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Dossier : 2017-2758(IT)G

ENTRE :

ANDRÉ MORISSETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Requête en radiation entendue le 10 septembre 2018,
à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Serge Fournier

Avocat de l'intimée :

Me Simon Petit

 

ORDONNANCE

  La Cour ordonne que la requête de l’intimée, demandant la radiation de l’avis d’appel en vertu des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), DORS/90‑688a, est rejetée avec dépens.

  La Cour ordonne de plus que l’appelant a trente (30) jours pour signifier et déposer un avis d’appel modifié, s’il le veut, pour plaider dans l’alternative, son choix de traiter le dividende en question, comme dividende imposable distinct. Si l’appelant choisit de déposer un avis d’appel amendé, l’intimée a trente (30) jours pour signifier et déposer une réponse modifiée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2019.

« Guy R. Smith »

Juge Smith

 


Référence : 2019 CCI 103

Date : 20190509

Dossier : 2017-2758(IT)G

ENTRE :

ANDRÉ MORISSETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Smith

I. Aperçu

[1]  L’intimée a déposé une requête en radiation de l’avis d’appel au motif qu’il est frivole et vexatoire et constitue un recours abusif au sens des alinéas 53(1)(c) et (d) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), DORS/90‑688a (les « Règles »). L’appelant s’oppose à la requête.

[2]  La question au cœur du litige est à savoir si le montant versé à l’appelant par des sociétés liées, est un dividende en capital, et donc libre d’impôt, ou un montant imposable à titre de dividende distinct.

[3]  Les faits essentiels, tels qu’étayés dans l’avis d’appel, sont les suivants :

a.  La société 9102-1600 (ci-après « 9102 ») est constituée le 16 mars 2001. L’appelant détient 100 % des actions privilégiés et la Fiducie Familiale André Morissette détient 100 % des actions ordinaires;

b.  La société 9158-7147 Québec Inc. (ci‑après « 9158 ») est constituée le 15 juillet 2005 comme filiale de 9102 qui détient 100 % des actions émises;

c.  Le 1er février 2006, 9102 souscrit à une police d’assurance‑vie universelle et conjointe sur la vie de l’appelant et de monsieur Conrad Morissette, père de l’appelant. 9158 est bénéficiaire de la police;

d.  Le père de l’appelant est décédé le 5 mai 2011 ;

e.  Suite au décès, la société 9158 encaisse un chèque de la compagnie d’assurance AIG au montant de 485 447 $, qui est inclus dans son compte de dividende en capital (« CDC »);

f.  Subséquemment, soit le 21 juin 2011, 9158 déclare et verse un dividende de 485 447 $ à 9102, qu’elle déclare être versé à même son CDC;

g.  9102 ajoute le montant reçu à son CDC et, le 21 juin 2011, verse la totalité du solde de son CDC, soit la somme de 554 552 $ à l’appelant, laquelle incluait le montant de 485 447 $ versé par 9158 à 9102.

[4]  Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée nie que le montant de 485 447 $ a été versé suite au décès du père de l’appelant, nie que 9158 pouvait ajouter ce montant à son CDC et donc verser un dividende en capital à 9102, et conséquemment, nie que 9102 pouvait verser la somme de 485 447 $ comme dividende en capital à l’appelant.

[5]  Au stade de la vérification, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a maintenu, inter alia, qu’une portion du dividende versé à l’appelant, soit la somme de 485 447 $, constituait un dividende excédentaire sujet à l’impôt de la Partie III de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), traitant de l’impôt supplémentaire sur les excédents résultant d’un choix.

[6]  Toutefois, la somme de 485 447 $ n’a pas été cotisée comme un dividende excédentaire puisque, selon le Ministre, 9158 a fait un choix en vertu du paragraphe 184(3) de la Loi de désigner le dividende versé à 9102 comme dividende imposable distinct. De même, 9102 a fait un choix en vertu du paragraphe précité afin de désigner la somme de 485 447 $ (inclus dans le dividende de 554 662 $) versé à l’appelant, comme dividende imposable distinct. Les actionnaires ont aussi consenti au choix.

[7]  Par la suite, soit le 22 octobre 2015, le Ministre a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2011 afin d’imposer l’appelant pour le montant de 485 447 $, reçu de 9102, comme dividende imposable distinct.

[8]  L’appelant s’est opposé à la cotisation, indiquant qu’il s’agissait néanmoins d’un dividende en capital. Le Ministre a maintenu la cotisation, indiquant qu’elle relevait du choix effectué par 9102 en vertu du paragraphe 184(3).

II. Prétentions des parties

A. Les prétentions de l’intimée

[9]  Dans la cadre de la requête, l’intimée maintient que 9158 a effectué un choix en vertu du paragraphe 184(3) afin de désigner le dividende de 485 447 $ versé en faveur de 9102 comme dividende imposable distinct et que 9102 a entériné ce choix à titre d’actionnaire. De même, l’intimée maintient que 9102 a aussi effectué un choix afin de désigner le même montant comme dividende imposable distinct et que l’appelant a entériné ce choix à titre d’actionnaire.

[10]  Selon l’intimé, le choix effectué en vertu du paragraphe 184(3) a comme objectif d’éviter l’application de l’impôt de la Partie III et que « la contrepartie de ce choix (...) est l’imposition du dividende dans les mains de l’appelant ».

[11]  L’intimée indique que « 9158 aurait pu choisir d’en appeler d’une cotisation éventuelle de l’impôt de la Partie III de la LIR et donc de contester la qualification projetée du dividende ». La société a choisi « une autre avenue avec l’assentiment de l’appelant » et donc le Ministre devait établir la cotisation.

[12]  Pour reprendre les arguments de l’intimée, « l’imposition de ce dividende est le résultat inéluctable de l’exercice par 9102, et de sa filiale en propriété exclusive 9158, du choix de considérer le montant de 485 447 $ comme dividende imposable distinct ».

[13]  L’intimée ajoute finalement que les choix effectués par 9158 et 9102 en vertu du paragraphe 184(3) ne sont pas étayés dans l’avis d’appel et que l’appelant tente « d’escamoter la réalité (...) dans le but apparent d’obtenir un jugement déclaratoire quant à la nature du dividende », ce que cette Cour ne peut rendre.

[14]  Dans le cadre de cette requête, l’intimée maintient que l’avis d’appel ne présente aucun véritable moyen de contestation, qu’il s’agit d’une procédure vouée à l’échec et qu’il est donc frivole et vexatoire et constitue un recours abusif à la Cour.

B. Les prétentions de l’appelant

[15]  L’appelant maintient qu’en déposant la documentation pour effectuer le soi-disant choix et de désigner le dividende en question comme dividende imposable distinct, il cherchait à éviter l’impôt de la Partie III sur un dividende excédentaire, sans toutefois renoncer à son droit de contester la prétention du ministre qu’il s’agissait d’un dividende excédentaire, pour ensuite établir qu’il s’agissait bel et bien d’un dividende en capital versé à même le CDC de 9158 et de 9102.

[16]  L’appelant prétend qu’il y a maintenant une politique administrative connue comme la « méthode abrégée » (ou « Short‑Cut Method ») qui n’était pas établie en 2015, et qui permet à un contribuable de faire le choix en vertu du paragraphe 184(3), lequel est gardé en suspens en attendant une résolution du litige. Si la Cour conclut qu’il s’agit d’un dividende en capital, le formulaire est retiré. Mais si, au contraire, la Cour conclut qu’il s’agit d’un dividende excédentaire, le ministre peut traiter le versement comme un dividende distinct imposable en acceptant le formulaire tel quel.

[17]  Dans cette instance, l’appelant maintient qu’il n’y a aucune restriction quant à la possibilité de loger un appel malgré le choix en question.

[18]  Finalement, l’appelant maintient qu’il n’est pas possible de prétendre que l’avis d’appel est voué à l’échec dans un tel contexte et que la Cour doit se pencher sur la question de fonds et déterminer s’il s’agit d’un dividende en capital ou d’un dividende excédentaire. Il y a lieu, dans un deuxième temps, de revoir la nature du choix pour voir s’il a fait perdre à l’appelant ses droits.

III. Droits et dispositions législatives pertinentes

[19]  En vertu du paragraphe 83(2) de la Loi, une société privée peut faire un choix, « selon les modalités et le formulaire règlementaire » afin de désigner un dividende comme dividende en capital. Ce mécanisme permet notamment le transfert, de la société à l’actionnaire, de la fraction non-taxable d’un gain en capital.

[20]  Le montant versé à l’actionnaire résidant au Canada est alors reçu libre d’impôt, c’est‑à‑dire, qu’aucune partie du montant « n’est incluse dans le calcul du revenu » de l’actionnaire. Le paragraphe 83(2) prévoit ce qui suit :

83(2) Dividende en capital — Lorsque, à un moment donné après 1971, un dividende devient payable par une société privée aux actionnaires d’une catégorie quelconque d’actions de son capital-actions et que la société fait un choix relativement au montant total du dividende, selon les modalités et le formulaire réglementaires, au plus tard au premier en date du moment donné et du premier jour où une partie du dividende a été payée, les règles suivantes s’appliquent :

(a) le dividende est réputé être un dividende en capital jusqu’à concurrence du montant du compte de dividendes en capital de la société immédiatement avant le moment donné;

b) aucune partie du dividende n’est incluse dans le calcul du revenu des actionnaires de la société.

[21]  Tel que le précise l’alinéa 83(2)(a), la société peut verser le dividende en capital jusqu’à concurrence de son compte en capital (ou CDC, tel qu’indiqué ci‑haut) qui tient compte de différents montants accumulés par la société.

[22]  Cependant, si le dividende en capital versé excède le solde du CDC de la société, celle-ci peut être tenue de payer un impôt égal à 60 % de l’excédent en application du paragraphe 184(2), qui prévoit ce qui suit :

184(2) Impôt sur les excédents résultant d’un choix — La société qui fait un choix en vertu du paragraphe 83(2), 130.1(4) ou 131(1) relativement au montant total d’un dividende payable par elle sur des actions d’une catégorie de son capital-actions (appelé « dividende initial » au présent article) doit payer, au moment du choix, un impôt en vertu de la présente partie égal aux 3/5 de l’excédent du montant total du dividende initial sur la partie de celui-ci qui est réputée, par ce paragraphe, être un dividende en capital ou un dividende sur les gains en capital.

[23]  Afin d’éviter l’impôt supplémentaire, la société peut se prévaloir du mécanisme prévu par le paragraphe 184(3) :

184(3) Choix de considérer l’excédent comme un dividende distinct — Dans le cas où une société serait tenue, en l’absence du présent paragraphe, de payer, en vertu de la présente partie, à l’égard d’un dividende initial payable à un moment donné, un impôt au titre de l’excédent visé au paragraphe (2), les règles ci-après s’appliquent si la société en fait le choix selon les modalités réglementaires au plus tard le quatre-vingt-dixième jour suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation relatif à l’impôt payable par ailleurs en vertu de la présente partie :

a) la partie du dividende initial qui est réputée, par le paragraphe 83(2), 130.1(4) ou 131(1), être un dividende en capital ou un dividende sur les gains en capital, selon le cas, est réputée, pour l’application de la présente loi, être un dividende distinct qui est devenu payable au moment donné;

b) la partie de l’excédent que la société a désignée dans son choix est réputée, pour l’application d’un choix concernant cette partie fait en vertu du paragraphe 83(2), 130.1(4) ou 131(1), et, si la société fait un tel choix, pour l’application de la présente loi, être un dividende distinct qui est devenu payable immédiatement après le moment donné;

c) la partie de l’excédent qui excède la partie réputée, par l’alinéa b), être un dividende distinct pour l’application de la présente loi est réputée être un dividende imposable distinct qui est devenu payable au moment donné;

d) chacune des personnes qui détenaient des actions émises de la catégorie d’actions du capital-actions de la société sur laquelle le dividende initial a été versé est réputée :

(i) n’avoir reçu aucune partie du dividende initial,

(ii) avoir reçu, au moment où un dividende distinct déterminé selon l’un des alinéas a) à c) est devenu payable, la proportion de ce dividende que représente le rapport entre le nombre d’actions de cette catégorie qu’elle détenait au moment donné et le nombre d’actions de cette catégorie qui étaient en circulation à ce moment; toutefois, pour l’application de la partie XIII, le dividende distinct est réputé être versé le jour où le choix prévu au présent paragraphe est fait.

[24]  Tel qu’indiqué au début, l’intimée s’appuie sur l’article 53 des Règles, qui prévoit ce qui suit :

Radiation d’un acte de procédure ou d’un autre document

53 (1) La Cour peut, de son propre chef ou à la demande d’une partie, radier un acte de procédure ou tout autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document :

a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel;

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

c) constitue un recours abusif à la Cour;

[...]

IV. Analyse

[25]  Tel qu’indiqué ci-haut, dans le contexte de cette requête, la question est de déterminer si l’avis d’appel constitue un recours « scandaleux, frivole ou vexatoire » au sens du paragraphe 53(1)(b) ou « un recours abusif » au sens de l’alinéa 53(1)(c) des Règles.

[26]  Cette disposition et notamment la nature d’une requête en radiation a été examinée dans la décision Gramiak c. La Reine, 2013 CCI 383 (confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2015 CAF 40) ou le juge en chef Rossiter y a indiqué ce qui suit :

[30]  Le critère du caractère « évident et manifeste » est reconnu de façon générale et depuis longtemps dans la jurisprudence canadienne comme celui qui s’applique aux requêtes en radiation. Dans la décision Sentinel Hill Productions (1999) Corporation, Robert Strother v. The Queen, 2007 TCC 742, le juge en chef Bowman a fait un survol utile des principes qui régissent l’application de l’article 53 des Règles :

[TRADUCTION]

[4] J’énoncerai en premier lieu les principes qui, selon moi, doivent s’appliquer dans une requête en radiation fondée sur l’article 53 des Règles. La question a été examinée dans de nombreuses décisions de la Cour et de la Cour d’appel fédérale. Il n’est pas nécessaire de les citer toutes étant donné que les principes sont bien établis.

a) Les faits allégués dans l’acte de procédure contesté doivent être considérés comme exacts sous réserve des limites énoncées dans l’arrêt Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 455. Il n’est pas loisible à la partie qui attaque un acte de procédure en vertu de l’article 53 des Règles de contester des assertions de fait.

b) Pour qu’un acte de procédure soit radié, en tout ou en partie, en vertu de l’article 53 des Règles, il doit être évident et manifeste que la position qui est prise n’a aucune chance de succès. Il s’agit d’un critère rigoureux, et il faut faire preuve d’énormément de prudence en exerçant le pouvoir conféré en matière de radiation d’un acte de procédure.

c) Le juge des requêtes doit éviter d’usurper les fonctions du juge du procès en tirant des conclusions de fait ou en se prononçant sur la pertinence. Il faut laisser de telles questions à l’appréciation du juge qui entend la preuve.

d) C’est l’article 53 des Règles, et non l’article 58, qu’il faut appliquer dans le cadre d’une requête en radiation.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Knight c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, la juge en chef McLachlin a écrit :

[...] La Cour a réitéré ce critère à maintes reprises : l’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle

De plus :

[...] Le juge saisi d’une requête en radiation se demande s’il existe une possibilité raisonnable que la demande soit accueillie. Dans le monde de la conjecture abstraite, il existe une probabilité mathématique qu’un certain nombre d’événements se produisent. Ce n’est pas ce que le critère applicable aux requêtes en radiation cherche à déterminer. Il suppose plutôt que la demande sera traitée de la manière habituelle dans le système judiciaire — un système fondé sur le débat contradictoire dans lequel les juges sont tenus d’appliquer le droit (et son évolution) énoncé dans les lois et la jurisprudence. Il s’agit de savoir si, dans le contexte du droit et du processus judiciaire, la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie.

[32]  Plus récemment, la Cour canadienne de l’impôt a appliqué le critère du caractère « évident et manifeste » dans la décision Canadian Imperial Bank of Commerce v. R., 2011 TCC 568.

[TRADUCTION]

Ce n’est que si la position adoptée dans la réponse est vouée à l’échec parce qu’elle est entachée d’un vice fondamental qu’il y a lieu de radier les parties pertinentes de la réponse de l’intimée.

[Je souligne.]

[27]  Après avoir examiné le critère qui s’applique aux requêtes en modification d’un acte de procédure, le juge en chef Rossiter a précisé que, « [p]ar contraste, le critère du caractère « évident et manifeste » que l’on applique à la radiation d’une requête est sensiblement plus élevé, plus strict, et les tribunaux ont statué qu’il n’y a lieu de radier un acte de procédure que dans les circonstances les plus exceptionnelles » (par. 35).

[28]  L’intimée cite la décision de Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 6, [2014] 1 RSC 87 (« Hryniak »), en appel d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario relativement à l’application d’une règle de procédure provinciale (la règle 20 en Ontario) portant sur un jugement sommaire. La Cour Suprême du Canada explique que les règles de procédure de toutes les provinces, à l’exception du Québec, prévoient un mécanisme pour un jugement sommaire et qu’en « règle générale, le tribunal peut rendre un jugement sommaire si aucune véritable question litigieuse ne requiert un procès » (par. 34).

[29]  Bien qu’il y a certainement des parallèles, notamment la notion de proportionnalité et d’accès à la justice, tel que mentionné dans la décision Hryniak (ou la décision Inwest Investments Ltd. c. La Reine, 2015 BCSC 1375, aussi citée par l’intimée), je ne suis pas convaincu que l’article 53 des Règles qui porte sur la radiation des plaidoiries est l’équivalent d’une règle permettant à la Cour de rendre un jugement sommaire. Je note par ailleurs que le paragraphe 171(1) de la Loi qui prévoit la juridiction de la Cour de statuer sur un appel en matière d’impôt, n’inclut pas implicitement ou explicitement la notion d’un « jugement sommaire ».

[30]  D’ailleurs la portée de Hryniak est nécessairement limitée puisque cette Cour a conclu à maintes reprises qu’il n’y a aucune disposition permettant un jugement sommaire. Dans la décision de Trustees of the Cockeram Family Trust v. The Queen, 2003 CCI 510, 2003 DTC 1201, la juge D. Campbell a indiqué ce qui suit :

[13]  Permettez-moi donc d'aborder la première question, quant à savoir s'il existe en fait des dispositions dans la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt ou dans les Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure générale) qui me permettraient d'accorder un jugement sommaire, ou l'équivalent d'un jugement sommaire, dans les circonstances de l'espèce.

[14]  Ni la Loi, ni les Règles, ne comportent de disposition permettant un jugement sommaire. Les appelants déclarent que le principe d'interprétation large des règles (article 4 des Règles) n'autorise à accorder la présente demande. L'article 171 de la Loi prescrit clairement la façon dont la Cour peut statuer sur un appel. L'article 171 est ainsi rédigé :

171.(1) Règlement d'un appel — La Cour canadienne de l'impôt peut statuer sur un appel :

a) en le rejetant,

b) en l'admettant et en :

(i)  annulant la cotisation,

(ii)  modifiant la cotisation,

(iii)  déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

[31]  L’intimée cite aussi la décision Telus Communications (Edmonton) Inc. c. Canada, 2005 CAF 159 (« Telus »), où la Cour d’appel fédérale a statué qu’un contribuable ne peut ajouter une cause d’action ou demander à la Cour canadienne de l’impôt de « trancher une question qui n’a pas été soulevée en bonne et due forme dans l’avis d’objection » (par. 17) ce qui soulevait une question de juridiction. Une requête en radiation en vertu de l’article 53 des Règles était donc recevable. (par. 24).

[32]  Dans cette instance, aucune information n’a été soumise quant au contenu de l’avis d’objection ou des circonstances selon lesquelles l’appelant aurait effectué le choix en vertu du paragraphe 184(3), ce qui semble limiter l’application de Telus dans le contexte de cette requête.

[33]  Je note par ailleurs que le paragraphe 184(3) de la Loi en question exige que le choix s’effectue «selon les modalités règlementaires» et que le sous‑alinéa 2601(a)(i) du Règlement de l’impôt sur le revenu (C.R.C., ch. 945), exige « une lettre indiquant que la société exerce un choix selon le paragraphe 184(3) de la Loi, à l’égard de ce dividende ». La Cour n’a pas connaissance du contenu de cette lettre ni de commentaires, s’il y a, qui pourraient élucider l’intention de la société, ce qui aurait une portée sur le choix de l’appelant dans cette instance.

[34]  L’intimée a aussi cité la décision de cette Cour dans Pintendre Autos Inc. c. Canada, 2003 CCI 818 (« Pintendre ») où la Couronne demandait « la radiation d’un avis d’appel » si la Cour arrivait à la conclusion qu’elle ne pouvait traiter d’une question relevant du Code Civil du Québec. Le juge Paris confirme que la Cour ne possède pas le pouvoir « de prononcer un jugement déclaratoire » et « peut seulement régler les appels relatif à l’impôt sur le revenu, de la manière prévue au paragraphe 171(1) » de la Loi (par. 43). Ayant conclu que l’avis d’appel ne révélait « aucun motif d’appel raisonnable » et qu’il n’avait « aucune chance de réussir », la requête en radiation a été accordée.

[35]  Est-ce que l’appelant dans cette instance demande un jugement déclaratoire? Je n’en suis pas convaincu. Tel qu’indiqué par le juge Paris dans Pintendre, citant la Cour d’appel fédérale dans A.G. Canada c. Webster, 2003 CAF 388, « la compétence de la Cour canadienne de l’impôt se limite à déterminer si une cotisation est bien fondée en droit ou non » (par. 37) et que « la cotisation est (...) la somme de tous les facteurs qui représente l’obligation fiscale, déterminés de façon diverse et permettant d’arriver à un total une fois que tous les calculs nécessaires ont été faits » (par. 35).

[36]  Il me semble apparent, à la face même de l’avis d’appel, que l’appelant conteste la cotisation du 22 octobre 2015 et que la Cour a la juridiction de déterminer si le choix effectué par l’appelant était valide et si finalement, le montant versé était un dividende en capital ou un dividende imposable distinct.

V. Conclusion

[37]  La problématique pour l’intimée est que le mécanisme prévu par le paragraphe 184(3) de la Loi présuppose l’envoi d’un avis de cotisation pour l’impôt supplémentaire en vertu du paragraphe 184(2). Le libellé du paragraphe indique « si la société a fait le choix selon les modalités règlementaires (...) suivant la date de l’envoi de l’avis de cotisation relatif à l’impôt payable par ailleurs en vertu de la présente partie (...) ». (Je souligne). Or, il semble évident que le Ministre n’a pas établi cette cotisation.

[38]  Il se peut que la pratique administrative identifiée ci-haut cherche à simplifier les étapes en donnant au contribuable un préavis quelconque, possiblement par le biais d’une lettre de proposition dans le cadre de la vérification, lui permettant d’effectuer le choix en question. Mais la Cour n’est pas lié par les pratiques administratives (Douziech c. La Reine, [2001] A.C.I. no 325, Bowie J.). La Cour ne peut donc pas faire abstraction d’une disposition législative qui exige que le Ministre ait établi une cotisation permettant ensuite au contribuable d’effectuer un choix. C’est le mécanisme prévu par la Loi.

[39]  Je note par ailleurs que la division 2106(a)(iv)(A) du Règlement 2106 précité, exige que le contribuable indique « la date de l’avis de cotisation de l’impôt qui, sans le choix, aurait été payable en vertu de la Partie III de la Loi ». Puisqu’il n’y a pas eu de cotisation au sens du paragraphe 184(3) de la Loi, la Cour peut présumer que cette information n’était pas disponible à l’appelant et n’a pas été incluse avec la documentation.

[40]  Il ne relève pas de la Cour, dans le contexte de cette requête, d’arriver à une conclusion quant à la validité du choix effectué par l’appelant et les sociétés 9102 et 9158, en vertu du paragraphe 184(3). Cependant, la Cour ne peut ignorer le texte même de la Loi tel que rédigé par le législateur : Douzieh, par. 5.

[41]  Pour reprendre la citation du juge en chef Rossiter dans Gramiak, les faits étayés dans l’avis d’appel doivent être présumés vrais et, deuxièmement, la Cour doit éviter d’usurper les fonctions du juge de première instance et de tirer des conclusions de fait ou de se prononcer sur sa pertinence.

[42]  En fin de compte, la Cour ne peut pas conclure que l’avis d’appel « n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie » ou qu’il est « évident et manifeste » que l’avis d’appel est voué à l’échec.

[43]  Conséquemment, la requête en radiation doit être rejetée, avec dépens.

[44]  La Cour ordonne de plus que l’appelant a 30 jours pour déposer, à son choix, un avis d’appel amendé pour plaider dans l’alternative, son choix de traiter le dividende en question, comme un dividende imposable distinct.

[45]  L’intimée a ensuite 30 jours pour déposer une réponse amendée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2019.

« Guy R. Smith »

Juge Smith

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 103

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-2758(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ANDRÉ MORISSETTE c.
SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 10 septembre 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE
PAR :

L'honorable juge Guy R. Smith

DATE DE L’ORDONNANCE :

le 9 mai 2019

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Serge Fournier

Avocat de l'intimée :

Me Simon Petit

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Serge Fournier

Cabinet :

BCF s.e.n.c.r.l.

Montréal, Québec

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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