Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2012-1287(IT)G

ENTRE :

GERALD ROITELMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus le 20 février 2014, à Winnipeg (Manitoba).

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Ronald B. Zimmerman

Avocat de l’intimée :

Me Julien Bédard

 

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’égard des cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’avis de cotisation portant le numéro 976437, daté du 28 mai 2010, pour les années d’imposition 2006 et 2007, sont accueillis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2014.

« Diane Campbell » 

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’août 2014.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2014 CCI 139

Date : 20140507

Dossier : 2012-1287(IT)G

ENTRE :

GERALD ROITELMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]             L’appelant, Gerald Roitelman, a interjeté appel à l’égard d’une cotisation relative à la responsabilité des administrateurs établie à son endroit au titre du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») à l’égard des années d’imposition 2006 et 2007.

[2]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi sept cotisations à l’égard de Roy’s Electric Company (la « société ») pour les sommes qui avaient été versées en retard ou qui n’avaient pas été versées au titre de l’impôt sur le revenu fédéral et provincial, des cotisations d’assurance-emploi et des cotisations au  Régime de pensions du Canada (le « RPC »), auxquelles venaient s’ajouter les pénalités et les intérêts s’y rapportant. Le 3 avril 2008, un certificat relatif à cette dette de la société, de 143 916,11 $, plus les intérêts, a été enregistré auprès de la Cour fédérale du Canada.

[3]             Le 14 janvier 2009, l’appelant a effectué un paiement forfaitaire au titre du principal restant dû par la société aux fins du remboursement de la dette relative aux retenues à la source.

[4]             Le 28 mai 2010, le ministre a établi une cotisation de 50 241,39 $ (la « dette ») à l’égard de l’appelant en sa qualité d’administrateur de la société, somme qui correspondait au solde en souffrance des pénalités et intérêts calculés par le ministre.

[5]             La société a été constituée en personne morale au Manitoba le 31 mars 2004, quand l’appelant en est devenu le propriétaire, succédant ainsi à son père, qui exploitait la société depuis 1968. La société était une entreprise exerçant ses activités dans le domaine de l’électricité qui se concentrait essentiellement sur la passation de contrats commerciaux et industriels, les installations et l’entretien. Avant de devenir propriétaire de l’entreprise, l’appelant exploitait une autre entreprise, appelée CVA Systems, qui était une entreprise individuelle.

[6]             L’appelant et son père étaient tous deux administrateurs de la société jusqu’en 2006, quand le père de l’appelant a cessé d’exercer ses fonctions d’administrateur pour des raisons de santé. Tout au long de la période en cause, les opérations et les activités de la société relevaient de l’appelant. Celui‑ci avait de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise et avait obtenu son titre professionnel auprès d’un collège communautaire. L’appelant a déclaré qu’il était au courant des pratiques commerciales et qu’il était conscient des obligations qu’avait la société d’effectuer des retenues à la source et de les verser ainsi que de payer l’impôt fédéral et provincial. Il payait les impôts et effectuait les retenues à la source qui s’imposaient lorsqu’il exploitait son entreprise individuelle, CVA Systems. Aucun élément de preuve n’a été produit à l’égard d’éventuels problèmes de versement qui se seraient posés relativement à CVA Systems.

[7]             Quand l’appelant a pris le contrôle des opérations commerciales, il a créé un compte de paie, en novembre 2004, à l’intention des employés de la société. À divers moments au cours de la période en cause, la société employait entre trois et huit employés.

[8]             Au départ, en 2004, l’appelant s’occupait de la paie et s’acquittait personnellement des obligations de la société en matière de TPS. Toutefois, en mars 2005, l’appelant a retenu les services d’une aide‑comptable et gestionnaire de bureau. La preuve a donné à entendre que cela découlait du fait que la société avait conclu un contrat de services à l’échelle de la province avec une société nationale. Cela exigeait de l’appelant qu’il s’absente du bureau, vu que plusieurs des grands projets de construction se trouvaient en divers emplacements dans toute la province du Manitoba. L’appelant a fait paraître une annonce pour retenir les services d’un aide‑comptable, et il a finalement engagé Kathy Shupena (« Mme Shupena »), exploitante de Pioneer Consulting. Celle‑ci avait suivi un cours de tenue des livres et avait une certaine expérience, quoique limitée, du domaine. Elle a dit à l’appelant qu’elle était au fait des procédures associées aux retenues à la source, tant au niveau fédéral que provincial. Pour décrire les tâches de Mme Shupena, l’appelant a déclaré qu’elle [traduction] « gér[ait] le bureau » (transcription, à la page 7). Ses fonctions comprenaient la saisie de données, la tenue des livres, des tâches administratives, l’ouverture du courrier, le paiement des factures, ainsi que la préparation, le calcul et le versement des retenues à la source, des cotisations d’assurance‑emploi et des cotisations au RPC.

[9]             Quand Mme Shupena a commencé à travailler pour la société, c’est l’appelant qui l’a formée et lui a dit comment effectuer les tâches qui lui étaient assignées. L’appelant a aussi personnellement supervisé son travail au début :

[traduction]

Au début, elle a fait l’objet de [supervision] pour s’assurer que les choses étaient faites correctement et dans les délais impartis. Et quand j’ai vu que les choses progressaient à un rythme raisonnable, j’ai pris du recul afin de lui permettre de gérer le bureau en fonction des besoins.

[Transcription, à la page 21]

[10]        À cet égard, l’appelant s’est assuré que la société effectuait ses versements dans les délais impartis, et, finalement, c’est à Mme Shupena qu’ont incombé ces responsabilités. Le comptable de la société a aussi donné à Mme Shupena des instructions relatives à la manière dont il voulait que les tâches soient effectuées. À la suite de cette période initiale d’embauche et de formation, l’appelant n’a plus supervisé le travail de Mme Shupena de manière constante ou directe, vu que les contrats qu’il avait conclus à l’échelle de la province l’amenaient souvent à quitter la ville. Toutefois, il a déclaré que, quand il avait engagé cette aide‑comptable, elle avait semblé faire preuve de compétence dans l’accomplissement des tâches qui lui avaient été assignées, et qu’il s’était par conséquent fié à elle sans qu’elle fasse l’objet de beaucoup de supervision directe pendant les périodes où il devait s’absenter du bureau. Il était au bureau la moitié du temps.

[11]        Vu que l’appelant s’absentait du bureau et que l’aide‑comptable travaillait selon un horaire irrégulier (Mme Shupena a finalement travaillé après les heures normales de bureau pour éviter des confrontations avec d’autres employés pendant la journée), la société n’avait pas de système établi pour envoyer ses versements. Parfois, l’aide‑comptable envoyait les chèques au receveur général, mais d’autres fois, l’appelant postait les chèques lui-même, et, occasionnellement, le facteur venait chercher les chèques au bureau.

[12]        L’appelant était la seule personne autorisée à signer des chèques pour le compte de la société, bien qu’il arrivât que l’aide‑comptable signe des chèques à l’occasion, pour de petites sommes. Quand l’appelant s’absentait pour se rendre sur des chantiers, il disait à Mme Shupena d’effectuer les versements nécessaires et il lui laissait des chèques en blanc pour couvrir le montant de ces versements. Il vérifiait son travail régulièrement et lui demandait si elle avait effectué les versements. Il s’est fié à elle quand elle l’a assuré qu’elle les avait calculés et envoyés. Il a admis qu’il avait eu une [traduction] « confiance aveugle » dans le fait que les versements avaient été effectués dans les délais impartis. Il a déclaré qu’il n’effectuait pas les rapprochements bancaires tous les mois, toutefois, il vérifiait personnellement que les versements avaient été effectués, [traduction] « aussi souvent [qu’il] le pouvai[t] » (transcription, à la page 23).

[13]        Les pièces ont montré qu’entre août 2005 et mars 2008, le ministre a envoyé cinq lettres à la société au sujet de versements qui n’avaient pas été effectués. Deux de ces lettres ont été adressées au domicile de l’appelant, à la fin de l’année 2007 et en 2008, soit à la fin de la période en cause ainsi que dans la période postérieure à celle-ci. Entre octobre 2006 et mars 2008, sept avis de cotisation ont été envoyés à la société. L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas reçu un grand nombre de ces avis et cotisations, pas plus qu’il n’était personnellement au courant de leur existence, parce que Mme Shupena ne lui en avait pas parlé. C’était elle qui était chargée d’ouvrir le courrier en son absence, et il a déclaré qu’elle ne lui avait pas fait suivre un certain nombre de ces lettres, mais il n’a pas été en mesure de préciser lesquelles il n’avait pas reçues. À un certain stade, il a pris conscience du fait qu’on avait omis d’effectuer les versements, mais il a affirmé qu’il ne connaissait pas l’étendue exacte du problème.

[14]        L’appelant a déclaré que, après qu’il a pris conscience du fait que l’aide‑comptable avait omis d’effectuer les versements, il a expliqué à celle‑ci que cela ne pouvait pas se reproduire, et elle lui a affirmé qu’elle ne commettrait plus la même erreur. À l’époque, il a temporairement accru la supervision qu’il exerçait sur son travail :

[traduction]

Après la première fois et après que les paiements ont été effectués et le problème résolu, je lui ai expliqué que cela ne pouvait pas se reproduire et je la surveillais de plus près afin de m’assurer que cela ne se reproduise effectivement pas. Au fil du temps, et je ne saurais pas le dire autrement, elle a su regagner ma confiance à l’égard de son poste, elle a prouvé qu’elle était capable de, d’effectuer ces versements, et j’ai pris du recul et je lui ai permis de continuer à faire son travail.

[Transcription, aux pages 9 et 10.]

[15]        L’appelant a déclaré que, à chaque fois qu’il apprenait que l’aide‑comptable avait manqué à son obligation d’effectuer les versements, il recommençait à surveiller le travail de celle‑ci de près, afin de s’assurer que les versements suivants seraient effectués en temps opportun. Au fil du temps, toutes les retenues ont de nouveau été versées dans les délais, et la surveillance exercée par l’appelant a diminué progressivement. Bien qu’il ait été au fait d’un certain nombre d’omissions de versement, l’appelant a chaque fois accru la surveillance qu’il exerçait et vérifié le travail effectué par l’aide‑comptable, et ce, jusqu’à ce que les choses reviennent à la normale. L’appelant a affirmé qu’il avait continué d’employer Mme Shupena, en dépit de ces problèmes, parce que cela lui permettait de continuer à travailler sur le terrain dans toute la province. L’appelant a déclaré qu’il se rappelait avoir reçu deux lettres en mai 2007, et, qu’après cela, il avait perdu confiance dans le travail de Mme Shupena. L’appelant a déclaré que, après avoir reçu l’avis daté du 13 septembre 2007 qui lui avait été personnellement adressé, l’aide‑comptable était toujours chargée d’effectuer les versements, mais [traduction] « [d]ans une moindre mesure » (transcription, à la page 34). Après un certain temps, l’appelant a commencé à chercher quelqu’un pour remplacer Mme Shupena. Cette dernière a finalement démissionné en 2007, après avoir eu une altercation physique avec un autre employé lors de la réception de Noël du bureau. À la suite de cela, elle a pris des dispositions pour qu’on ne puisse pas la joindre, et ce, malgré les efforts que l’appelant a déployés pour la joindre au sujet des problèmes en cause.

[16]        Après le départ de l’aide‑comptable à la fin de l’année 2007, l’appelant a découvert des chèques et des documents « cachés » à divers endroits dans les bureaux de la société. Il a découvert deux chèques de versement que l’aide‑comptable aurait dû envoyer au receveur général, mais qu’elle avait au lieu de cela dissimulés dans un bureau, au fin fond d’un classeur (voir les copies de ces chèques, sous la cote A-1). Ces deux chèques, qui s’élèvent à un montant total d’environ 13 000 $, étaient signés et libellés à l’ordre du receveur général en 2007, mais ils n’avaient jamais été envoyés. L’appelant a expliqué qu’il avait trouvé ces chèques [traduction] « placés sous d’autres choses » et qu’ils avaient été cachés (transcription, à la page 16). L’appelant a aussi découvert, cachées dans des classeurs, des déclarations de taxe de vente provinciale, lesquelles avaient été signées, mais pas envoyées. Selon les déclarations de l’appelant, Mme Shupena a également essayé d’effacer des documents financiers de l’ordinateur de la société avant de quitter son emploi.

[17]        La preuve dont je dispose donne à entendre que les gestes posés par l’aide‑comptable et les erreurs qui en ont découlé ne sont pas le résultat de simples omissions ou erreurs. Elle a agi de manière frauduleuse, avec l’intention  d’induire en erreur, en omettant d’envoyer des chèques signés et des documents aux autorités fédérale et provinciale, malgré les directives de l’appelant, en ne portant pas à l’attention de l’appelant les avis de manquement et en s’efforçant de supprimer des renseignements financiers délicats.

La question en litige

[18]        L’appelant ne remet pas en cause la responsabilité de la société ni le montant faisant l’objet de la cotisation qui a été établie à l’égard de celle‑ci. La seule question en litige est de savoir si l’appelant est responsable du paiement des cotisations qui ont été établies à son endroit, à titre personnel, au titre des pénalités et des intérêts, et s’il peut éviter d’en être tenu responsable en alléguant que, pour prévenir le manquement relatif aux versements, il avait fait preuve du degré de soin, de diligence et d’habileté requis qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Essentiellement, je dois établir si l’appelant peut à juste titre prétendre qu’il a fait preuve de diligence raisonnable, comme le prévoit le paragraphe 227.1(3) de la Loi. Il revient à l’appelant de prouver qu’il a fait preuve de diligence raisonnable. Bien qu’il existe une jurisprudence abondante au sujet de la responsabilité des administrateurs, chaque affaire doit être jugée en fonction des faits qui lui sont propres.


Analyse

[19]        La décision de principe sur cette question est l’arrêt de la Cour suprême du Canada Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 RCS 461. Cet arrêt a écarté l’ancien critère « objectif-subjectif » qui avait été défini par la Cour d’appel fédérale pour apprécier la défense fondée sur la diligence raisonnable que présentait un administrateur, critère qui avait été à l’origine défini dans l’arrêt Soper v. The Queen, 97 DTC 5407. La Cour suprême du Canada a remplacé ce critère objectif-subjectif par un critère objectif, établissant qu’il s’agissait de la norme à l’aune de laquelle il convenait d’examiner cette défense.

[20]        La Cour d’appel fédérale a confirmé ce critère objectif dans l’arrêt Canada c. Buckingham, 2011 CAF 142, 2011 DTC 5078, dans lequel, au paragraphe 38, la Cour d’appel fédérale a expliqué le fondement et l’application de ce critère :

[38]     Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci : Magasins à rayons Peoples, aux paragraphes 59 à 62. Si l’on qualifie cette norme d’objective, il devient évident que ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agit l’administrateur qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ce dernier : Magasins à rayons, au paragraphe 63. L’apparition de normes plus strictes force les sociétés à améliorer la qualité des décisions des conseils d’administration au moyen de l’établissement de bonnes règles de régie d’entreprise : Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 64. Des normes plus strictes empêchent aussi la nomination d’administrateurs inactifs choisis pour l’apparence ou qui ne remplissent pas leurs obligations d’administrateurs en laissant aux administrateurs actifs le soin de prendre les décisions. Par conséquent, une personne nommée administrateur doit activement s’acquitter des devoirs qui s’attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l’exécution de ses obligations en invoquant son inaction : Kevin P. McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e édition (Markham, Ontario : LexisNexis Canada, 2007), à la page 11.9.

[21]        Au paragraphe 52 de l’arrêt Buckingham, la Cour d’appel fédérale a résumé comment un administrateur pouvait établir qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable :

[52]    Le Parlement n’a pas requis des administrateurs qu’ils soient assujettis à une responsabilité absolue relativement aux versements de leurs sociétés. En conséquence, le Parlement accepte qu’une société puisse, dans certaines circonstances, ne pas effectuer des versements sans que la responsabilité de ses administrateurs ne soit engagée. Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux et qu’ils se sont acquittés de leur obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.

[Non souligné dans l’original.]

[22]        Dans l’arrêt Buckingham, en plus de confirmer le critère objectif, la Cour d’appel fédérale a également expliqué que, pour que les administrateurs puissent alléguer avec succès qu’ils ont fait preuve de diligence raisonnable, ils doivent avoir pris des mesures concrètes pour prévenir le manquement relatif au versement, et pas simplement avoir pris des mesures pour remédier au manquement après coup.

[23]        Depuis qu’elle a rendu l’arrêt Buckingham, la Cour d’appel fédérale a illustré, dans l’arrêt Balthazard c. Canada, 2011 CAF 331, comment un comportement adopté après coup et des mesures de redressement pouvaient s’avérer pertinentes dans certaines circonstances. En l’espèce, la Cour a examiné le comportement adopté après coup, le calendrier des paiements et les mesures de redressement mises en place par le contribuable pour conclure que ce dernier avait fait preuve de la diligence raisonnable voulue. Le cœur de l’analyse relative à la diligence raisonnable reste toutefois la question de savoir dans quelle mesure l’appelant a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté requis pour prévenir les omissions de versement. En outre, comme le juge Hogan l’a observé dans la décision Kaur c. La Reine, 2013 CCI 227, [2013] ACI no 195, au paragraphe 18 :

[18] […] [L’administrateur] ne peut déléguer intégralement cette tâche de surveillance à l'égard de la TPS à un subordonné, comme cela a été fait en l'espèce.

[24]         L’intimée a fait valoir que l’appelant n’avait rien fait de concret en vue de prévenir l’omission de versement, et qu’il ne pouvait donc pas prétendre qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable. L’intimée a soutenu que les gestes posés par l’appelant ne l’avaient été qu’après coup, afin de remédier aux manquements.

[25]        On peut dire de l’appelant qu’il a témoigné de manière directe et franche. J’ai trouvé qu’il était un témoin crédible, qui a fait preuve de sincérité au sujet de ce qu’il savait de ses obligations en matière de versement et des erreurs qu’il avait faites en faisant confiance à son aide‑comptable. J’accepte son témoignage en ce qui a trait au fait qu’il n’a été informé du fait que les versements avaient été effectués en retard ainsi que de l’existence des avis et des cotisations que de manière limitée/tardivement, ce qui était dû aux agissements intentionnels de l’aide‑comptable. J’accepte le fait que celle‑ci s’est rendue coupable d’actions trompeuses en ce qui a trait aux versements, et que l’appelant a pensé par erreur que les chèques qu’il signait au titre de ces versements étaient envoyés au receveur général, alors que, dans les faits, ce n’était pas le cas.

[26]        Après examen de l’ensemble des circonstances factuelles dont j’ai été saisie ainsi que des gestes posés par l’appelant, je conclus que l’appelant doit avoir gain de cause en l’espèce en me fondant sur l’application du critère objectif. Contrairement aux prétentions de l’intimée, l’appelant a pris des mesures concrètes visant à prévenir les omissions de versement, et je considère que ces mesures étaient suffisamment raisonnables dans les circonstances de l’espèce.

[27]        L’appelant a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise ainsi qu’en ce qui concerne les obligations en matière de versement. Par conséquent, quand ses affaires ont exigé qu’il se rende sur des chantiers situés en dehors de la ville de manière régulière, il a passé une annonce et embauché une aide‑comptable. Bien que celle‑ci ait suivi un cours de tenue des livres et qu’elle ait eu un peu d’expérience, il l’a personnellement formée pour accomplir les tâches pour lesquelles elle avait été embauchée. Parallèlement à cela, le comptable de l’appelant donnait des instructions additionnelles. L’appelant a continué de superviser le travail de l’aide‑comptable, y compris en ce qui avait trait aux obligations en matière de versement, et ce, jusqu’à ce qu’il soit à l’aise avec le fait qu’elle était suffisamment compétente. La première fois qu’il a appris qu’elle avait omis d’effectuer les versements,  il lui a dit de ne pas faire ce genre d’erreur et il l’a de nouveau supervisée avec attention, jusqu’à ce qu’il ait le sentiment qu’elle pouvait s’acquitter toute seule de ces tâches. Ces actes sont autant de mesures concrètes que l’appelant a mises en place pour prévenir les omissions de versement à l’avenir et pour s’assurer du respect des obligations en la matière. Toutefois, ces efforts ont été entravés par le comportement frauduleux et trompeur de l’aide‑comptable.

[28]        Le critère n’exige pas que les mesures concrètes prises en vue de s’assurer du respect ultérieur des obligations s’avèrent efficaces, mais seulement qu’un administrateur prenne ces mesures et qu’il s’agisse des mesures concrètes qu’une personne raisonnablement prudente aurait prises dans des circonstances comparables. Dans l’arrêt Buckingham, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, bien qu’un critère objectif ne tienne pas compte des aptitudes personnelles, de l’expérience, des études ou des compétences d’un administrateur, cela ne signifie pas pour autant que la situation personnelle d’un administrateur n’est pas pertinente dans le contexte de l’analyse. Ces mesures seront plutôt comparées aux gestes qu’une personne raisonnablement prudente aurait posés dans des circonstances similaires.

[29]        Dans les circonstances, les actes de l’appelant peuvent‑ils être considérés comme les actes qu’une personne raisonnablement prudente aurait posés si elle s’était trouvée dans la même situation? Je conclus que c’est le cas. Les choix et les actes de l’appelant s’expliquent par le fait qu’il devait s’absenter de son bureau la moitié du temps pour se rendre sur des chantiers situés en dehors de la ville. Au début, il se chargeait lui‑même d’effectuer les versements, jusqu’à ce qu’il s’engage dans un grand projet de construction à l’échelle de la province. La preuve montre qu’il a embauché une aide‑comptable afin que celle-ci s’occupe des tâches administratives en son absence. Il était tout aussi raisonnable et prudent de confier à l’aide‑comptable, entre autres choses, la tâche consistant à ouvrir le courrier et de s’attendre à ce qu’elle porte toute lettre importante à l’attention de l’appelant.

[30]        L’appelant a personnellement formé l’aide‑comptable pour qu’elle s’acquitte de ses tâches, y compris en ce qui avait trait au calcul et à l’envoi des versements. Il pouvait raisonnablement penser que, quand il signait des chèques au titre de ces versements, l’aide‑comptable les enverrait en son absence. À son retour au bureau, il pouvait raisonnablement supposer, vu qu’aucun chèque ne semblait avoir été laissé à l’abandon dans les locaux, que ces chèques avaient été envoyés au receveur général. D’autant plus que l’aide‑comptable lui confirmait oralement qu’elle s’était acquittée de ses obligations. Bien que le fait de s’absenter du bureau ne soit pas une excuse aux manquements relatifs aux versements, l’arrêt qui a été rendu dans l’affaire Buckingham établit clairement qu’une norme objective n’autorise pas la Cour à faire fi des circonstances particulières auxquelles un administrateur faisait face. Il convient plutôt de tenir compte de ces circonstances et de les analyser objectivement. J’accepte le fait que ce sont les agissements malhonnêtes de l’aide‑comptable, plutôt que son incompétence, qui ont empêché l’appelant d’être raisonnablement en mesure d’évaluer la portée des omissions de versement. Cela a des répercussions sur l’analyse relative au moyen de défense de la diligence raisonnable parce que, dans le contexte d’une telle analyse, il convient de tenir compte de ce que l’administrateur savait raisonnablement dans les circonstances particulières qui étaient les siennes. En l’espèce, la connaissance que l’appelant avait de la situation a clairement été obscurcie par les agissements trompeurs de l’aide‑comptable.

[31]        Bien que la norme à appliquer soit objective, il n’est pas exigé d’un administrateur qu’il adopte un comportement parfait. C’est ce qui ressortait des commentaires formulés par le juge Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Cloutier v. MNR, 93 DTC 544, au paragraphe 10 :

[10]     Il s'agit donc de trancher une question de fait; la Cour doit essayer, dans la mesure du possible, de déterminer ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait dû et aurait pu faire à l'époque dans des circonstances comparables. Les tentatives faites par les tribunaux pour évoquer l'hypothétique personne raisonnable ne se sont pas toujours soldées par une réussite incontestable. Des critères ont été élaborés, affinés et réitérés de manière à donner au processus une apparence de rationalité et d'objectivité, mais, en fin de compte, le juge chargé de rendre une décision doit appliquer ses propres notions du bon sens et de l'équité. Il est facile de faire preuve de sagesse après coup. Le tribunal doit essayer d'éviter de se demander : qu'aurais-je fait en sachant ce que je sais maintenant? Ce n'est pas ce genre de jugement ex post facto qu'il nous faut porter en l'espèce. Bien des décisions subjectives qui se révèlent ultérieurement mauvaises n'auraient pas été prises si, au moment de les prendre, la personne avait su ce qui allait se passer ensuite.

[32]        L’appelant n’aurait pas pu raisonnablement savoir, pas plus qu’on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce qu’il sache, que l’aide‑comptable se rendrait coupable d’actes frauduleux et trompeurs. Ce n’est qu’après les années d’imposition pertinentes ici en cause qu’il a été mis au courant de la situation. Les échanges de l’appelant et de l’aide‑comptable ne devraient pas être analysés en partant des éléments appris après coup, mais plutôt en se remettant dans le contexte des circonstances de la période pertinente. Par conséquent, je rejette l’observation de l’intimée selon laquelle l’appelant s’est montré imprudent et déraisonnable en embauchant l’aide‑comptable en premier lieu. Après coup, la décision d’embaucher cette aide‑comptable était une mauvaise décision d’affaires, mais il n’appartient pas à la Cour de tirer une telle conclusion après coup.

[33]        En outre, rien n’empêche l’appelant d’alléguer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable quand il n’y a aucun élément de preuve donnant à entendre qu’il approuvait ou encourageait l’utilisation des retenues à la source à d’autres fins. L’appelant a dit à l’aide‑comptable d’effectuer les versements qui s’imposaient dans les délais impartis, il a supervisé le travail de celle‑ci pendant un certain temps au début, il a signé des chèques et les a laissés à l’aide‑comptable pour qu’elle les envoie au receveur général, et, quand l’appelant a pris conscience du problème, il a de nouveau supervisé le travail de l’aide‑comptable pendant un certain temps, afin de s’assurer qu’elle effectuait les versements correctement. Aucune preuve ne donne à entendre que l’appelant a tiré profit ou avait l’intention de tirer profit de quelque manière que ce soit du manquement relatif aux versements, pas plus qu’il n’y a de preuve donnant à entendre que l’appelant a eu quoi que ce soit à voir avec le fait que les chèques n’ont pas été envoyés, ni de preuve ou quoi que ce soit d’autre donnant à entendre que les chèques n’ont pas été envoyés parce que le compte de la société n’était pas suffisamment approvisionné.

[34]        Lors du contre‑interrogatoire, l’avocat de l’intimée a laissé entendre à l’appelant que les problèmes de la société relatifs au non-respect des délais en matière de versement n’avaient pas commencé avec l’embauche de l’aide‑comptable. Toutefois, l’appelant a fait valoir qu’il a toujours effectué ses versements dans les délais impartis. La preuve étaye les déclarations de l’appelant. Dans la pièce R‑1, à l’onglet 26, la correspondance datée du 5 août 2005 que le ministre avait adressée à l’appelant fait état de problèmes de versement relatifs à la société. Il semble s’agir de la première lettre envoyée à la société à ce sujet. Dans cette correspondance, il était fait mention du fait que la société avait des « antécédents en matière de non-respect de ses obligations », ce à quoi l’intimée faisait référence lors du contre‑interrogatoire. Le compte de paie de la société a été établi en novembre 2004. Par conséquent, le non-respect des obligations auquel il est fait référence dans la lettre du 5 août 2005 avait trait à une période comprise entre novembre 2004 et août 2005. L’aide‑comptable a été embauchée en mars 2005. Aucun autre élément de preuve, oral ou documentaire, n’a été produit en ce qui concerne le moment à partir duquel ces problèmes de non‑respect des obligations de versement ont commencé. Aucun élément de preuve ne montre que le manquement a été constaté pour la première fois avant mars 2005, date à laquelle Mme Shupena a été embauchée. Vu que je n’ai été saisie d’aucun élément de preuve allant en ce sens, je rejette l’allégation de l’intimée selon laquelle l’appelant n’a pas correctement effectué les versements pour le compte de la société pendant la période au cours de laquelle il s’en occupait personnellement, avant d’embaucher l’aide‑comptable. La correspondance datée d’août 2005 a été envoyée environ six mois après que l’aide‑comptable a été embauchée, et elle ne faisait état d’aucun problème de non-respect des obligations en matière de versement antérieur à mars 2005. Par conséquent, je ne dispose qu’aucun élément de preuve qui me permettrait de conclure que l’appelant avait des antécédents de non-respect de ses obligations en matière de versement avant d’embaucher Mme Shupena.

[35]        L’appelant s’est déchargé du fardeau de la preuve qui lui incombait, établissant qu’il avait pris des mesures concrètes en vue de prévenir le défaut de versement de la société, et, par conséquent, il a démontré qu’il avait agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté requis pour prévenir les manquements qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. En dépit de ces mesures, tous ses efforts visant à s’assurer qu’il s’acquittait de ses obligations ont été minés par les actes de l’aide‑comptable.

[36]        Pour ces motifs, les appels interjetés à l’égard des années d’imposition 2006 et 2007 sont accueillis.

[37]        Chaque partie assumera ses propres frais.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2014.

 

« Diane Campbell » 

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’août 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 139

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1287(IT)G

INTITULÉ :

Gerald Roitelman c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 février 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Ronald B. Zimmerman

Avocat de l’intimée :

Me Julien Bédard

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

                Nom :

Ronald B. Zimmerman

 

                Cabinet :

McJannet Rich

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.