Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2019-2771(IT)I

ENTRE :

VIVIANE ABOUD SCHOFIELD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu le 22 septembre 2022, à Granby (Québec)

Devant : L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire


Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Avocat de l’intimé :

Me Audrey Turcotte

Me Emmanuel Jilwan

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2015 et 2016 est accueilli sans dépens.

Signé à Montréal, Québec, ce 9e jour de novembre 2022.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


Référence : 2022 CCI 142

Date : 20221109

Dossier : 2019-2771(IT)I

ENTRE :

VIVIANE ABOUD SCHOFIELD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge St-Hilaire

I. Introduction

[1] Mme Viviane Aboud Schofield (l’appelante) en appelle des nouvelles cotisations établies par la ministre du Revenu national (Ministre) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) [1] pour les années d’imposition 2015 et 2016. Cet appel traite de la déductibilité des dépenses d’emploi en vertu de l’alinéa 8(1)f) de la Loi.

[2] L’appelante était à l’emploi de BMO Nesbitt Burns à titre de conseillère en gestion de patrimoine de 1997 jusqu’à sa retraite en 2019. Le contrat signé par l’appelante en juin 1997 [2] prévoyait que suite à la période de stage d’une durée de 18 mois, la rémunération de l’appelante consisterait en tout en commissions. L’appelante avait une clientèle qui se trouvait partout au Québec, mais aussi dans d’autres provinces telles l’Ontario.

[3] En produisant ses déclarations, l’appelante a déclaré des revenus de commissions de 538 388 $ et 527 077 $ et elle a déduit des dépenses d’emploi de 31 051 $ et 39 435 $ pour les années d’imposition 2015 et 2016 respectivement.

[4] En émettant de nouvelles cotisations, la Ministre a admis la déductibilité de plusieurs des dépenses réclamées, tels des frais de publicité, des frais relatifs à l’usage d’un véhicule, des fournitures et des frais de déplacement, d’un montant de 13 989 $ et de 24 105 $ pour les années 2015 et 2016 respectivement. Seule la déductibilité des frais encourus pour trouver un associé payés à un chasseur de têtes est en litige dans cette affaire, soient les montants de 11 267 $ et 11 704 $ pour les années 2015 et 2016 respectivement [3] .

II. Question en litige

[5] La seule question en litige dans cette affaire est celle de savoir si l’appelante a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu d’emploi, les montants payés à un chasseur de têtes afin de se trouver un associé.

III. Droit applicable et analyse

[6] En vertu du paragraphe 8(2) de la Loi, seuls les montants expressément prévus à l’article 8 sont déductibles dans le calcul du revenu d’emploi. Or, contrairement aux principes applicables au calcul du revenu d’entreprise, lesquels autorisent généralement la déduction des dépenses engagées dans le but de gagner du revenu de cette source à l’exception des déductions expressément interdites, un montant ne sera déductible dans le calcul du revenu d’emploi que si l’une des dispositions à l’article 8 le permet expressément.

[7] D’emblée, il convient de noter que le contribuable qui a été employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats et qui satisfait aux conditions énoncées aux sous-alinéas 8(1)f)(i) à (iv) peut déduire les dépenses engagées pour gagner son revenu d’emploi. Cela dit, en vertu du sous-alinéa 8(1)f)(v), toute dépense au titre du capital est exclue des dépenses autrement admissibles à la déduction en vertu de l’alinéa 8(1)f).

[8] Plus précisément, l’alinéa 8(1)f) de la Loi autorise la déduction de certaines dépenses encourues par un vendeur à commission. Il s’agit non seulement de la disposition la plus pertinente dans les circonstances de cette affaire, mais plus important encore, il s’agit de la disposition sur laquelle l’intimé s’appuie pour refuser la déductibilité des frais payés au chasseur de têtes. [4]

[9] L’alinéa 8(1)f) se lit comme suit :

8(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

f) lorsque le contribuable a été, au cours de l'année, employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur, et lorsque, à la fois :

(i) il était tenu, en vertu de son contrat, d'acquitter ses propres dépenses,

(ii) il était habituellement tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur,

(iii) sa rémunération consistait en tout ou en partie en commissions ou autres rétributions semblables fixées par rapport au volume des ventes effectuées ou aux contrats négociés,

(iv) il ne recevait pas, relativement à l'année d'imposition, une allocation pour frais de déplacement qui, en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v), n'était pas incluse dans le calcul de son revenu,

les sommes qu'il a dépensées au cours de l'année pour gagner le revenu provenant de son emploi (jusqu'à concurrence des commissions ou autres rétributions semblables fixées de la manière prévue au sous-alinéa (iii) et reçues par lui au cours de l'année) dans la mesure où ces sommes n'étaient pas :

(v) des dépenses, des pertes ou des remplacements de capital ou des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l'alinéa j),

(vi) des dépenses qui ne seraient pas, en vertu de l'alinéa 18(1)l), déductibles dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, si son emploi relevait d'une entreprise exploitée par lui;

(vii) des montants dont le paiement a entraîné la réduction du montant qui serait inclus par ailleurs dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année en application de l'alinéa 6(1)e);

[10] Il est également important de tenir compte du paragraphe 8(10) de la Loi qui prévoit que l’employé qui demande la déduction de dépenses en vertu de l’alinéa 8(1)f) doive joindre à sa déclaration un formulaire prescrit signé par l’employeur attestant que les conditions énoncées à la disposition applicable ont été remplies. Il s’agit du formulaire T2200.

[11] Le paragraphe 8(10) se lit comme suit :

(10) Un contribuable ne peut déduire un montant pour une année d’imposition en application des alinéas (1)c), f), h) ou h.1) ou des sous-alinéas (1)i)(ii) que s’il joint à sa déclaration de revenu pour l’année un formulaire prescrit, signé par son employeur, qui atteste que les conditions énoncées à la disposition applicable ont été remplies quant au contribuable au cours de l’année.

[12] Afin de déduire des dépenses d’emploi en vertu de l’alinéa 8(1)f), les conditions suivantes doivent être réunies. Ces conditions peuvent être résumées comme suit :

  1. La contribuable occupait un emploi lié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur;

  2. Elle était tenue, aux termes de son contrat, d’acquitter ses propres dépenses;

  3. Elle était habituellement tenue d’exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur;

  4. Sa rémunération consistait en tout ou en partie en commissions;

  5. Elle ne recevait pas d’allocation pour frais de déplacement non imposable en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v).

[13] L’appelante occupait un emploi lié à la vente, elle était tenue de rencontrer des clients ailleurs qu’au lieu d’affaires de BMO Nesbitt Burns, elle gagnait du revenu de commissions et elle ne recevait pas d’allocation pour frais de déplacement. À l’audience, l’avocate de l’intimé a reconnu que l’appelante rencontrait les conditions ci-haut mentionnées à l’exception de la condition énoncée au sous-alinéa 8(1)f)(i). [5] Il convient de rappeler que le sous-alinéa 8(1)f)(i) exige que la contribuable soit tenue, en vertu de son contrat, d’acquitter ses propres dépenses.

[14] Lors de son témoignage, l’appelante a décrit la nature de son travail à titre de conseillère en gestion de patrimoine chez BMO Nesbitt Burns lequel incluait l’évaluation des besoins de ses clients, le placement de l’argent et la planification successorale. Bien que l’appelante résidait à Granby, sa clientèle s’étendait sur un plus vaste territoire dans la province du Québec, mais aussi en Ontario et même en Nouvelle-Écosse. Elle encourait donc des frais de déplacement lesquels n’étaient pas payés par BMO Nesbitt Burns. Il convient de noter que la Ministre a admis entièrement la déductibilité des frais de repas, des frais d’hébergement et des frais de stationnement ainsi que la quasi-totalité des frais de véhicule à moteur.

[15] Selon la lettre d’offre signée par l’appelante en 1997, si la performance de la conseillère s’avère insatisfaisante, l’employeur peut immédiatement mettre fin à l’emploi. L’appelante a expliqué que l’évaluation de la performance d’une conseillère en placement est fondée sur quelques éléments, le plus important de ceux-ci étant les commissions gagnées. Elle ajoute que pour avoir une performance satisfaisante, elle devait continuer à augmenter son apport net de nouveaux capitaux, ce qu’elle a appelé ses « net new assets » (NNA). L’appelante a déposé des rapports démontrant les fluctuations dans ses NNA pendant les années 2014 à 2018. [6] Selon le témoignage non contredit de l’appelante, ces documents révèlent que l’embauche d’un associé lui a aidé à augmenter ses NNA. L’appelante a précisé que pendant la période pertinente, elle avait accès aux services d’une adjointe qui faisait strictement de l’administration, mais qui n’était pas habilitée à chercher de nouveaux clients et qui n’avait pas le droit de donner des conseils financiers.

[16] L’appelante a expliqué que pendant l’exercice financier du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2015, avant l’embauche d’un associé, ses NNA étaient nettement insuffisants. À ce moment-là, l’appelante a conclu que si elle voulait atteindre la performance attendue d’elle, elle devait embaucher un associé qui pourrait partager les tâches et faire du démarchage. Aussi, puisque la recherche interne chez BMO Nesbitt Burns pour trouver un associé s’était avérée infructueuse, l’appelante a conclu qu’elle devait se prévaloir de services externes pour en trouver un.

[17] M. Steve Roy, directeur de succursale chez BMO Nesbitt Burns au moment pertinent au litige a été appelé comme témoin par l’intimé. M. Roy a témoigné que les services des adjointes sont fournis par l’employeur et ces personnes sont rémunérées par l’employeur. Il a expliqué la différence entre une adjointe et une associée comme suit :

20. Une adjointe et un associé c’est différent.

21 Un associé c’est essentiellement un deuxième conseiller

22 financier qui a les mêmes tâches, les mêmes fonctions que

23 le conseiller principal, donc celui qui… qui… nous on

24 appelle ça propriétaire du book parce que c’est lui qui a

25 développé la clientèle nouvelle puis l’associé n’est pas

26 nécessairement propriétaire du book, donc il y a une nuance

27 là, c’est très…

14. Des associés c’est différent, un

15 associé va être engagé par le conseiller, on appelle ça le

16 conseiller principal parce qu’on doit leur donner un ordre,

17 un ordre hiérarchique, le conseiller principal c’est celui

18 qui a développé la clientèle au départ et à un certain

19 niveau, bien, à un certain moment donné, dans les années

20 d’opération, bien, le book, comme on dit nous, chez nous,

21 le book, la clientèle devient tellement grand que ça

22 devient difficile de garder le même standard de qualité et

23 de service et évidemment aussi répondre à toutes les

24 réglementations qui ne cessent d’augmenter dans notre

25 industrie. Donc, pour aider à ça, c’est préférable puis

26 nous on le préconise, on le suggère, d’essayer de

27 travailler de plus en plus en équipe. Donc, c’est une

28 tendance qui devient de plus en plus forte, vous devez le

1. voir un peu partout quand vous voyez les billboards avec

2 les équipes maintenant, c’est pour évidemment donner une

3 meilleure qualité de service que c’est fait comme ça. [7]

[18] M. Roy a confirmé que lorsque la clientèle devient plus grande, il peut être difficile d’assurer la qualité des services et que dans ces cas, l’employeur suggérait que les conseillers principaux embauchent des associés. M. Roy a expliqué que lors de la recherche d’associés, BMO Nesbitt Burns affichait le poste et si le processus permettait d’identifier des candidats intéressants, ceux-ci étaient suggérés aux conseillers à qui revenait la décision ultime d’embauche avec l’employeur en s’assurant que ces candidats possédaient une formation adéquate et les licences requises.

[19] M. Roy a ajouté que le processus interne produisait peu de candidats pouvant répondre aux besoins des conseillers et aux critères mentionnés ci-dessus de sorte qu’on demandait au conseiller de regarder de son côté. Lors du contre-interrogatoire, M. Roy a confirmé que l’affichage du poste pour trouver un associé pour l’appelante n’a clairement pas été productif puisque personne n’a été embauchée suite à ce processus.

[20] Ce sont les circonstances dans lesquelles l’appelante a pris la décision de retenir les services d’un chasseur de têtes pour se trouver un associé. Pendant les années d’imposition 2015 et 2016, l’appelante a encouru des frais auprès de la firme Groupe Lecavalier & Associés à qui elle a confié le mandat de recherche d’un associé. [8] Ce processus a permis d’identifier des candidats et ultimement, a mené à l’embauche d’un associé pour l’appelante en octobre 2017.

[21] Lors de sa plaidoirie, l’avocate de l’intimé a soutenu que l’appelante ne remplissait pas la condition prévue au sous-alinéa 8(1)f)(i), disposition qui exige que le contribuable soit tenu, en vertu de son contrat, d’acquitter ses propres dépenses. À l’appui de sa position, elle a affirmé que nulle part n’est-il écrit que l’appelante était tenue d’engager la dépense de recrutement. Pour répondre à l’affirmation de la Cour selon laquelle le libellé de l’alinéa 8(1)f)(i) est de nature large et exige simplement que la contribuable soit tenue d’acquitter « ses propres dépenses » sans ajouter aucune précision quant à quelles dépenses sont visées, l’intimé s’en est remis à la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Karda c R. [9] L’intimé a cité les propos du Juge Miller qui affirme que « cette disposition signifie que le contrat de travail doit stipuler que l’employé paie ses propres dépenses, non pas qu’il engage les frais de sa propre initiative [10] . » Dans cette affaire, le juge Miller a conclu que M. Karda n’était pas tenu d’engager les frais en cause, qu’il avait agi de sa propre initiative même s’il s’agissait peut-être d’une décision économique sensée et a rejeté sa demande de déduction.

[22] L’avocate de l’intimé a soutenu que l’appelante dans cette affaire a peut-être elle aussi pris une décision économique censée en engageant des frais pour embaucher un associé, mais que cela ne suffit pas pour rencontrer la condition prévue au sous-alinéa 8(1)f)(i). Elle a souligné que la Cour d’appel fédérale avait confirmé la décision dans l’affaire Karda.

[23] Avec égard, l’affaire Karda ne peut pas servir d’appui à la position de l’intimé dans les circonstances de cette affaire. Il importe de préciser que dans cette affaire, le juge Miller a conclu que M. Karda ne satisfaisait tout simplement pas à la condition qui exige que le contribuable doive être employé pour remplir des fonctions reliées à la vente de biens ou à la négociation de contrats [11] , ce qui fait en sorte qu’il ne peut se prévaloir de la déduction des dépenses autorisées par l’alinéa 8(1)f). Au cas où son interprétation de la notion de vente de biens ou de négociation de contrats soit trop restrictive, le juge Miller s’est penché sur la condition prévue au sous-alinéa 8(1)f)(i). Selon le juge Miller, cette disposition signifie que le contrat de travail doit stipuler que l’employé paie ses propres dépenses. En fait, la preuve de M. Karda était à l’effet qu’il avait engagé des frais relatifs à l’emploi « à son propre péril ».

[24] L’avocate de l’intimé a soutenu qu’il fallait suivre l’affaire Karda puisque la décision de cette Cour avait été confirmée par la Cour d’appel fédérale. À ce sujet, j’insiste sur le fait que lors de l’appel devant la Cour d’appel fédérale, M. Karda a soulevé deux arguments, un portant sur la validité de la cotisation dans le contexte d’une prétendue prescription, et l’autre, portant sur la déduction des frais d’intérêts dans le contexte de ses investissements immobiliers. Il n’y eut aucune mention des frais relatifs à l’emploi de sorte que la décision de la Cour d’appel fédérale ne peut, à mon avis, servir d’appui à des arguments relatifs à l’application de l’alinéa 8(1)f).

[25] Revenons au libellé de l’alinéa 8(1)f)(i). Cette disposition impose une condition à l’appelante qui réclame la déduction des frais payés à un chasseur de têtes pour trouver un associé, soit celle d’être tenue, en vertu de son contrat, d’acquitter ses propres dépenses. Je dois admettre éprouver une certaine confusion quant à la position de l’intimé qui admet que l’appelante « devait engager la plupart des dépenses » et que la Ministre a admis la déduction de bon nombre de dépenses, mais qui soutient aussi que les frais relatifs à la recherche d’un associé ne sont pas déductibles parce que l’appelante n’était pas tenue d’engager « cette » dépense. En réponse aux questions de la Cour, l’avocate a confirmé que son argument était essentiellement à l’effet que l’exigence de l’employeur de payer « d’autres dépenses » n’était pas suffisamment détaillée pour inclure les dépenses de chasseurs de têtes [12] .

[26] L’appelante a déposé en preuve le formulaire T2200 signé par l’employeur pour les années d’imposition 2015 et 2016 [13] , lequel est requis en vertu du paragraphe 8(10) de la Loi. Les réponses aux questions pertinentes sont les mêmes pour les deux années en litige.

[27] Les questions et les réponses aux numéros 1, 6 et 7 à la Partie B du formulaire T2200 prévoient ce qui suit :

1. Selon son contrat, l’employé devait-il payer les dépenses qu’il a engagées pour accomplir les tâches liées à son travail? x Oui ¨Non

Répondez « oui », même si vous avez fourni une allocation ou un remboursement relativement à certaines ou à toutes ces dépenses.

Si non, l’employé n’a pas le droit de demander des déductions de dépenses d’emploi et vous n’avez pas à répondre aux autres questions.

6. Avez-vous exigé que cet employé paie des dépenses pour lesquelles celui-ci a reçu ou recevra un remboursement? ¨ Oui x Non

Si oui, inscrivez, selon le cas, le montant et le type de dépenses qui ont été : […]

7. Avez-vous exigé que cet employé paie d’autres dépenses pour lesquelles il n’a pas reçu d’allocation ou de remboursement? x Oui ¨Non

Si oui, inscrivez les types de dépenses : développement des affaires, formation, publicité, divertissement, promo, fournitures.

 

[28] Il appert que la question 7 fait suite aux questions 5 et 6 demandant à l’employeur d’indiquer si l’employé reçoit une allocation ou un remboursement pour certaines dépenses dans lequel cas l’employé ne pourrait pas demander la déduction pour ces dépenses.

[29] L’employeur a répondu à la question 1 en cochant la boîte indiquant « oui » confirmant ainsi que l’appelante devait payer ses propres dépenses. Quant à la question 7, l’employeur a coché la boîte indiquant « oui » confirmant que l’appelante ne recevait ni allocation ni remboursement et a indiqué que les dépenses que l’appelante était tenue de payer étaient les types de dépenses suivantes : développement des affaires, formation, publicité, divertissements, promo, fournitures.

[30] Or, je réitère que la réponse de l’employeur à la question 1 du formulaire T2200 indique que l’appelante était tenue de payer les dépenses engagées pour accomplir les tâches liées à son travail. À mon avis, cela suffit pour conclure que l’appelante remplit la condition prévue à l’alinéa 8(1)f)(i). En outre, la réponse de l’employeur à la question 7 indique le type de dépenses que l’appelante était tenue de payer. Cela inclut le développement des affaires, un élément que M. Roy a qualifié de « genre d’obligation » des conseillers en placement. Comme mentionné plus haut, l’appelante a expliqué pourquoi elle a voulu embaucher un associé, soit pour augmenter son apport en capitaux (augmenter ses NNA) et assurer une performance satisfaisante. En outre, elle a expliqué pourquoi elle a eu recours à un chasseur de têtes, soit parce que le processus interne chez BMO Nesbitt Burns n’a pas produit de candidats ou du moins de candidats satisfaisants. L’avocate de l’intimé a soutenu que l’appelante aurait dû s’en tenir au processus de recrutement interne et choisir quelqu’un sur la liste plutôt que de faire appel à son propre chasseur de têtes. Cela me paraît illogique puisque, M. Roy a confirmé que le processus interne chez BMO Nesbitt Burns n’avait pas été productif.

[31] À mon avis, les frais payés à la firme de chasseur de têtes pour trouver un associé s’inscrivent dans les dépenses décrites comme le « développement des affaires », dépenses que l’appelante devait payer et pour lesquelles BMO Nesbitt Burns ne fournissait aucune allocation ni remboursement. Je note que la réponse à la question 7 sur le formulaire T2200 ne précise pas que l’appelante doive payer ses dépenses de véhicule à moteur et ses frais de déplacement. Pourtant, la Ministre a admis ces dépenses et l’intimé n’a pas suggéré que ces frais auraient dû être identifiés clairement pour être déductibles. Bref, selon mon interprétation du sous-alinéa 8(1)f)(i), lorsque l’employeur confirme que l’employé est tenu de payer ses dépenses et que ce dernier démontre qu’il a engagé ses dépenses pour gagner son revenu d’emploi, la condition est remplie.

[32] L’avocate de l’intimé a cité l’affaire Blott c R [14] à l’appui de ses prétentions que l’appelante n’a pas droit à la déduction des frais pour trouver un associé parce qu’elle n’était pas obligée d’embaucher un associé. Selon l’appréciation de la preuve dans cette affaire, le juge Miller a conclu que rien dans le témoignage de M. Blott n’appuyait la prétention selon laquelle il était tenu d’engager les dépenses d’un adjoint, même implicitement. Je note que l’alinéa 8(1)i)(ii) exige que le contrat d’emploi oblige l’employé à payer le salaire d’un adjoint. Il y a donc une condition à remplir à l’alinéa 8(1)i) qui vise spécifiquement les dépenses liées au salaire d’un adjoint. À mon avis, il s’agit d’une condition limitative relativement à la déduction pour le salaire payé à un adjoint lorsque la déduction est demandée en vertu de l’alinéa 8(1)(i). Si le législateur avait voulu appliquer le même critère à l’alinéa 8(1)f), il aurait employé la même formulation. En outre, l’appelante a embauché un associé et non un adjoint et je rappelle le témoignage de M. Roy selon lequel les associés et les adjoints remplissent des fonctions très différentes.

[33] L’avocate de l’intimé s’est aussi appuyée sur la décision de cette Cour dans l’affaire Tulman c R [15] . Je mentionnerai tout simplement qu’en refusant la déduction des dépenses réclamées, la juge Lyons a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve que M. Tulman était tenu par son employeur d’engager des dépenses d’emploi. En l’espèce, le formulaire T2200 et le témoignage de M. Roy confirment que l’appelante était tenue de payer ses propres dépenses.

[34] Toutefois, même si les conditions prévues aux sous-alinéas 8(1)f)(i) à (iv) sont remplies, comme c’est le cas en l’espèce, pour être déductibles, les sommes dépensées ne doivent pas être contraires aux sous-alinéas 8(1)(v) à (vii). En l’espèce, il est pertinent de noter que le sous-alinéa 8(1)f)(v) interdit la déduction des dépenses de nature capitale.

[35] L’intimé soutient que les frais payés au chasseur de têtes sont de nature capitale. À l’appui de cette position, l’avocate de l’intimé a affirmé que parce que l’appelante a engagé cette dépense une seule fois, et qu’elle n’a pas eu besoin d’engager cette dépense à répétition une fois que l’associé a été trouvé, la dépense est de nature capitale [16] .

[36] L’avocate de l’intimé a cité l’affaire Gifford c R à l’appui de ses prétentions [17] . Dans cette affaire, M. Gifford avait emprunté 100 000 $ afin d’acheter une liste de clients. La Cour suprême a conclu que la liste de clients constitue une immobilisation pour plusieurs raisons, y compris parce que le paiement visait l’achat d’un actif qui procurait à l’appelant un avantage durable [18] . Bien que la fréquence d’une dépense soit pertinente à sa classification à titre de dépense courante ou de dépense de nature capitale, car plus une dépense est fréquente, moins l’avantage qui en découle peut être caractérisé de durable, il ne s’agit pas d’un critère décisif, mais plutôt d’un critère parmi d’autres pouvant servir à classifier une dépense. Dans l’affaire Johns-Manville Canada c R [19] , la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il faille appliquer les critères de façon souple aux circonstances propres de chaque affaire. L’appelante n’a pas acheté une immobilisation ni n’a-t-elle encouru ces frais dans le but de protéger un actif de nature capitale, des éléments qui auraient pu peser dans la balance. Outre le fait que les frais payés à un chasseur de têtes n’ont été engagés qu’une seule fois, l’intimé n’a fait aucune autre représentation pouvant justifier qu’il s’agit d’une dépense au titre du capital. Finalement, je tiens à mentionner que la Réponse à l’avis d’appel est silencieuse quant à l’argument selon lequel les frais contestés ne sont pas déductibles en raison du fait qu’il s’agit de dépenses au titre du capital de sorte que l’appelante n’a pu se préparer pour faire des représentations sur cette question. Dans ces circonstances, je conclus que les frais engagés pour trouver un associé sont des dépenses courantes et non pas des dépenses au titre du capital.

IV. Conclusion

[37] Je conclus que l’appelante remplit les conditions d’application de l’alinéa 8(1)f) de la Loi de sorte qu’elle a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu d’emploi, les montants payés à un chasseur de têtes afin de se trouver un associé.

[38] Pour ces motifs, l’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi pour les années 2015 et 2016 est accueilli sans dépens et l’affaire est renvoyée au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations sur la base que l’appelante a droit de déduire les montants de 11 111,98 $ et 10 606,44 $ pour les années d’imposition 2015 et 2016 respectivement.

Signé à Montréal, Québec, ce 9e jour de novembre 2022.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 142

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-2771(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

VIVIANE ABOUD SCHOFIELD ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Granby (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 22 septembre 2022

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Avocat de l’intimé :

Me Audrey Turcotte

Me Emmanuel Jilwan

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Noms :

Me Audrey Turcotte

Me Emmanuel Jilwan

Pour l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e supp) [Loi].

[2] Pièce A-1, Investment Advisor Trainee, Letter of Offer [Lettre d’offre].

[3] À l’audience, l’appelante a fait quelques ajustements aux dépenses réclamées, de sorte que les montants en litige ont été révisés à la baisse et les montants réclamés sont maintenant de 11 111,98 $ et 10 606,44 $.

[4] Voir Réponse à l’avis d’appel au para 14. Voir aussi la Transcription de l’audience à la p 65 [Transcription].

[5] Voir la Transcription aux pp 64-66.

[6] Voir la Pièce A-5.

[7] Transcription aux pp 55-57.

[8] Voir les factures à la Pièce A-4.

[9] Karda c R, 2005 CCI 564 [Karda CCI], conf. 2006 CAF 238 [Karda CAF].

[10] Karda CCI, ibid au para 34.

[11] Karda CCI, ibid au para 33.

[12] Transcription aux pp 73-74.

[13] Pièces A-2 et A-3.

[14] Blott c R, 2018 CCI 1.

[15] Tulman c R, 2014 CCI 140.

[16] Transcription à la p 78.

[17] Gifford c R, 2004 CSC 15.

[18] Voir Gifford, ibid au para 21.

[19] Johns-Manville Canada Inc c R, [1985] 2 RCS 46.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.