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Dossier : 2013-2024(GST)I

ENTRE :

SHEILA DIFLORIO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 28 janvier 2014, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Leigh Somerville Taylor

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie au titre de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes de déclaration allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 est accueilli, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’appelante n’était pas une associée de son époux dans une société de personnes pendant les périodes en cause, et que, par conséquent, elle n’est solidairement responsable d’aucune taxe sur les produits et services due par l’entreprise de son époux.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 2014.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15jour d’avril 2014.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 67

Date : 20140305

Dossier : 2013-2024(GST)I

ENTRE :

SHEILA DIFLORIO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Rip

 

[1]             Sheila Di Florio interjette appel à l’encontre d’une cotisation d’impôt qui aurait été établie au titre de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») pour la période de déclaration allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 (la « période »), au motif qu’elle était une associée de son ex‑époux dans une entreprise de vente de drogues et qu’elle est, par conséquent, solidairement responsable de toute taxe sur les produits et services (la « TPS ») due par la société de personnes. Mme DiFlorio nie avoir été une associée dans l’entreprise.

 

[2]             La cotisation relative à la TPS a été précédée d’une cotisation fondée sur la valeur nette établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») à l’égard de l’appelante et de M. DiFlorio tous les deux pour leurs années d’imposition 2004, 2005 et 2006, compte tenu du fait qu’aucun d’eux n’avait déclaré de revenus provenant d’une société de personnes exploitant une entreprise, désignée comme étant une [traduction] « entreprise de vente de drogues ». Les appels de Mme DiFlorio ont été interjetés et le ministre du Revenu national (le « ministre ») et Mme DiFlorio ont consenti à un jugement réduisant le revenu imposé à moins de 28 000 $ pour chacune des années en cause.

 

[3]             Le 4 décembre 2009, le ministre a initialement établi une cotisation à l’égard de la prétendue société de personnes pour la TPS, les intérêts et les pénalités, pour un montant total de 35 649 $ qui, au stade de l’opposition, a été réduit à 16 536 $. La cotisation visée par le présent appel comprend aussi des pénalités pour défaut de production de déclarations de TPS (article 280.1 de la Loi), pour défaut de versement de la taxe à temps pour la période (paragraphe 228(2) de la Loi) et pour versement tardif (paragraphe 280(1) de la Loi). Aucune pénalité pour faute lourde n’a été imposée (paragraphe 272.1(5)de la Loi), malgré la mention faite par l’appelante dans son avis d’appel.

 

[4]             Durant la période, Mme DiFlorio était mariée à Sandy DiFlorio; ils ont divorcé depuis lors. L’activité de l’entreprise prétendument exploitée par les DiFlorio portait sur la production et la vente de drogues illégales visant à améliorer la performance des chevaux de course en Ontario.

 

[5]             M. DiFlorio distribuait des drogues et des médicaments à des participants dans l’industrie des courses de chevaux par l’entremise de son site Web. En avril 2006, il a été accusé d’avoir illégalement fabriqué, emballé et distribué des drogues sans avoir de licence et d’avoir illégalement vendu un médicament visé à l’annexe F (erythropoïétine − communément appelé EPO) en violation de la Loi sur les aliments et drogues. Il a plaidé coupable aux accusations. L’appelante n’a été accusée d’aucune infraction. M. DiFlorio n’a pas témoigné à l’audience.

 

[6]             Mme DiFlorio s’est décrite comme une [traduction] « femme au foyer », qui n’était pas au courant des activités de son époux. Toutefois, elle savait qu’[traduction] « il se rendait très souvent à l’hippodrome » et qu’il travaillait dans le sous‑sol de leur maison. C’est dans le sous‑sol que M. DiFlorio préparait les drogues et les emballait pour expédition.

 

[7]             L’appelante s’occupait d’une grande partie des activités bancaires de la famille. Elle et M. DiFlorio avaient des comptes bancaires ensemble. Elle changeait la monnaie à la banque, déposait les chèques de paye de son époux ainsi que des chèques du gouvernement et des chèques qu’il recevait comme dons. Elle endossait « toujours » les chèques. M. DiFlorio payait les factures du ménage.

 

[8]             De temps à autre, des services de messagerie se rendaient au domicile des DiFlorio pour ramasser des colis à livrer. Mme DiFlorio remettait les colis au messager. L’appelante ne se rendait jamais au bureau d’un messager. Mme DiFlorio a insisté sur le fait qu’elle n’« emballait » pas les colis; c’est M. DiFlorio qui s’en occupait. L’époux de l’appelante marquait l’adresse sur le colis, et l’appelante a déclaré qu’elle ne connaissait aucun des destinataires.

 

[9]             M. DiFlorio avait déjà détenu une licence délivrée par la Commission des courses de l’Ontario (la « CCO ») en tant que propriétaire de cheval de course. La licence a expiré en septembre 1997 et n’a pas été renouvelée.

 

[10]        Toutefois, Mme DiFlorio détenait aussi une licence délivrée par la CCO en tant que propriétaire de cheval de course. Sa première licence a été délivrée en 2003 et sa deuxième licence, délivrée en 2004, a expiré en 2005. Mme DiFlorio a d’abord nié avoir jamais détenu une licence auprès de la CCO et a ensuite déclaré qu’elle ne [traduction] « s’en souvenait pas ».

 

[11]        L’appelante n’a pas nié avoir visité l’hippodrome, mais elle a précisé qu’elle ne le faisait pas de gaieté de coeur. Elle a dit qu’elle détestait l’odeur de l’écurie. Elle rencontrait des gens à l’hippodrome. Le 18 avril 2003 ou vers cette date, Mme DiFlorio a désigné un mandataire, Blake Curran, pour qu’il agisse en son nom pour réclamer des chevaux. Elle n’a pas nié la signature qu’elle avait apposée sur les documents en question.

 

[12]        En ce qui concerne les licences qu’elle détenait auprès de la CCO, Mme DiFlorio a affirmé qu’elle [traduction] « faisait confiance » à son époux. Je tiens à souligner que l’adresse de Mme DiFlorio figurant sur le formulaire de renouvellement du permis à l’égard de chevaux de race Standardbred est celle de l’employeur de M. DiFlorio et non celle du domicile des DiFlorio à l’époque.

 

[13]        Mme DiFlorio a insisté, à plusieurs reprises, aussi bien lors de l’interrogatoire principal que lors du contre‑interrogatoire que [traduction] « je ne m’occupais que de mes tâches ménagères » et qu’elle [traduction] « ne savai[t] pas ce qu’il [Sandy DiFlorio] faisait ».

 

[14]        M. Vernon Sargeant, un agent des appels de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a témoigné pour le compte de la Couronne. Le vérificateur qui avait initialement examiné la déclaration de revenus de Mme DiFlorio ne travaille plus à l’ARC. M. Sargeant a examiné tous les documents contenus dans le dossier de l’appelante : les rapports, les lettres et les documents de travail du vérificateur. M. Sargeant a confirmé que les cotisations d’impôt sur le revenu établies à l’égard de Mme DiFlorio étaient fondées sur une valeur nette attribuable à une [traduction] « activité illégale ». Il a également confirmé que les cotisations d’impôt sur le revenu avaient mené à l’établissement des cotisations relatives à la TPS.

 

[15]        M. Sargeant a produit une grande partie, sinon la totalité des documents contenus dans les dossiers de M. DiFlorio et de Mme DiFlorio. La majorité des documents semblent se rapporter à M. DiFlorio. Par exemple, le récapitulatif de la valeur nette mentionne M. DiFlorio et Mme DiFlorio tous les deux, l’annexe relative aux dépenses personnelles fait état des dépenses personnelles de M. DiFlorio. Parmi douze comptes détenus auprès de banques ou d’institutions financières et des comptes de cartes de crédit, cinq étaient détenus conjointement par les DiFlorio, six étaient inscrits au nom de M. DiFlorio et un seul compte était au nom de Mme DiFlorio. On a considéré tous ces comptes pour calculer la valeur nette de M. DiFlorio et de Mme DiFlorio tous les deux. Un compte de prêt de l’actionnaire d’une société dans laquelle M. DiFlorio semble avoir détenu des actions a été analysé pour établir le solde du prêt de M. DiFlorio au 31 décembre 2003. En bref, le calcul de la valeur nette de la famille DiFlorio reposait essentiellement sur les finances de M. DiFlorio et très peu sur celles de Mme DiFlorio. Sur cette base, des cotisations ont été établies à l’égard de M. DiFlorio et à l’égard de Mme DiFlorio pour des revenus non déclarés en 2004, en 2005 et en 2006 et, par contrecoup, pour la TPS non déclarée.

 

[16]        L’appelante n’était pas personnellement inscrite aux fins de la TPS durant la période. Selon un rapport de vérification de la TPS établi par l’ARC, celle‑ci a enregistré un compte de société de personnes pour Sandy DiFlorio et Sheila DiFlorio pour [traduction] « les besoins de l’établissement d’une cotisation au titre de la TPS par suite des conclusions d’une vérification, en raison du fait que la cotisation fondée sur la valeur nette reposait sur une répartition égale entre les deux ». L’auteur avait antérieurement écrit dans le rapport de vérification [traduction] « que même si aucune accusation n’a été portée contre Sheila DiFlorio pour des activités criminelles, elle a bénéficié des activités criminelles de son époux […] elle a aussi utilisé le produit des activités criminelles de son époux pour maintenir son mode de vie et pour payer ses dépenses quotidiennes, étant donné qu’elle n’avait aucun revenu important provenant d’autres sources [...] ».

 

[17]        Dans une lettre du 28 octobre 2011 adressée à l’ancien avocat des DiFlorio, M. Sargeant a déclaré qu’étant donné l’avocat à l’époque et M. DiFlorio, dans son affidavit, avaient déclaré [traduction] « que, en ce qui a trait aux activités de l’entreprise, Sheila faisait des courses, envoyait des colis par la poste, recevait des chèques émis à son nom et effectuait des opérations bancaires », la Direction générale des appels de l’ARC [traduction] « a déterminé que Sheila DiFlorio participait aux activités de l’entreprise et que, par conséquent, c’est à juste titre qu’elle est visée par la cotisation relative à la TPS ». (Ces commentaires ont également été faits dans le rapport sur opposition.) Aucun crédit de taxe sur les intrants n’a été calculé parce qu’aucune demande n’avait été faite à cet égard, selon M. Sargeant.

 

[18]        Dans son affidavit, M. DiFlorio a fait la déclaration suivante :

 

[traduction]

 

Mon épouse Sheila ne possède ni la connaissance ni l’expertise nécessaires pour participer à l’élaboration de mes suppléments. Elle faisait parfois des courses et apportait pour moi des articles chez UPS pour livraison lorsque j’étais au travail, mais elle ne participait pas à ce que je faisais. Il y avait des chèques qui étaient reçus à son nom, parce qu’elle envoyait certains colis et que c’est son nom qui apparaissait sur les documents que les professionnels du cheval recevaient. Cela était plus fréquent au début que par la suite, et c’est seulement quelques professionnels du cheval qui ont commis cette erreur. Je ne voyais aucun problème à ce que les chèques soient libellés à son nom et je n’ai donc jamais remis cela en question. Elle ne participait absolument pas aux recherches que j’effectuais.

 

[19]        Je tiens à souligner que Mme DiFlorio a nié avoir apporté des articles aux services de messagerie.

 

[20]        M. Sargeant a reconnu que, dans la majorité des cas, une cotisation fondée sur la valeur nette concerne la famille s’il existe des comptes bancaires conjoints et d’autres ressources financières. Il a déclaré que l’ARC n’attribue pas nécessairement l’augmentation de la valeur nette aux deux époux, [traduction] « cela dépend des circonstances ». En fait, le vérificateur de l’ARC n’a tiré aucune conclusion selon laquelle Mme DiFlorio avait participé à l’entreprise de vente de drogues ou à l’entreprise de course de chevaux, mais il lui a néanmoins attribué 50 % de l’augmentation de la valeur nette de la famille.

 

[21]        La question en litige est donc de savoir si, durant la période, l’appelante exploitait l’entreprise de vente de drogues au moyen d’une société de personnes dont elle était une associée avec son époux à l’époque.

 

[22]        Les activités se sont déroulées en Ontario et, par conséquent, je dois d’abord renvoyer à la Loi sur les sociétés en nom collectif (la loi sur les « SNC ») de l’Ontario pour déterminer si une société de personnes (appelée « société en nom collectif » dans la loi sur les SNC) existait entre Mme DiFlorio et M. DiFlorio.

 

[23]        L’article 2 de la loi sur les SNC est libellé ainsi :

 

La société en nom collectif est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Ne constitue toutefois pas une société en nom collectif, au sens de la présente loi, la relation qui existe entre les membres d’une compagnie ou d’une association constituée en personne morale par une loi générale ou spéciale en vigueur en Ontario ou ailleurs ou en application de celle-ci, ou inscrite comme personne morale aux termes d’une telle loi.

 

[24]        Selon l’article 3 de la loi sur les SNC, il faut tenir compte d’une liste de règles pour déterminer si une société en nom collectif existe; les règles suivantes peuvent être pertinentes au présent appel :

 

1.         La tenance conjointe ou commune, la propriété conjointe ou commune ou la propriété partiaire ne crée pas, en soi, une société en nom collectif relativement à toute chose qui fait l’objet de cette forme de propriété, que les tenants ou les propriétaires partagent ou non les bénéfices tirés de son usage.

 

2.         Le partage des recettes brutes n’a pas, en soi, pour effet de créer une société en nom collectif, que les personnes qui les partagent jouissent ou non d’un droit ou d’un intérêt conjoint ou commun sur l’un quelconque des biens dont proviennent les recettes ou de l’usage duquel elles proviennent.

 

3.         La réception par une personne d’une quote-part des bénéfices d’une entreprise constitue la preuve, en l’absence de preuve contraire, qu’elle est un associé dans cette entreprise. Toutefois, la réception d’une telle quote-part ou d’un tel paiement qui dépend des bénéfices d’une entreprise ou qui varie suivant ces derniers ne fait pas, en soi, de cette personne un associé dans cette entreprise, et en particulier :

 

a)         la réception par une personne du paiement d’une créance ou d’une autre somme déterminée, sous forme de versements ou autrement, sur les bénéfices que réalise une entreprise ne fait pas, en soi, de cette personne un associé dans cette entreprise et ne lui impose à ce titre aucune responsabilité;

 

b)         un contrat prévoyant la rémunération d’un employé ou d’un mandataire d’une personne qui exploite une entreprise, par une quote-part des bénéfices réalisés par cette entreprise ne fait pas, en soi, de cet employé ou de ce représentant un associé dans cette entreprise et ne lui impose à ce titre aucune responsabilité;

 

[…]

 

d)         le fait que des fonds soient avancés sous forme de prêt à une personne qui exploite ou s’apprête à exploiter une entreprise suivant un contrat passé avec cette personne et prévoyant que le prêteur touchera un taux d’intérêt variant en fonction des bénéfices, ou recevra une quote-part des bénéfices provenant de l’entreprise, ne fait pas, en soi, du prêteur un associé de la ou des personnes qui exploite cette entreprise et ne lui impose à ce titre aucune responsabilité, à condition qu’il s’agisse d’un contrat écrit et signé par toutes les parties au contrat ou pour leur compte;

 

[25]        En outre, l’article 45 de la loi sur les SNC prévoit que les règles d’equity et de common law applicables à la société en nom collectif demeurent en vigueur, sauf dans la mesure où elles sont incompatibles avec les dispositions de la loi sur les SNC.

 

[26]        La Cour suprême du Canada a examiné la formation d’une société en nom collectif dans de nombreux arrêts[1]. Dans chaque arrêt, elle a confirmé que les trois « éléments essentiels » d’une société en nom collectif sont (1) une entreprise; (2) exploitée en commun; et (3) en vue de réaliser un bénéfice.

 

[27]        L’analyse de ces « éléments essentiels » dépend de faits précis et est fonction des intentions subjectives des parties. Dans l’arrêt Continental Bank[2], le juge Bastarache a formulé les observations suivantes, au paragraphe 23 :

 

L’existence d’une société en nom collectif est tributaire des faits et circonstances propres à chaque espèce. Elle est également fonction de l’intention véritable des parties. Comme il est indiqué dans Lindley & Banks on Partnership (17e éd. 1995), à la p. 73: [traduction] « pour déterminer l’existence d’une société en nom collectif [. . .] il faut tenir compte du contrat et de l’intention véritables des parties ressortant de l’ensemble des faits de l’affaire ».

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]        En l’espèce, il a été manifestement satisfait aux « éléments essentiels » (1) et (3). Une entreprise a été exploitée en vue de réaliser un bénéfice. Il ressort clairement de la preuve que l’entreprise était au moins exploitée par M. DiFlorio. L’entreprise de vente de drogues était‑elle exploitée en commun par l’appelante et son ex‑époux?

 

[29]        L’expression « en commun » signifie que les associés exploitent ensemble une entreprise en fonction d’une sorte de contrat. Dans l’arrêt Backman[3], la Cour a conclu ce qui suit, au paragraphe 21 :

 

Pour déterminer si une entreprise est exploitée « en commun », il faut se rappeler qu’une société de personnes naît d’un contrat. L’objectif commun nécessaire à l’établissement d’une société de personnes sera habituellement présent lorsque les parties auront conclu un contrat de société valide énonçant leurs droits et obligations respectifs en tant qu’associés. […]

 

[30]        En l’espèce, il n’existe aucune preuve de l’existence d’un contrat exprès. Toutefois, un contrat de société de personnes n’a pas à être exprès; son existence peut être déduite de la conduite des parties. Voici un extrait de l’ouvrage The Law of Partnerships and Corporations[4] :

 

[traduction]

 

La question de savoir si un contrat existe est déterminée objectivement, en ce sens que des personnes peuvent être qualifiées d’associées à leur insu et même contrairement à leur intention dans la mesure où le tribunal décide que les circonstances démontrent l’existence d’une société en nom collectif. Le contrat doit démontrer l’intention de s’engager dans la relation qui répond à la définition d’une société en nom collectif.

[Notes en bas de page omises.]

 

[31]        En l’absence d’un contrat exprès de société de personnes, les tribunaux tiennent compte de certains facteurs qui indiquent l’existence d’une société de personnes. Certains facteurs reconnus par les tribunaux sont les suivants[5] :

 

         partage des bénéfices;

         partage de la responsabilité pour les pertes, y compris la garantie pour les dettes de la société de personnes;

         propriété conjointe de biens;

         contrôle de l’entreprise de la société de personnes;

         participation à la gestion;

         déclaration de l’intention de créer une société de personnes dans un contrat;

         Déposer des documents auprès du gouvernement démontrant l’existence d’une société de personnes (ex. : inscription en vertu de la loi concernant les noms commerciaux, déclarations de revenus);

         Accès à l’information concernant l’entreprise;

         pouvoir de signature pour les contrats et les comptes bancaires;

         Se présenter comme un associé;

         participation au capital par un apport d’argent ou par des services ou des biens (en particulier si l’apport est complémentaire à celui fait par d’autres personnes dans le but d’exploiter une entreprise);

         participation à temps plein à l’exploitation de l’entreprise;

         Utilisation de la raison sociale, peut‑être pour la publicité;

         une entreprise ayant son propre personnel et sa propre adresse.

 

[32]        Il n’y a pas d’indication précise quant à la question de savoir si un facteur, à lui seul ou considéré avec d’autres, est déterminant. Dans l’arrêt Continental Bank, le juge Bastarache a fait une mise en garde selon laquelle il faut tenir compte de « l’ensemble des faits de l’affaire[6] ». Dans l’arrêt Backman, les juges Iacobucci et Bastarache ont préconisé une démarche fondée sur le bon sens à l’égard de cette question. Voici la teneur des observations de la Cour, au paragraphe 26 de l’arrêt Backman :

 

Les tribunaux doivent se montrer pragmatiques dans l’examen des trois éléments essentiels d’une société de personnes. Pour déterminer si une telle société a été établie dans une affaire donnée, il faut analyser et soupeser les facteurs pertinents eu égard à toutes les circonstances. Le fait que l’existence de la prétendue société de personnes doive être examinée au regard de l’ensemble des circonstances est incompatible avec l’application mécanique d’une liste de contrôle ou d’un critère comportant des paramètres définis de façon plus précise.

 

[33]        Dans le contexte d’un mariage, les tribunaux hésitent, quoiqu’ils n’y soient pas opposés, à conclure à l’existence d’une société de personnes en l’absence d’une convention expresse. Dans l’ouvrage A Practical Guide to Canadian Partnership Law, Alison Manzer donne l’explication suivante, à la section 3.65[7] :

 

[traduction]

 

Si la relation entre époux n’est apparemment qu’une bonne relation conjugale, plutôt qu’une participation précise aux activités de l’entreprise d’une société en nom collectif, on ne pourra vraisemblablement pas conclure à l’existence d’une société en nom collectif. C’est en particulier le cas si, avant l’affaire en cause, les époux n’avaient jamais produit de déclarations de revenus en tant qu’associés ou s’ils n’avaient jamais considéré leurs avoirs ou leurs revenus comme étant ceux d’une société en nom collectif.

 

[34]        Dans la décision Sedelnick[8], le juge Christie (à l’époque juge en chef adjoint de la Cour canadienne de l’impôt) a passé en revue la jurisprudence concernant les sociétés de personnes entre époux :

 

Dans Lindley on Partnership, 14édit.. (1979) (Scamell and Banks), il est dit ceci à la page 64 :

 

[traduction] « Il n’y a aucune raison pour qu’une femme mariée ne puisse pas conclure un contrat de société avec son époux bien que, comme dans le cas des autres obligations qui peuvent être contractuelles, la Cour soit réticente à conclure à l’existence d’une société lorsque les parties sont mari et femme ».

[…]

Drake [Law of Partnership, Charles D. Drake, 3e éd. (1983)] dit ceci, à la page 76 :

 

[traduction] « À coup sûr, le mari et la femme peuvent validement conclure un contrat de société, mais étant donné que les tribunaux hésitent à présumer que des époux vivant ensemble en parfaite harmonie entendent que les discussions qu’ils ont sur des questions d’argent aient un effet juridique, il est d’autant plus important que leurs intentions soient stipulées en toutes lettres dans un acte juridique.

 

[35]        Dans la décision Sedelnick, le juge en chef adjoint Christie a finalement conclu qu’en l’absence d’une convention expresse écrite, un compte bancaire conjoint et la propriété conjointe de biens agricoles et de maisons d’habitation n’étaient pas des facteurs déterminants pour ce qui est de prouver l’existence d’une société de personnes entre époux. Plus précisément, il a formulé les observations suivantes :

 

Lorsque l’existence d’une convention expresse entre les époux n’est pas établie et sauf dans certaines circonstances particulières, qu’il m’est ici impossible d’imaginer, l’existence de la société ne devrait pas être déduite du comportement des parties, s’il s’agit d’un comportement que les époux pourraient également adopter dans leur intérêt commun, du fait de leur mariage. La chose peut englober de nombreuses activités qui sont purement de nature commerciale.

 

[36]        Dans la décision Bains v. The Queen[9], des époux détenaient conjointement un bien à usage commercial qu’ils louaient. La cotisation que le ministre a établie à leur égard était fondée sur le fait que les revenus de location étaient des revenus d’une société de personnes. Le juge Sarchuk a souscrit au point de vue du ministre. Il a conclu que les époux partageaient les profits et les dépenses concernant le bien, parce que les revenus provenant de la location étaient déposés dans un compte bancaire conjoint.

 

[37]        Toutefois, la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision Bains. Les appelants étaient des propriétaires conjoints et non des associés. Plus précisément, la cour d’appel a conclu que l’utilisation d’un compte bancaire conjoint dans ce contexte matrimonial n’était pas déterminante de l’existence d’une entreprise exploitée en tant que société de personnes. Au paragraphe 7, la juge Sharlow s’est exprimée ainsi :

 

[…] L’utilisation d’un compte conjoint dans cette situation n’est rien de plus qu’une façon normale de gérer les ressources de la famille. Cela est compatible avec la thèse des appelants selon laquelle ils étaient simplement copropriétaires de l’immeuble.

 

[38]        Dans la décision ScottTrask v. The Queen[10], le juge MacArthur a conclu que l’appelante, une enseignante à temps plein, n’était pas une associée de l’entreprise d’aménagement paysager de son époux, malgré le fait qu’elle ait enregistré la société et signé un prêt bancaire à ce titre. Le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelante pour la dette de l’entreprise au titre de la TPS après que l’époux de l’appelante a déclaré faillite. Le juge McArthur a conclu qu’il n’existait pas de société de personnes. Il n’y avait aucune synergie entre les époux en tant qu’associés. Au contraire, il s’agissait d’une entreprise individuelle exploitée par l’époux de l’appelante.

 

[39]        Toutefois, les tribunaux ne sont pas totalement opposés à l’idée de conclure à l’existence d’une société de personne entre époux. Il existe plusieurs décisions dans lesquelles les tribunaux ont conclu qu’une société de personnes existait entre époux : Loewen[11], DenHaan[12], Stefanson Farms[13], Neufeld[14] , et Duivenvoorde[15]. Dans chacune de ces affaires, le comportement des époux est allé au‑delà du comportement découlant de leur intérêt commun du fait de leur mariage. Plus précisément, il y avait des éléments de preuve manifestes de l’un des facteurs suivants qui évoquaient l’existence d’une société de personnes :

 

         Partage des bénéfices (Loewen, Neufeld);

         Conclusion d’un contrat de société de personnes (Stefanson Farms);

         Partage de la responsabilité à l’égard des pertes au moyen de la garantie des dettes de la société de personnes (Duivenvoorde);

         Participation à l’entreprise au moyen de services ou participation à temps plein (Duivenvoorde);

        production de déclarations de revenus en tant qu’associés (Denhaan). 

 

[40]        Les tribunaux hésitent par conséquent à conclure à l’existence d’une société de personnes entre mari et femme, à moins d’une preuve clairement établie de l’intention de créer une société de personnes. Un comportement qui traduit l’existence d’une bonne relation entre époux est insuffisant. La norme de preuve exigée est différente de celle concernant des non-conjoints.

 

[41]        Selon l’intimée, l’appelante était une associée dans l’entreprise de vente de drogues de son époux. Normalement, dans le cas d’une activité illégale, il n’y a pas de contrat de société de personnes, comme en l’espèce. Si une société de personnes existe entre Mme DiFlorio et M. DiFlorio, elle doit être le résultat du comportement de l’appelante et de son ex‑époux.

 

[42]        L’intimée soutient que les facteurs suivants témoignent de l’existence d’un tel contrat :

 

i)        l’appelante a endossé des chèques libellés à son nom et provenant de la vente de drogues pour les verser dans un compte bancaire conjoint;

ii)      l’appelante participait à l’expédition des drogues;

iii)    l’appelante détenait une licence de la CCO pour les années 2004 et 2005;

iv)    l’appelant rencontrait occasionnellement des personnes de l’industrie de la course de chevaux;

i)        l’appelante a désigné un mandataire pour réclamer des chevaux en son nom.

 

[43]        L’intimée soutient que les faits exposés ci‑dessus établissent une distinction entre les faits en l’espèce et ceux de l’affaire Scott‑Trask. Dans cette dernière, l’appelante était une enseignante qui avait une source indépendante de revenus et qui ne participait aucunement à l’entreprise de son époux. Dans la décision ScottTrask, le juge McArthur a conclu qu’il n’existait pas de « synergie » entre les parties quant à l’entreprise. En l’espèce, l’intimée fait valoir que le degré de participation de l’appelante dans l’entreprise de son époux laisse supposer l’existence d’une entente visant l’exploitation de l’entreprise en commun. L’époux de l’appelante ne pouvait pas exploiter son entreprise sans elle. Il n’avait pas de licence de la CCO. Elle en avait une. Il n’avait pas accès aux propriétaires de chevaux, aux propriétaires d’écuries ni aux hippodromes. Elle y avait accès. C’était leur « synergie » en tant qu’associés. Il préparait les drogues; elle en faisait publicité et les distribuait.

 

[44]        Je ne puis souscrire à cet argument. L’appelante était, selon ses propres termes, [traduction] « une femme au foyer ». Il n’y avait aucun élément de preuve ni aucun argument de nature à contredire cette déclaration. Sa participation à l’entreprise consistait à faire des courses, non à participer à l’entreprise d’une société de personnes. Elle remettait des colis emballés à des services de messagerie. Elle endossait des chèques libellés à son nom et les déposait dans des comptes conjoints. Elle avait confiance en son époux et ne s’était pas renseignée sur ses activités. À l’audience, l’avocat de l’intimée a admis que les activités susmentionnées étaient compatibles avec celles d’un époux et non celles d’un associé. En outre, tout comme dans l’affaire Bains, l’utilisation de comptes bancaires conjoints n’était rien d’autre qu’une façon normale de gérer les ressources de la famille et ne traduisait pas à elle seule un partage des bénéfices d’une entreprise.

 

[45]        L’intimée soutient que les facteurs énoncés du point iii) au point v) au paragraphe 42, servent à distinguer la participation de l’appelante du comportement d’une épouse qui soutient son époux ou du comportement qui traduit l’existence d’une bonne relation entre époux. Ils répondent à la [traduction] « norme plus exigeante » concernant les faits, exigée pour conclure à l’existence d’une société de personnes entre époux. Ces activités supposent qu’elle travaillait activement à faire la publicité des drogues fabriquées par son époux et à en faire la distribution. Autrement dit, elle participait activement à l’exploitation de l’entreprise. Encore une fois, je ne puis souscrire à cet argument.

 

[46]        Quant aux licences de l’OCC, l’appelante n’arrivait pas à se souvenir si elle en avait reçu. L’adresse mentionnée sur la demande de renouvellement du permis de l’OCC était l’adresse de son époux au travail. Il s’agit là d’une indication que, selon toute probabilité, c’est lui qui s’en occupait. Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle ait simplement signé comme il le lui demandait, sans se rendre compte des conséquences juridiques de son acte. La situation n’est pas différente de celle dans l’affaire Scott­Trask. On pourrait en dire autant pour ce qui est de l’autorisation qu’elle a donnée à un mandataire pour réclamer des chevaux en son nom. Ces faits donnent simplement à penser que l’appelante a apporté son aide à l’entreprise de son ex‑époux en tant qu’épouse, non en tant qu’associée dans une entreprise.

 

[47]        Selon l’intimée, [traduction] « quelqu’un doit avoir été un intermédiaire » entre M. DiFlorio et ses clients. Cela sous‑entend que l’appelante était ce « quelqu’un ». Toutefois, les éléments de preuve laissent penser qu’un « intermédiaire » n’était pas nécessaire. L’époux de l’appelante exploitait l’entreprise de vente de drogues par l’entremise d’un site Web. Les clients s’inscrivaient sur son site. Il procédait à un contrôle préalable des personnes inscrites pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’agents de la force publique. Il était concevable qu’il exploite son entreprise au moyen de son ordinateur et à l’insu de Mme DiFlorio.

 

[48]        L’appelante a nié sans hésitation toute participation importante dans l’entreprise de vente de drogues. Elle a admis qu’elle faisait des courses et visitait les écuries. Elle a cependant déclaré qu’elle n’était pas au courant des activités de son époux. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve pour contredire le témoignage de l’appelante. Dans l’ensemble, j’accepte le témoignage de Mme DiFlorio et j’accueille l’appel qu’elle a interjeté, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5jour de mars 2014.

 

 

« Gerald J. Rip »

Le juge en chef Rip

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15jour d’avril 2014.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 67

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2013‑2024(GST)I

                                                         

INTITULÉ :                                      SHEILA DIFLORIO c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 5 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

            Nom :                                    Leigh Somerville Taylor         

 

            Cabinet :                               LST, Leigh Somerville Taylor,

                                                          Professional Corporation,

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Continental Bank Leasing Corp. v. Canada, [1998] 4 C.T.C. 77, 98 D.T.C. 6501, au paragraphe 22 (« Continental Bank »); Backman v. R., [2001] 2 C.T.C. 11, 2001 D.T.C. 5149 (« Backman »); Spire Freezers Ltd. v. R., [2001] 2 C.T.C. 40, 2001 D.T.C. 5158.

[2]           Précité, note 1.

[3]           Précité, note 1.

[4]           J. Anthony van Duzer, The Law of Partnerships and Corporations, 3éd., (Irwin Law, Toronto : 2009), à la page 36.

[5]           Ibid., à la page 48.

[6]           Continental Bank, précité, note 1, au paragraphe 23; la majorité de la Cour n’étant pas d’accord avec le juge Bastarache en ce qui concerne l’article 34 de la loi sur les SNC.

[7]           Alison R. Manzer, A Practical Guide to Canadian Partnership Law, feuilles mobiles (consulté le 18 février 2014), (Toronto : Thompson Reuters, 1996).

[8]           Sedelnick Estate v. Minister of National Revenue, 1986 CarswellNat 431, [1986] 2 C.T.C. 2102 (« Sedelnick »).

[9]           Bains v. R., 2005 CarswellNat 3739, 2005 CAF 378 inf. Bains v. R. (2005), [2005] G.S.T.C. 83, 2005 CCI 156 (« Bains »).

[10]          Scott-Trask v. R., 2008 CarswellNat 4138, 2008 CCI 638 (« Scott‑Trask »).

[11]          Loewen v. R., 1998 CarswellNat 9, (sub nom. Loewen v. Canada) [1998] G.S.T.C. 6 (« Loewen »).

[12]          Denhaan v. R., 2008 CarswellNat 514, 2008 CCI 126 (« Denhaan »).

[13]          Stefanson Farms Ltd. v. R., 2008 CarswellNat 4729, 2008 CCI 682 (« Stefanson Farms »).

[14]          R. v. Neufeld, 2009 CarswellNat 1950, 2009 CCI 352 (« Neufeld »).

[15]          Duivenvoorde v. R., 2011 CarswellNat 4600, 2011 CCI 525 (« Duivenvoorde »).


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