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Référence : 2014 CCI 35

Date : 20140131

Dossier : 2011-3519(IT)G

 

ENTRE :

ACHIM BEKESINSKI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

DÉCISION SUR L'OBJECTION PRÉALABLE DE L'APPELANT À L'ÉGARD DU RAPPORT D'EXPERT PRODUIT PAR L'INTIMÉE

 

La juge Campbell

 

Introduction

 

[1]             À la fin du troisième jour d'audition du présent appel, l'avocat de l'appelant a soulevé une objection et demandé à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si le rapport d'expert (le « rapport ») présenté par l'intimée devrait être exclu.

 

[2]             La seule question en litige en l'espèce est de savoir si l'appelant doit être tenu responsable, en sa qualité d'administrateur de D.M. Edward Cartage Ltd. (la « société »), de l'impôt, des cotisations d'assurance‑emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada que la société était tenue de verser.

 

[3]             La réponse à apporter dépend de la question de savoir si l'appelant a bel et bien signé un avis de démission le 20 juillet 2006, ou si, comme l'intimée le prétend, il l'a signé après cette date, ce qui signifierait par conséquent que l'avis de démission a été antidaté. Pour étayer sa thèse, l'intimée voulait que son témoin, Annie Vallière, soit reconnu comme un expert en datation de l'encre.

 

[4]             À la suite d'un voir‑dire, j'ai rendu mes motifs oralement et reconnu Mme Vallière, chimiste spécialisée dans l'examen judiciaire de documents auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada, comme une experte en la matière. Tout de suite après que j'ai rendu cette décision, l'avocat de l'appelant a soulevé une objection préalable à l'égard de la présentation par l'intimée du rapport de Mme Vallière. L'appelant soutient que le rapport devrait être exclu parce qu'il ne satisfait pas aux exigences de l'article 145 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »), et, en outre, parce qu'il n'est pas étayé par la preuve. J'ai demandé aux parties de produire des observations écrites au sujet de la portée, de l'objet et de l'application de l'article 145, et, plus précisément, de l'alinéa 145(2)b), ainsi que de la question de savoir si le rapport satisfait aux exigences des Règles.

 

Les thèses des parties

 

[5]             Les observations de l'avocat de l'appelant ne portaient pas uniquement sur l'article 145, mais également sur son objection selon laquelle le rapport ne s'appuyait sur aucun [TRADUCTION] « fondement probant ». Aux termes des observations écrites de l'appelant, l'article 145 [TRADUCTION] « établit les normes procédurales selon lesquelles on peut produire un rapport d'expert : autrement dit, il s'agit de lignes directrices en matière de procédure » (observations écrites de l'appelant, au paragraphe 7). L'appelant a aussi soutenu que le témoignage d'expert n'avait pas de « fondement probant » (observations écrites de l'appelant, au paragraphe 23) parce que le rapport ne contient qu'une simple conclusion accompagnée d'une explication succincte du procédé employé. Plus précisément, l'appelant a fait valoir que le rapport n'était pas étayé par la preuve parce qu'il ne contenait pas les éléments suivants, sur lesquels Mme Vallière s'est fondée pour formuler son opinion : les données rassemblées, l'analyse quantitative tirée des données et les ratios fondés sur l'analyse quantitative.

 

[6]             L'intimée soutient que [TRADUCTION] « selon le libellé clair et exprès de l'alinéa 145(2)b), le rapport de Mme Vallière satisfait aux exigences » (observations écrites de l'intimée, au paragraphe 16), et que, par conséquent, les Règles n'exigent pas que les [TRADUCTION] « données scientifiques sur lesquelles elle s'est fondée pour parvenir à sa conclusion » figurent dans le rapport (observations écrites de l'intimée, au paragraphe 7).

 

[7]             Aux termes des observations de l'intimée, le rapport satisfait aux exigences de l'alinéa 145(2)b) des Règles de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

10.       Bien que son rapport soit succinct, il contient tous les renseignements exigés par l'alinéa 145(2)b) : ce qu'on a demandé à Mme Vallière de faire (on lui a demandé si le document en cause avait bien été signé à la date à laquelle on prétendait qu'il avait été signé, la méthodologie qu'elle avait employée pour parvenir à sa conclusion et son avis sur la question).

 

(Observations écrites de l'intimée, au paragraphe 10.)

 

[8]             Au paragraphe 11 de ses observations écrites, l'intimée a déclaré que, bien que [TRADUCTION] « la portée et l'objet de l'article 145 n'aient pas fait l'objet d'un examen judiciaire », les principes sous‑jacents aux règles relatives à la preuve d'expert peuvent être extraits des règles provinciales similaires. Plus précisément, l'intimée a souligné que les dispositions des Règles relatives à la preuve d'expert n'énonçaient pas les mêmes exigences expresses que celles de l'article 53.03 des Règles de procédure civile de l'Ontario. Selon la version actuelle de l'article 53.03, un rapport d'expert doit inclure les hypothèses sur lesquelles l'opinion de l'expert est fondée ainsi que la recherche et les documents sur lesquels l'expert s'est fondé pour formuler son opinion (observations écrites de l'intimée, aux paragraphes 12 et 13). Toutefois, l'article 145 des Règles est moins astreignant, vu qu'il n'énonce pas les mêmes exigences et qu'il exige simplement [TRADUCTION] « que l'expert fournisse un “exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir” » (observations écrites de l'intimée, au paragraphe 15).

 

Analyse

 

[9]             L'article 145 établit que, à moins que la Cour n'en décide autrement, un expert ne sera pas autorisé à témoigner à l'audience à moins que son rapport ne contienne « un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir ». Cela limite l'interrogatoire principal de l'expert au contenu de son rapport. Par conséquent, la question principale est de savoir si l'article 145 exige que les données, l'analyse quantitative et les ratios, auxquels l'appelant a fait référence comme constituant le fondement de l'opinion d'expert de Mme Vallière, soient expressément inclus dans le rapport.

 

[10]        L'article 145 des Règles est ainsi libellé :

 

145. (1) Dans le présent article, « déclaration sous serment » comprend :

 

a) une déclaration solennelle faite en vertu de l'article 41 de la Loi sur la preuve au Canada;

 

b) un exposé écrit signé par l'expert qu'on propose de citer comme témoin et accompagné d'un certificat d'un avocat dans lequel il affirme être convaincu que l'exposé représente la déposition que l'expert proposé comme témoin est disposé à faire en la matière;

 

c) un exposé écrit sous toute autre forme autorisée par une directive de la Cour dans l'affaire en question et pour des raisons spéciales.

 

(2) Sauf directive contraire de la Cour, aucune preuve sur l'interrogatoire principal d'un expert ne doit être reçue à l'audience au sujet d'une question à moins :

 

a) que cette question n'ait été définie dans les actes de procédure ou par accord écrit des parties définissant les points en litige;

 

b) qu'un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir n'ait été fait dans une déclaration sous serment dont l'original a été déposé et dont une copie a été signifiée à chacune des autres parties, au moins trente jours avant le début de l'audience;

 

c) que l'expert ne soit disponible à l'audience pour contre‑interrogatoire.

 

(3) Sauf directive contraire de la Cour, aucune preuve d'un expert ne sera présentée pour réfuter toute preuve présentée par écrit en vertu de l'alinéa (2)b) à moins que la contre-preuve n'ait été consignée par écrit conformément au présent article et que l'original et une copie aient été signifiés à toutes les autres parties au moins quinze jours avant le début de l'audience.

 

(4) Sous réserve de se conformer au paragraphe (2), la preuve sur interrogatoire principal d'un expert cité comme témoin peut être donnée à l'audience :

 

a) par la lecture de la totalité ou d'une partie de la déposition de l'expert contenue dans la déclaration sous serment, à moins que la Cour, avec le consentement de toutes les parties, ne permette de considérer le texte comme déjà lu;

 

b) si la partie qui cite le témoin le désire, par déposition orale de l'expert,

 

(i) expliquant ou démontrant ce qu'il a exprimé dans la déclaration sous serment ou dans les passages de la déclaration sous serment qui ont été présentés en preuve,

 

(ii) à l'égard de toute autre question avec l'autorisation spéciale de la Cour, selon des conditions appropriées.

 

(5) Nul témoin ne sera contre-interrogé avant l'audience, sur une déclaration sous serment déposée en vertu du paragraphe (2), sans permission de la Cour, et, si une telle permission est accordée, le témoin ne sera pas contre‑interrogé à l'audience sans permission de la Cour, mais le témoin pourra, si la Cour le permet, être produit pour un nouvel interrogatoire et il devra être produit pour interrogatoire par la Cour si elle l'exige.

 

(6) Une déclaration sous serment déposée en vertu du paragraphe (2) ne devient partie de la preuve à l'audience que de la façon prévue au paragraphe (4).

 

[11]        Des modifications sont prévues à l'article 145 des Règles, afin qu'il régisse les témoins experts et l'admissibilité de la preuve d'expert devant la Cour. La nouvelle disposition proposée, par opposition à la disposition actuellement en vigueur, énonce les exigences précises relatives au contenu des rapports d'expert. La nouvelle disposition proposée s'accompagne pour cela d'une annexe intitulée « Code de conduite régissant les témoins experts », qui énumérera les éléments précis dont le rapport d'expert doit être constitué. Ces éléments incluront les motifs de chacune des opinions exprimées, les faits et les hypothèses sur lesquels les opinions sont fondées, les ouvrages ou les documents invoqués à l'appui des opinions, ainsi qu'un résumé de la méthode utilisée, notamment des vérifications ou autres enquêtes sur lesquelles l'expert se fonde.

 

[12]        Les modifications proposées à l'article 145 se font l'écho des articles 52.1 à 52.6, 279 et 280 de la version actuelle des Règles des Cours fédérales. Les anciennes règles de la Cour fédérale relativement à l'admissibilité et à la présentation de la preuve d'expert étaient similaires à l'article 145 des Règles dans sa version actuelle. Sous le régime de ces anciennes règles, la Cour d'appel fédérale, au paragraphe 15 de l'arrêt Leithiser c. Pengo Hydra‑Pull of Canada Ltd., [1974] 2 C.F. 954 (C.A.F.), avait expliqué que l'objet des règles relatives à la preuve d'expert était de réduire le temps et les coûts associés aux audiences faisant intervenir des experts et d'encourager les parties à parvenir à une entente lors des étapes préalables à l'audience. La Cour d'appel fédérale a ajouté que cet objet était compromis quand les avocats omettaient des renseignements dans la déclaration sous serment de l'expert et essayaient d'introduire ces renseignements à l'audience. La Cour d'appel fédérale a conclu que, bien qu'elle puisse être conforme à la loi, une telle pratique n'était pas compatible avec l'objet des dispositions des règles de la Cour fédérale. Vu que les anciennes règles de la Cour fédérale régissant les questions afférentes aux experts étaient similaires aux dispositions actuelles des Règles, ces remarques s'appliquent à l'objet sous‑jacent de l'article 145, dans sa version actuelle.

 

[13]        L'objet sous‑jacent de l'article 145 des Règles est l'équité procédurale visant à éviter les « procès par embuscade ». Ce point a fait l'objet d'un examen approfondi dans la décision Mathew c. La Reine, 2001 CanLII 418, dans laquelle le juge Dussault a déclaré, au paragraphe 35 :

 

[...] Deuxièmement, conformément à l'article 145 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), on a donné un avis indiquant que la déposition de M. Taylor devait reprendre les termes de son rapport. Se fondant sur son évaluation du type de preuve contenue dans le rapport, l'avocat des appelants s'est présenté au procès en tenant pour acquis que le rapport ne pouvait pas être admis en preuve et que, dans les circonstances, il ne lui était pas nécessaire de faire entendre une opinion en contre‑preuve. Après neuf jours de procès, nous en sommes au point où l'avocat de l'intimée demande à la Cour d'accepter le témoignage de M. Taylor, à tout le moins sur des questions restreintes limitées à son domaine d'expertise. À mon avis, l'article 145 des Règles, qui assure une certaine équité procédurale, requiert que le rapport déposé et signifié corresponde au témoignage que l'expert est disposé à donner sur la question. L'avis de 30 jours permet ainsi à la partie adverse de préparer sa preuve en conséquence.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[14]        Dans la décision Mathew, la Cour a exclu le rapport d'expert parce que, notamment, on avait omis d'y préciser les hypothèses sur le fondement desquelles l'expert avait formulé l'opinion en cause. La Cour a conclu que le préjudice susceptible de découler d'une telle omission l'emportait sur la nécessité d'admettre le rapport en preuve.

 

[15]        Dans la décision Witt c. La Reine, 2008 CCI 407, le juge Bowie a rejeté le témoignage d'opinion de l'expert parce qu'il ne satisfaisait pas au critère de la nécessité que la Cour suprême du Canada a défini dans l'arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, aux pages 21 à 25. Le juge Bowie a ensuite conclu, au paragraphe 9, que, même s'il devait admettre l'opinion de l'expert, il ne la trouverait pas utile pour les raisons suivantes :

 

[...] L'affidavit qu'il a souscrit en vertu de l'article 145 des Règles comporte six pages et demie. Les six premières pages ne font que reprendre les faits figurant dans l'exposé des faits. Aux sept dernières lignes, M. Strand exprime son opinion au sujet de la question même que j'ai à trancher, opinion qui est composée d'une simple conclusion, sans aucune analyse ni aucun raisonnement valable. Le témoignage d'opinion, qui a été produit à l'instruction sous la cote A‑2, est jugé irrecevable. [...]

 

[16]        À l'exception des deux décisions de la Cour que j'ai citées, il n'y a que très peu de jurisprudence utile pour trancher l'objection préalable. Toutefois, il est utile de comparer l'article 145 des Règles avec les dispositions comparables des règles de procédure en vigueur en Ontario et en Colombie‑Britannique. Les règles en vigueur en Ontario sont le produit de changements considérables découlant des recommandations formulées aux pages 96 à 101 du Projet de réforme du système de justice civile : Résumé des conclusions et des recommandations, L'honorable Coulter A. Osborne, c.r. (novembre 2007), dans lequel on suggérait qu'il serait bon de réglementer davantage le contenu des rapports d'experts. Par conséquent, l'actuel paragraphe 53.03(2.1) des Règles de procédure civile de l'Ontario (les « nouvelles règles de l'Ontario ») exige que les rapports d'experts contiennent des renseignements tels que les motifs à l'appui de l'opinion de l'expert, la description des hypothèses factuelles sur lesquelles l'opinion est fondée, une description de la recherche effectuée et une liste des documents sur lesquels l'expert s'est appuyé. La réglementation en vigueur avant la modification (les « anciennes règles de l'Ontario »), que l'actuel paragraphe 53.03(2.1) est venu remplacer, exigeait que, dans son rapport, l'expert mentionne ses nom, adresse et qualités, son opinion et la « teneur du témoignage qu'il prévoit rendre ». Le libellé de cette disposition des anciennes règles de l'Ontario est comparable à l'article 145 des Règles actuellement en vigueur, lequel fait référence à « un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir ».

 

[17]        Au paragraphe 19 de la décision Transmetro Properties Ltd. v. Lockyer Bros. Ltd., [1985] O.J. no 1671 (QL), la Cour suprême de l'Ontario, Haute Cour de justice, a conclu que la « teneur » du témoignage que l'expert prévoit rendre comprenait les documents justificatifs, les calculs et les autres documents techniques en ingénierie sur lesquels l'expert s'était appuyé pour formuler l'opinion en cause. Par conséquent, la Cour suprême de l'Ontario a conclu que le terme « teneur », au sens des anciennes règles de l'Ontario, exigeait qu'un rapport contienne plus qu'une simple conclusion. Au paragraphe 19 des motifs de cette décision, la Cour a examiné les exigences du paragraphe 31.06(3) des anciennes règles de l'Ontario et a déclaré ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

J'ai également noté que le paragraphe 31.06(3) était ainsi libellé :

 

« [...] la divulgation de l'opinion et des conclusions [...] »

 

Je suis d'avis que ces mots ne peuvent faire l'objet que d'une seule interprétation, à savoir qu'avant de tirer des conclusions, on doit avoir une opinion, et, par conséquent, il est essentiel que la défenderesse soit informée des éléments constitutifs de cette opinion, et il s'agit selon moi des documents, des calculs et des données techniques en ingénierie dont découlent l'opinion et les conclusions.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[18]        Dans l'arrêt Marchand (Litigation Guardian of) v. Public General Hospital Society of Chatham (2000), 51 R.J.O. (3e) 97, 2000 CanLII 16946 (C.A. Ont.), la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé les conclusions du juge de première instance et a refusé d'autoriser un expert à témoigner sur une question dont il n'avait pas été fait mention dans son rapport. Après avoir examiné la jurisprudence, la Cour, au paragraphe 38 de ses motifs, a formulé les commentaires suivants à l'égard de l'objet de la disposition en cause :

 

[TRADUCTION]

 

[...] ces décisions montrent que l'exigence relative à la « teneur » qui est énoncée au paragraphe 53.03(1) des Règles doit être définie en tenant compte de l'objet de la disposition, lequel est de permettre aux parties de mieux se préparer aux audiences en leur donnant un avis suffisant du témoignage d'opinion que la partie adverse entend présenter lors de l'audience. Ainsi, dans son rapport, un expert ne peut pas se contenter d'énoncer ses conclusions. Le rapport doit faire état de l'opinion de l'expert ainsi que des éléments sur lesquels celui‑ci s'est fondé. En outre, lorsqu'il témoigne, un expert peut expliquer le contenu de son rapport et donner des précisions, mais seulement sur les questions qui sont « latentes » ou qui ont été « abordées » dans le rapport. Un expert ne peut pas témoigner au sujet de questions relatives à de nouveaux enjeux dont il n'est pas fait mention dans le rapport. Il convient d'accorder une certaine latitude au juge de première instance dans l'application de l'article 53.03, et ce, afin de s'assurer qu'une partie n'est pas injustement surprise par le témoignage que l'expert donne sur un point dont on n'aurait pas pu prévoir qu'il allait être abordé à la lecture du rapport d'expert.

 

[19]        L'article 11‑6 des Supreme Court Rules (Règles de la Cour suprême) de la Colombie‑Britannique (les « nouvelles règles de la Colombie‑Britannique ») exige des rapports d'experts qu'ils fassent état des raisons qui sous‑tendent l'opinion qui y est formulée et qu'ils décrivent les hypothèses de fait, les recherches effectuées et les documents sur lesquels on s'est appuyé. Essentiellement, cette disposition contient les mêmes exigences que celles de l'article 53.03 des nouvelles règles de l'Ontario. Les règles de la Colombie‑Britannique ont été modifiées le 1er juillet 2010. Sous le régime des anciennes règles, la preuve d'expert était régie par l'article 40A, qui prévoyait [TRADUCTION] qu'« un énoncé écrit faisant état de l'opinion d'un expert est admissible » s'il précisait le nom et les qualités de l'expert ainsi que les [TRADUCTION] « faits et les hypothèses sur lesquels l'opinion est fondée », ou s'il était accompagné d'un énoncé additionnel contenant ces éléments.

 

[20]        Les tribunaux de la Colombie‑Britannique ont conclu que les règles relatives à la preuve d'expert n'avaient [TRADUCTION] « pas seulement trait à la forme » et que si un rapport d'expert ne contenait pas les renseignements exigés, cela pourrait entrer en conflit avec l'objet des règles, à savoir que les tribunaux rendent des décisions sur le fond qui soient justes, rapides et peu coûteuses (voir la décision Haughian v. Jiwa, 2011 BCSC 1632, au paragraphe 33). Les commentaires de la Cour faisaient référence aux nouvelles règles de la Colombie‑Britannique, mais je crois qu'ils s'appliquent également à l'objection qui a été formulée en l'espèce, tout comme ils renvoient à l'objet qui sous‑tend l'article 145 des Règles. Dans la décision Haughian, on demandait à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'admettre le rapport en cause en dépit du fait qu'il n'était pas conforme aux exigences de l'article 11‑6 des règles, mais la Cour s'y est refusée en partant du principe que la partie adverse avait le droit de disposer d'un rapport conforme aux règles en vigueur afin de se préparer à contre‑interroger l'expert convenablement et de décider de l'opportunité d'obtenir un rapport en contre‑preuve.

 

[21]        L'arrêt Mazur v. Lucas, 2010 BCCA 473 (C.A. C.‑B.), portait sur une question d'admissibilité de la preuve par ouï‑dire comprise dans un rapport d'expert. Bien qu'ils ne portent pas précisément sur cette question, les commentaires de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique sur l'objet des règles relatives à la preuve d'expert, qu'il s'agisse aussi bien de l'article 40A des anciennes règles de la Colombie‑Britannique que de l'article 11‑6 des nouvelles règles, sont pertinents. Au paragraphe 42 de ses motifs, la Cour compare ces deux dispositions, mais elle affirme que l'objet général qui les sous-tend reste inchangé :

 

[TRADUCTION]

 

Le nouvel article 11‑6 étoffe les exigences relatives aux éléments qu'un expert devait préciser en application de l'ancien article 40A, mais il ne modifie pas le principe général selon lequel il est essentiel que le juge des faits soit informé des fondements de l'opinion formulée par l'expert afin d'être en mesure d'évaluer cette opinion. La disposition a un double objectif. Son second objectif vise à permettre à la partie adverse d'être informée des fondements de l'opinion de l'expert, de telle sorte qu'elle, ou l'avocat qui la représente, puisse préparer le contre‑interrogatoire de l'expert et mener ce contre‑interrogatoire adéquatement, et, le cas échéant, puisse obtenir une contre‑opinion d'expert. Ainsi, la conclusion des présents motifs aurait été la même sous le régime des nouvelles règles. Il n'y a rien dans ces règles qui touche directement à la question de l'admissibilité de la preuve par ouï‑dire dans les rapports d'experts.

 

[22]        Dans l'arrêt Goerzen v. Sjolie, 1997 CanLII 4014 (C.A. C.‑B.), qui a également été entendu sous le régime de l'article 40A des anciennes règles de la Colombie‑Britannique, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a examiné deux motifs d'appel de la décision du juge de première instance, qui a exclu des parties importantes du rapport d'expert qui n'étaient pas étayées par les faits et les hypothèses. On a soutenu que le rapport d'expert, ainsi que les documents de travail de l'expert, lesquels ont été produits à l'audience, satisfaisaient à l'article 40A. L'appelante a en outre fait valoir que la pratique courante voulait que les rapports ne soient pas accompagnés des documents de travail, mais que ces derniers soient mis à la disposition de la partie adverse dans le cas où on souhaiterait les examiner ou en obtenir une copie après la production du rapport et avant l'audience. Aux paragraphes 15 et 16 de ses motifs, la Cour a rejeté ce raisonnement :

 

[TRADUCTION]

 

Je suis incapable de convenir du fait que la précision apportée par l'alinéa (5)b) devrait être modifiée par une définition subjective et dépendre entièrement de ce que l'auteur du document pense que l'autre partie devrait savoir. [...]

 

Sans conteste, les documents de travail sont souvent volumineux, répétitifs et parfois incompréhensibles pour les profanes. Mais cela ne dispense pas une partie dont le témoin expert produit un rapport censé satisfaire à l'objet et au libellé du paragraphe (5) de s'assurer que le rapport contient tous les faits et les hypothèses sur lesquels l'opinion formulée dans le rapport est fondée. [...]

 

[23]        Pendant le voir‑dire, lors du contre-interrogatoire, Mme Vallière a admis que l'opinion qu'elle avait formulée dans son rapport était fondée sur les données qu'elle avait recueillies, sur l'analyse quantitative qu'elle avait effectuée en se fondant sur les données réunies ainsi que sur les ratios qui en découlaient. Elle a convenu avec l'avocat de l'appelant du fait que le rapport ne faisait nullement état de la méthode ou des analyses sur lesquelles l'opinion qu'elle avait exprimée était fondée. Elle a souligné que ces faits, les vérifications mathématiques et les hypothèses sous‑jacentes apparaissaient dans ses notes de travail, mais que ce n'était pas elle qui avait pris la décision de ne pas joindre ces renseignements et l'analyse connexe au rapport. À la page 181 de la transcription, elle a ainsi répondu aux questions de l'avocat de l'appelant :

 

[TRADUCTION]

 

R.        La décision de les communiquer ne m'appartient pas. L'avocate le savait. Si elle ne les a pas rendus publics, cela ne relève pas de moi.

 

À l'exception de ces références au cours du voir‑dire, la Cour ne dispose pas d'autres éléments relatifs à l'opinion que Mme Vallière a formulée, que ce soit dans la preuve jointe au rapport sous forme d'annexe ou dans ce que l'avocate de l'intimée a produit séparément avant, pendant ou après l'audience.

 

[24]        L'alinéa 145(2)b) définit le cadre relatif à la preuve en interrogatoire principal d'un expert et limite cette preuve à « un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir » fait dans une déclaration sous serment qui a été déposée et signifiée à chacune des autres parties, au moins 30 jours avant le début de l'audience. Il s'agit d'une exigence obligatoire à moins d'instructions contraires de la Cour. L'avocat de l'appelant a soutenu que le rapport ne satisfaisait pas à l'article 145 des Règles parce qu'il faisait simplement état d'une opinion et qu'il ne contenait pas les données, l'analyse quantitative et les ratios; comme Mme Vallière l'a elle‑même reconnu, ces éléments ne font pas partie du rapport. L'avocate de l'intimée a soutenu que, au vu du [TRADUCTION] « libellé clair et simple » de l'article 145, le rapport, bien qu'il soit succinct, contenait tous les renseignements nécessaires, y compris l'énoncé de la tâche dont Mme Vallière devait s'acquitter, une description de la méthode générale que celle‑ci a employée et son opinion.

 

[25]        À l'exception des décisions Mathew et Witt, je n'ai pas été capable de trouver d'autres décisions dans lesquelles la Cour a examiné la portée et l'objet de l'article 145. La jurisprudence des tribunaux de l'Ontario et de la Colombie‑Britannique relative aux dispositions en vigueur dans ces provinces en matière de rapports d'experts est utile pour l'examen des principes qui sous‑tendent les dispositions des Règles relatives à la preuve d'expert. L'Ontario et la Colombie‑Britannique ont toutes deux modifié leurs dispositions en la matière, de telle sorte qu'elles énoncent les éléments précis que les rapports d'experts doivent contenir. La Cour est en voie de procéder à la modification des Règles de façon similaire. Toutefois, le libellé des anciennes règles de l'Ontario et des anciennes règles de la Colombie‑Britannique est similaire à celui de l'article 145 des Règles actuellement en vigueur.

 

[26]        Ainsi, dans l'article 145 des Règles actuellement en vigueur, que signifie le passage « un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir » à l'égard des rapports d'experts? Aux termes du Oxford English Dictionary, 2e éd., le nom « statement » (« exposé ») employé dans la version anglaise de l'article 145 des Règles a le sens suivant :

 

[TRADUCTION]

 

3. a. Communication écrite ou orale qui énonce des faits, des arguments, des demandes, ou quelque chose de semblable.

 

Le Black's Law Dictionary, 9e éd., définit « statement » de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

2. Présentation formelle et exacte des faits.

 

Dans la version en anglais des Règles, l'adjectif « full » (« complet ») apparaît également pour qualifier le nom « statement ». Le Collins English Dictionary, http://www.collinsdictionary.com, définit ainsi l'adjectif « full » :

 

[TRADUCTION]

 

5. (placé devant le nom) auquel il ne manque aucune partie; plein — une douzaine complète

 

Le Merriam-Webster Dictionary, http://www.merriam-webster.com, définit « full » de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

 

d : dont il ne manque aucune partie essentielle: PARFAIT <la complète maîtrise de ses sens>

 

[27]        Par définition, l'« exposé complet » de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir exige que la déclaration sous serment énonce des faits et des arguments exacts, exhaustifs et détaillés en tous points. Cela signifie que le rapport que Mme Vallière a produit, qui, comme elle l'a elle‑même admis au cours du voir‑dire, ne contient ni les données sous‑jacentes recueillies, ni l'analyse quantitative utilisée ni les ratios calculés pour étayer l'opinion qu'elle a formulée, est entaché de lacunes vu qu'il ne contient pas un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal qu'elle entend établir, comme l'exige l'article 145 des Règles. Comme il a été souligné dans la jurisprudence d'autres ressorts, de telles lacunes compromettent la capacité de l'appelant à se préparer au contre‑interrogatoire et à préparer adéquatement ses propres témoins experts. L'appelant s'en trouve clairement désavantagé, et, comme il a été souligné dans la jurisprudence d'autres tribunaux, cela contredit l'esprit et l'objet de règles relatives à la preuve d'expert dont le libellé est semblable. Ces règles existent pour faciliter la préparation à l'audience et pour réduire le temps et les frais consacrés aux questions faisant intervenir des experts. Dans tous les ressorts, il s'agit du thème récurrent des règles relatives à la preuve d'expert. Le fait d'informer convenablement la partie adverse de la preuve qu'on entend présenter permet d'éviter les « procès par embuscade » et le préjudice qui pourrait en découler pour la partie adverse.

 

[28]        Il ressort du témoignage que Mme Vallière a donné lors du voir‑dire que son rapport faisait état de la méthode générale qu'elle avait adoptée ainsi que de son opinion. Bien que l'article 145 actuellement en vigueur n'exige pas expressément que les rapports comportent les données, les analyses et les ratios qui, comme Mme Vallière l'a admis, sous‑tendent son opinion, compte tenu du sens évident de l'expression « exposé complet » ainsi que de l'objet de l'article 145, l'équité procédurale exige qu'un rapport d'expert contienne ces faits et hypothèses sous‑jacents. Dans la décision Mathew, la Cour a conclu qu'un expert avait l'obligation de communiquer les faits et les hypothèses sur lesquels l'opinion qu'il a formulée dans son rapport est fondée. Les tribunaux de la Colombie‑Britannique ont conclu que l'équité exigeait que la partie adverse soit informée non seulement de l'opinion de l'expert, mais, encore une fois, des faits et des hypothèses qui sous‑tendent cette opinion, et ce, pour permettre aux tribunaux de rendre des décisions sur le fond qui soient justes, rapides et peu coûteuses. De même, au paragraphe 38 de l'arrêt Marchand, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que l'objet des règles relatives à la preuve d'expert était [TRADUCTION] « de permettre aux parties de mieux se préparer aux audiences en leur donnant un avis suffisant du témoignage d'opinion que la partie adverse entend présenter lors de l'audience ».

 

[29]        En ce qui concerne le contenu précis des rapports d'experts, il est de jurisprudence constante que les données, les analyses et les calculs sur lesquels on s'est fondé pour formuler une opinion doivent également être inclus dans le rapport. On a conclu que le fait de fournir ces renseignements en communiquant les documents de travail d'un expert lors de l'audience ne satisfaisait pas aux exigences des règles de la Colombie‑Britannique (voir l'arrêt Goerzen). Dans la décision Transmetro, la Cour suprême de l'Ontario, Haute Cour de justice, a aussi conclu que l'expression « teneur du témoignage qu'il prévoit rendre » qui apparaissait dans les anciennes règles de l'Ontario relatives à la preuve d'expert comprenait les documents à l'appui, les calculs et les autres documents techniques en ingénierie sur lesquels l'expert s'était fondé pour formuler son opinion. De même, dans l'arrêt Karam c. Commission de la capitale nationale, [1978] 1 C.F. 403 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a conclu que, quand la déclaration sous serment d'un expert ne contenait pas d'explications suffisantes au sujet du raisonnement adopté, l'expert ne devrait pas être autorisé à compléter la déclaration sous serment en témoignant oralement avant qu'une déclaration sous serment additionnelle ait été déposée et que la partie adverse ait eu le temps de l'examiner.

 

[30]        Une opinion d'expert doit être étayée par des faits, des calculs, des recherches, des documents, des hypothèses ou quelque autre élément que ce soit sur lequel l'expert se fonde pour formuler son opinion. De tels renseignements doivent être énoncés et inclus dans le rapport, faute de quoi l'opinion qui y est formulée n'est rien de plus qu'une opinion non fondée. Le rapport de Mme Vallière ne satisfait pas aux exigences de forme que l'article 145 prévoit à l'égard des rapports. En outre, comme il a été souligné au paragraphe 33 de la décision Haughian :

 

[TRADUCTION]

 

[...] cela n'a pas seulement trait à la forme. Il n'appartient pas à l'avocat du demandeur, pas plus qu'à la Cour, de regrouper divers documents et de s'efforcer d'établir quel est le véritable contenu du rapport. [...]

 

[31]        Bien sûr, l'argument avancé par l'avocate de l'intimée, selon lequel le rapport satisfait aux normes de pratique et de procédure de l'Agence des services frontaliers du Canada relatives à la préparation de rapports de datation de l'encre, n'a aucune incidence sur ma décision relative à la question de savoir si le rapport satisfait aux exigences de l'article 145. En préparant ce rapport en vue de l'audience, l'avocate de l'intimée a pris la décision de restreindre l'exposé de Mme Vallière et d'omettre toute référence aux documents de travail sur lesquels Mme Vallière, comme celle‑ci l'a déclaré, s'est appuyée pour formuler l'opinion énoncée dans le rapport. En se préparant à présenter sa cause devant la Cour, l'avocate de l'intimée a pris une décision. Quelles qu'aient été ses raisons, elle a selon moi décidé qu'il suffisait de satisfaire à la lettre de l'article 145. C'est un risque qu'elle a pris volontairement. L'avocate de l'intimée a également choisi de ne pas communiquer ces documents de travail à l'avocat de l'appelant ou à la Cour, et ce, même après que ces questions ont posé problème.

 

[32]        Bien que je dispose peut‑être du pouvoir discrétionnaire d'ordonner à l'intimée de communiquer les documents de travail en cause à l'appelant et d'ajourner l'audience afin de permettre à l'appelant de disposer de plus de temps pour examiner ces documents, de préparer un contre‑interrogatoire et de décider de l'opportunité de présenter une contre-preuve éventuelle, je suis d'avis que l'équité procédurale, à laquelle l'article 145 tend, non seulement par son libellé mais par son objet sous‑jacent, exige que, dans les circonstances de l'espèce, le rapport de Mme Vallière soit exclu. En outre, je ne suis pas tenue de corriger l'approche qu'un avocat a décidé d'adopter à l'égard de sa cause, notamment en ce qui concerne les questions de conformité aux Règles. Les avocats doivent prendre de telles décisions tout le temps, mais, malheureusement, dans les circonstances de l'espèce, je ne me considère pas comme un participant actif qui doit corriger l'approche adoptée par l'avocate de l'intimée. Le fait d'accorder d'autres ajournements en l'espèce contreviendrait à l'objet même qui sous‑tend les règles relatives à la preuve d'expert ici en cause, nécessitant plus de temps et occasionnant des retards et des frais additionnels. Une telle ligne de conduite ne ferait que miner l'esprit et l'objet mêmes des Règles. En outre, je crois que la déclaration de l'avocate de l'intimée, selon laquelle on pourrait résoudre le problème des renseignements demandés qui se trouvent dans les documents de travail et, pour reprendre ses mots, [TRADUCTION] « tout ce que l'appelant a perçu comme des lacunes » (voir les observations écrites de l'intimée, au paragraphe 2), en contre‑interrogeant l'expert ou en demandant à la Cour de n'accorder que peu, voire pas, de poids au rapport, est contraire à une juste interprétation de l'article 145, et elle ne respecte pas davantage l'esprit et l'objet des Règles.

 

[33]        Ma décision d'exclure le rapport de Mme Vallière, conformément aux présents motifs, tranche la question de l'objection préalable. Toutefois, je voudrais succinctement me pencher sur l'argument de l'appelant voulant qu'il y ait [TRADUCTION] « absence de fondement probant ». Comme je le comprends, il a prétendu que, vu que le rapport ne contenait pas les données, l'analyse quantitative et les ratios sur le fondement desquels Mme Vallière a formulé son opinion, et vu que la Cour ne dispose pas par ailleurs de ces renseignements, [TRADUCTION] « les fondements nécessaires au témoignage d'opinion de l'expert n'ont pas été posés » (voir les observations écrites de l'appelant, au paragraphe 23). L'appelant s'est fondé sur les décisions que la Cour suprême du Canada a rendues dans les arrêts R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852, et R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24 (voir l'arrêt Mazur), pour affirmer [TRADUCTION] qu'« on ne peut se servir de l'opinion d'un expert pour présenter des éléments de preuve qui ne seraient pas recevables par ailleurs » (voir les observations écrites de l'appelant, au paragraphe 24). Ces arrêts ont trait à la valeur probante des opinions d'experts fondées sur la preuve par ouï‑dire. La Cour suprême du Canada a conclu que les opinions d'experts fondées sur la preuve par ouï‑dire étaient admissibles, non pas comme preuve de leur contenu ou des faits qu'on y affirme, mais dans la perspective limitée d'évaluer l'opinion de l'expert. Le poids qu'il convient d'accorder à l'opinion d'un expert dépend de la mesure dans laquelle on conclut que les faits qui sous‑tendent cette opinion sont réels. Lorsque l'opinion n'est fondée que sur des éléments de preuve par ouï‑dire qui ne sont pas admissibles, on ne lui accorde que peu de poids. Par conséquent, la règle de preuve en ce qui concerne les documents d'experts qui sont [TRADUCTION] « sans fondement probant » a trait au poids plutôt qu'à l'admissibilité de la preuve d'expert fondée sur le ouï‑dire.

 

[34]        L'argument de l'avocat de l'appelant est le suivant : quand il n'y a pas de fondement probant, en ce sens que l'opinion n'est fondée que sur des éléments de preuve inadmissibles, il est alors possible d'exclure le témoignage de l'expert ou de ne lui accorder que peu de poids. Toutefois, l'appelant n'a pas nommé d'éléments de preuve par ouï‑dire ou d'autres éléments de preuve inadmissibles sur lesquels Mme Vallière se serait fondée pour formuler son opinion. L'appelant n'a pas prétendu que les éléments qui n'apparaissaient pas dans le rapport étaient des éléments de preuve par ouï‑dire, mais il a plutôt contesté le rapport au motif que ces éléments précis n'y apparaissaient pas. Il s'agissait des tests en laboratoire et des calculs, lesquels ne relèvent pas du ouï‑dire mais, plutôt, des connaissances personnelles de l'expert, de ses observations, et ainsi de suite. En fait, l'appelant a fait valoir la position radicalement opposée, à savoir que ces éléments manquants étaient essentiels au rapport et qu'ils auraient dû en faire partie. Par conséquent, la contestation de l'appelant découle non pas du fait que Mme Vallière s'est fondée sur des éléments de preuve inadmissibles pour formuler son opinion, mais plutôt du fait que les données scientifiques, les tests, les calculs et les procédés qu'elle a employés pour formuler son opinion n'ont pas été joints au rapport. Je ne vois pas comment l'argument de l'avocat de l'appelant, tel qu'il se rapporte aux arrêts de la Cour suprême du Canada, quant au fait que le rapport était [TRADUCTION] « sans fondement probant » s'applique à l'objection dont j'ai été saisie.

 

[35]        Pour ces motifs, vu que le rapport ne satisfait pas aux exigences de l'article 145 des Règles, il sera exclu.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de janvier 2014.

 

 

« Diane Campbell »

La juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mai 2014.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 35

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2011-3519(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Achim Bekesinski c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Les 29, 30 et 31 octobre et le 1er novembre 2013

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :          L'honorable juge Diane Campbell

 

DATE DE LA DÉCISION :              Le 31 janvier 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me Gavin Laird

Me Drew Gilmour

 

Avocate de l'intimée :

Me Catherine M. G. McIntyre

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

          Noms :                  Gavin Laird

                                       Drew Gilmour

          Cabinet :               Laird & Company

                                       Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

          Pour l'intimée :     William F. Pentney

                                       Sous‑procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

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