Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Dossiers : 2012-2456(EI)

                                                                                                  2012-2457(CPP)

ENTRE :

SB TOWING INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

SAMUEL ZAIGH,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus les 5, 6 et 7 juin 2013, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Deborah J. Hudson

Avocate de l’intimé :

Me Lindsay Beelen

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          Les appels formés d’une part contre les décisions du ministre du Revenu national selon lesquelles les 39 travailleurs énumérés à l’annexe A des motifs ci‑annexés étaient, durant la période pertinente, employés par l’appelante dans des emplois assurables et ouvrant droit à pension, et d’autre part contre les cotisations corrélatives établies au titre de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, sont rejetés, sans frais, et les décisions du ministre sont confirmées, conformément aux motifs ci-annexés.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de novembre 2013.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de décembre 2013.

 

C. Laroche


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 358

Date : 20131108

Dossiers : 2012-2456(EI)

2012-2457(CPP)

ENTRE :

SB TOWING INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

SAMUEL ZAIGH,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

I.       Introduction

 

[1]             Il est fait appel de décisions rendues et de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») au titre de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») et du Régime de pensions du Canada (le « RPC »). Le ministre est arrivé à la conclusion que les 39 personnes (les « travailleurs ») énumérées à l’annexe A des présents motifs étaient employées par l’appelante, SB Towing Inc. (« SB Towing »), dans des emplois assurables et ouvrant droit à pension.

 

[2]             L’appelante a demandé le réexamen des décisions du ministre, qui les a confirmées. Elle soutient que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants qui lui fournissaient des services dans le cours des activités qu’ils exerçaient pour leur propre compte.

 

II.      Le contexte

 

[3]             L’appelante, SB Towing, est une société de remorquage et d’assistance routière qui dessert London, en Ontario. Elle a embauché les travailleurs pour qu’ils conduisent des véhicules d’assistance routière (les « véhicules AR ») destinés à venir en aide aux automobilistes en panne sur la route. Les travailleurs fournissaient des services tels que changement de pneus, livraison d’essence et recharge de batteries. L’entreprise pouvait être appelée 24 heures par jour, sept jours par semaine. Brenda Schrans est présidente et unique actionnaire de l’appelante.

 

[4]             La plupart des travailleurs ont signé un contrat écrit appelé [traduction] « Accord d’entrepreneur indépendant » ou [traduction] « Obligations de l’entrepreneur » (les « accords »). Les accords stipulaient qu’ils étaient des entrepreneurs indépendants qui devaient payer eux-mêmes leurs taxes et impôts. La preuve montre que l’appelante ne déduisait pas de la rémunération des travailleurs l’impôt sur le revenu, les primes d’assurance‑emploi ni les cotisations au RPC.

 

[5]             L’appelante était propriétaire ou locataire des véhicules AR utilisés par les travailleurs. Certains travailleurs avaient l’usage exclusif d’un tel véhicule tandis que d’autres devaient partager le véhicule avec un travailleur affecté à la période de travail précédente. Les frais d’exploitation et les frais d’assurance des véhicules AR étaient assumés par l’appelante.

 

[6]             À toutes les époques pertinentes, l’appelante devait, aux termes de contrats (les « contrats CAA ») conclus avec l’Association canadienne des automobilistes (la « CAA »), apporter une assistance routière aux membres de la CAA.

 

[7]             Les contrats CAA obligeaient notamment l’appelante :

 

a)       à se mettre à disposition pour fournir à tout moment des services aux membres de la CAA;

b)      conserver un nombre minimum de véhicules AR sur la route;

c)       appliquer des normes de service, dont la plus importante consistait à assurer l’arrivée sur les lieux de la panne dans un délai de 30 minutes après avoir été informée du besoin d’assistance routière.

 

[8]             Les véhicules AR de l’appelante étaient équipés d’un système informatique mobile CAA par l’entremise duquel les appels de service étaient transmis et acceptés. Les appels CAA représentaient environ 90 p. 100 de tous les appels de service auxquels répondaient les travailleurs, et la quasi-totalité (au moins 90 p. 100) des recettes de l’appelante et des travailleurs était attribuable à ces appels.

 

[9]             Les appels CAA étaient acheminés directement au système informatique CAA d’un camion, selon la distance qui séparait un travailleur de l’endroit où se trouvait le client. Quand un appel arrivait au système informatique du camion d’un travailleur, celui-ci avait en général 10 minutes pour dire s’il acceptait ou refusait l’appel. Selon la politique de la CAA, le véhicule AR doit arriver à l’endroit où se trouve la voiture d’un client dans un délai de 30 minutes après que ce client a appelé la CAA pour être dépanné. Les contrats CAA prévoyaient que les travailleurs devaient donner la priorité aux appels CAA sur tous les autres appels[1].

 

[10]        Si un travailleur se trouvait en dehors de son camion lorsqu’un appel arrivait sur le système informatique CAA, l’appel était relayé vers son téléphone cellulaire. Si le travailleur n’avait pas de téléphone cellulaire avant de se mettre au service de l’entreprise, alors l’appelante lui en fournissait un et déduisait le coût de l’appareil de sa rémunération.

 

[11]        En moyenne, environ 10 p. 100 des appels de service reçus par un travailleur étaient, d’une part, des appels ne relevant pas de la CAA, acheminés par l’appelante, et, d’autre part, des demandes d’assistance routière reçues par le travailleur lui-même au gré de ses déplacements. Dans quelques cas, les travailleurs recevaient sur leurs téléphones cellulaires des appels venant de connaissances personnelles, mais la preuve sur ce point n’est que partielle.

 

[12]        Les travailleurs empochaient une commission de 30 p. 100 des recettes brutes pour chaque appel de service auquel ils répondaient. Cette commission s’appliquait aux appels CAA, pour lesquels il existait des taux préétablis, de même qu’aux « appels impromptus », pour lesquels l’appelante fournissait des taux indicatifs. La plupart des chauffeurs de véhicules AR n’ont pas gagné plus de 30 000 $ durant l’une quelconque des années de la période pertinente[2].

 

[13]        Les travailleurs étaient payés chaque mois, selon ce qu’avait décidé l’appelante. Ils devaient signer leurs fiches de paie en signe d’acceptation de leur rémunération et des prélèvements qui s’y appliquaient pour le mois. Ils ne bénéficiaient pas d’avantages sociaux ni de vacances.

 

[14]        Les travailleurs répondaient des dommages causés à leur véhicule AR ou à d’autres véhicules, jusqu’à concurrence d’une franchise maximale de 2 500 $.

 

[15]        L’ARC a rendu en 2011 des décisions anticipées, où elle concluait que six travailleurs étaient des employés, et non des entrepreneurs indépendants. Par la suite, le ministre a établi la cotisation de l’appelante pour les années d’imposition 2008 à 2010 et conclu que les 39 travailleurs évoqués plus haut étaient des employés.

 

[16]        Les primes ou cotisations non acquittées d’assurance-emploi et de RPC se présentent ainsi :

 

 

Année d’imposition

Montant établi
d’après la LAE

Montant établi
d’après le RPC

 

2008

16 199,88 $

29 786,00 $

2009

16 274,11 $

29 760,68 $

2010

16 327,25 $

30 887,56 $

 

III.     Le point en litige

 

[17]        La question que je dois trancher est de savoir si les travailleurs exerçaient, durant la période pertinente, des emplois assurables et ouvrant droit à pension. Autrement dit, les travailleurs étaient-ils des employés de l’appelante ou gagnaient-ils un revenu en tant qu’entrepreneurs indépendants?

 

IV.     Les positions des parties

 

(A)    L’appelante

 

[18]        L’appelante soutient que les travailleurs n’exerçaient pas des emplois assurables et ouvrant droit à pension, parce qu’ils étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[19]        Selon l’appelante, les accords signés montrent clairement qu’elle-même et les travailleurs envisageaient une relation d’entrepreneur indépendant à client. Leur qualité d’entrepreneur indépendant était également rappelée aux travailleurs lorsqu’ils signaient chaque mois leurs fiches de paie, lesquelles montraient qu’aucun prélèvement n’avait été fait au titre de l’impôt sur le revenu, du RPC ou de l’assurance-emploi. Du reste, certains travailleurs payaient eux-mêmes leurs primes ou cotisations de l’assurance-emploi et du RPC et déduisaient leurs frais professionnels imputables à leurs outils. L’appelante affirme donc que l’intention des parties était de conclure un contrat d’entreprise.

 

[20]        Quant à savoir si la réalité des faits confirme une telle intention, l’appelante soutient que Mme Schrans intervenait peu dans la manière dont les travailleurs accomplissaient leurs tâches, ou dans leur choix d’accepter ou de refuser des appels de service. Mme Schrans a témoigné que les travailleurs pouvaient fixer leurs horaires et choisir leurs lieux d’opération comme ils l’entendaient.

 

[21]        Finalement, selon l’appelante, le fait que les travailleurs empochaient une commission de 30 p. 100 sur les appels de service auxquels ils répondaient atteste une relation d’entrepreneur indépendant à client. Par ce régime de rémunération, les travailleurs étaient seuls maîtres du bénéfice et du revenu qu’ils réalisaient. S’ils travaillaient plus dur, plus vite et plus longtemps, ils gagnaient davantage. Ils assumaient aussi un risque de perte, puisqu’ils étaient exposés à une responsabilité maximale de 2 500 $ pour tout dommage qu’ils causaient au véhicule de l’appelante ou à celui d’un client.

 

(B)     L’intimé

 

[22]        L’intimé rétorque que, considérée globalement, la preuve ne permet pas de dire que les travailleurs avaient accepté le statut d’entrepreneur indépendant que leur imposait l’appelante. D’abord, la preuve montre que certains des contrats étaient antidatés. On peut en déduire que les travailleurs signaient les accords par crainte de perdre leur emploi. La preuve montre aussi que les accords, signés au préalable ou après que l’emploi avait commencé, étaient rédigés par l’appelante et présentés comme des offres non négociables.

 

[23]        Au cas où j’arriverais à une conclusion contraire concernant la totalité ou quelques-uns des travailleurs, l’intimé fait valoir que l’intention d’établir une relation d’entrepreneur indépendant à client n’est pas validée par les véritables circonstances de fait qui caractérisent la relation de l’appelante avec ses travailleurs. Sur ce point, l’intimé relève que l’appelante exerçait sur les travailleurs un contrôle prenant la forme de mesures disciplinaires. L’appelante établissait un calendrier indiquant lequel allait travailler, et quand. Mme Schrans fixait le montant et la forme du paiement que devaient acquitter les clients. L’appelante fournissait les véhicules AR aux travailleurs sans rien leur facturer à ce chapitre. C’est également l’appelante qui se chargeait des frais de carburant, d’assurance et de maintenance liés aux véhicules AR. Finalement, les travailleurs n’étaient pas à même de réaliser un bénéfice ou de courir le risque de perdre de l’argent dans leur travail, puisque, la plupart du temps, ce travail venait de la CAA, qui avait fixé avec l’appelante un prix ferme et un taux de commission ferme.

 

V.      Analyse

 

[24]        Il peut être ardu de faire la distinction entre une relation d’employeur à employé et une relation d’entrepreneur indépendant à client, puisque les conditions et relations de travail sont différentes dans chaque lieu de travail et qu’elles évoluent constamment[3].

 

[25]        La distinction tient aux définitions suivantes du mot « emploi » :

 

          a)       L’alinéa 5(1)a) de la LAE en donne la définition suivante :

 

l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

b)      Le paragraphe 2(1) du RPC en donne la définition suivante :

 

« emploi » L’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction;

 

[26]        La décision de principe sur cette question est l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national[4], qui a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[5] La question centrale est de savoir si, oui ou non, le contribuable « fournit [les services] en tant que personne travaillant à son compte »[6]. L’arrêt Sagaz résume ainsi le critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door et les facteurs à prendre en considération pour connaître le type de relation auquel on a affaire :

 

47.       […] Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire[7].

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[27]        Outre ces facteurs, il faut aussi considérer l’intention subjective des parties. S’il est possible de déceler l’existence d’une intention commune des parties à propos du genre de relation qu’elles entendaient établir, cette intention doit être examinée par la Cour dans son analyse des facteurs susmentionnés.

 

[28]        Il importe de garder à l’esprit toutefois que l’intention des parties n’est pertinente que si les faits de l’espèce permettent de la discerner. L’intention subjective des parties n’est pas en tant que telle déterminante. Le juge Mainville, de la Cour d’appel fédérale, faisait la mise au point suivante dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. s/n Connor Homes c. Ministre du Revenu national[8] :

 

37        [...] La situation juridique d’entrepreneur indépendant ou d’employé ne se détermine donc pas seulement sur la base de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable.

 

[29]        Il ressort aussi de l’arrêt Connor Homes que l’analyse requiert un processus en deux étapes. D’abord, il faut savoir quelle était l’intention des parties pour être en mesure de dire quel type de relation elles souhaitaient établir. Puis, compte tenu de cette intention, il faut analyser les faits pour savoir si elle est bien reflétée dans la réalité objective. À cette deuxième étape, la Cour doit appliquer les quatre critères de l’arrêt Wiebe Door, c’est-à-dire (i) le contrôle, (ii) la propriété des instruments de travail, (iii) les chances de bénéfice et (iv) les risques de perte, pour savoir si la réalité des faits traduit l’intention subjective des parties.

 

(A)    L’intention des parties

 

[30]        Eu égard à l’arrêt Connor Homes, je dois d’abord me demander si les parties entendaient conclure un contrat de louage de services, attestant une relation d’employeur à employé, ou un contrat d’entreprise, attestant une relation d’entrepreneur indépendant à client. On peut pour cela considérer tout accord juridique existant, ainsi que l’attitude des parties, par exemple leurs déclarations fiscales, leurs inscriptions aux fins de la TPS, ou leurs factures pour services rendus[9].

 

[31]        Au vu de la preuve, il est clair que l’appelante entendait recruter les travailleurs en les considérant comme des entrepreneurs indépendants. La question est de savoir si les travailleurs souscrivaient à cette qualification de la relation.

 

[32]        Pour établir s’il existait entre l’appelante et les travailleurs une intention commune, les travailleurs se répartissent en cinq groupes.

 

a)       Groupe de travailleurs n° 1 : Dave Green, Gary Penny, Nathan Vessie. Ces travailleurs ont signé des accords d’entrepreneur indépendant et ont également témoigné que leur intention était de travailler pour l’appelante en tant qu’entrepreneurs indépendants. M. Green et M. Penny ont produit leurs propres déclarations fiscales durant la période en cause et ont également payé leurs primes d’assurance-emploi et leurs cotisations du RPC. M. Penny a déduit les frais liés à ses instruments de travail, à titre de frais professionnels. La preuve donne à penser qu’ils ont une assez bonne idée de la différence qui existe entre un employé et un entrepreneur indépendant. Je suis donc d’avis que l’appelante et ces travailleurs avaient l’intention commune d’établir une relation d’entrepreneur indépendant à client.

 

b)      Groupe de travailleurs n° 2 : James R. Sheridan, Samuel Zaigh, Christopher Book. Ces travailleurs ont signé le document [traduction] « Obligations de l’entrepreneur », ou ont signé des accords d’entrepreneur indépendant. Cependant, ils ont tous témoigné qu’ils se considéraient comme des employés de SB Towing. M. Sheridan et M. Zaigh ont dit que, pour la période pertinente, ils n’avaient pas payé les primes et cotisations requises de l’assurance-emploi et du RPC. Ces travailleurs semblent avoir une connaissance élémentaire de la différence qui existe entre un employé et un entrepreneur indépendant. J’accepte leurs témoignages portant sur leur intention subjective et je suis donc d’avis que ces travailleurs n’ont pas accepté la manière de l’appelante de qualifier leur relation avec elle.

 

c)       Groupe de travailleurs n° 3[10] : ces travailleurs ont signé au moins une variante des [traduction] « Obligations de l’entrepreneur » ou des accords d’entrepreneur indépendant; cependant, ils n’ont pas témoigné. Les seuls éléments de preuve présentés à la Cour concernant leur intention sont les accords, les formulaires de consentement signés portant sur les déductions à la source, et la prémisse de l’intimé selon laquelle sept de ces travailleurs[11] ont déclaré un revenu d’entreprise et réclamé des frais professionnels durant la période en cause[12]. J’accepte l’intention indiquée dans les accords, vu l’absence de preuves contraires faisant apparaître une autre intention. Je reconnais que, dans leur quête d’une occupation rémunératrice, les travailleurs ont pu être amenés à accepter la manière dont l’appelante qualifiait leur relation avec elle, mais, faute d’une preuve directe réfutant l’intention déclarée, je dois conclure qu’il existait une intention commune d’établir une relation d’entrepreneur indépendant à client.

 

d)      Groupe de travailleurs n° 4[13] : ces travailleurs n’ont pas témoigné dans la présente affaire, et il n’est pas établi que l’un quelconque d’entre eux ait signé des [traduction] « Obligations de l’entrepreneur » ou des accords d’entrepreneur indépendant. On ne sait pas si cela était intentionnel ou le résultat d’un oubli. Les seuls documents soumis à la Cour ont été les formulaires mensuels de consentement faisant état de certaines sommes déduites de la rémunération, formulaires que les travailleurs devaient signer pour recevoir leurs chèques de paie. Ces documents désignent à plusieurs endroits les travailleurs comme des entrepreneurs indépendants. Malgré cela, je ne crois pas que ces documents attestent une intention particulière des travailleurs. Selon moi, les travailleurs les auraient signés afin de recevoir leur paie, quelles qu’aient pu être leurs intentions. Je n’impute donc à ces travailleurs aucune intention précise.

 

e)       Donald Zerdzicki : ce travailleur avait conclu une entente purement verbale avec l’appelante, et l’on n’a pas connaissance de formulaires de consentement signés par lui qui feraient état de sommes déduites de sa rémunération. Ce travailleur n’a pas témoigné dans le présent appel. Sans autre preuve, il est impossible de dire ce qu’était sa véritable intention, et je n’impute donc à ce travailleur aucune intention précise.

 

[33]        La plupart des travailleurs n’ont pas cherché à obtenir leur inscription aux fins de la TPS durant la période pertinente. Cela n’a guère d’importance pour la question de savoir ce qu’était leur intention, puisque la plupart d’entre eux gagnaient moins de 30 000 $ annuellement et qu’ils étaient donc dispensés de l’obligation d’inscription. Seul un petit nombre de travailleurs — quatre en 2008, un en 2009 et six en 2010 — se sont abstenus, à tort, d’obtenir leur inscription aux fins de la TPS. Il s’agit de cas où le revenu du travailleur n’était que légèrement supérieur à 30 000 $. L’absence d’inscription aux fins de la TPS est un aspect secondaire de l’analyse globale portant sur l’intention des travailleurs. Cette omission témoigne sans doute autant de l’inattention ou de la négligence des travailleurs que de leur intention subjective. Je suis donc d’avis que cette omission est un élément neutre qui n’a aucun effet sur l’analyse.

 

[34]        Un « travailleur », selon la définition qu’en donne la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (la « LSPACAT »), s’entend de quiconque a conclu un contrat de service[14]. Un « exploitant indépendant », en revanche, n’est pas embauché aux termes d’un contrat de service.

 

[35]        La Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la « CSPACAT ») applique un « critère des moyens d’exécution » pour faire la distinction entre employés et exploitants indépendants. Les critères applicables sont semblables à ceux qui doivent être pris en compte dans la présente espèce, à savoir : contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfices/risques de perte, enfin rôle dans l’organisation des activités de l’employeur.

 

[36]        Dans le cas d’une relation employeur-employé, l’employeur est légalement tenu de verser des primes à la CSPACAT pour couvrir ses employés. À l’exception de ceux qui travaillent dans l’industrie du bâtiment, les exploitants indépendants n’ont pas automatiquement droit à des prestations aux termes de la LSPACAT. Ainsi, le commettant qui engage de tels entrepreneurs n’est pas tenu de verser en leur nom des primes à la CSPACAT.

 

[37]        Pour bénéficier d’une garantie aux termes de la LSPACAT, les exploitants/entrepreneurs indépendants doivent demander une assurance facultative. Si le travail d’un entrepreneur indépendant entre dans les industries énumérées à l’annexe I ou à l’annexe II des règlements généraux pris aux termes de la LSPACAT, la CSPACAT peut décider de considérer cet entrepreneur comme un « travailleur » au sens de la LSPACAT et lui offrir une garantie.

 

[38]        Bien que la LSPACAT n’en dise rien, je crois comprendre que les exploitants indépendants peuvent personnellement demander une assurance facultative et verser eux-mêmes les primes, à moins que leurs commettants ne s’en chargent eux-mêmes en leur nom.

 

[39]        Dans la présente espèce, Mme Schrans a témoigné qu’elle versait les primes de la CSPACAT pour les travailleurs en leur qualité d’entrepreneurs indépendants. Je présume qu’elle voulait dire par là qu’elle avait demandé, au nom de ses entrepreneurs indépendants, qu’ils soient considérés comme des « travailleurs » au sens de la LSPACAT et qu’elle a versé en leur nom les primes requises.

 

[40]        Maintenant que l’on sait que l’appelante versait les primes au nom des entrepreneurs, plusieurs questions restent sans réponse : quelle idée Mme Schrans avait-elle de ses droits et obligations aux termes de la LSPACAT? Faut-il en déduire une intention de sa part d’établir une relation employeur-employé? Est-il courant pour les commettants dans les industries impliquant un travail physiquement exigeant de souscrire ce type d’assurance pour leurs entrepreneurs indépendants? Mme Schrans agissait-elle en sachant que, lorsque des travailleurs sont assurés par l’entremise de la CSPACAT, ils abandonnent leur droit d’action contre les autres travailleurs ou contre les employeurs pour les blessures subies dans l’accomplissement de leurs tâches?

 

[41]        Malheureusement, l’intention de Mme Schrans pour ce qui concerne le paiement des primes de la CSPACAT n’a pas été totalement explorée devant la Cour. Je suis donc d’avis que la question relative à la CSPACAT est une question neutre qui ne modifie pas les conclusions évoquées plus haut concernant l’intention des parties.

 

(B)     Les critères Wiebe Door/Sagaz

 

(i)      Le contrôle

 

[42]        En ce qui a trait à la distinction entre employés et entrepreneurs indépendants, le contrôle est défini comme « la capacité, l’autorité ou le droit d’un payeur d’exercer un contrôle sur un travailleur concernant la manière dont le travail est effectué et quel travail sera effectué ». Plus le contrôle exercé par le payeur sur les travailleurs est important, plus la relation sera assimilable à une relation employeur-employé. Pareillement, plus les travailleurs sont libres de déterminer la manière dont ils exécuteront leurs tâches, plus ils sembleront exercer leurs activités pour leur propre compte.

 

[43]        Mme Schrans a témoigné que l’appelante n’avait pratiquement aucun droit de regard sur l’emploi du temps et le rendement des travailleurs. Elle a indiqué que les travailleurs pouvaient s’organiser à leur guise. Son témoignage est cependant contredit par les modalités des contrats CAA. Étant donné que ces contrats représentaient environ 90 p. 100 des recettes de l’appelante, je ne crois pas que l’appelante aurait renoncé à son droit de regard sur les travailleurs, au risque de violer les contrats CAA, lesquels imposaient de rigoureuses normes d’exécution.

 

[44]        Le témoignage de Mme Schrans ne s’accorde pas non plus avec celui de M. Book, de M. Zaigh et de M. Sheridan, qui, selon moi, ont été des témoins crédibles en dépit des contradictions mineures relevées par l’avocate de l’appelante dans ses arguments écrits présentés après l’instruction. Le témoignage de Mme Schrans est contredit également par celui de M. Vessie, un témoin de l’appelante et un travailleur actuel, qui a avoué en contre-interrogatoire avoir été réprimandé par Mme Schrans pour mauvais rendement[15]. Compte tenu de ces contradictions, je crois que Mme Schrans a exagéré son propos d’après lequel les travailleurs ont toute latitude de décider comment et quand ils fournissent leurs services à l’appelante.

 

[45]        La preuve montre que l’appelante avait le droit de punir et de réprimander les travailleurs. Mme Schrans pouvait donner des avertissements oraux ou écrits, annuler des quarts de travail, licencier des chauffeurs, etc. L’appelante affirme que [TRADUCTION] « la réalité concrète de la situation était que les chauffeurs n’étaient pas punis au vrai sens du terme »[16]. Cependant, plusieurs témoins ont affirmé que l’appelante pouvait retirer, et avait en fait retiré, des véhicules AR à des travailleurs à titre de mesure disciplinaire. Mme Schrans a elle-même témoigné qu’elle avait déjà privé un travailleur de son véhicule pour un écart de conduite. À mon avis, priver un chauffeur de son véhicule AR est un exemple parfait de contrôle, puisque ce véhicule est un outil absolument essentiel dans l’industrie de l’assistance routière. Qui plus est, le pouvoir de priver un travailleur de son camion, lui enlevant de ce fait la capacité de gagner un revenu, met le travailleur dans une position de subordination par rapport à l’appelante.

 

[46]        Certaines variantes des accords comportaient des listes des pièces de matériel équipant les camions et énonçaient les règles établies par l’appelante à l’usage des travailleurs. L’appelante affirme que [TRADUCTION] « ces règles n’étaient pas strictement appliquées, voire pas du tout »[17] et que [TRADUCTION] « la preuve donne globalement une impression de laissez-faire plutôt qu’une impression d’application rigoureuse des règles »[18]. Toutefois, il est clair en droit que l’application du critère du contrôle requiert de s’interroger sur le droit et le pouvoir d’exercer un contrôle, et non sur la question de savoir si un contrôle est ou non effectivement exercé sur les travailleurs[19]. À ce propos, je suis d’avis que l’appelante était à même d’exercer son contrôle en appliquant les règles si elle l’avait voulu.

 

[47]        Les plaintes de clients contre des travailleurs étaient d’abord adressées à la CAA, puis étaient transmises à Mme Schrans, qui examinait alors la question avec le travailleur concerné. C’est là un autre signe que l’appelante exerçait un rôle de surveillance et un rôle disciplinaire à l’égard des travailleurs, et cela confirme les dires de plusieurs témoins, qui appelaient Mme Schrans la [traduction] « patronne »[20].

 

[48]        Certains des éléments de preuve produits donnent à penser que les travailleurs pouvaient refuser des appels de service dans certaines circonstances. Ainsi, M. Vessie ne s’occupait pas des motocycles, et M. Penny refusait les appels concernant les véhicules à châssis surbaissés et les véhicules surdimensionnés, en raison des problèmes de responsabilité que ces genres de véhicules leur avaient déjà causés.

 

[49]        Les témoins de l’intimé ont affirmé que les travailleurs ne pouvaient pas refuser d’appels de service sans raison valable et que, s’ils le faisaient, l’appelante pouvait alors prendre des mesures disciplinaires.

 

[50]        M. Green et M. Penny ont affirmé qu’ils pouvaient refuser des appels pour n’importe quelle raison. Il convient de noter cependant qu’ils ont aussi affirmé qu’ils ne refusaient jamais d’appels, ou très rarement, parce que pour eux tout appel était bon pour gagner de l’argent.

 

[51]        Mme Schrans a témoigné que les travailleurs n’étaient pas tenus d’accepter les appels qu’ils recevaient sur l’ordinateur CAA et que c’était là un aspect sur lequel elle n’avait aucun pouvoir. Elle a déclaré [TRADUCTION] « évidemment, je n’aime pas qu’ils refusent un appel, mais je ne peux rien y faire »[21]. Mme Schrans a aussi témoigné que, selon la politique de la CAA, les travailleurs devaient répondre à tous les appels, à moins de ne pas pouvoir y donner suite convenablement[22]. En contre‑interrogatoire, Mme Schrans a reconnu que les travailleurs n’étaient pas censés refuser des appels sans invoquer une raison valable[23].

 

[52]        Le contrat entre SB Towing et la CAA stipule que les appels CAA doivent bénéficier d’une priorité sur tous les autres appels reçus par l’entreprise, et que les travailleurs doivent réagir promptement à chaque appel[24]. Les travailleurs devaient accepter ou refuser un appel de service dans un délai de 10 minutes après l’avoir reçu dans leur véhicule AR, et, selon la politique de la CAA, ils devaient se présenter sur les lieux de la panne dans un délai de 30 minutes après avoir reçu l’appel. Le service devait toujours être assuré, 24 heures par jour, sept jours par semaine.

 

[53]        Au vu de la preuve, je suis d’avis que les travailleurs n’étaient pas à même de refuser purement et simplement un appel sans raison. Comme l’a indiqué Mme Schrans, ils devaient avoir une bonne raison de refuser un appel. Permettre aux travailleurs de refuser sans raison les appels de service venant de la CAA aurait exposé l’appelante à une possible violation de son contrat avec la CAA pour ne pas avoir donné priorité à chaque appel CAA et ne pas être intervenue avec célérité. C’eût été également faire un très mauvais emploi des véhicules de l’entreprise si le travailleur se trouvant dans le voisinage d’un client donné avait été à même de refuser sans raison l’appel de celui-ci, forçant ainsi un autre travailleur à venir à la rescousse de ce client.

 

[54]        Pour ces motifs, je récuse le témoignage de M. Green pour qui il n’existait au sein de l’entreprise aucune règle régissant les refus d’appels de service. Je préfère le témoignage de M. Penny, de M. Sheridan, de M. Book et de M. Zaigh. D’après eux, si un travailleur refusait un appel, Mme Schrans pouvait s’enquérir des raisons pour lesquelles il avait agi ainsi. Si elle estimait que la raison invoquée n’était pas satisfaisante, le travailleur s’exposait à une réprimande.

 

[55]        Pour les motifs qui précèdent, je ne puis admettre l’argument de l’appelante pour qui les chauffeurs étaient libres de refuser des appels. Les obligations contractuelles de l’appelante envers la CAA faisaient que l’appelante n’avait d’autre choix que de gérer les priorités des travailleurs et d’obliger ceux-ci à accepter tous les appels CAA qui leur étaient adressés.

 

[56]        Des témoignages contradictoires ont été produits sur la question de savoir si les travailleurs étaient tenus de prendre les quarts qui leur avaient été assignés, si leur heure de prise de service était ferme ou flexible, et quel préavis, le cas échéant, ils devaient donner lorsqu’ils souhaitaient prendre un jour de congé. Il est clair cependant que la CAA voulait qu’un certain nombre des véhicules AR de l’appelante soit sur la route 24 heures par jour, sept jours par semaine. Mme Schrans a témoigné que, si un travailleur ne se présentait pas à son quart de travail, elle faisait en sorte qu’un autre chauffeur prenne sa place dans le véhicule. Elle a aussi reconnu qu’elle préférait qu’un travailleur lui donne un préavis s’il comptait être absent tel ou tel jour.

 

[57]        Le témoignage de M. Green selon lequel un travailleur pouvait à sa guise, et sans avis, décider de ne pas se présenter au travail ne m’apparaît donc pas crédible. Je préfère sur ce point les témoignages de MM. Book, Sheridan, Vessie et Zaigh, pour qui, si un travailleur voulait changer ses heures, manquer une période de travail ou prendre congé, il devait obtenir le feu vert de l’appelante. Ces témoignages s’accordent avec celui de Mme Schrans selon lequel, lorsqu’un véhicule AR était immobilisé pour cause d’absence d’un travailleur, elle faisait appel à un autre travailleur. Ils s’accordent aussi avec le fait que SB Towing ne pourrait pas remplir ses obligations contractuelles envers la CAA si les travailleurs pouvaient à leur guise ne pas se présenter au travail.

 

[58]        M. Sheridan a affirmé que, quand un travailleur ne se présentait pas à l’heure à son poste, Mme Schrans lui téléphonait pour savoir pourquoi il ne s’était pas encore connecté au système. Ce témoignage confirme lui aussi la pratique consistant à confier les camions à d’autres chauffeurs. Si les travailleurs étaient autorisés à commencer leur période de travail quand ils le souhaitaient, alors Mme Schrans ne pourrait pas savoir quels véhicules AR avaient besoin de chauffeurs au cours d’une période.

 

[59]        Il n’était pas nécessaire pour un travailleur de se trouver physiquement dans son camion pour recevoir un appel de service, puisque les appels venant de clients de la CAA étaient relayés de l’ordinateur du camion vers le téléphone cellulaire du travailleur. Le travailleur bénéficiait ainsi d’une liberté de mouvement et d’une autonomie quant à l’endroit où il prenait son service. Il pouvait donc attendre dans son salon le premier appel de sa période de travail. Il pouvait aussi prendre des pauses et s’occuper d’affaires personnelles durant la période. Il pouvait pendant son quart accomplir des petites tâches personnelles et utiliser le véhicule de l’entreprise pour des petites courses quand il n’était pas trop occupé. Cela dit, un travailleur devait répondre aux appels CAA dans un délai de 10 minutes après l’avoir reçu sur son ordinateur ou sur son téléphone, et il devait se trouver sur les lieux au cours des 30 minutes suivantes. Il devait donc toujours être à la disposition de la CAA durant sa période de travail.

 

[60]        Les travailleurs étaient payés à la commission. C’est l’appelante qui avait établi le taux de commission de 30 p. 100, applicable à tous les appels de service pris en charge par les travailleurs. Les travailleurs étaient payés chaque mois, comme en avait décidé l’appelante, puisque SB Towing était également payée chaque mois par la CAA. L’appelante assurait le suivi des sommes à retrancher sur la rémunération des travailleurs, par exemple avances sur rémunération, factures de téléphone cellulaire ou dommages causés par les travailleurs. Les travailleurs devaient, pour recevoir leur paie, signer un document en signe d’approbation des retranchements effectués.

 

[61]        Globalement, la preuve montre que l’appelante pouvait exercer, et exerçait effectivement, un contrôle important sur les travailleurs. Je suis d’avis que le contrôle exercé dépassait le niveau de contrôle qui serait nécessaire si les travailleurs exerçaient leurs activités pour leur propre compte dans leurs véhicules AR. Le critère du contrôle appuie la conclusion selon laquelle il existait une relation d’employeur à employé.

 

(ii)     La propriété des instruments de travail

 

[62]        Il n’est pas contesté que l’appelante fournissait gratuitement les véhicules AR aux travailleurs. Les camions étaient munis de radios, de certains équipements de sécurité et d’ordinateurs de la CAA. Certaines variantes des [traduction] « Obligations de l’entrepreneur », ou des accords d’entrepreneur indépendant dûment signés, contenaient une liste d’articles qui devaient se trouver en permanence dans les camions. Certains de ces articles étaient fournis par l’appelante (triangles réflecteurs, fusées lumineuses, extincteur, trousse de premiers soins, cales de roues, consignes lumineuses ne pas fumer, etc.). Les travailleurs devaient se procurer leurs propres trousses de déverrouillage. Ils devaient aussi se procurer une partie de leur propre équipement de sécurité. Certains d’entre eux achetaient des outils additionnels qui rendaient leur travail plus facile, par exemple clés et tournevis. Si un travailleur ne disposait pas de son propre téléphone cellulaire, il pouvait utiliser l’un des téléphones cellulaires de l’appelante, et le coût de ce téléphone était retranché sur sa rémunération.

 

[63]        L’appelante se chargeait des frais d’assurance des véhicules et des frais de carburant. Elle était également responsable de tous les frais d’entretien et de réparation des camions. Comme il a déjà été mentionné, je suis d’avis que l’appelante exerçait un niveau élevé de contrôle sur l’utilisation de ses véhicules. Mme Schrans pouvait décider à tout moment qui allait conduire les véhicules AR de l’appelante, et elle pouvait retirer un véhicule à un travailleur à titre de mesure disciplinaire.

 

[64]        L’appelante remettait des cartes de visite aux travailleurs pour qu’ils puissent y écrire leur nom au verso et les remettre aux clients ou à d’autres entreprises. L’annexe C des accords d’entrepreneur indépendant stipule que des uniformes doivent être portés par les travailleurs en permanence. Des uniformes portant les sigles CAA et SB Towing étaient remis aux travailleurs. La preuve montre que certains des travailleurs ne respectaient pas l’obligation de porter l’uniforme et que l’appelante n’appliquait pas toujours cette clause des accords d’entrepreneur indépendant.

 

[65]        Les travailleurs devaient fournir certains de leurs propres outils, mais les véhicules AR — l’équipement le plus important et le plus coûteux — étaient fournis par l’appelante. L’appelante assumait aussi tous les coûts d’exploitation et d’entretien de ces véhicules et elle conservait un droit de regard sur eux. Ce facteur signale une relation d’employeur à employé.

 

(iii)    Les chances de bénéfice

 

[66]        Les travailleurs empochaient une commission de 30 p. 100 des recettes brutes tirées des appels de service auxquels ils répondaient, et ils n’avaient ni avantages sociaux, ni indemnité de congé annuel ni congés payés. Le taux de commission était fixé par l’appelante. Rien ne donne à penser que les travailleurs pouvaient négocier ce taux.

 

[67]        L’appelante soutient que les travailleurs pouvaient accroître leur bénéfice en commençant le travail tôt, en quittant le travail tard, en acceptant davantage d’appels et en travaillant plus vite et plus efficacement. Je récuse cet argument. D’abord, les appels CAA étaient assignés aux chauffeurs en fonction de leur proximité géographique par rapport au client. À ce propos, mon observation antérieure est ici réitérée, en ce sens que, une fois un appel CAA assigné à un travailleur, celui-ci ne pouvait pas le refuser sans une bonne raison. Deuxièmement, le taux de commission des travailleurs était établi au préalable par leur contrat avec l’appelante, et le taux applicable aux appels CAA était établi au préalable par le contrat entre la CAA et SB Towing. Les travailleurs gagnaient donc un montant fixe pour chaque appel de service CAA auquel ils répondaient. Bref, les travailleurs n’avaient aucun droit de regard sur les appels qui leur étaient assignés (ni sur ceux qu’ils acceptaient), et ils n’avaient aucun droit de regard sur le niveau de revenu qu’ils retiraient de chaque appel CAA.

 

[68]        Les travailleurs devaient au départ travailler efficacement, puisque les contrats CAA les obligeaient à répondre aux appels dans un délai de 10 minutes et à se trouver sur les lieux en moins de 30 minutes. Ils n’avaient tout simplement pas le loisir de travailler moins ou d’accepter moins d’appels.

 

[69]        La preuve donne certes à penser que les travailleurs pouvaient solliciter des appels de service venant de relations personnelles. Ainsi, M. Penny a établi une relation avec la Police provinciale de l’Ontario (la « PPO »). Il recevait des appels de la PPO pour des accidents et des cas de conduite avec facultés affaiblies.

 

[70]        Il convient cependant de noter que les travailleurs recevaient la même commission de 30 p. 100 pour les appels impromptus et pour ceux des clients qui s’adressaient à eux directement. Les profits qu’ils pouvaient recueillir en constituant leur propre clientèle étaient donc limités par l’uniformité du taux de commission, et limités également par le fait que les travailleurs étaient contractuellement tenus de toujours donner la priorité aux appels CAA. Un vendeur à la commission dans un magasin de vêtements pour homme devra se constituer sa propre clientèle s’il veut réussir. Et cette contrainte sera beaucoup plus forte dans son cas que dans celui des travailleurs dont il s’agit ici, mais, dans la plupart des cas, il n’en demeurera pas moins un employé du propriétaire du magasin.

 

[71]        Le contrôle exercé sur les priorités des travailleurs avait pour effet de restreindre leur aptitude à augmenter leur bénéfice. Ce facteur signale lui aussi une relation d’employeur à employé.

 

[72]        Les accords ne précisent pas si les travailleurs pouvaient ou non embaucher un assistant. Rien ne donne à penser qu’ils ont effectivement embauché des assistants durant la période pertinente. La réalité est que, même si les travailleurs avaient pu embaucher des assistants, ils ne gagnaient pas suffisamment pour que ce soit possible. Ce facteur est neutre.

 

(iv)    Les risques de perte

 

[73]        Dans la présente affaire, les contrats CAA réduisaient le risque pour les travailleurs de ne pas gagner d’argent pour absence d’appels de service au cours d’une période de travail. Les travailleurs n’assumaient pas non plus de frais généraux, ni de redevances à acquitter pour l’exécution de leur travail. Ils n’étaient pas responsables des frais de carburant, d’entretien ou de réparation de leurs camions. Tous les frais d’exploitation étaient assumés par l’appelante.

 

[74]        Les travailleurs couraient cependant le risque de perdre de l’argent pour les dommages qu’ils causaient lorsqu’ils répondaient à un appel de service. Ils engageaient leur responsabilité jusqu’à concurrence d’une franchise de 2 500 $ pour les dommages qu’ils causaient à leur propre véhicule ou à un autre véhicule en raison d’une faute de leur part. Je suis donc d’avis que les deux parties assumaient un risque financier. Comme le risque de perte était limité dans le cas des travailleurs, je suis d’avis que ce facteur est neutre.

 

VI.     Conclusion

 

[75]        Chacune des parties a dressé une longue liste de précédents, comme c’est souvent le cas dans les appels de ce genre. Elles disent que ces précédents concernent des appels soulevant les questions courantes relatives à la distinction à faire entre un employé et un entrepreneur indépendant et qu’ils portent sur des faits semblables à ceux dont il s’agit ici. Qu’il suffise de dire que l’application des critères de l’arrêt Wiebe Door requiert de s’interroger sur la réalité objective de la relation des parties, et qu’il s’agit là pour l’essentiel d’un exercice d’établissement des faits. Aucun des précédents invoqués n’est concluant sur la question.

 

[76]        Tout compte fait, les critères Wiebe Door autorisent la conclusion selon laquelle les 39 travailleurs étaient tous des employés de l’appelante. La réalité objective de la situation est que l’appelante exerçait un contrôle important sur les travailleurs. L’appelante fournissait les véhicules et conservait un droit de regard sur eux, ce qui avait pour effet d’éliminer la possibilité pour les travailleurs d’influer sur leur rétribution en organisant eux-mêmes leurs tâches et leurs priorités. Globalement, les faits, ainsi que la preuve soumise à la Cour, donnent à penser que les travailleurs n’exerçaient pas d’activités pour leur propre compte.

 

[77]        En conséquence, les travailleurs à propos desquels j’ai conclu qu’ils avaient comme l’appelante l’intention d’établir un contrat d’entreprise n’exerçaient pas leurs fonctions en tant qu’entrepreneurs indépendants. Leur intention n’était pas reflétée dans la réalité objective de leur relation avec l’appelante et elle ne saurait donc prévaloir contre cette réalité. Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter les appels.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de novembre 2013.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de décembre 2013.

 

C. Laroche

 


ANNEXE A

 

Liste des travailleurs

 

Prénom

 

Nom de famille

Chris

Battaglia

Michael D.

Beal

Christopher

Book

John

Brown

Jeremy

Cambridge

Brad

Campbell

Jeff

Dunn

Jordan

Fleischauer

Paul Theodore

Fletcher

Garret

Foseid

Leonard

Fugard

Daniel B.

Garlow

Dave

Green

Steven

Hayden

Charles J.

Hebert

James

Hendry

Jason

Hubert

Medzit

Ismaili

Keith D.

Johnston

Earl

Kilmer

Marc

Kleinczmit

Christopher A.

Koyle

Chad

MacGregor

Michael

McCoombs

Correy

Monteith

Brian

Northup

Darko

Pecanac

Gary

Penny

John

Peplow

Stephen

Pettigrew

Nickolas A.

Poce

Robert

Poole

Mark

Sears

James R.

Sheridan

Alan M.

Therrien

Nathan

Vessie

Samuel

Zaigh

Henry

Zerdzicki

Donald

Zerdzicki


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 358

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :        2012-2456(EI)

                                                          2012-2457(CPP)

 

INTITULÉ :                                      SB TOWING INC. c. M.R.N. et SAMUEL ZAIGH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :            Les 5, 6 et 7 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 8 novembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Deborah J. Hudson

Avocate de l’intimé :

Me Lindsay Beelen

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :                     

 

                          Nom :                     Deborah J. Hudson

 

                          Cabinet :                 Filion Wakely Thorup Angeletti s.r.l.

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

       Pour l’intervenant :

 

                          Nom :

 

                          Cabinet :



[1] Recueil de documents de l’intimé, onglet 3 : Contrat conclu entre SB Towing Inc. et la CAA, page 89, alinéa 2.0(l).

[2] Recueil de documents de l’appelante, volume I, onglet A : les feuillets T4 de tous les travailleurs montrent que seulement quatre travailleurs en 2008, un travailleur en 2009 et six travailleurs en 2010 ont gagné plus de 30 000 $.

[3] Krishna, Vern, The Fundamentals of Income Tax Law (Toronto : Carswell, 2009).

[4]   [1986] 3 C.F. 553, 1986 CarswellNat 366.

[5]   [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59.

[6]   Ibid., au paragraphe 47.

[7]   Ibid.

[8] 2013 CAF 85.

[9] Ibid., au paragraphe 39.

 

[10] Michael D. Beal, Brad Campbell, Jeff Dunn, Paul Theodore Fletcher, Garrett Foseid, Leonard Fugard, Daniel B. Garlow, Steven Hayden, Charles J. Hebert, James Hendry, Jason Hubert, Medzit Ismaili, Keith D. Johnston, Earl Kilmer, Christopher A. Koyle, Chad MacGregor, Michael McCoombs, Darko Pecanac, John Peplow, Stephen Pettigrew, Nickolas A. Poce, Robert Poole, Mark Sears, Alan M. Therrien, Henry Zerdzicki.

[11] Garret Foseid, Jason Hubert, Earl Kilmer, Michael McCoombs, Robert Poole, Alan M. Therrien ed Henry Zerdzicki.

[12] Réponse de l’intimé à l’avis d’intervention, alinéa 24(ll).

[13] Chris Battaglia, John Brown, Jeremy Cambridge, Jordan Fleischauer, Marc Kleinczmit, Correy Monteith, Brian Northup.

[14] L.O. 1997, ch. 16, Annexe A, paragraphe 2(1).

[15] Transcription, volume II, page 343, lignes 27 et 28, et page 344, lignes 1 à 12.

[16] Réponse de l’appelante, paragraphe 6.

[17] Réponse de l’appelante, paragraphe 23.

[18] Réponse de l’appelante, paragraphe 15.

[19] Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. M.R.N., 2002 CAF 144, 291 N.R. 389. Voir aussi l’arrêt Gagnon c. M.R.N., 2007 CAF 33, 395 N.R. 186, paragraphe 7.

[20] James Sheridan, Christopher Book et Samuel Zaigh ont tous affirmé que Brenda Schrans était leur supérieure hiérarchique.

[21] Transcription, volume I, page 53, lignes 26 à 28.

[22] Il convient de noter que, dans le contrat entre la CAA et SB Towing, je n’ai trouvé aucune disposition explicite stipulant qu’un travailleur devait invoquer une bonne raison pour refuser un appel. J’admets toutefois que c’était là la manière dont Mme Schrans voyait ses obligations contractuelles envers la CAA.

[23] Transcription, volume I, pages 125 et 126.

[24] Recueil de documents de l’intimé, onglet 3, page 5.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.