l'attention de la Cour sur les biens dont les membres de la communauté étaient propriétaires ainsi que sur les gestes qui étaient posés à l'égard de ces biens pour étayer sa thèse selon laquelle il était permis de posséder des biens dans la communauté de Bountiful.

 

4.       La thèse de l'intimée

 

[247]   L'intimée s'est fondée sur la large définition de « biens » qui est énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi, et elle a appliqué cette définition à l'interprétation de la disposition en cause.

 

[248]   L'intimée a également formulé les observations suivantes à l'égard de cette disposition :

 

[TRADUCTION]

 

[...] la Loi n'exige pas que les membres de la communauté en cause ne possèdent véritablement aucun bien de leur propre chef. La Loi exige simplement que la communauté ne le permette pas. Deuxièmement, la formulation employée par le législateur, « ne permet pas », est impérative. Il faut véritablement interdire aux membres d'être propriétaires de biens, et non simplement les décourager ou imposer des restrictions inférieures à une interdiction catégorique.

 

(Observations écrites de l'intimée, à la page 97, par. 467.)

 

[249]   L'intimée était d'avis qu'il n'y avait aucune preuve de l'existence d'une quelconque interdiction d'être propriétaire de biens, que ce soit au sein de l'Église LDS ou de l'Église FLDS, ou dans leurs doctrines et pratiques, et qu'il n'existait aucune exigence selon laquelle les membres devaient consacrer tous leurs biens au UEPT ou à l'Église. On s'attend plutôt des membres de la communauté de Bountiful qu'ils versent une dîme équivalant à 10 % de leur revenu à la communauté. De même, le UEPT ne possède qu'une fraction des biens de la communauté de Bountiful.

 

5.       Analyse

 

[250]   Parmi les quatre composantes de la définition de « congrégation », le libellé de l'alinéa c) est le plus clair :

 

« congrégation » Communauté, association ou assemblée de particuliers, constituée ou non en société, qui répond aux conditions suivantes :

 

[...]

 

c)         elle ne permet pas à ses membres d'être propriétaires de biens de leur propre chef;

 

[...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[251]   Même si l'appelant avait produit suffisamment d'éléments de preuve démontrant qu'il était satisfait aux trois autres composantes de la définition de « congrégation », sur le fondement de la preuve dont j'ai été saisie, il n'a pas été en mesure de prouver que lui et la communauté de Bountiful satisfaisaient à cette troisième composante, parce que la communauté n'imposait à ses membres aucune interdiction de posséder des biens.

 

[252]   Le langage simple qui est employé, en grande partie, à l'alinéa c) exige que la communauté elle-même, de manière concrète, interdise ou ne permette pas à ses membres d'être propriétaires. C'est la preuve de l'existence d'une interdiction imposée par la communauté qu'il faut produire, parce que le libellé de l'alinéa c) n'exige pas que les membres ne possèdent véritablement aucun bien.

 

[253]   Bien qu'il se puisse que la signification de l'expression « de leur propre chef » ne soit pas immédiatement évidente, l'intention du législateur est par ailleurs très claire : une congrégation, au sens de l'alinéa c), doit interdire à ses membres de posséder des biens. En fait, c'est un critère rigoureux auquel les congrégations doivent satisfaire. L'interdiction posée par la communauté doit empêcher tout membre de posséder tout bien. Seule une interdiction absolue sera conforme au libellé de l'alinéa c). Sans par ailleurs se fonder sur l'exemple des huttérites, comme l'intimée l'a proposé, le libellé clair et évident de ce troisième critère exige la production d'éléments de preuve convaincants, qui établissent concrètement qu'il existe au sein d'une communauté une pratique ou une doctrine selon laquelle on « ne permet pas » ou on interdit aux membres, de manière explicite, de posséder quelque bien que ce soit.

 

[254]   La rigueur de ce critère donne à penser que le terme « biens », au sens de l'alinéa c), a une signification claire, comme la définition proposée par l'intimée et énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi. En l'absence d'une mention contraire, cette définition vise à s'appliquer partout dans la Loi. Vu qu'il n'est fait part d'aucune intention contraire au paragraphe 143(4), c'est la définition qu'il convient d'appliquer. Il s'agit d'une définition large et exhaustive, qui vise les « [b]iens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels [...] ». Elle n'établit aucune distinction entre la « propriété bénéficiaire » et le simple « titre juridique », contrairement à ce que l'appelant a laissé entendre.

 

[255]   La prétention de l'appelant selon laquelle l'expression « de leur propre chef » équivaut à la « propriété bénéficiaire » ne trouve aucun fondement, ni dans la Loi, ni dans la disposition en tant que telle. En outre, il n'y a absolument rien qui montre que le législateur pensait à la « propriété bénéficiaire » quand il a employé l'expression « de leur propre chef ». Il faut tenir pour acquis que le législateur a employé les mots et les expressions qu'il voulait employer, et, s'il avait voulu que la « propriété bénéficiaire » puisse facilement remplacer « de leur propre chef », il l'aurait précisé, ou, tout du moins, il aurait employé les deux expressions comme alternative à l'alinéa c).

 

[256]   Je ne vois aucun lien logique entre les deux expressions « propriété bénéficiaire » et « de leur propre chef ». L'appelant a allégué que, vu que les membres étaient toujours soumis aux directives de Winston Blackmore en ce qui concernait leurs biens, y compris le fait qu'on leur demande de déménager ou de se départir de leurs biens si une telle directive était donnée, ils ne pouvaient donc pas être des propriétaires bénéficiaires, vu qu'ils ne détenaient pas tous les quatre attributs habituels de cette forme de propriété : la possession, l'usage, le risque et le contrôle. Parce qu'ils ne détenaient pas les pleins attributs de la propriété bénéficiaire, on leur interdisait essentiellement, en leur qualité de membres de la communauté de Bountiful, d'être propriétaires de biens « de leur propre chef » (l'expression « propriété bénéficiaire » étant assimilée à l'expression « de leur propre chef »).

 

[257]   L'appelant a fait le lien en se fondant sur deux décisions de la Cour canadienne de l'impôt dans lesquelles, selon l'appelant, on avait employé l'expression « de leur propre chef » :

 

[TRADUCTION]

 

[...] de manière ambiguë, pour qualifier des gestes posés à l'égard de biens pour le seul bénéfice de l'auteur de ces gestes, ou des gestes posés par une personne comme elle l'entend et sans tenir compte de la position d'autres personnes, ainsi que dans le but de différencier la propriété « normale » dans le marché général de la propriété de biens situés dans des réserves.

 

(Observations écrites de l'appelant, au par. 98.)

 

[258]   La jurisprudence relative à la « propriété bénéficiaire » sur laquelle l'appelant se fonde a trait à des désaccords au sujet de la signification de l'expression « propriété bénéficiaire » dans le cas de l'application des traités fiscaux internationaux (voir Carter c. La Reine, 1999 CanLII 193 (C.C.I.), et Akiwenzie c. La Reine, 2003 CCI 68). Dans ces décisions, on a fait référence à l'expression « propriétaire bénéficiaire » au sens d'une convention fiscale particulière. En outre, l'ensemble de cette jurisprudence, tout comme celle à laquelle l'appelant a par ailleurs renvoyé, a été rendu après l'édiction de l'article 143 (Williams c. La Reine, 2005 CCI 558; Prévost Car Inc. c. La Reine, 2008 CCI 231; Velcro Canada Inc. c. La Reine, 2012 CCI 57).

 

[259]   L'appelant demande à la Cour de faire un pas de géant à l'égard de ce troisième critère en substituant l'expression « propriété bénéficiaire » à l'expression « de leur propre chef », et en attribuant ensuite une signification à l'expression « propriété bénéficiaire » au moyen d'une jurisprudence sans rapport avec l'espèce. Une telle interprétation élargirait de manière injustifiable le libellé de l'alinéa c) et attribuerait un sens différent au terme « bien ». Cela dépasse l'intention du législateur au moment d'édicter cette disposition.

 

[260]   Il est clair que d'autres usages de l'expression « de leur propre chef » à des fins judiciaires n'ont pas eu pour effet d'attribuer à cette expression un quelconque sens particulier ou technique. L'expression semble désigner, dans un sens général, la part dans la propriété d'un bien :

 

a)       dans la décision Agricultural Credit Corp. of Saskatchewan c. Haryett, 1995 CanLII 5615 (B.R. Sask.), le tribunal a fait référence à la vente de terres, que leurs propriétaires les possèdent [TRADUCTION] « de leur propre chef ou conjointement »;

 

b)      dans la décision Adler, Furman & Associates Ltd c. Owners, Condominium Plan Number CDE 13442, 1984 CanLII 13442 (B.R. Alb.), le tribunal a déclaré que [TRADUCTION] « les appelants étaient devenus les propriétaires inscrits des terres en cause de leur propre chef »;

 

c)       dans la décision C.H. c. M.H., 1997 ABCA 263 (CanLII), pour résumer la demande de M.H., le tribunal a déclaré que certaines entités juridiques [TRADUCTION] « pouvaient détenir des biens en leur nom propre et de leur propre chef ».

 

[261]   Pour interpréter l'expression « de leur propre chef », le juge Martin, dans la décision Re Immigration Act and Munshi Singh (1914), 6 W.W.R. 1347 (Cour d'appel de la C.‑B.), a souligné, au paragraphe 45, que l'expression [TRADUCTION] « propriétaire de [son] propre chef » signifiait [TRADUCTION] « rien de plus ni de moins que son propre argent ».

 

[262]   La Cour ne pourrait se réclamer d'aucune source judiciaire ou légale pour substituer l'expression « propriété bénéficiaire » à l'expression « de leur propre chef ». Le sens ordinaire du libellé de l'alinéa c) ne justifie pas de modifier le sens du terme « bien » comme le suggère l'appelant. Le libellé « ne permet pas » est clair; il s'agit d'une déclaration absolue et catégorique. Cette déclaration devient encore plus « absolue et catégorique » avec l'usage du mot « any » (« tous ») en anglais, avant les expressions « membres » et « biens ». Il n'existe aucun fondement judiciaire ou législatif qui permette d'interpréter l'expression « de leur propre chef » d'une manière différente que dans le sens général de « pour leur propre compte ».

 

[263]   La question suivante est de savoir si, dans les limites de l'interprétation de la loi que je viens de donner, la communauté de Bountiful « ne permet pas » à ses membres d'être propriétaires de biens. Il faut établir clairement la preuve de l'existence d'une telle interdiction absolue, que ce soit au moyen d'éléments de preuve documentaire, comme les statuts constitutifs faisant référence à l'interdiction, ou du fait des pratiques, de la doctrine et des principes en vigueur sur le terrain à Bountiful.

 

[264]   L'appelant a laissé entendre que la preuve qui établissait cette interdiction était constituée des éléments suivants : la pratique communautaire consistant à échanger les résidences, la pratique de la dîme, les appels de famine, et le fait que les membres suivaient les directives des chefs religieux en ce qui concernait leurs biens. Selon l'appelant, il ressort de cette preuve que les biens étaient normalement détenus pour le compte de la communauté de Bountiful. Toutefois, une telle conclusion ne satisfait pas à l'exigence définie par le libellé de l'alinéa c), « ne permet pas ». Une « conclusion » est insuffisante, et la preuve ne contient aucun élément permettant de conclure que la communauté interdisait véritablement à ses membres d'être propriétaires de biens. En outre, même si j'avais conclu que la communauté de Bountiful faisait partie de l'Église principale LDS ou de l'Église FLDS, au sens de l'alinéa b), il n'y a aucune preuve permettant d'affirmer que ces Églises imposent une telle interdiction générale.

 

[265]   Le législateur n'a pas inclus d'exigence précise selon laquelle une congrégation devait être constituée en société, mais l'interdiction doit par ailleurs être manifeste et facile à cerner à partir de la doctrine et des pratiques religieuses en vigueur au sein de la communauté quand il n'existe pas de statuts constitutifs faisant état d'une telle interdiction. L'exemple relatif aux huttérites démontre comment une interdiction claire se traduit explicitement dans les statuts constitutifs. Dans les décisions Wipf, il est fait référence au fait que les membres des colonies huttérites ne peuvent pas posséder des biens. La pratique par les huttérites de la mise en commun des biens, associée à l'interdiction, est explicitement énoncée dans leurs statuts constitutifs. Il est logique de supposer, par conséquent, que le législateur avait une interdiction explicite à l'esprit quand il a édicté l'article 143. La communauté de Bountiful n'a pas de statuts constitutifs, mais l'interdiction doit, tout du moins, ressortir clairement de la doctrine religieuse et des pratiques communautaires. Même les statuts constitutifs de la société ne contiennent aucune interdiction expresse faite aux membres de la communauté de Bountiful d'être propriétaires de biens, pas plus que les actifs de la société ne font l'objet d'une fiducie au bénéfice des membres. De même, aucune interdiction n'est formulée dans la déclaration de fiducie de 1942 ou dans la déclaration modifiée et mise à jour du UEP de 1998. Aux termes de la déclaration de fiducie de 1942, seuls les fiduciaires, et non les membres de la communauté en général, devaient être considérés comme les bénéficiaires des biens de la fiducie. La déclaration modifiée et mise à jour de 1998 prévoit d'autres transferts de biens à la fiducie, mais elle ne prévoit pas que les membres ne peuvent pas être propriétaires de biens de leur propre chef. Quand des membres transféraient leurs biens à la fiducie, ils ne devenaient pas toujours bénéficiaires de la fiducie, malgré le fait qu'il était possible qu'ils continuent de vivre sur les terres appartenant à la fiducie.

 

[266]   Une comparaison entre le droit de propriété tel qu'il existe dans la communauté de Bountiful et dans les colonies huttérites permet de mettre le paragraphe 143(4) en contexte. Dans la communauté de Bountiful, tous les biens immeubles n'étaient pas cédés au UEPT. Des biens immeubles ont été inscrits au nom de l'appelant, de la société, de quelques membres de la famille de l'appelant et du UEPT. La preuve a montré que les membres de Bountiful possédaient divers biens meubles, comme des comptes bancaires, des marges de crédit, des dépôts à terme, des véhicules, des caravanes et des cartes de crédit. Ils avaient des obligations financières envers des banques relativement à leurs biens. Ils ont obtenu des assurances en leur nom et ils payaient leurs propres primes. Ken Oler a déclaré qu'il déposait ses revenus dans ses comptes personnels, et qu'aucun membre de la communauté ne lui donnait de directives sur la manière de gérer cet argent. Marlene Palmer a déclaré qu'elle avait une marge de crédit personnelle, des cartes de crédit, des véhicules, et que, à un moment donné, elle détenait un intérêt de 50 % dans un bien immeuble situé chemin Pitt River. Miriam Oler a ajouté qu'elle possédait des actifs similaires. La preuve a montré que les membres possédaient entièrement leurs biens meubles, et que, dans la plupart des cas, l'appelant ne donnait aucune directive aux membres au sujet de ces biens.

 

[267]   De 1988 à 2001, l'appelant a acquis des biens immeubles à Bountiful, ou même à Creston, Kitchener et Calgary, que ce soit seul ou avec d'autres personnes. Certains de ces immeubles ont été grevés d'hypothèques. Certains ont été vendus. Aucune preuve du fait que ces opérations aient fait l'objet d'une quelconque forme de fiducie pour le compte des membres de la communauté de Bountiful n'a été produite. En outre, l'entente de divorce que l'appelant a conclue avec sa première et seule épouse légale et le transfert de biens immeubles fait à celle‑ci ne contiennent aucune preuve de l'existence d'une quelconque fiducie dont les éléments d'actifs de l'appelant feraient l'objet. Il n'y avait pas non plus de preuve de l'existence de fiducies à l'égard des biens détenus par la société. Il n'y avait aucun procès-verbal ou document montrant que les actionnaires détenaient des biens en fiducie au profit des membres de la communauté. Il n'y avait aucun document étayant le fait que la société agissait comme mandataire de la communauté. La société détenait des biens en son propre nom, obtenait du financement hypothécaire et transférait des biens. Quand la société a déposé un avis d'intention de déposer une proposition concordataire, les documents connexes ne contenaient aucune référence au UEP, au UEPT, à la J. R. Blackmore Trust ou à la Blackmore Trust.

 

[268]   L'appelant n'a jamais informé les banques ou les prêteurs que lui ou la société détenaient des biens en qualité de fiduciaires de la communauté (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, aux pages 595 et 596). Les comptables de la société mis à part, l'appelant ne s'est justifié devant personne des fonds dépensés par la société. Pas plus Marlene Palmer que Miriam Oler n'avait vu ni n'était au courant de l'existence de dossiers que l'appelant aurait tenus à l'égard des biens détenus en fiducie pour le compte de la communauté de Bountiful (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Marlene Palmer, à la page 1284, et l'interrogatoire principal de Miriam Oler, à la page 2826). L'appelant et la société n'ont jamais transféré de biens au UEPT (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Winston Blackmore, aux pages 574 et 575). Il n'est fait mention d'aucune exigence obligatoire de transférer ses biens ni d'interdiction d'être propriétaire de biens dans le Livre de Mormon, dans la doctrine et les alliances ou dans The Pearl of Great Price (La perle de grand prix) (voir les observations écrites de l'intimée, au par. 239).

 

[269]   Si on retourne à la définition de « biens » énoncée au paragraphe 248(1), on peut voir qu'elle inclut les biens « de toute nature », qu'ils soient meubles ou immeubles. La preuve comprend de nombreux exemples de membres propriétaires de biens. En fait, les exemples de la dîme et des appels de famine, que l'appelant cite à l'appui de l'interdiction prétendue d'être propriétaire de biens qui serait en vigueur à Bountiful, militent en faveur de la conclusion contraire. Si la pratique est la mise en commun des biens et l'interdiction faite aux membres d'être propriétaires d'éléments d'actif, il serait alors logique de penser que des pratiques telles que la dîme et les appels de famine sont inutiles. Si les membres transféraient leurs possessions à la communauté conformément à l'interdiction expresse faite par la communauté à ses membres d'être propriétaires de biens, les membres n'auraient plus rien et ne pourraient pas payer une dîme équivalant à 10 % de leur revenu ou contribuer aux appels de famine. Même sans faire de comparaison avec les colonies huttérites, la preuve porte incontestablement à croire que l'interdiction prévue aux termes de l'alinéa c) n'existe pas.

 

[270]   Cette interdiction n'est pas non plus expressément formulée dans la doctrine et les principes religieux des Églises LDS et FLDS.

 

[271]   Monsieur Walsh a expliqué que le fait de « consacrer » tous ses biens signifiait qu'il fallait les mettre à la disposition de la communauté, si les chefs de l'Église le demandaient (voir la transcription de l'interrogatoire principal de John Walsh, à la page 890), mais que cela ne voulait pas nécessairement dire que les biens étaient légalement cédés à l'Église.

 

[272]   Toutefois, comme M. Cragun l'a souligné au paragraphe 60 de son rapport d'expert, d'un point de vue pratique, les communautés avaient de la difficulté à mettre pleinement en oeuvre la loi de consécration. Bien que les efforts visant à la mettre en oeuvre ne soient pas couronnés de succès, d'après M. Cragun, la loi de consécration demeure une composante du mormonisme, mais il ne s'agit pas d'une pratique suivie par les membres de l'Église LDS de nos jours. Au lieu de cela, à l'heure actuelle, les membres adoptent plutôt la pratique de la dîme, selon laquelle ils doivent faire don de 10 % de leur revenu annuel à l'Église, plutôt que de consacrer tous leurs biens à cette dernière.

 

[273]   Monsieur Walsh a déclaré que l'Église LDS ne permettait pas à ses membres de posséder des biens de manière indépendante et distincte des objectifs et activités de la communauté. M. Cragun a critiqué cette déclaration, affirmant qu'une telle interdiction n'existait pas dans les croyances et la doctrine mormones ou dans les enseignements de Joseph Smith Jr. M. Cragun a également critiqué la déclaration de M. Walsh selon laquelle il était exigé de tous les mormons qu'ils consacrent toutes leurs possessions au Royaume de Dieu. Vu que la loi de consécration n'a jamais été adoptée par la majorité des membres de l'Église LDS, elle n'est, par conséquent, jamais pleinement entrée en vigueur.

 

[274]   Selon M. Cragun, la loi de consécration a été mise en oeuvre de manière différente au sein de l'Église FLDS. En 1942, l'Église FLDS a essayé d'appliquer la loi de consécration en créant le UEPT. Cette dernière agissait à titre de société de portefeuille pour l'administration des biens immeubles que certains membres donnaient au UEPT. Le UEPT et l'Église FLDS sont des entités distinctes, le UEPT étant dirigé par un conseil d'administration. Selon M. Cragun, [TRADUCTION] « à l'échelle individuelle, les membres de l'Église n'ont pas leur mot à dire en ce qui concerne la gestion du UEP » (voir le rapport d'expert de M. Cragun, au par. 66), et il n'était pas exigé des membres qu'ils transfèrent tous leurs biens au UEPT.

 

[275]   J'ai examiné les rapports d'expert et les témoignages de MM. Cragun et Walsh, et je choisis d'accepter la position de M. Cragun plutôt que celle de M. Walsh. La critique que M. Cragun a formulée à l'égard des déclarations de M. Walsh était approfondie. M. Cragun a assis solidement ses déclarations sur les articles scientifiques auxquels il renvoyait. De nombreuses déclarations de M. Walsh n'avaient pas des bases aussi solides. M. Cragun a témoigné au sujet de l'histoire de la loi de consécration au sein de l'Église LDS, et il a conclu que l'observation de la loi en tant que pratique de l'Église principale avait en fait été suspendue. Il n'existe aucune interdiction ou déclaration explicite dans la doctrine, les écrits ou les premiers enseignements de la foi mormone interdisant aux membres le droit à la propriété privée. Bien que la loi de consécration ait été mise en oeuvre de manière différente au sein de l'Église FLDS, ni la déclaration de fiducie de 1942 ni la déclaration de fiducie modifiée et mise à jour de 1998 ne contiennent de disposition, qu'elle soit explicite ou implicite, interdisant l'accès à la propriété privée.

 

[276]   Il ressort d'une interprétation téléologique de l'alinéa c) que l'interdiction relative au droit à la propriété privée fait partie de la « raison d'être » de cette disposition. Autrement dit, la disposition vise à offrir une protection exceptionnelle en matière de régime fiscal aux groupes particuliers dont les membres satisfont aux exigences qui y sont énoncées. Une des principales raisons pour lesquelles les membres de ces groupes ne seraient pas imposés de la même manière que les autres contribuables du pays est que ces membres ne fonctionnent pas selon les règles ordinaires et habituelles du droit à la propriété privée. Si, toutefois, les personnes sont libres d'acquérir et de vendre ou de disposer autrement des biens, meubles ou immeubles, il est alors logique qu'elles soient imposées, et s'attendent à l'être, de la même manière que les autres contribuables canadiens. Permettre aux membres d'un groupe qui n'interdit pas explicitement à ses membres d'être propriétaires de biens de toute nature de se prévaloir de l'article 143 serait contraire aux fins pour lesquelles cet article a été édicté et contreviendrait directement à celles‑ci.

 

[277]   Pour résumer, les faits établissent bien que la communauté de Bountiful a instauré son propre système de droit à la propriété. Ce droit comprend un ensemble de pratiques qui contredisent nos notions de ce qui est conforme aux normes capitalistes traditionnelles. Les membres de la communauté de Bountiful ont permis à Winston Blackmore de leur donner des directives à l'égard de leur lieu de résidence et de la manière dont ils doivent utiliser certaines de leurs ressources personnelles au sein de la communauté. Toutefois, ce système de droit à la propriété ne satisfait pas au critère rigoureux prévu à l'alinéa c). Le libellé de l'alinéa c) exige qu'on soit en présence d'une interdiction explicite, que celle-ci soit énoncée dans les statuts constitutifs ou dans la doctrine ou les pratiques religieuses, plutôt que d'une interdiction implicite qui soit entièrement déduite d'un examen des faits. Cette conclusion se situe dans le droit fil des principes d'interprétation des lois et de l'efficacité administrative.

 

[278]   La communauté de Bountiful affiche une approche « communautaire » à l'égard de certains aspects de la propriété des biens, mais cette approche n'est pas « communautaire » au sens de la Loi, et, plus précisément, de la disposition en cause; autrement dit, la communauté de Bountiful n'interdit pas explicitement le droit à la propriété privée à tous ses membres, que ce soit dans ses pratiques, dans sa doctrine et ses principes religieux ou dans tout statut constitutif existant.

 

D.      Le fait de consacrer sa vie professionnelle aux activités de la congrégation

 

La communauté de Bountiful exige‑t‑elle de ses membres qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation?

 

1.       Les observations de l'appelant

 

[279]   Selon l'avocat de l'appelant, la doctrine religieuse exigeait des membres de la communauté de Bountiful, tant avant qu'après la scission de 2002, qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de la communauté. La coutume communautaire et les déclarations des témoins ordinaires sont venues appuyer la thèse de l'appelant selon laquelle il était exigé des membres qu'ils gagnent leur vie au sein des structures sociales et commerciales de la communauté. En pratique, cette doctrine religieuse s'appuyait sur les faits suivants : la société était le principal employeur des membres de la communauté; les enfants étaient préparés dès un très jeune âge à contribuer à la main‑d'oeuvre de la communauté; on s'attendait à ce que les membres, y compris les enfants, consacrent leur temps et leur travail aux projets communautaires, notamment pendant les journées de travail communautaires; la société avait recours à une structure salariale particulière.

 

[280]   L'avocat de l'appelant a laissé entendre qu'il était satisfait à l'alinéa d) du fait de deux caractéristiques distinguant les mormons fondamentalistes des mormons de l'Église principale : premièrement, la pratique de la polygamie, et, deuxièmement, le fait que les membres de la communauté vivaient de manière communautaire. L'appelant s'est fondé sur le témoignage de M. Walsh selon lequel la vie communautaire est de pratique courante chez les mormons fondamentalistes, parce que ceux‑ci adhèrent strictement aux enseignements de Joseph Smith Jr. Cela inclut la pratique de la polygamie, laquelle crée un environnement propice à la vie communautaire (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 218, et la pièce A‑9, au par. 21). M. Walsh a exprimé cette même opinion dans le renvoi sur la polygamie (voir la pièce R‑6, sous l'onglet 129, page 31).

 

[281]   La société était le principal employeur à Bountiful, et la plupart des hommes membres de la communauté travaillaient pour la société. L'appelant a décrit la société comme [TRADUCTION] « l'antenne commerciale de notre Église » (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 31), et Ken Oler a décrit la société comme [TRADUCTION] « la société de l'Église », laquelle :

 

[TRADUCTION]

 

[...] fournissait de l'emploi aux membres de la communauté [...] et aidait à faire tout ce qui était nécessaire pour fournir des infrastructures communautaires ainsi que ce dont les membres avaient besoin.

 

(Transcription de l'interrogatoire principal de Ken Oler, à la page 939.)

 

[282]   L'appelant a également déclaré que les employés de la société étaient [TRADUCTION] « tout le monde dans la communauté » (voir la transcription de l'interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 69).

 

[283]   D'autres entreprises étaient également exploitées à Bountiful, certaines dans le but de soutenir les activités de la société.

 

2.       La thèse de l'appelant

 

[284]   La société était le principal employeur des membres de la communauté. Il y avait des exceptions à cette règle, comme le fait d'employer des personnes extérieures à la communauté, le fait que des membres travaillent pour des employeurs extérieurs et le fait de fournir des produits et des services à des personnes extérieures, mais cela n'arrivait que rarement. Bien que l'intimée ait insisté sur ces exceptions pour appuyer sa thèse, l'avocat de l'appelant a soutenu qu'un tel argument était mal fondé du fait que l'intimée avait comparé la communauté de Bountiful aux communautés huttérites.

 

3.       Les observations de l'intimée

 

[285]   L'intimée a souligné que l'alinéa d) contenait le verbe « exige », ce qui signifie qu'il doit être exigé des membres de la communauté de Bountiful qu'ils appuient les activités de la communauté. Le fait que les membres se sentent moralement obligés de travailler pour appuyer les activités de la communauté tout en n'y étant pas véritablement tenus ne suffit pas pour satisfaire à ce quatrième élément de la définition de « congrégation ». De même, les membres de la communauté de Bountiful pouvaient participer à des activités économiques à l'extérieur de la communauté et y étaient encouragés.

 

4.       La thèse de l'intimée

 

[286]   La preuve n'appuie pas une conclusion selon laquelle les membres de la communauté de Bountiful étaient tenus de se consacrer aux activités de la communauté. En fait, la preuve montre qu'on encourageait les membres de la communauté à trouver du travail ailleurs.

 

[287]   En outre, la communauté de Bountiful ne satisfait pas aux normes huttérites en matière d'engagement envers la communauté. L'intimée a cité l'article 4 de la Loi constituant en corporation « The Hutterian Brethren Church » pour illustrer le type d'exigence prévu par l'article 143 de la Loi :

 

Tout membre d'une congrégation ou communauté consacrera tout son temps, son travail, ses gains et ses forces à cette congrégation ou communauté et aux buts pour lesquels elle est constituée, librement, volontairement et sans aucune rémunération ni récompense d'aucune sorte, autre que ce qui est ci‑après mentionné.

 

(Observations écrites de l'intimée, à la page 108, par. 505; extrait également cité dans la décision Wipf.)

 

[288]   En outre, les communautés huttérites sont agricoles. Dans Le Plan budgétaire de 1999, le ministre des Finances de l'époque, Paul Martin, a déclaré ce qui suit : « Les colonies huttérites pratiquent l'exploitation agricole et d'autres activités connexes dans l'Ouest du Canada à titre d'“organismes communautaires” » (Le Plan budgétaire de 1999, déposé à la Chambre des communes le 16 février 1999, à la page 220, extrait reproduit dans les observations écrites de l'intimée, au par. 507).

 

5.       Analyse

 

[289]   L'analyse de cette quatrième partie de la définition de « congrégation » et son application aux faits est plus simple que celle des trois précédentes parties de la définition, notamment vu l'approche que j'ai adoptée pour l'analyse des trois premières parties.

 

[290]   La preuve qui a été produite à l'audience n'est venue étayer pleinement ni la thèse de l'appelant ni celle de l'intimée. Ma conclusion dépendra largement de la question de savoir si je dois interpréter l'alinéa d) de manière restrictive ou plus large. Sur le fondement de la preuve, il est possible de conclure qu'on « s'attendait généralement » à ce que les membres consacrent leur vie professionnelle aux activités de la communauté. Le fait que cette attente générale devienne une « exigence », au sens du libellé de l'alinéa d), dépend de la mesure dans laquelle ce critère précis est interprété et appliqué strictement. Bien que les deux types d'interprétation soient raisonnables, une approche interprétative restrictive est conforme à l'approche limitée que j'ai adoptée dans mon analyse des trois premières composantes, à savoir de l'alinéa a) à c) de la définition de « congrégation ».

 

[291]   Bien que l'intimée ait envisagé le terme « exiger » dans son sens ordinaire, à savoir [TRADUCTION] « établir comme impératif, insister, donner des instructions ou commander » (voir les observations écrites de l'intimée, au par. 504, soit un extrait de The Oxford Pocket Dictionary, 7e éd., Clarendon Press, Oxford, 1985), il y a en fait plusieurs mots dans l'alinéa d) qui pourraient être interprétés de plusieurs manières : « consacrent », « vie professionnelle » et « activités de la congrégation ». Toutefois, le terme « exige » est le plus déterminant.

 

[292]   L'expression « qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation » signifie que les membres d'une communauté se consacrent entièrement à la communauté. Selon The Oxford English Dictionary (seconde édition, vol. IV, 1989), le verbe « devote » (« se consacrer ») se définit de la manière suivante : [TRADUCTION] « s'approprier par voeu, ou comme par voeu; mettre de côté ou dédier solennellement ou formellement ». Dans le Webster's New World Dictionary (deuxième édition, 1984), « devote » se définit de la manière suivante : [TRADUCTION] « se donner soi‑même ou donner son temps, son énergie, etc., à un but, à une activité ou à une personne ». Ces dictionnaires donnent à penser que le verbe « devote » signifie qu'une personne consacre entièrement sa vie professionnelle en vue de l'accomplissement d'un but précis, d'une manière semblable à un voeu formel. Quand on l'examine avec la première composante de la définition, l'alinéa a), à savoir que les membres vivent et travaillent ensemble, l'alinéa d) signifie que les membres de la communauté doivent consacrer leur travail à la communauté en tant qu'unité.

 

[293]   Le fait que l'alinéa d) précise les « activités de la congrégation » signifie en outre que les membres de la communauté consacrent leur vie professionnelle à la congrégation de manière régulière, constante et habituelle. The Oxford Dictionary (http://oxforddictionaries.com/) définit le terme « activity » (« activité ») de la manière suivante : [TRADUCTION] « la condition dans laquelle les choses se produisent ou sont accomplies ». Par conséquent, les membres ne se consacrent pas simplement à la congrégation de manière abstraite, mais plutôt à l'accomplissement des activités quotidiennes courantes de cette dernière.

 

[294]   Le recours au verbe « exige » à l'alinéa d) signifie que le fait de se « consacrer » aux activités de la congrégation constitue une condition obligatoire imposée par les autorités compétentes. L'intimée a laissé entendre qu'il faudrait avoir recours à une interprétation restrictive de l'alinéa d). Cela signifierait que la communauté devrait imposer de manière explicite des exigences selon lesquelles ses membres doivent consacrer leur vie professionnelle aux activités de la congrégation.

 

[295]   Une telle interprétation restrictive est raisonnable, qu'on se livre à une lecture littérale, ou à une lecture contextuelle et téléologique plus large de l'article 143. Les définitions des termes « congrégation » et « organisme religieux » dénotent toutes deux l'existence d'une organisation ou d'une institution; autrement dit, une congrégation adhère à des croyances, et ces croyances sont conformes aux principes d'un organisme religieux, qui sera constitué de plus d'une congrégation. Pour qu'il y ait un organisme religieux, il faut que les membres des congrégations aient un objectif commun, et cet objectif sera vraisemblablement consigné par écrit d'une manière ou d'une autre. S'il n'existe pas de trace écrite de cet objectif, il faudrait alors qu'il existe quelque chose de similaire dans les sources doctrinales de l'organisme, et que les pratiques quotidiennes des membres de la communauté en soient l'illustration.

 

[296]   Par conséquent, puisque la Cour a établi que l'interdiction à l'encontre de la propriété doit être formulée explicitement, comme le prévoit le texte de la disposition, et comme l'exemple relatif aux huttérites le donne à penser, c'est alors une question de cohérence que de vouloir que l'exigence formulée à l'alinéa d) soit également énoncée de manière explicite. Une telle interprétation est étayée par l'exemple relatif aux huttérites, puisqu'une exigence similaire se trouve dans les statuts constitutifs de la Loi constituant en corporation « The Hutterian Brethren Church ». Aussi, une interprétation restrictive de l'alinéa d) va dans le sens des objectifs généraux de la simplicité et de l'efficacité administrative. Si l'exigence énoncée à l'alinéa d) est formulée de manière explicite, elle sera plus facile à cerner que si on doit se fier à un examen de la preuve fondé sur les faits.

 

[297]   Il résulte d'une interprétation restrictive de l'alinéa d) que la communauté de Bountiful ne peut pas satisfaire à l'alinéa d). Comme l'intimée l'a souligné, l'exigence énoncée à l'alinéa d) ne fait pas partie du mormonisme, qu'il soit question de l'Église LDS ou de l'Église FLDS. C'est ce que M. Cragun a confirmé dans son rapport d'expert :

 

[TRADUCTION]

 

Il n'existe aucun commandement dans les saintes écritures de l'Église mormone qui ordonne aux membres de la communauté de consacrer toute leur vie professionnelle à la communauté. [...]

 

(Rapport d'expert de M. Cragun, à la page 28, par. 73.)

 

[298]   Selon M. Cragun, lors des cérémonies mormones célébrées au temple, les membres promettent de consacrer « leur vie » à leur religion. Toutefois, il a déclaré que cette « promesse » ne se traduisait pas dans les faits, que ce soit au sein de l'Église LDS ou de l'Église FLDS (voir le rapport d'expert de M. Cragun, au par. 73). Les membres de la communauté de Bountiful sont libres de travailler à l'extérieur de leur communauté et d'accepter d'être rémunérés. La preuve ne faisait pas état du nombre ou du pourcentage exact des membres travaillant pour des employeurs extérieurs. L'appelant a laissé entendre qu'il s'agissait de petits nombres ainsi que d'exceptions à la règle selon laquelle la plupart des membres travaillaient pour la société. Toutefois, la preuve a clairement montré que tous les membres de la communauté ne travaillaient pas pour la société ou pour d'autres sociétés établies à Bountiful, et qu'il n'existait aucune exigence en ce sens; exception faite de la pratique de la dîme, les salaires gagnés appartenaient aux membres, et non à la communauté; les membres étaient encouragés à verser à la communauté une dîme équivalant à 10 % de leur revenu personnel, mais cette pratique ne répondait qu'à une attente, et non à une exigence impérative; l'appelant encourageait ses enfants à faire du [TRADUCTION] « bon travail », non pas pour la communauté, mais pour les [TRADUCTION] « entreprises qui retenaient leurs services » (voir la pièce R‑6, sous l'onglet 121, page 3). Ces pratiques vont directement à l'encontre de celles des colonies huttérites, au sein desquelles les membres ne possèdent pas de biens, pas plus qu'ils ne reçoivent de salaires individuels, et où tout est mis en commun.

 

[299]   Monsieur Walsh était d'avis qu'il existait une exigence imposée aux membres de consacrer leur vie professionnelle aux activités de la congrégation. Pour étayer ses affirmations, il a déclaré que les principes fondamentaux de l'Église LDS exigeaient de ses membres qu'ils bâtissent ensemble une communauté sainte, que les saintes écritures mormones ordonnaient aux membres de la congrégation de fuir le monde et de se rassembler en un lieu sûr, et que la loi de consécration exigeait des membres qu'ils se consacrent eux‑mêmes ainsi que leur temps et leurs talents à bâtir le Royaume de Dieu, et qu'ils consacrent toute leur vie professionnelle à cette fin (voir le rapport d'expert de M. Walsh, aux pages 4 et 5, par. 5). M. Walsh a cité des extraits des doctrines et alliances du prophète, Joseph Smith, pour étayer son affirmation selon laquelle la loi de consécration constituait une doctrine et une pratique fondamentales du mormonisme, en application de laquelle on s'attendait des membres de la congrégation qu'ils consacrent toute leur vie à la congrégation et à l'organisme religieux mondial (voir le rapport d'expert de M. Walsh, aux pages 19 et 20, par. 37 et 38).

 

[300]   Bien que M. Cragun ait souscrit à l'opinion de M. Walsh selon laquelle la loi de consécration faisait partie d'une cérémonie célébrée au temple qui avait été introduite par Joseph Smith Jr., il a déclaré que peu de mormons pratiquaient la loi de consécration, ou étaient soumis à une exigence selon laquelle ils devaient observer cette loi. En outre, la mise en oeuvre de la loi de consécration par l'Église FLDS, par le truchement du UEPT, n'était pas conforme à cette loi telle que Joseph Smith Jr. la prêchait.

 

[301]   Après examen des extraits des doctrines et alliances cités par M. Walsh, je ne suis toujours pas convaincue du fait que ces passages contiennent une exigence précise, comme le prévoit l'alinéa d). Ces passages ne sont pas particulièrement clairs, mais ils ne contiennent pas une exigence explicite selon laquelle les membres doivent consacrer leur vie professionnelle aux activités de la congrégation. Il se peut que la loi de consécration soit l'équivalent mormon de cette exigence, mais en dépit de l'opinion de M. Walsh, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un équivalent évident.

 

[302]   Au début de mon analyse de l'alinéa d) de la définition au paragraphe 143(4), j'ai fait référence à deux interprétations possibles. La seconde, correspondant à une approche plus libérale, conduirait à interpréter le verbe « exiger » de manière plus large, de telle sorte qu'il soulignerait l'existence d'une « attente générale » que les membres consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation. Cette approche est conforme à l'interprétation que l'appelant a adoptée.

 

[303]   Les observations de l'avocat de l'appelant relatives à l'alinéa d) étaient aussi indissociables de ses observations relatives à la question de savoir si les membres de la communauté de Bountiful vivent et travaillent ensemble, comme l'exige l'alinéa a). Les observations de l'appelant étaient donc réunies sous la forme d'une interprétation générale de ce que sont les « organismes communautaires »; il n'était pas question d'une interprétation et d'une application distinctes des alinéas a) et b).

 

[304]   L'opinion de l'appelant, à laquelle on peut donner foi compte tenu du témoignage, est que les faits montraient que la plupart des membres travaillaient pour la société, ou qu'on s'attendait à ce qu'ils le fassent, et que, par conséquent, ils devaient consacrer leur vie professionnelle au sens de l'alinéa d). En outre, de nombreux témoins ont confirmé que les membres étaient préparés dès leur jeune âge à travailler pour la société. Si on adoptait une interprétation libérale de l'alinéa d), cette preuve factuelle suffirait pour conclure qu'en pratique, on s'attendait généralement à ce que les membres consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation.

 

[305]   Si les pratiques communautaires sont interprétées de cette manière, cela appuie aussi une conclusion selon laquelle la vie professionnelle des membres de la communauté est indissociable des activités de la société. Toutefois, la preuve n'établit pas clairement que les « activités de la société » comprennent les « activités de la congrégation ». C'est l'appelant, qui était aussi un des actionnaires de la société, qui dirigeait principalement, pour ne pas dire à lui seul, les activités de celle‑ci. Des preuves contradictoires ont été produites quant à la mesure dans laquelle la société était une « société communautaire ». En fait, des dividendes étaient déclarés et versés aux actionnaires, y compris à l'appelant. La seule preuve du fait que les dividendes étaient restitués à la société était le témoignage de l'appelant selon lequel ils étaient [TRADUCTION] « réinjectés » dans la communauté de Bountiful. Aucune autre preuve n'est venue corroborer les déclarations de l'appelant. La preuve a donné à penser que les enfants, qui travaillaient l'été pour la société, étaient payés par chèque, mais qu'ils encaissaient ensuite ce chèque et rendaient la majeure partie de l'argent à l'appelant. Une partie de la preuve donnait à penser, par conséquent, que, bien qu'on se soit attendu des membres de la communauté de Bountiful qu'ils consacrent leur vie professionnelle à la communauté, on pourrait soutenir que leurs efforts ne contribuaient qu'aux activités de la société, et non aux « activités de la congrégation », comme l'exige l'alinéa d).

 

[306]   Mon refus d'adopter une interprétation plus libérale à l'égard de l'alinéa d) est conforme à l'approche restrictive que j'ai adoptée pour mon analyse des alinéas a), b) et c), les trois premières composantes de la définition de « congrégation ». Par exemple, si la composante a) de la définition (« vivent et travaillent ensemble ») signifie que les membres doivent vivre et travailler tous près les uns des autres, alors, conformément à cette approche interprétative restrictive, la composante d) doit signifier que les membres consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation dans un sens plus direct, quotidien et permanent, par opposition à une attente générale qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation dans un sens plus général.

 

[307]   Bien que les membres aient été, en fait, encouragés à travailler ou à faire leurs études secondaires à l'extérieur de la communauté, on s'attendait de manière générale à ce que toute personne faisant partie de la communauté consacre une partie de sa vie professionnelle aux activités de la communauté en participant aux activités de la société. Toutefois, il ressort du libellé de la composante d) qu'une telle exigence doit être explicite et permanente. L'exemple des huttérites, comme l'illustraient bien leurs statuts constitutifs et les faits cités dans les décisions Wipf, confirme cette approche interprétative.

 

[308]   En l'espèce, les faits n'appuient pas l'existence d'une exigence explicite, qui serait imposée par la congrégation, que ce soit au sein de la communauté de Bountiful elle‑même, de l'Église LDS, de l'Église FLDS ou du mormonisme en général, selon laquelle les membres devraient consacrer leur vie professionnelle aux activités de la communauté. Bien que deux des experts, MM. Cragun et Walsh, soient en désaccord sur ce point, je préfère l'opinion d'expert de M. Cragun à celle de M. Walsh. Ce dernier n'identifie pas une bonne partie des sources sur lesquelles il fonde son opinion, et je ne souscris pas à son analyse du contenu des passages des doctrines et alliances de Joseph Smith Jr.

 

[309]   En interprétant la composante d) selon l'approche plus restrictive, et notamment le verbe « exige », je conclus qu'il n'est pas formellement exigé des membres de la communauté de Bountiful qu'ils consacrent leur vie professionnelle aux activités de la congrégation. Il se peut qu'on s'attende de manière informelle à ce que les membres consacrent généralement leur vie professionnelle aux activités de la communauté, mais il n'existe aucune exigence explicite en ce sens.

 

LES PÉNALITÉS

 

[310]   Des pénalités pour faute lourde de 148 983 $ ont également été imposées à l'appelant en application du paragraphe 163(2) de la Loi à l'égard des années d'imposition 2000, 2001, 2002 et 2003.

 

[311]   Contrairement aux autres questions en litige en l'espèce, à l'égard desquelles le fardeau de la preuve incombe à l'appelant, il incombe au ministre de prouver que la preuve à l'appui de l'imposition de pénalités l'emporte sur la preuve militant contre l'imposition de ces pénalités.

 

[312]   Contrairement à l'article 143, il existe une jurisprudence abondante à l'égard de l'imposition de pénalités pour faute lourde au titre du paragraphe 163(2).

 

[313]   Dans la décision Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. no 314 (QL) (C.F. 1re inst.), le juge Strayer a formulé les commentaires suivants à l'égard du terme « faute lourde » :

 

[...] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. [...]

 

[314]   L'application de pénalités pour faute lourde est une question de fait. Un certain nombre de facteurs ont été définis dans la jurisprudence, lesquels, bien qu'ils ne constituent pas une liste exhaustive, peuvent tenir lieu de lignes directrices pour établir s'il convient d'imposer des pénalités pour faute lourde dans les circonstances de l'espèce. Parmi ces facteurs, on trouve le niveau d'instruction du contribuable, ses antécédents, son intelligence apparente, l'importance de l'omission relative au revenu déclaré et la faculté de découvrir l'erreur. Au paragraphe 11 de la décision DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, le juge en chef Bowman (tel était alors son titre), s'est ainsi exprimé :

 

[...] Il n'existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu'il convient dans le contexte de l'ensemble de la preuve.

 

[315]   Quand un contribuable interjette appel à l'égard des pénalités qui lui ont été imposées au titre du paragraphe 163(2), le ministre doit établir ce qui suit :

 

a)       l'appelant a fait un faux énoncé ou une omission dans les déclarations;

 

b)      l'appelant a fait le faux énoncé ou l'omission sciemment, ou les circonstances étaient telles qu'il aurait dû le savoir; il ne s'agissait pas d'un simple oubli ou d'une mauvaise compréhension de la loi.

 

Étant donné que cette disposition est de nature pénale, quand on applique le critère décrit ci-dessus à la preuve, si la conduite du contribuable concorde avec deux explications raisonnables, l'une justifiant l'imposition de pénalités et l'autre non, il faudrait alors accorder le bénéfice du doute au contribuable et supprimer les pénalités.

 

[316]   Tant l'appelant que l'intimée se sont fondés sur un argument du « tout ou rien » à l'égard de la question des pénalités. L'appelant a laissé entendre que les pénalités [TRADUCTION] « disparaîtraient » simplement si la communauté avait gain de cause et tombait sous le coup de la définition de « congrégation » énoncée au paragraphe 143(4). L'intimée a allégué que le faux énoncé ou l'omission était le fait que l'appelant avait reçu des paiements de la société, alors qu'il dirigeait les finances de celle‑ci, et que ces paiements étaient bien supérieurs aux revenus qu'il a déclarés. L'intimée a fait valoir que, vu que l'appelant n'avait pas contesté le montant de la dette fiscale calculée à son endroit, mais qu'il avait plutôt affirmé que cette dette devrait être assumée par tous les membres de la communauté, il lui est interdit de remettre ces pénalités en cause, lesquelles découlaient de son omission de déclarer comme il se devait son revenu et ses avantages à titre d'actionnaire. L'intimée a également fait valoir que l'argument de l'appelant, selon lequel les revenus et les prestations devraient être distribués entre les membres de la communauté par le truchement d'une fiducie prétendue, comme le prévoit l'article 143, ne constitue pas une explication crédible du fait que l'appelant a omis de déclarer ces montants comme il se devait.

 

[317]   Le fardeau de la preuve incombe à l'intimée, mais l'approche que cette dernière a adoptée n'est pas conforme à l'application correcte du critère à deux volets relatif aux pénalités, lequel a été décrit plus tôt. Bien que l'intimée ait produit des éléments de preuve à l'égard de la première partie du critère relatif à l'imposition de pénalités, à savoir l'existence d'un faux énoncé ou d'une omission dans les déclarations de l'appelant, au lieu d'aborder directement la seconde partie du critère, l'intimée a simplement, et à tort, prétendu que l'appelant ne pouvait pas remettre en cause ces pénalités parce qu'il n'avait pas remis en cause la dette fiscale sous-jacente qui avait été calculée à son endroit.

 

[318]   Bien que les observations de l'intimée relatives à cette question ne s'alignent pas explicitement sur le critère juridique que j'ai décrit, l'intimée a fourni des faits pertinents satisfaisant aux deux volets du critère. La preuve a établi que l'appelant était l'âme dirigeante de la société, qu'il en dirigeait les finances, qu'il était le seul actionnaire à être autorisé à signer seul des chèques et qu'il avait les livres et les registres de la société. Par conséquent, l'appelant savait, ou était dans une position telle qu'il aurait dû savoir, qu'il recevait des paiements de la société, lesquels étaient sensiblement supérieurs aux revenus qu'il avait déclarés au fisc. La participation de l'appelant aux activités de la société et la connaissance que l'appelant avait de ces activités m'amènent à conclure que celui‑ci a fait un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 2000 à 2003, comme le montre l'écart significatif entre les revenus et les paiements non déclarés d'une part et le revenu déclaré d'autre part.

 

[319]   L'appelant savait‑il qu'il avait fait de faux énoncés ou des omissions dans ses déclarations ou existe‑t‑il des circonstances permettant de conclure qu'il aurait dû le savoir? Bien qu'il n'y ait pas de preuve directe qui m'amènerait à conclure que l'appelant a sciemment fait ces faux énoncés ou omissions dans ses déclarations, il y a de nombreux éléments de preuve qui étayent ma conclusion selon laquelle il aurait dû savoir qu'il faisait de fausses déclarations à l'égard de ses revenus. En outre, une partie de la preuve pourrait conduire à une conclusion selon laquelle l'appelant avait l'intention apparente de dissimuler des faits relatifs à ses impôts. L'appelant était responsable des activités de la société et prenait les décisions finales sur les questions touchant celle‑ci. L'appelant était conscient du fait que la société finançait ses dépenses personnelles. Il a déclaré qu'il fournissait des cartes de crédit de la société aux membres de la communauté et à sa famille. C'est la société qui payait le solde de ces cartes de crédit. Il a examiné ses déclarations de revenus avant de les produire. Il est raisonnable de s'attendre à ce que l'appelant ait un certain niveau de compétence en matière fiscale et qu'il soit capable de traiter correctement des questions fiscales, vu son rôle d'âme dirigeante des entreprises de la société et de chef de la communauté de Bountiful. Les livres et les registres de la société étaient tenus dans un bureau fermé à clé et seul l'appelant y avait accès. Il est ressorti du témoignage de Marlene Palmer que l'appelant n'avait pas voulu communiquer avec les fonctionnaires de l'ARC au cours de la vérification. Aussi, toujours d'après le témoignage de celle‑ci, l'appelant a refusé d'accepter sa suggestion que la communauté s'organise convenablement comme un organisme religieux. Elle a attribué le refus de l'appelant au fait que celui‑ci ne voulait pas divulguer d'informations au sujet des montants qu'il recevait de la société.

 

[320]   L'appelant ne prétend pas qu'il n'a jamais reçu les revenus et les prestations non déclarés de la société, mais plutôt qu'il a reçu ces montants en sa qualité de bénéficiaire de la congrégation, et non en tant qu'employé ou actionnaire de la société (voir l'avis d'appel modifié une troisième fois, au par. 72). Selon l'avocat de l'appelant, quand ce dernier a produit ses déclarations, il n'était pas au courant de l'existence de l'article 143. L'appelant a expressément abordé la question dans son témoignage :

 

[TRADUCTION]

 

Q.        Et donc, quand avez‑vous pour la première fois entendu parler de cette disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu?

 

R.        Quand je suis venu à Vancouver et que j'ai parlé avec vous au sujet de mes appels.

 

Q.        Donc après l'établissement des nouvelles cotisations?

 

R.        Oui.

 

Q.        Ainsi, un des effets de l'article 143 consiste à superposer une fiducie. Je comprends donc que vous n'avez jamais produit de déclaration au nom de cette fiducie réputée?

 

R.        Non, effectivement.

 

Q.        Et après que vous avez entendu parler de l'article 143? Cette fiducie réputée a‑t‑elle produit une déclaration après cela?

 

R.        Nous avons produit, pas une déclaration mais la clause des dix ans — que nous formions une congrégation. Quelque chose de cet ordre.

 

Q.        C'était un choix?

 

R.        Oui. Nous avons soumis un choix, deux choix en fait, je pense.

 

(Transcription, interrogatoire principal de Winston Blackmore, aux pages 58 et 59.)

 

Si l'appelant avait produit ses déclarations en partant du principe que sa situation personnelle, tout comme celle de la communauté de Bountiful, tombait sous le coup de l'article 143, j'aurais alors pu adopter une approche différente en ce qui concerne l'imposition de pénalités en l'espèce.

 

[321]   L'avocat de l'appelant a fait valoir que, si son client avait gain de cause en prétendant que la communauté de Bountiful pouvait tomber sous le coup de l'article 143, les sommes qui ont été incluses dans les nouvelles cotisations [TRADUCTION] « disparaîtraient » alors, et, par conséquent, les pénalités également. L'avocat de l'appelant a aussi allégué que, vu que les cotisations étaient erronées en droit, on ne devrait pas imposer de pénalités, et que celles‑ci étaient [TRADUCTION] « simplistes et injustifiées » (voir les observations écrites de l'appelant, au par. 336). L'appelant n'a invoqué aucun autre moyen de défense à l'encontre de l'imposition de pénalités. Les arguments de l'appelant relatifs à l'article 143 n'ont pas porté leurs fruits et cela lui laisse très peu de marge de manoeuvre pour expliquer pourquoi il a rempli ses déclarations comme il l'a fait. Par exemple, aucune preuve n'a été produite à l'égard d'une tentative de l'appelant de communiquer avec l'ARC au sujet de sa position particulière. Dans la décision Therrien c. La Reine, 2002 CanLII 781 (C.C.I.), la conduite de l'appelant a été qualifiée de téméraire et d'imprudente, mais, vu qu'il avait entrepris des démarches pour vérifier la légitimité du plan dans lequel il s'était engagé, le juge Tardif a conclu que l'imposition de pénalités pour faute lourde ne s'imposait pas, parce que le comportement de l'appelant n'était pas tel qu'il constituait une faute lourde.

 

[322]   Le fait qu'un contribuable n'obtienne pas suffisamment de conseils lorsqu'il est possible que sa position fiscale soit précaire, voire frauduleuse, constitue un facteur permettant d'établir le degré de négligence dont le contribuable a fait preuve (voir la décision Chénard c. La Reine, 2012 CCI 211). À un certain moment dans son témoignage, quand on l'a interrogé au sujet d'un dividende particulier que la société lui avait versé, l'appelant a répondu de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

[...] J'ai toujours confié mes finances à un cabinet comptable. J'ai agi sur la foi de leur recommandation, et je ne me souviens pas d'où cette recommandation venait.

 

(Transcription, interrogatoire principal de Winston Blackmore, à la page 32.)

 

[323]   Il est intéressant de souligner que le pendant de la position de l'appelant relative aux pénalités est que, s'il n'a pas gain de cause quand il prétend que la communauté de Bountiful peut tomber sous le coup de l'article 143, les montants calculés dans les nouvelles cotisations seront confirmés, tout comme les pénalités. L'appelant n'avait pas d'autre explication à fournir au sujet des écarts entre les montants déclarés et les montants calculés dans les nouvelles cotisations. Ainsi, il n'y a « aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée » (voir la décision Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, [1994] A.C.I. no 760 (QL)).

 

[324]   En tant que personne responsable des activités quotidiennes de la société qui lui versait des paiements, l'appelant aurait dû savoir que de faux énoncés ou des omissions avaient été faits dans ses déclarations. Il savait que des paiements lui avaient été versés, parce qu'il était l'âme dirigeante de la société et qu'il était le seul actionnaire à pouvoir signer des chèques sans qu'un autre actionnaire les signe également. On peut en déduire que c'est lui qui a ordonné que ces sommes soient payées. Il avait les livres et les registres de la société, et il est ressorti de la preuve qu'il était la seule personne à y avoir accès. Les écarts constatés pour chacune des années d'imposition en cause entre les montants déclarés par l'appelant et les montants calculés dans les nouvelles cotisations sont considérables. Aucune explication n'a été fournie au sujet de ces déclarations inexactes. Bien que l'appelant ait déclaré des revenus imposables de 20 915 $, de 31 578 $, de 44 424 $ et de 19 677 $ respectivement pour les années d'imposition 2000, 2001, 2002 et 2003, on a calculé que ses avantages conférés à l'actionnaire s'étaient élevés à 277 395 $, à 527 751 $, à 235 537 $ et à 174 111 $ respectivement pour ces mêmes années, et que l'appelant avait également touché des revenus d'emploi additionnels au sens de l'article 5 de la Loi de 25 467 $ pour l'année d'imposition 2002 et de 40 953 $ pour l'année d'imposition 2003, et des avantages au sens de l'alinéa 6(1)a) de la Loi s'élevant à 241 526 $ pour l'année d'imposition 2003. Bien que la société ait employé un comptable externe, celui‑ci n'a pas comparu à l'audience, mais il semble ressortir de la preuve que l'appelant décidait quelles informations étaient fournies au comptable. Comme le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) l'a déclaré dans la décision DeCosta, au paragraphe 12 :

 

[...] je ne crois pas que l'on peut dire que l'appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l'omission d'un montant qui représente presque le double du montant qu'il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au‑delà du simple manque d'attention.

 

[325]   Le terme « aveuglement volontaire » a également été employé pour décrire des circonstances équivalant à une faute lourde. Se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Procureur général du Canada c. Villeneuve, 2004 CAF 20, le juge Favreau, au paragraphe 20 de la décision Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, a formulé les commentaires suivants au sujet de l'« aveuglement volontaire » :

 

Depuis l'arrêt Villeneuve, la question ne se limite plus à déterminer si un contribuable avait connaissance de la négligence du spécialiste et s'il a fait preuve d'indifférence, mais comprend également le cas où il s'en est remis aveuglément au préparateur pour ses affaires. En l'espèce, même si l'appelante n'avait pas une connaissance délibérée et intentionnelle des erreurs de madame Tremblay, elle a tout de même fait preuve d'aveuglement volontaire.

 

L'appelant aurait dû savoir que le fait de faire fi des différences énormes entre le revenu et les paiements déclarés et le montant des paiements calculés, comprises entre 884 % et 1 326 % sur une période de plusieurs années, entraînerait des conséquences fiscales. Il s'agit du type d'« attitude cavalière » dont il a été question dans la décision DeCosta. C'est un comportement qui traduit une indifférence au respect de la loi. L'appelant dirigeait une communauté et une société qui menait des activités commerciales dans un certain nombre d'endroits en Colombie‑Britannique, en Alberta et aux États‑Unis. Toutefois, même s'il n'avait pas de tels antécédents en matière d'affaires, je n'en conclurais pas moins que, du fait du montant astronomique des revenus et des paiements non déclarés, l'appelant s'est rendu coupable de faute lourde en ne déclarant pas ces montants pendant des années. Par conséquent, je dois conclure que les gestes posés par l'appelant allaient au‑delà de la simple négligence et qu'il a sciemment fait des déclarations trompeuses à l'égard de la véritable situation des activités de la société, de telle sorte qu'il est justifié de lui imposer des pénalités pour faute lourde.

 

CONCLUSION

 

[326]   Les présents appels ont soulevé des questions de droit et de fait uniques et inédites.

 

[327]   Les questions en litige tournaient autour de l'article 143 de la Loi, qui prévoit un régime fiscal particulier pour les congrégations religieuses communautaires qui fonctionnent selon des normes culturelles et avec des règles relatives à la propriété des biens distinctes de celles du reste de la société.

 

[328]   Pour se prévaloir de ce régime fiscal, une communauté doit satisfaire aux quatre critères énoncés dans la définition de « congrégation » que le législateur a énoncée. Toute communauté qui satisfait à ces quatre critères peut demander à bénéficier de ce régime particulier.

 

[329]   Je conclus que la communauté de Bountiful ne satisfait à aucun des quatre critères, en dépit des arguments novateurs et incitant à la réflexion que l'avocat de l'appelant a présentés.

 

[330]   Même si l'appelant avait réussi à satisfaire aux quatre critères, il n'est pas parvenu à expliquer comment la disposition s'appliquerait à la communauté de Bountiful, autrement dit, qui pourrait être admissible à titre de membre de la congrégation à la fin de chaque année d'imposition. Cela revient à la question de savoir qui est membre de la communauté et qui ne l'est pas à l'égard de chaque année d'imposition, afin de définir le groupe auquel il serait possible d'appliquer le régime fiscal en cause.

 

[331]   En ce qui a trait aux pénalités, je conclus que l'intimée s'est déchargée du fardeau qui lui incombait et que l'appelant a commis une faute lourde, et, par conséquent, qu'il est responsable du paiement des pénalités qui lui ont été imposées. L'appelant n'a pas eu gain de cause en l'espèce, et il n'a donné que peu de raisons pour expliquer l'inexactitude flagrante des déclarations de revenus qu'il a produites à l'égard de plusieurs années successives.

 

[332]   Pour finir, je tiens à remercier les avocats pour le soin évident avec lequel ils ont préparé ces appels. Tout au long de leur argumentation, il était évident qu'ils connaissaient les concepts et les principes religieux uniques en cause en l'espèce. Je félicite également les avocats des deux parties pour leur professionnalisme à l'égard des fonctionnaires de la Cour, des médias et les uns envers les autres.

 

[333]   Enfin, je remercie les représentants des médias de s'être conformés aux règles que j'ai établies au début de l'instruction à l'égard de leur présence dans ma salle d'audience.

 

[334]   Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 et 2006 sont rejetés.

 

[335]   Les parties disposent de 60 jours à compter de la date des présents motifs pour présenter des observations écrites sur les dépens, si elles ne parviennent pas par ailleurs à une entente.

 

Signé à Summerside (Île‑du-Prince‑Édouard), ce 21e jour d'août 2013.

 

 

« Diane Campbell »

La juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de février 2014.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 264

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2008-101(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Winston Blackmore c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

                                                         

DATES DE L'AUDIENCE :             Les 23, 24, 25, 26, 30 et 31 janvier, les 1er, 2, 6, 7, 8, 9, 10, 27, 28 et 29 février, les 1er et 2 mars et les 2, 3 et 4 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L'honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 21 août 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me David R. Davies

Me Natasha S. Reid

Avocats de l'intimée :

Me Lynn M. Burch

Me David Everett

Me Selena Sit

Me Zachary Froese

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

Nom :                David R. Davies

 

Cabinet :           Thorsteinssons

                                       Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

          Pour l'intimée :     William F. Pentney

                                       Sous‑procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

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