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Dossier : 2019-2534(IT)G

ENTRE :

GESTION M.-A. ROY INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu sur preuve commune le 28 février 2022 et le 1er mars 2022, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

Avocates de l’appelante :

Me Julie Gaudreault-Martel

Me Nicole Platanitis

 

Avocats de l’intimé :

Me Christian Lemay

Me Karman Kong

 

JUGEMENT

L’appel de la nouvelle cotisation établie le 17 avril 2018 pour les années d’imposition terminées les 30 juin 2014, 2015, 2016 et 2017 est rejeté avec dépens en faveur de l’intimé, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2022.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith


Dossier : 2019-2540(IT)G

ENTRE :

4452712 CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu sur preuve commune le 28 février 2022 et le 1er mars 2022, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Guy R. Smith

Comparutions :

Avocates de l’appelante :

Me Julie Gaudreault-Martel

Me Nicole Platanitis

 

Avocats de l’intimé :

Me Christian Lemay

Me Karman Kong

 

JUGEMENT

L’appel de la nouvelle cotisation établie le 17 avril 2018 pour les années d’imposition terminées les 30 juin 2014, 2015, 2016 et 2017, est rejeté avec dépens en faveur de l’intimé, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2022.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith



Référence : 2022 CCI 144

Date : 20221128

Dossier : 2019-2534(IT)G

ENTRE :

GESTION M.-A. ROY INC.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

Référence : 2022 CCI 144

Date : 20221128

Dossier : 2019-2540(IT)G

ET ENTRE :

4452712 CANADA INC.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

1. Aperçu

[1] Gestion M.-A. Roy inc. (ci-après « Gestion Roy ») interjette appel d’une nouvelle cotisation établie le 17 avril 2018 qui ajoute à son revenu imposable 88 782 $ à titre d’avantages imposables pour chacune des années d’imposition terminées les 30 juin 2014, 2015, 2016 et 2017.

[2] 4452712 Canada inc. (ci-après « 445 Canada ») interjette également appel d’une nouvelle cotisation établie le 17 avril 2018 qui ajoute à son revenu imposable 279 763 $ à titre d’avantages imposables pour les mêmes années.

[3] Gestion Roy et 445 Canada sont des sociétés de portefeuille et titulaires de polices d’assurance-vie pour leur actionnaire majoritaire, Marc-André Roy (« M. Roy »). Dans les deux cas, les primes annuelles sont payées par une société en exploitation, soit R3D Conseil Inc. (« R3D »), qui est désignée comme bénéficiaire révocable.

[4] Le ministre du Revenu national (le « ministre ») soutient que les appelantes ont reçu un avantage imposable en vertu des paragraphes 15(1) ou 246(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e suppl.) (ci-après la « LIR »).

[5] Les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

[6] Il y a eu deux témoins, soit M. Roy pour les appelantes et la vérificatrice de l’Agence du revenu du Canada (« l’ARC ») pour l’intimé.

[7] La seule question en litige est de savoir si le paiement des primes d’assurance par R3D constitue un avantage pour les appelantes au sens des paragraphes 15(1) ou 246(1) de la LIR.

2. Les dispositions légales pertinentes

Avantages aux actionnaires

Benefit conferred on shareholder

15 (1) La valeur de l’avantage qu’une société confère, à un moment donné, à son actionnaire, à un associé d’une société de personnes qui compte parmi ses actionnaires ou à son actionnaire pressenti est incluse dans le calcul du revenu de l’actionnaire, de l’associé ou de l’actionnaire pressenti, selon le cas, pour son année d’imposition qui comprend ce moment, sauf dans la mesure où cette valeur est réputée en vertu de l’article 84 constituer un dividende ou dans la mesure où cet avantage est conféré à l’actionnaire au moyen de l’une des opérations suivantes : […]

15 (1) If, at any time, a benefit is conferred by a corporation on a shareholder of the corporation, on a member of a partnership that is a shareholder of the corporation or on a contemplated shareholder of the corporation, then the amount or value of the benefit is to be included in computing the income of the shareholder, member or contemplated shareholder, as the case may be, for its taxation year that includes the time, except to the extent that the amount or value of the benefit is deemed by section 84 to be a dividend or that the benefit is conferred on the shareholder : […]

Avantage conféré à un contribuable

Benefit conferred on a person

246 (1) La valeur de l’avantage qu’une personne confère à un moment donné, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit à un contribuable doit, dans la mesure où elle n’est pas par ailleurs incluse dans le calcul du revenu ou du revenu imposable gagné au Canada du contribuable en vertu de la partie I et dans la mesure où elle y serait incluse s’il s’agissait d’un paiement que cette personne avait fait directement au contribuable et si le contribuable résidait au Canada, être :

a) soit incluse dans le calcul du revenu ou du revenu imposable gagné au Canada, selon le cas, du contribuable en vertu de la partie I pour l’année d’imposition qui comprend ce moment;

b) soit, si le contribuable ne réside pas au Canada, considérée, pour l’application de la partie XIII, comme un paiement fait à celui-ci à ce moment au titre de bien ou de services ou à un autre titre, selon la nature de l’avantage.

246 (1) Where at any time a person confers a benefit, either directly or indirectly, by any means whatever, on a taxpayer, the amount of the benefit shall, to the extent that it is not otherwise included in the taxpayer’s income or taxable income earned in Canada under Part I and would be included in the taxpayer’s income if the amount of the benefit were a payment made directly by the person to the taxpayer and if the taxpayer were resident in Canada, be

(a) included in computing the taxpayer’s income or taxable income earned in Canada under Part I for the taxation year that includes that time; or

(b) where the taxpayer is a non-resident person, deemed for the purposes of Part XIII to be a payment made at that time to the taxpayer in respect of property, services or otherwise, depending on the nature of the benefit.

3. Sommaire des hypothèses de fait

3.1 Gestion Roy

[8] Selon la réponse à l’avis d’appel modifié, le ministre a tenu pour acquis que Gestion Roy est une société de portefeuille dont l’actionnaire majoritaire est M. Roy. Elle détient des actions du capital-actions de R3D, qui offre des services de conseils en gestion. Gestion Roy et R3D ont été constituées le 6 février 1996.

[9] Le ministre a tenu pour acquis que Gestion Roy a contracté deux polices d’assurance-vie avec la Financière Manuvie (« Manuvie ») pour 3 000 000 $ en 2004 et 2 000 000 $ en 2006, soit un total de 5 000 000 $.

[10] Gestion Roy est titulaire desdites polices, M. Roy est l’assuré et R3D est le bénéficiaire révocable. Ces polices comprennent des comptes de placement avec faculté de rachat en tout temps par le titulaire des polices, soit Gestion Roy.

[11] Le ministre a tenu pour acquis que R3D effectue le paiement des primes annuelles pour les deux polices, soit 88 782 $ par année.

[12] Le ministre a tenu pour acquis que Gestion Roy, à titre de titulaire des polices d’assurance, pouvait révoquer le bénéficiaire en tout temps sans obtenir le consentement de R3D et, de plus, que Gestion Roy détenait les droits afférents au rachat de la valeur accumulée des comptes de placement.

[13] Le ministre a conclu que Gestion Roy a bénéficié des droits de rachat sans avoir eu à payer les primes annuelles desdites polices d’assurance et qu’il s’agit d’un avantage qu’a conféré R3D à son actionnaire, Gestion Roy.

3.2 445 Canada

[14] Selon la réponse à l’avis d’appel modifié, le ministre a tenu pour acquis que 445 Canada est une société de portefeuille dont l’unique actionnaire est M. Roy. 445 Canada a été constituée le 5 novembre 2007. Elle détient des actions du capital-actions de R3D.

[15] Le ministre a tenu pour acquis que 445 Canada avait contracté quatre polices d’assurance-vie avec Manuvie pour 5 000 000 $ en 2008, 3 000 000 $ en 2009, 4 000 000 $ en 2010 et 3 000 000 $ en 2012, soit un total de 15 000 000 $. M. Roy est l’assuré et R3D est le bénéficiaire révocable.

[16] Le ministre a tenu pour acquis que lesdites polices comprennent des comptes de placement avec faculté de rachat en tout temps par le titulaire des polices.

[17] Le ministre a tenu pour acquis que R3D effectue le paiement des primes annuelles de 279 763 $ pour les quatre polices.

[18] Le ministre a tenu pour acquis que 445 Canada pouvait révoquer le bénéficiaire en tout temps sans obtenir le consentement du bénéficiaire désigné, soit R3D, et qu’à titre de titulaire des polices d’assurance, elle détenait le droit afférent au rachat de la valeur accumulée des comptes de placement.

[19] Le ministre a conclu que 445 Canada a bénéficié des droits de rachat des polices d’assurance-vie sans avoir eu à payer les primes annuelles et qu’il s’agit d’un avantage qu’a conféré R3D à son actionnaire, 445 Canada.

[20] À titre subsidiaire, si 445 Canada n’est pas actionnaire de R3D, le ministre soutient que 445 Canada a bénéficié du droit de rachat desdites polices sans avoir eu à payer les primes annuelles et que les primes annuelles de 279 763 $ payées par R3D sont un avantage qui doit être rajouté au revenu de 445 Canada pour les années d’imposition en question.

4. Sommaire de la preuve testimoniale

4.1 Marc-André Roy, témoin des appelantes

[21] M. Roy a fait un survol de la structure des sociétés en expliquant qu’il y avait au départ une seule société en exploitation, soit R3D, constituée en 1996. Elle offrait des services de conseils en gestion de la technologie de l’information à de grandes entreprises. Il en était cofondateur et détenait environ deux tiers des actions par l’entremise de Gestion Roy, elle aussi constituée en 1996.

[22] En 2007, on a constitué 445 Canada et une fiducie familiale.

[23] Au fil du temps, de nombreuses filiales ont été constituées pour offrir les mêmes services que R3D à l’étranger. Ces filiales ont plus tard été regroupées dans la société R3D International Inc. (« R3D International »), constituée en 2011.

[24] 445 Canada est devenue l’actionnaire majoritaire de R3D International.

[25] M. Roy a siégé au conseil d’administration de R3D pendant 23 ans, soit de 1996 jusqu’à sa retraite en 2019. Il a également été président des filiales étrangères et de R3D International jusqu’en 2019.

[26] On avait créé une structure semblable à celle de M. Roy pour d’autres actionnaires importants, dont son frère Bernard Roy. Il y avait de plus environ une cinquantaine d’actionnaires qui étaient dirigeants.

[27] On a conclu une nouvelle convention des actionnaires en 2004. Elle prévoyait notamment un mécanisme pour le rachat des actions lors du décès d’un actionnaire afin d’éviter que R3D soit obligée de transiger avec la succession du défunt. Selon M. Roy, ceci était particulièrement important dans son cas, puisque sa succession aurait eu le contrôle réel de R3D ce qui aurait été « dommageable » pour les autres actionnaires. De plus, en raison de la prestation d’assurance, sa succession pouvait obtenir la valeur de ses actions. Les primes étaient payées par R3D ce qui protégeait l’ensemble des actionnaires.

[28] Les paragraphes 9.1 et 9.2 de la convention des actionnaires traitaient expressément de la situation de M. Roy et de trois autres actionnaires importants et prévoyaient le rachat des actions en utilisant la prestation de l’assurance-vie pour l’actionnaire en question.

[29] Une police assurant la vie de M. Roy pour 3 000 000 $ était en place depuis 1998. À ce moment-là, R3D était titulaire et bénéficiaire de la police; il s’agissait d’une police temporaire de 10 ans.

[30] Après la conclusion de la convention en 2004, M. Roy a accepté la recommandation de ses experts-conseils de maintenir la police temporaire en question, mais de la convertir en police d’assurance-vie entière avec compte de placement. Il a aussi accepté une modification selon laquelle Gestion Roy et 445 Canada seraient titulaires des polices et R3D bénéficiaire révocable.

[31] Selon le paragraphe 9.4 de la convention, la société pouvait aussi contracter une police d’assurance-vie pour les dirigeants lorsque la valeur de leurs actions de R3D atteignait environ 500 000 $. Dans tous les cas, le but était de fournir des liquidités pour le rachat des actions de la succession lors du décès.

[32] La valeur des polices d’assurance devait refléter la juste valeur marchande des actions. Ainsi, la convention prévoyait un mécanisme pour évaluer la société chaque année, ce qui, selon M. Roy, expliquait le nombre de polices d’assurance.

[33] De 2008 à 2012, le chiffre d’affaires de R3D a augmenté d’environ 40 % par année. Selon M. Roy, c’est pourquoi il était assuré pour un montant total de 20 000 000 $, partagé entre Gestion Roy et 445 Canada.

[34] Selon M. Roy, la désignation d’un bénéficiaire révocable permettait de changer le bénéficiaire sans demander sa permission, et ceci était important s’il y avait des changements de la structure des sociétés ou une vente de R3D.

[35] Les primes payées par R3D n’étaient pas déduites dans les déclarations de revenus. Il n’y avait pas de remboursement de la part des appelantes.

[36] L’ensemble des polices d’assurance, y compris celles des dirigeants, étaient gérées par le bureau du vice-président des finances de R3D.

[37] Selon M. Roy, le rôle de Gestion Roy et de 445 Canada comme titulaires des polices en question était passif, elles étaient tout simplement propriétaires.

[38] Au mois de février 2017, R3D a demandé le retrait des montants accumulés dans les comptes de placement des deux polices d’assurance dont Gestion Roy était titulaire. Le retrait total de 360 000 $ a été déclaré dans les états financiers de R3D et le montant imposable était de 98 840 $.

[39] Selon M. Roy, même si Gestion Roy et 445 Canada étaient titulaires des polices, les montants accumulés dans les comptes de placement appartenaient à R3D, puisqu’elle payait les primes.

[40] M. Roy a expliqué qu’à partir de 2015, le groupe cherchait un partenaire financier, espérant trouver un client investisseur. En fin de compte, R3D a reçu une offre d’achat d’un groupe composé principalement de Québecor, La Capitale et Investissement Québec (« nouvelle R3D »). L’entente a été conclue en avril 2019. Nouvelle R3D a acquis les actifs de R3D et les actions de R3D International.

[41] Étant donné la vente des sociétés en exploitation, les polices n’étaient plus requises. Au mois d’avril 2019, R3D a demandé la résiliation des polices d’assurance de Gestion Roy et de 445 Canada, à l’exception d’une police qui a été offerte en garantie lors de la vente. R3D a reçu le remboursement de l’excédent des comptes de placement accumulé depuis le retrait effectué en 2017.

[42] En contre-interrogatoire, M. Roy a reconnu qu’il avait signé la documentation pour mettre en place les polices d’assurance pour les appelantes et qu’il avait aussi signé les documents pour faire en sorte que R3D paie les primes mensuelles.

[43] Il a reconnu que la convention des actionnaires n’exigeait pas que R3D obtienne de l’assurance-vie et que la décision était laissée aux actionnaires par voie de résolution.

[44] M. Roy a reconnu que R3D était titulaire de la première police d’assurance- vie en 1998 pour 3 000 000 $ et que R3D a dû remplir un formulaire pour céder cette police à Gestion Roy, pour ensuite changer la police temporaire à une police d’assurance-vie entière.

[45] M. Roy a reconnu qu’une police d’assurance-vie détenue par Gestion Roy a servi de garantie lors de la vente de l’actif de R3D à la nouvelle R3D.

[46] Il a reconnu que dans leurs déclarations de revenus, Gestion Roy et 445 Canada ont déclarés des pertes ou des revenus nets n’excédant pas 1 200 $ pour les années en cause.

4.2 Julie Beaurivage, témoin de l’intimé

[47] Mme Beaurivage est vérificatrice fiscale à l’ARC depuis 2008. Elle a complété un baccalauréat en comptabilité et a obtenu le titre de CPA/CGA. Au moment de la vérification, elle était affectée aux vérifications des entreprises dont le revenu est de 20 à 250 millions de dollars.

[48] La vérification de R3D a été entamée en 2016 par un collègue pour les années d’imposition 2014 et 2015. Selon les documents comptables, il y avait une dépense pour des primes d’assurance, mais on ne déduisait aucune dépense dans les déclarations de revenus. Le vérificateur a demandé une copie de l’ensemble des polices d’assurance et a constaté que Gestion Roy et 445 Canada étaient titulaires d’un certain nombre de polices. Il n’y avait pas de rajustements intersociétés entre R3D et Gestion Roy ou 445 Canada. Le bilan n’indiquait pas de compte de placement.

[49] Mme Beaurivage a revu la comptabilité de R3D pour 2016 et 2017 et a constaté que les primes d’assurance apparaissaient encore comme dépenses, mais qu’il n’y avait pas de déduction fiscale. Elle a constaté un compte de placement de 77 615 $ comme actif au bilan, mais seulement pour l’exercice 2017.

[50] Elle a constaté qu’il y avait des sorties de fonds mensuelles pour plusieurs polices d’assurance dont des polices d’assurance-vie temporaire assurant la vie de plusieurs dirigeants. R3D est le titulaire et le bénéficiaire de ces polices.

[51] Cependant, les polices d’assurance-vie détenues par les appelantes étaient des polices entières et non temporaires. Gestion Roy et 445 Canada étaient titulaires de ces polices et R3D était le bénéficiaire révocable.

[52] Mme Beaurivage a vérifié les primes payées par R3D en consultant les polices d’assurance de Gestion Roy et 445 Canada où les mensualités sont indiquées. Cependant, les montants payés dépassent ceux indiqués dans les polices. Elle n’a pas revu la comptabilité de Gestion Roy ou de 445 Canada, mais a noté que les déclarations de revenus n’indiquaient pas de dépenses pour les primes d’assurance et que les appelantes n’avaient pas les moyens financiers de payer les primes en question.

[53] En contre-interrogatoire, Mme Beaurivage a reconnu qu’il y avait une erreur dans son rapport de vérification et que 445 Canada est actionnaire de R3D International et non de R3D. Elle a expliqué que c’est à cause de ceci, que le ministre invoque le paragraphe 246(1) plutôt que le paragraphe 15(1).

[54] Mme Beaurivage a été contre-interrogée quant aux démarches entreprises pour établir le montant des primes d’assurance annuelles payées par R3D. Elle a indiqué que les cotisations en question sont fondées sur les mensualités payées selon les documents comptables et non selon les contrats d’assurance.

[55] L’intimé s’est opposé en indiquant que le montant total des primes payées par R3D n’a pas été remis en doute. La Cour prend note de l’opposition.

[56] Mme Beaurivage a expliqué qu’en fin de compte, l’ARC a décidé d’établir des cotisations pour Gestion Roy et 445 Canada en tentant compte des primes payées par R3D et non de la valeur de rachat des comptes de placement de certaines polices, et ce, nonobstant les divers calculs pour déterminer le « CBR » ou coût de base rajusté des polices.

[57] Mme Beaurivage a expliqué qu’au mois de février 2017, il y avait eu des retraits de 31 500 $ et de 328 450 $, pour un total de 360 000 $ des comptes de placement des polices détenues par Gestion Roy. Ces montants ont été versés à R3D. Elle était d’avis que Gestion Roy devait y consentir à titre de titulaire.

5. Analyse

5.1 Questions préliminaires

[58] Premièrement, la Cour est d’avis que le témoignage de la vérificatrice était à la fois fiable et crédible, et ce, nonobstant un contre-interrogatoire vigoureux. En particulier, la Cour doit rejeter la prétention des appelantes que le dossier de l’ARC était lacunaire et ne faisait pas état d’une comptabilité adéquate. La comptabilité de R3D a été revue pour les années en cause et le montant des primes payées provenait de cette analyse. Il n’était pas nécessaire de revoir la comptabilité des appelantes puisqu’il n’y avait aucune mention de primes d’assurance dans leurs déclarations de revenus. La Cour est donc d’accord avec l’intimé qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute le montant des primes payées par R3D pour les années en cause.

[59] Deuxièmement, les appelantes soulèvent la question du fardeau de la preuve et prétendent que les hypothèses de faits ont été démolies, de sorte qu’il revenait à l’intimé de faire la preuve des hypothèses sur lesquelles le ministre s’était fondé pour établir les cotisations en question. La Cour est d’accord avec l’intimé que les faits essentiels ont été établis, soit l’identité des titulaires, de l’assuré, du bénéficiaire révocable, et du payeur et le montant des primes annuelles. La Cour est donc d’avis qu’il n’y a pas lieu de débattre la question du fardeau de la preuve puisque, comme l’indique l’intimé, « la question au cœur du litige est la qualification du paiement par le bénéficiaire révocable ».

[60] Finalement, il est établi que 445 Canada était actionnaire de R3D International et non de R3D, qui a tout de même payé ses primes d’assurance. Il est d’ailleurs indiqué dans l’avis d’appel modifié, que 445 Canada « détient des actions dans le capital-actions de R3D International […] soit une société liée à R3D […] » et que la Cour doit déterminer s’il y a eu un avantage imposable au sens du paragraphe 246(1). La Cour doit donc faire l’analyse en vertu de cette disposition.

5.2 Les arguments de fond

[61] Bien que l'intimé ait présenté une position subsidiaire, soit le paragraphe 246(1) de la LIR, il est principalement question du paragraphe 15(1), dont l'objectif est d'imposer la valeur des avantages conférés par une société qui ne sont pas par ailleurs inclus dans le revenu d'un actionnaire.

[62] Comme l’a noté la juge V. Miller dans Post c. La Reine, 2016 CCI 92, l’un des objectifs du paragraphe 15(1) consiste à éviter que les sociétés utilisent des moyens détournés pour conférer un avantage économique non imposé à ses actionnaires (par. 30). De façon générale, dans la plupart des décisions portant sur cette disposition, la société a conféré un bénéfice ou un avantage personnel sous forme de logement ou de véhicule de luxe, par exemple, utilisé directement par un actionnaire ou un membre de sa famille.

[63] En l’espèce, les appelantes reprennent le témoignage de M. Roy et affirment que R3D n’était pas titulaire des polices d’assurance pour des raisons commerciales, soit: i) accorder aux appelantes la possibilité de modifier le bénéficiaire s’il y avait des changements de la structure des sociétés, ii) mettre la valeur de rachat à l’abri des créanciers, iii) assurer que la société eu exploitation ait les liquidités nécessaires pour effectuer le rachat des actions lors d’un décès selon les obligations de la convention des actionnaires, et ainsi iv) rassurer les autres actionnaires de R3D qu’advenant le décès de M. Roy, ils pourraient éviter qu’une tierce partie acquière le contrôle.

[64] Elles affirment que puisque R3D payait les primes, cela avait pour effet de rassurer l’ensemble des actionnaires et qu’il était « logique que R3D paie les primes », puisqu’elle aurait droit aux prestations lors du décès d’un actionnaire. La structure a été établie « suivant les conseils professionnels […] et dans le meilleur intérêt de R3D et non des appelantes ».

[65] La Cour est d’avis que ces affirmations tentent d’expliquer « pourquoi » les polices d’assurances-vie de M. Roy étaient détenues par les appelantes après 2004 (alors que R3D était titulaire des polices d’assurance avant cette date), mais sans traiter de la question de l’avantage imposable.

[66] Sans accepter qu’il était « logique que R3D paie les primes », la Cour accepte qu’il était plus pratique que les primes pour les polices de Gestion Roy et de 445 Canada, de même que celles de l’ensemble des dirigeants, sont payées et gérées par le vice-président des finances de R3D. Cependant, là n’est pas la question. La question est de savoir s’il y a eu un avantage conféré aux des appelantes.

[67] Si les appelantes tentent d’affirmer qu’elles ont accepté la recommandation de leurs experts-conseils et qu’elles ont subi un préjudice, cet argument doit être rejeté. Dans Dyck c. La Reine, 2007 CCI 458 (« Dyck »), le comptable des appelants avait recommandé qu’on regroupe un compte de placements détenu au nom d’une société dont ils avaient le contrôle, avec leur compte conjoint personnel en un seul compte de placement susceptible d’offrir un meilleur rendement sur les fonds combinés (par. 4). Trois ans plus tard, ce même comptable a recommandé que les appelants rétablissent « le statu quo antérieur », ce qu’ils ont tenté de faire. Les appelants ont indiqué qu’ils n’avaient « fait aucun retrait du compte de placement conjoint entre la date du virement initial […] et celle du virement rétablissant le solde auparavant inscrit dans le compte » de la société (par. 5). Le ministre a établi une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 15(1) de la LIR et les appelants ont interjeté appel. Le juge Bowie a rejeté l’appel, indiquant ce qui suit:

[11] […] Je n’accepte pas cette description des deux opérations qui ont eu lieu grosso modo à trois ans d’intervalle. […] Dans la présente affaire, les Dyck […] ont procédé au virement de l’actif de la société à leur compte. L’opération qui a eu lieu était réelle. L’opération de mars 2000 était également une opération réelle. Les contribuables n’ont pas fait ce qu’ils ont fait en 2000 pour refléter convenablement une opération antérieure qui avait été mal enregistrée. Malheureusement, les contribuables ne peuvent effacer le passé, ni le forger après coup, lorsqu’il s’avère qu’ils ont commis une erreur, sauf dans des catégories très restreintes d’affaires où la loi applicable le sanctionne expressément. Lorsque le solde du compte de la société a été viré au compte conjoint des appelants, les fonds sont devenus leur propriété. Le fait qu’ils n’aient retiré aucun montant du compte de placement n’y change rien. Ils en étaient les propriétaires. Les fonds étaient placés auprès de Nesbitt Burns à leur avantage. Toute croissance du compte était à leur avantage. Le cas échéant, ils auraient pu retirer une partie ou la totalité des fonds du compte et les utiliser pour ce qu’ils voulaient.

[Je souligne]

[68] Lorsque la cour est « en présence de mouvements de fonds réels, l’erreur comptable ne peut être retenue comme exonérant la responsabilité du contribuable et permettant de conclure qu’il ne souhaitait pas ce qui s’est produit » : Helwani c. Agence du revenu du Québec, 2015 QCCQ 6676 (par. 53). Il en va de même qu’il s’agisse d’un courtier d’assurance ou d’un autre professionnel.

[69] Selon les appelantes, « R3D s’est toujours comportée comme le réel propriétaire des polices » et « il n’y a pas d’ambiguïté quant à la propriété du produit de l’assurance-vie » advenant le décès de M. Roy. Elles affirment que R3D est « la seule entité qui bénéficie ou qui a bénéficié des polices d’assurance-vie […] puisque c’est elle qui aurait reçu directement les fonds advenant le décès de M. Roy […] ce qui inclut le capital assuré majoré et […] la valeur des comptes de placement ». Elles ajoutent que même si cela n’est pas prévu dans les polices d’assurance, c’est R3D qui a bénéficié des comptes de placement en 2017 et 2019.

[70] Elles affirment que c’est aussi R3D qui contrôlait « tous les éléments et les actions à poser » au sujet des polices, notamment i) le montant de l’assurance qui devait refléter la valeur des actions, ii) le moment de souscrire une nouvelle police, iii) le titulaire, iv) l’annulation des polices ou non, et finalement v) les directives à l’assureur.

[71] La Cour est d’avis que ces arguments doivent être rejetés parce qu’ils ne tiennent pas compte de la nature d’un contrat d’assurance avec compte de placement. Il est établi que les appelantes étaient titulaires des polices. La Cour est d’accord avec l’intimé que les appelantes ne peuvent prétendre que le bénéficiaire révocable possédait « les mêmes droits et obligations qu’un titulaire » ou qu’il pouvait « exercer les droits des titulaires alors que l’assuré n’est pas décédé ».

[72] Dans Scotti c. Agence du revenu du Québec, 2019 QCCQ 7579 (« Scotti »), la cour devait revoir la nature d’une police d’assurance-vie avec compte de placement. Elle a expliqué qu’elle comporte « un volet épargne-placements » qui permet au titulaire « de verser mensuellement une prime supérieure au coût d’assurance et d’accumuler l’excédent […] dans les fonds de placements ». De plus, elle comporte une « valeur de rachat dont la détermination est en partie tributaire des sommes accumulées dans le fonds de capitalisation ». Ainsi, la valeur de rachat est « la somme qu’un assuré peut toucher en cas de retrait ou de rachat des sommes détenues ». Il s’agit d’un droit qui revient à l’assuré ou au titulaire de la police et non au bénéficiaire.

[73] Ces principes ont aussi été examinés dans White c. La Reine, 2008 CCI 414, et dans Kratochwil c. La Reine, 2012 CCI 45 (« Kratochwil »), où le juge Hogan a expliqué que la LIR « prévoit des règles complexes selon lesquelles les primes payées conformément à une police d’assurance sont d’abord affectées au coût de l’assurance pour le contribuable » et que l’excédent, ou la valeur de rachat moins le coût de base rajusté, donne lieu à un revenu de placement imposable (par. 8 et 9).

[74] Selon l’article 2389 du Code civil du Québec, CCQ-1991 (« CcQ ») : « Le contrat d’assurance est celui par lequel l’assureur, moyennant une prime ou cotisation, s’oblige à verser au preneur ou à un tiers une prestation dans le cas où un risque couvert par l’assurance se réalise ».

[75] Les parties au contrat d’assurance sont donc « l’assureur » et le « preneur ». Le preneur, aussi décrit comme le titulaire, est celui qui désigne le bénéficiaire comme étant révocable ou irrévocable. Selon l’article 2454 du CcQ, : « Le titulaire de la police a le droit de participer aux bénéfices et aux autres avantages qui lui sont conférés par le contrat, même si le bénéficiaire a été désigné irrévocablement ». Avec égards, la Cour ne peut accepter la prétention des appelantes que R3D avait le « contrôle » ou prenait des décisions au sujet des polices d’assurance en question.

[76] Comme l’a admis M. Roy à titre d’administrateur des appelantes, c’est lui qui avait signé les contrats d’assurance. C’est aussi lui qui avait désigné R3D comme bénéficiaire révocable, se réservant le droit de changer la désignation advenant un changement quelconque, comme la vente de l’entreprise. Force est de constater que c’est lui qui avait donné les directives à Manuvie pour la cession du solde des comptes de placement à R3D en 2017 et encore en 2019.

[77] Comme l’indique l’intimé, « le titulaire du contrat d’assurance jouit de l’usus (utilisation), du fructus (les revenus) et de l’abusus (droit de disposer) du contrat ». Il peut notamment « racheter, transférer, hypothéquer le contrat d’assurance-vie, mais aussi le donner en garantie, le vendre à un tiers, ainsi que nommer et changer les bénéficiaires », sous réserve de certaines modalités si le bénéficiaire est irrévocable. Après sa désignation par le titulaire, le bénéficiaire acquiert le droit de réclamer l’indemnité y compris les comptes de placement, lors du décès de l’assuré.

[78] Dans R. c. La Capitale, Compagnie d’Assurance Générale, [1998] 3 C.F.F-13. No A-612-95, 6 février 1998 (C.A.F) (« La Capitale »), la cour explique que « le contrat d’assurance […] en droit civil québécois […] est un contrat de vente sui generis au terme duquel l’assuré achète une indemnité payable en cas de réalisation du risque couvert […] » (par. 37). La cour ajoute que « ce droit à une indemnité […] constitue un bien au sens de la [LIR]. En effet, le mot ‘bien’ est défini au paragraphe (1) de l’article 248 d’une manière très large et englobante qui inclut, à ce titre, la vente d’un droit de quelque nature qu’il soit […] » (par. 41).

[79] Comme l’indique la Cour suprême du Canada dans Perron-Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375, mises à part certaines exceptions prévues aux articles 2552 et 2554 du CcQ, le titulaire d’un contrat d’assurance « peut désormais céder et mettre en gage les droits que lui confère un contrat d’assurance, même quand le bénéficiaire a été désigné à titre irrévocable » (par. 51).

[80] Les appelantes reconnaissent qu’il y a un avantage lorsqu’un bien est mis à la disposition de l’actionnaire, et ce, même s’il ne l’a pas réellement utilisé. Cependant, elles affirment que l’actionnaire doit réellement avoir reçu cet avantage. Elles renvoient à la décision Brassard c. Agence du revenu du Québec, 2012 QCCQ 11684, où le contribuable était l’unique actionnaire d’une société qui possédait un bien immeuble situé à une station de ski. La Cour du Québec a accueilli l’appel en indiquant qu’il n’y avait pas eu d’avantage, puisque l’immeuble n’avait pas été acheté pour être mis à la disposition personnelle de l’actionnaire et n’avait pas été utilisé à cette fin, de sorte que l’actionnaire n’avait tiré aucun avantage.

[81] De même, dans la décision Youngman c. La Reine, [1990] A.C.F. no 341 (QC) (C.A.F.), une société avait financé la construction d’une résidence pour l’usage exclusif de l’actionnaire majoritaire, qui versait ensuite un loyer. Le ministre était d’avis que le loyer ne reflétait pas la juste valeur marchande et qu’il s’agissait d’un avantage imposable.

[82] À mon avis, cette décision ne s’applique pas à l’instance. Dans la décision La Capitale, précitée, la Cour a rejeté l’analogie en expliquant que « le contrat d’assurance n’est pas […] un contrat de location de biens ou de services […] qui sont fournis périodiquement (par exemple, au jour le jour ou à chaque mois) et facturés à intervalles fixes » (par. 36 et 37). La Cour est d’avis que dès que le contrat d’assurance existe, il y a un avantage, et ce, même si le risque couvert par l’assurance ne se réalise pas d’une année à l’autre.

[83] Les appelantes renvoient à Minister of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C.E. 676 (« Pillsbury »), qui établit les principes de base pour un avantage. La Cour mentionne qu’un avantage est équivalent au versement d’un dividende (par. 19), mais qu’une opération commerciale véritable entre une société et un client qui est aussi actionnaire n’est pas un avantage au sens de la disposition (par. 20). Selon les appelantes, il est nécessaire que la société ait eu l’intention de conférer un avantage à son actionnaire. Dans Pillsbury, il était question de l’alinéa 8(1)(c) LIR, la disposition antérieure au paragraphe 15(1), qui disposait « un bénéfice ou un avantage a été attribué à un actionnaire par une corporation ». La Cour a indiqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

[22] Il faut donner tout leur sens aux mots de l’alinéa (c). Il doit y avoir « un bénéfice ou un avantage », et celui-ci doit avoir été « attribué » à un « actionnaire » par une corporation. Le verbe « attribuer » signifie « accorder » ou « donner ». [...]

[84] Cependant la cour a aussi ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION]

[21] Par contre, certaines opérations entre des sociétés fermées et leurs actionnaires visent en fait à accorder des bénéfices à ceux-ci en tant qu’actionnaires, et l’alinéa c) s’applique manifestement à ces opérations. […] La question de savoir si une opération qui prétend être une opération commerciale véritable conifère en fait un bénéfice à l’actionnaire est une question de fait.

[Je souligne]

[85] Il n’est pas contesté que les appelantes étaient contractuellement titulaires des polices d’assurance et que R3D payait les primes annuelles. En suivant l’approche de Pillsbury, la Cour est d’avis qu’il s’agissait d’une opération par laquelle R3D voyait à attribuer un bénéfice aux appelantes.

[86] Selon le témoignage de M. Roy, R3D était titulaire de polices d’assurance-vie temporaires et a payé les primes jusqu’en 2004 lorsque, selon les recommandations de ses experts-conseils, les polices ont été échangées pour des polices d’assurance-vie entière avec comptes de placement. C’est à partir de ce moment-là que les appelantes étaient obligées de payer les primes et que les comptes de placement s’accumulaient en leur faveur, qu’elles aient reçu ces montants ou non. Voir la décision Dyck de la Cour canadienne de l’impôt, précitée.

[87] Selon les appelantes, le paragraphe 15(1) ne s’applique que « lorsqu’une transaction ou série de transactions entraine un appauvrissement de la société et un avantage économique pour l’actionnaire ». Elles affirment que l’avantage « doit dépendre de considérations pratiques et réalistes et ne peut inclure des situations hypothétiques ou fictives ». Elles renvoient à la décision Del Grande c. La Reine, 1992 A.C.I. no 724 (QC), où le juge en chef Bowman a indiqué ce qui suit :

L’alinéa 15(1)(c) exige l’octroi d’un véritable avantage économique à l’actionnaire. Le terme « accorder » sous-entend l’octroi de dons ou de largesse qui procurent un avantage économique au bénéficiaire en entrainant un désavantage économique correspondant pour la corporation […] L’alinéa 15(1)(c) ne prévoit pas l’inclusion dans le revenu d’un contribuable « d’avantage » hypothétiques or fictifs découlant d’un changement de relation juridique à la suite de l’exercice d’un droit légal.

[Je souligne]

[88] De même, dans la décision Colubriale c. La Reine, 2005 CAF 329, la Cour a indiqué que « l’avantage doit être réel et l’actionnaire ne peut être imposé sur la base d’une fiction juridique » (par. 27 et 28).

[89] Les appelantes renvoient également à Canada (Procureur général) c. Hoefele, [1996] 1 C.F. 322 (C.A.F.) (« Hoefele »), où la Cour indique qu’une « rentrée doit avoir pour effet d’augmenter la valeur nette du patrimoine du bénéficiaire », et qu’à l’inverse, « la rentrée qui n’augmente pas celle-ci n’est pas un avantage et n’est pas imposable ». La Cour indique de plus que la jurisprudence prévoit que l’accent doit être mis sur le gain net pour déterminer si une rentrée constitue un « avantage imposable […] » (par. 8 et 9).

[90] Par exemple, dans la décision Fingold c. La Reine, [1998] 1 C.F. 406, l’actionnaire a eu droit au remboursement de dépenses personnelles par la société parce qu’il était actionnaire. La Cour a conclu qu’il s’agissait d’un avantage parce qu’il aurait autrement dû acquitter ces dépenses lui-même.

[91] En l’espèce, les appelantes indiquent que Gestion Roy et 445 Canada n’ont tiré aucun avantage économique des polices pendant la période en cause, lors du rachat des comptes de placement ou lors de l’annulation des polices.

[92] Elles affirment qu’à titre de titulaires des polices, elles « n’ont jamais vu leur patrimoine augmenter de la valeur des polices ou en raison du paiement des primes ». Elles ont eu la possibilité de modifier le bénéficiaire, mais dans les faits, il n’y a jamais eu de modification et « cette modification n’est pas chiffrable ou n’a pas une valeur tant qu’il [sic] n’est pas exercé ». Le seul avantage économique est la valeur de rachat des comptes de placement, mais ceux-ci ont été versés à R3D.

[93] La Cour est d’avis que ces arguments doivent être rejetés puisque Gestion Roy n’a pas eu à payer des primes annuelles de 88 782 $ et 445 Canada n’a pas eu à payer des primes annuelles de 279 763 $ pendant les années en cause. Il s’agit donc d’un avantage économique facilement mesurable. De façon pratique et réaliste, les appelantes se sont enrichies, puisqu’elles n’ont pas eu à payer les primes en question, tandis que la société R3D s’est appauvrie, en espérant recevoir la prestation et les comptes de placement advenant le décès de M. Roy. La Cour est d’avis que l’avantage économique ne relève pas d’une fiction juridique et n’est pas autrement hypothétique ou fictif.

[94] Les appelantes soutiennent que l’avantage imposable « doit non seulement réellement exister », mais qu’il doit être réalisé « s’il est assujetti à quelconque condition » : Procureur général du Canada c. Henley, 2007 CAF 370 (« Henley »).

[95] Lorsqu’il s’agit d’un bien futur, « ce n’est que lorsque la condition ou l’éventualité est accomplie qu’un tel avantage prend naissance » : Engelberg c. Agence du revenu du Québec, 2017 QCCQ 14819 (« Engelberg »).

[96] Dans cet ordre d’idées, les appelantes soutiennent que même si elles pouvaient révoquer le bénéficiaire, en supposant qu’il s’agissait d’une condition, celle-ci ne s’est jamais réalisée, de sorte que « l’avantage n’est pas encore né ».

[97] En d’autres mots, la simple possibilité que les appelantes puissent révoquer le bénéficiaire ne s’est jamais réalisée pendant la période en cause, de sorte qu’il n’y a pas eu de « cristallisation de l’avantage ». Il en va de même pour l’indemnité en raison du décès de l’assuré ou le paiement de la valeur de rachat des comptes de placement. Ces avantages ne se sont jamais réalisés, puisque « c’est R3D qui a reçu la valeur de rachat et qui l’a déclarée dans ses revenus de placement ».

[98] Elles affirment que « la révocabilité du bénéficiaire est une éventualité purement hypothétique et fictive » et qu’en fait, il n’y a eu aucun changement de bénéficiaire jusqu’à l’annulation des polices en 2019, et que « la simple possibilité » que les appelantes auraient pu révoquer le bénéficiaire, ne peut constituer un avantage « au sens du paragraphe 15(1) ou 246(1) de la LIR ».

[99] Elles notent que même un « bénéficiaire irrévocable » peut être révoqué s’il y consent, de sorte que la possibilité de révoquer un bénéficiaire « n’est pas un élément déterminant » permettant d’établir un avantage imposable.

[100] Ces arguments doivent aussi être rejetés. Dans Henley et Engelbert, il était question d’un transfert conditionnel ou éventuel d’un bien qui ne s’est jamais produit, de sorte qu’il n’y a pas eu cristallisation de l’avantage. Dans Englebert, la Cour a indiqué que « ce n’est que lorsque la condition ou l’éventualité est accomplie qu’un tel avantage prend naissance » (par. 39). En l’espèce, les appelantes pouvaient en tout temps révoquer la désignation de R3D comme bénéficiaire, mais il s’agit d’un droit qui découle du contrat d’assurance. La Cour n’est pas convaincue qu’il s’agit là d’un avantage imposable plutôt que simplement un choix que les appelantes pouvaient ou non exercer.

[101] Il est aussi établi que R3D n’a jamais reçu l’indemnité de décès puisque les polices d’assurance ont été résiliées en 2019, du vivant de M. Roy. En payant les primes d’assurance, R3D s’est appauvrie sans jamais toucher à la prestation. Mais là n’est pas la question, puisque les cotisations des appelantes en l’espèce visent les primes annuelles payées par R3D, exigibles en vertu des contrats d’assurance peu importe si le risque couvert par l’assurance se réalise ou non. C’est la nature d’un contrat d’assurance selon l’article 2389 du CcQ, précité.

[102] La Cour doit aussi rejeter l’argument des appelantes que « le seul avantage économique est la valeur des comptes de placement » qui ont été versés à R3D et non aux appelantes. Comme l’explique la Cour dans Scotti et Kratochwil, précités, la valeur de rachat moins le coût de base rajusté, peuvent donner lieu à un revenu de placement imposable. Pour l’année d’imposition 2017, il y a eu cession de la valeur de rachat à R3D. Cependant, la Cour est d’avis que le bénéfice qu’a reçu R3D avec l’aval de M. Roy n’est pas pertinent à l’avantage reçu par les appelantes, soit le montant des primes payées par R3D.

[103] Les appelantes affirmant de plus qu’il y a eu cession du droit des titulaires des polices d’assurance « de façon implicite » et que Manuvie a reconnu cette cession lorsqu’elle a accepté de verser le solde des comptes de placement à R3D en 2017 et que les chèques de remboursement ont été déposés directement dans son compte « sans transiter par le patrimoine des appelantes ». Elles renvoient à Caisse populaire Desjardins de Saint-Paul d’Abbotsford c. Promutuel Valmont, 2001 CanLII 24478. Dans cette affaire, un bien-fonds assuré par la défenderesse avait été détruit par un incendie. Il y a eu un premier versement en vertu de la police d’assurance payable conjointement au créancier hypothécaire et au propriétaire. Ce dernier a ensuite déclaré faillite et le créancier hypothécaire a dû prendre possession des lieux. La défenderesse a ensuite tenté de résilier le contrat d’assurance en alléguant qu’elle n’avait pas reçu un avis écrit de la cession de la police du titulaire au créancier hypothécaire. Cet argument a été rejeté et la Cour a conclu que : « la défenderesse avait reconnu implicitement les droits du créancier hypothécaire […] par le paiement conjoint au bénéfice de la partie demanderesse et l’assuré » (par. 9). Les appelantes prétendent qu’on peut faire un parallèle ici étant donné le versement des comptes de placement directement à R3D.

[104] La Cour est d’avis que cet argument doit être rejeté, étant donné la nature de la clause hypothécaire dans le contrat d’assurance-habitation. Il n’y a pas lieu de confondre ceci avec une cession du solde des comptes de placement effectuée selon la directive signée par M. Roy, président de R3D et aussi actionnaire majoritaire des appelantes, qui étaient titulaires des polices d’assurance.

[105] Il reste l’application du paragraphe 246(1) de la LIR pour la cotisation de 445 Canada. Dans l’arrêt Les Consultants Pub Création inc. c. La Reine, 2008 CAF 60, il était question d’un avantage monétaire versé par une société à son actionnaire. Le juge de première instance avait invoqué l’alinéa 6(1)(a) « de son propre chef » alors que « l’intimée l’avait formellement retiré de ses procédures » (par. 16 et 17). L’affaire a été portée en appel. La Cour d’appel fédérale a indiqué que le législateur avait « limité l’application de cette mesure anti-évitement aux situations où la valeur de l’avantage visé n’est pas par ailleurs ‘incluse’ dans le calcul du revenu du contribuable en vertu de la Partie I » (par. 22). Elle a ajouté, en citant la décision Massicotte c. La Reine, 2004 CCI 558 :

[34] Le paragraphe 246(1) de la LIR est une disposition d'application subsidiaire puisqu'il doit être démontré que la somme n'est pas incluse ailleurs (par exemple, en vertu du paragraphe 15(1) de la LIR) et qu'elle le serait si le paiement fait au contribuable lui avait été fait directement.

[…]

[36] Conséquemment, on appliquera « subsidiairement » le paragraphe 246(1) de la LIR. Cela ne signifie pas que l'intimée n'ait pas la possibilité d'établir une cotisation sur le seul fondement du paragraphe 246(1) de la LIR puisque le paragraphe 246(1) de la LIR est suffisant à titre de fondement d'une cotisation.

[37] Il suffit simplement d'établir que la somme n'est pas incluse par ailleurs alors qu'elle le serait n'eut été du fait que le paiement a été fait de façon indirecte. La façon de faire cette preuve est par l'énumération des faits ayant constitué les fondements de la cotisation dans la Réponse à l'avis d'appel. Normalement cette preuve devrait démontrer que la somme n'est pas incluse dans le calcul du revenu du contribuable, mais l'aurait été si le paiement avait été fait directement.

[106] Plus récemment, dans l’arrêt Laliberté c. La Reine, 2020 CAF 97, la Cour d’appel fédérale a accepté que le cadre d’analyse à l’égard du paragraphe 15(1) et du paragraphe 246(1) était essentiellement le même.

[107] En l’espèce, étant donné l’analyse qui précède, la Cour est d’avis que R3D a conféré un avantage à 445 Canada au sens du paragraphe 246(1) de la LIR.

6. Conclusion

[108] Les appels sont rejetés avec dépens à l’intimé.

[109] Les parties auront 30 jours à partir de la date des présents motifs du jugement pour arriver à une entente sur les dépens. À défaut d’une entente dans ce délai, les parties devront déposer à la Cour leurs observations écrites d’au plus 10 pages au plus tard 30 jours suivant cette période.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2022.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith



RÉFÉRENCE :

2022 CCI 144

DOSSIERS DE LA COUR :

2019-2534(IT)G

2019-2540(IT)G

INTITULÉS :

Gestion M.-A. Roy inc. et Sa Majesté le Roi

4452712 Canada inc. et Sa Majesté le Roi

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 28 février et 1er mars 2022

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Guy Smith

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Avocates des appelantes :

Me Julie Gaudreault-Martel

Me Nicole Platanitis

 

Avocats de l'intimé :

Me Christian Lemay

Me Karman Kong

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Pour les appelantes :

Noms :

Me Julie Gaudreault-Martel

Me Nicole Platanitis

 

Cabinet :

BCF s.e.n.c.r.l.

 

Pour l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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