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Dossier : 2020-1029(IT)I

ENTRE :

LA SUCCESSION DE MALGORZATA Z. WENIKAJTYS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 9 novembre 2021, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

Joseph Turski

Avocate de l'intimée :

Me Éliane Mandeville

 

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu le 20 juillet 2019 pour l'année d'imposition 2018 est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de décembre 2021.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 


Référence : 2021 CCI 93

Date : 20211213

Dossier : 2020-1029(IT)I

ENTRE :

LA SUCCESSION DE MALGORZATA Z. WENIKAJTYS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1] L'appel interjeté par la succession de Malgorzata Z. Wenikajtys porte sur des montants que le Régime de retraite des fonctionnaires de la Ville de Montréal devait verser à la succession en raison du décès. Son veuf, M. Turski, qui est également le liquidateur de la succession, l'a représentée de façon très compétente lors des discussions avec l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) et à notre Cour.

[2] Le régime de retraite devait verser un montant à la succession après le décès de Mme Wenikajtys. Cependant, une nouvelle loi québécoise sur la réorganisation des régimes de retraite des fonctionnaires municipaux interdisait son versement, qui n'a donc été fait que plus de 36 mois après le décès. La question est de savoir si, à l'égard de ce montant, l'impôt que la fiducie testamentaire doit payer est celui qui s'applique à une « succession assujettie à l'imposition à taux progressifs ».

[3] Comme le nom l'indique, une « succession assujettie à l'imposition à taux progressifs » est assujettie à l'impôt fédéral selon les mêmes taux progressifs qu'un particulier pendant l'année en cause. Le taux initial est de 15 % et il augmente jusqu'à 33 %. En règle générale, le revenu imposable des autres fiducies est imposé au taux maximal. Si la succession appelante est assujettie aux taux progressifs à l'égard du montant en cause, l'impôt à payer sera environ la moitié de l'impôt si la succession est assujettie au taux fixe de 33 %.

[4] Une fiducie testamentaire cesse d'être assujettie à l'imposition à taux progressifs 36 mois après le décès du particulier. Or, la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal du Québec (la Loi RRSM), qui n'a été promulguée qu'après le décès de Mme Wenikajtys, disposait que le régime de retraite ne pouvait verser une partie du montant payable à la succession, soit 20 %, qu'après la réorganisation par la province des régimes de retraite des fonctionnaires municipaux. Selon la preuve, on n'a pas retardé le versement parce que les modalités du régime de retraite auraient pu en réduire le montant, mais plutôt parce qu'on attendait qu'on décide si les participants au régime de retraite devraient payer une partie du coût de la réorganisation. Plus de trois ans après le décès de Mme Wenikajtys, on a décidé que les fonctionnaires ne paieront aucune partie du coût de la réorganisation, et le régime de pension a alors versé intégralement le montant qu'il devait à la succession.

[5] Voici la définition que donne le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la LIR) du terme « succession assujettie à l'imposition à taux progressifs » :

Définitions

248 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

« succession assujettie à l'imposition à taux progressifs » Est une succession assujettie à l'imposition à taux progressifs d'un particulier à un moment donné, la succession qui a commencé à exister au décès du particulier et par suite de ce décès et relativement à laquelle les faits ci‑après s'avèrent :

a) le moment donné suit le décès d'au plus 36 mois;

[...]

[6] Aux termes du paragraphe 104(2) de la LIR, les fiducies sont, en général, assujetties à l'impôt de la même façon que les particuliers. Les taux d'imposition progressifs qui s'appliquent aux particuliers apparaissent au paragraphe 117(2). Toutefois, l'alinéa 122(1)a) dispose qu'en règle générale, les fiducies sont assujetties au taux d'imposition maximal des particuliers pour l'année. L'une des exceptions à cette règle est que les successions assujetties à l'imposition à taux progressifs jouissent des mêmes taux progressifs que les particuliers.

[7] Madame Wenikajtys est décédée en janvier 2014. Elle avait 53 ans et a laissé son époux et ses fils. Plus tard en 2014, l'Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi RRSM. On a établi en janvier 2015 le montant que le régime de retraite devait verser à la succession; la Loi RRSM et la réorganisation subséquente n'ont pas modifié ce montant. En juin 2018, on a enfin décidé que les fonctionnaires ayant travaillé pendant les mêmes années que Mme Wenikajtys n'auront pas à payer les coûts de la réorganisation. Le régime a alors versé intégralement le montant qu'il retenait depuis 2015.

[8] Monsieur Turski a présenté plusieurs raisons pour lesquelles le montant que le régime a établi en 2015, moins d'un an après le décès de Mme Wenikajtys, mais qu'il n'a pu verser que plus de 36 mois plus tard en raison de la loi provinciale, devrait être assujetti à l'imposition à taux progressifs.

[9] Je tiens à féliciter M. Turski pour sa présentation claire, succincte et bien organisée des faits pertinents et de ce qu'il comprenait de la question de la période de 36 mois. Le fait que l'ARC ne l'ait jamais renvoyé à la définition du terme « succession assujettie à l'imposition à taux progressifs » dans la LIR a sûrement rendu sa tâche plus difficile. L'avis de nouvelle cotisation n'expliquait pas pourquoi on avait augmenté l'impôt. La lettre de l'ARC du 31 octobre 2019 indique que la période de 36 mois pour que la succession ait droit aux taux progressifs était écoulée, mais ne renvoie à aucune disposition de la LIR, ni à une publication de l'ARC, ni à une autre source de renseignements que la succession aurait pu consulter. La réponse de l'ARC du 7 janvier 2020 en réponse à l'opposition de la succession renvoie à une disposition incorrecte de la LIR et n'explique pas que la LIR définit l'expression « succession assujettie à l'imposition à taux progressifs ». La lettre de ratification de l'ARC du 7 février 2020 renvoie elle aussi à une disposition incorrecte de la LIR et n'indique pas non plus la définition du terme. Cela est regrettable, et j'espère que ce ne sont pas là les normes de service habituelles de l'ARC en réponse aux lettres, aux questions et aux oppositions, parce que cela crée de la confusion chez les contribuables et est inefficace, ce qui à son tour est inefficace pour le ministère de la Justice et pour la Cour. La réponse du procureur général du Canada indique cependant, à la dernière phrase, que la LIR définit le terme « succession assujettie à l'imposition à taux progressifs » et renvoie à la disposition juste, soit le paragraphe 248(1).

[10] La première thèse de la succession était qu'on avait établi en 2015, soit au cours de la période de 36 mois, le montant auquel la succession avait droit et qu'on a enfin versé en 2018. La deuxième thèse découle de la première. Le montant à verser n'a pas changé et ne pouvait changer. La raison pour laquelle on n'a pas versé une partie de ce montant n'était pas que le montant aurait pu être réduit, mais que les fonctionnaires décédés auraient pu avoir à payer une partie des coûts de la réorganisation. Malheureusement, en général, la LIR établit l'impôt des particuliers, et donc des fiducies et des successions, selon le moment où un montant est versé ou reçu et non selon celui où il est payable ou exigible. La LIR ne comprend aucune exception qui pourrait s'appliquer en l'espèce. La succession a reçu le montant en 2018, et il doit donc être ajouté au revenu cette année‑là.

[11] La troisième thèse de la succession était qu'il n'y avait aucune raison valable pour que la règle de la période de 36 mois s'applique. Le retard de plus de trois ans échappait complètement au contrôle de la succession et ne découlait pas d'un placement ou d'une décision de Mme Wenikajtys ou de la succession. Le retard découle d'une décision légitime de l'Assemblée nationale, qui pouvait agir de façon unilatérale, et qui l'a affectivement fait après le décès de Mme Wenikajtys. La succession n'a pas tardé à présenter une réclamation; elle ne pouvait faire de réclamation parce que le débiteur était un régime de retraite de fonctionnaires municipaux au Québec. M. Turski affirme qu'il doit sûrement y avoir une exception, puisque le retard de plus de 36 mois découlait d'un acte unilatéral. Il affirme que le résultat en l'espèce est inapproprié et déraisonnable; les circonstances de son épouse ne sont pas celles que devait viser la règle des 36 mois. Il affirme que le résultat est injuste, puisqu'il augmente de 15 % à 33 % l'impôt à payer sur le montant peu élevé, soit moins de 15 000 $.

[12] Je conviens avec M. Turski qu'eu égard aux circonstances de son épouse, la règle des 36 mois et l'augmentation de l'impôt qui en découle ne semblent pas convenables, raisonnables ou justes si on tient compte de la politique fiscale générale. Je conviens aussi qu'il est très peu probable que les circonstances de son épouse soulèvent les inquiétudes qui ont mené le ministère des Finances et le législateur à adopter la règle des 36 mois. Toutefois, la tâche de notre Cour est d'appliquer le droit pertinent; elle ne peut refuser de le faire pour des motifs d'équité ou de justice. Comme l'a affirmé le juge Rothstein de la Cour d'appel fédérale dans le décision Chaya c. La Reine, 2004 CAF 327 :

[4] Le demandeur soutient que la loi est inéquitable et il demande à la Cour de faire une exception pour lui. Toutefois, la Cour n'a pas le pouvoir de faire droit à sa demande. La Cour doit appliquer la loi telle qu'elle est. Elle ne peut pas déroger aux dispositions législatives pour des raisons liées à l'équité. S'il estime que la loi est inéquitable, le demandeur doit avoir recours au Parlement et non pas à la Cour.

[13] Le juge Sharpe de la Cour d'appel de l'Ontario a présenté un point de vue semblable dans son ouvrage Good Judgment: Making Judicial Decisions, à la page 127 :

[TRADUCTION]

Je serais très inquiet si un juge estimait qu'il ne devait jamais rendre un jugement qui est en conflit avec son opinion personnelle. C'est un aspect déplaisant, mais bien connu de notre tâche. Nous acceptons de ne pas tenir compte de nos opinions personnelles parce que nous avons promis de le faire et parce que, en fin de compte, nous acceptons qu'il y ait à l'occasion des décisions qui nous semblent malheureuses ou injustes pour atteindre un objectif plus important, soit un système judiciaire qui est distinct et indépendant des opinions personnelles des juges.

[14] Pour ces raisons, la Cour doit rejeter l'appel. Bien que l'appelante ne peut avoir gain de cause à notre Cour, la succession de Mme Wenikajtys pourrait avoir un recours au titre de la Loi sur la gestion des finances publiques. L'appelante pourrait ainsi tenir compte des commentaires du juge Rothstein et demander au législateur de lui accorder un redressement. Le paragraphe 23(2) de cette loi dispose ce qui suit :

(2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s'il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d'une façon générale, l'intérêt public justifie la remise.

[15] Si l'ARC avait signalé l'existence de la règle des 36 mois et l'avait expliquée de façon plus claire et plus complète à la succession, il se peut que la succession, après la ratification, eût demandé une ordonnance de remise plutôt que de s'adresser à notre Cour. Les ordonnances de remise relèvent entièrement du ministre du Revenu national et du gouverneur en conseil, c'est‑à‑dire le conseil des ministres. L'ARC a établi une procédure que les contribuables peuvent utiliser pour demander que le ministre recommande qu'il y ait remise. Si le ministre convient avec M. Turski, et d'ailleurs moi‑même, que l'application de la règle des 36 mois en l'espèce semble mener à un résultat injuste et déraisonnable, et que l'intérêt public qui a mené à l'adoption de cette règle ne s'applique pas dans ce cas‑ci — et j'espère que le ministre sera d'accord — alors le ministre demandera au conseil des ministres d'approuver l'ordonnance de remise. La Cour n'a aucun rôle dans cette procédure, qui relève entièrement du ministre et du gouverneur en conseil. Il se peut bien qu'ils connaissent d'autres facteurs que ni l'une ni l'autre des parties n'a signalés à la Cour.

[16] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de décembre 2021.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 93

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-1029(IT)I

INTITULÉ :

LA SUCCESSION DE MALGORZATA Z. WENIKAJTYS C. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 9 novembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 décembre 2021

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Joseph Turski

Avocate de l'intimée :

Me Éliane Mandeville

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l'intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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