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Dossier : 2012-2093(IT)G

ENTRE :

ROBERT PAUL GALACHIUK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 26 mai 2014, à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge David E. Graham


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocates de l’intimée :

Me Margaret M. McCabe

Me Paige MacPherson

 

JUGEMENT

L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’appelant n’était pas passible d’une pénalité au titre du paragraphe 163(1) pour son année d’imposition 2009.

Les parties auront 60 jours à compter de la date du présent jugement pour présenter des observations sur les dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2014.

« David E. Graham »

Juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de septembre 2014.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2014 CCI 188

Date : 20140610

Dossier : 2012-2093(IT)G

ENTRE :

ROBERT PAUL GALACHIUK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Graham

[1]             Quand Robert Paul Galachiuk a produit sa déclaration de revenus pour 2008, il a omis de déclarer un revenu de placement de 683 $. Le ministre du Revenu national a par la suite établi à son égard une nouvelle cotisation en vue d’inclure ce montant dans son revenu. M. Galachiuk ne l’a pas contestée. Quand ce dernier a produit sa déclaration de revenus pour 2009, il a omis de déclarer dans ses revenus la somme de 436 890 $, liée à un paiement de pension. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de son année d’imposition 2009 en vue d’ajouter le montant de revenu non déclaré et il a imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). M. Galachiuk ne conteste pas que ce montant aurait dû être inclus dans son revenu, mais il porte en appel l’imposition de la pénalité.

[2]             Le paragraphe 163(1) est une disposition sévère. Il impose une pénalité de 10 % sur le montant du revenu non déclaré, et non sur le montant d’impôt impayé. Lorsqu’on applique la pénalité correspondante que prévoit l’Alberta Personal Income Tax Act, il en résulte une pénalité combinée égale à 20 % du montant du revenu non déclaré. Dans le cas de M. Galachiuk, si l’on traite le montant d’impôt sur le revenu qui a été retenu à la source comme ayant été déjà payé, la pénalité que prévoit le paragraphe 163(1) équivaut à plus de 220 % des impôts impayés[1]. Cela dit, comme l’a déclaré la juge Woods dans la décision Morgan c. La Reine, 2013 CCI 232, au paragraphe 27 :

Malgré le caractère sévère de la pénalité, il n’appartient pas aux tribunaux de modifier la loi. Le législateur a jugé bon de prévoir la pénalité au paragraphe 163(1) de la Loi et les tribunaux ont l’obligation de l’appliquer.

Les questions en litige

[3]             Il y a, dans le présent appel, deux questions en litige. La première consiste à savoir si M. Galachiuk peut éviter la pénalité s’il est en mesure de montrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable au moment de l’établissement de sa déclaration de revenus pour 2008 ou pour 2009, ou s’il ne peut éviter la pénalité que s’il a fait preuve de diligence raisonnable au moment de l’établissement de sa déclaration de revenus pour 2009. Suivant l’issue de cette première question, la seconde consiste à savoir si M. Galachiuk a fait preuve de diligence raisonnable dans la ou les années pertinentes.

Les témoins

[4]             M. Galachiuk et son épouse, Tami Tranquada, ont tous deux témoigné. J’ai conclu que les deux étaient dignes de foi. L’intimée n’a appelé aucun témoin.

La nature du critère

[5]             Examinons tout d’abord la question de savoir si, pour éviter la pénalité, il suffit que M. Galachiuk montre qu’il a fait preuve de diligence raisonnable soit en 2008 soit en 2009 ou s’il doit montrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable en 2009. L’avocate de l’intimée m’a informé qu’à ce jour, cette question n’avait été examinée que dans des affaires relevant de la procédure informelle. Il s’agit manifestement d’une question sur laquelle des juges de la Cour ne s’entendent pas.

[6]             Au moins deux juges ont conclu qu’un appelant doit montrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable au moment de la production de sa déclaration de revenus dans l’année à l’égard de laquelle le ministre a imposé la pénalité : Chendrean c. La Reine, 2012 CCI 205 et Chiasson c. La Reine, 2014 CCI 158[2]. Le juge Angers a énoncé cette position dans la décision Chendrean, au paragraphe 13 :

Le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable ne peut pas être utilisé pour effacer ou supprimer l’une ou l’autre omission de déclaration en soi. Il permet uniquement à un contribuable d’éviter l’imposition de la pénalité. À mon avis, le moyen fondé sur la diligence raisonnable ne peut être invoqué qu’après que l’intimée a établi la propension du contribuable à omettre de déclarer un revenu par l’existence d’une première omission de déclaration d’un revenu. La diligence raisonnable peut alors être invoquée à l’égard de la deuxième omission après que cette dernière a été établie étant donné que c’est cette deuxième omission qui donne lieu au recours à la pénalité qui est calculée sur le montant de la deuxième omission de déclaration.

[7]             Au moins trois autres juges ont conclu qu’il suffit à un appelant d’établir qu’il a fait preuve de diligence raisonnable dans une des deux années d’imposition concernées : Franck c. La Reine, 2011 CCI 179; Symonds c. La Reine, 2011 CCI 274; Chan c. La Reine, 2012 CCI 168; et Norlock c. La Reine, 2012 CCI 121[3]. Le juge Webb (tel était alors son titre) a énoncé cette position dans la décision Symonds, aux paragraphes 22 et 23 :

[22] Il existe un grand nombre de décisions dans lesquelles on a conclu que le contribuable pouvait invoquer le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, si cette diligence était établie, pour éviter une pénalité imposée au titre du paragraphe 163(1) de la Loi. L’intimée n’a pas fait valoir que l’appelante n’avait pas le droit de soutenir qu’elle pouvait se prévaloir de pareil moyen de défense, mais l’intimée a plutôt affirmé que ce moyen de défense pouvait uniquement être invoqué à l’égard de l’omission d’inclure le montant dans le revenu de l’année 2008, et non à l’égard de l’omission d’inclure le montant dans le revenu de l’année 2006. Toutefois, il me semble qu’étant donné que la pénalité ne peut être imposée que si un contribuable particulier omet d’inclure un montant dans son revenu au cours de deux années différentes, l’« acte prohibé » est composé de deux omissions – l’une étant l’omission d’inclure un montant au titre du revenu au cours d’une année et l’autre étant l’omission d’inclure un montant au titre du revenu au cours d’une autre année dans les trois années suivant la première omission.

[23] Par conséquent, comme l’a déclaré le juge Hogan, le contribuable (qu’il s’agisse d’un particulier ou d’une société) qui peut établir qu’il a fait preuve d’une diligence raisonnable à l’égard de la première ou de la seconde omission d’inclure un montant dans son revenu aura gain de cause à l’égard de la cotisation par laquelle une pénalité est imposée au titre du paragraphe 163(1) de la Loi. Même si le calcul du montant de la pénalité est uniquement basé sur le second montant qui n’a pas été inclus dans le calcul du revenu, le contribuable doit, pour que la pénalité soit imposée, avoir omis d’inclure certains montants dans le calcul de son revenu au cours de deux années différentes, et les deux omissions feraient partie de l’« acte prohibé ». En l’espèce, l’appelante aura gain de cause si elle réussit à établir qu’elle a fait preuve d’une diligence raisonnable à l’égard de son omission d’inclure le montant de 872 $ dans son revenu de l’année 2006 ou de celle d’inclure le montant de 28 611 $ dans son revenu de l’année 2008.

[8]             Ceci étant dit, avec égards, je préfère m’en tenir au raisonnement du juge Webb qu’à celui du juge Angers. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le paragraphe 163(1) est une disposition très sévère. Son application se solde bien trop souvent par une pénalité qui a peu ou pas de rapport avec la gravité de la faute que le contribuable a commise[4]. Vu les résultats sévères et potentiellement disproportionnés de cette pénalité, si le législateur avait voulu limiter les circonstances dans lesquelles la diligence raisonnable peut être invoquée comme moyen de défense, je crois qu’il l’aurait expressément mentionné dans cette disposition. Je suis d’avis qu’à défaut d’une telle limite expresse, il soit possible d’invoquer la diligence raisonnable comme moyen de défense pour expliquer l’omission dans l’une ou l’autre année.

[9]             Il me semble que l’idée selon laquelle la défense de diligence raisonnable ne peut être invoquée qu’à l’égard de la seconde omission de déclaration repose, en partie, sur la croyance selon laquelle la première omission de déclaration vise à prévenir le contribuable qu’il doit prendre particulièrement soin d’éviter une seconde omission s’il ne veut pas être pénalisé. Je serais plus enclin à voir les choses sous cet angle s’il y avait, au paragraphe 163(1), une condition énonçant que la pénalité ne pourrait être imposée que si le contribuable avait préalablement été l’objet d’une nouvelle cotisation à l’égard de sa première omission de déclaration. Une condition préalable comme celle-là figure au paragraphe 162(2), relativement aux pénalités prévues pour défaut répété de produire une déclaration de revenus (« récidive »). Ce paragraphe prévoit une pénalité plus sévère pour défaut de produire une déclaration pour une année d’imposition dans le cas où un contribuable a antérieurement omis de produire dans le délai prescrit une déclaration concernant une année d’imposition antérieure. Cependant, la pénalité plus sévère que prévoit le paragraphe 162(2) ne s’applique que si la pénalité ordinaire, pour défaut de produire une déclaration de revenus, que prévoit le paragraphe 162(1), a déjà été imposée pour le défaut antérieur de produire une déclaration de revenus à l’époque où survient le second défaut.

[10]        Il n’existe aucune condition préalable de cette nature au paragraphe 163(1). Un contribuable pourrait vraisemblablement se trouver dans la position où il n’a pas encore été l’objet d’une nouvelle cotisation pour le premier défaut de déclaration de revenus au moment où il a produit sa déclaration pour la seconde année et n’a donc jamais été au courant du besoin d’être particulièrement prudent au moment de produire cette déclaration. L’absence d’une telle condition préalable me laisse deux conclusions possibles. Soit le législateur a omis cette condition préalable parce qu’il voulait que le ministre puisse imposer cette pénalité sévère aux contribuables qui n’ont pas été informés de leur premier défaut, soit il l’a omise parce qu’il envisageait que l’on puisse invoquer la défense de diligence raisonnable pour les deux années. Là encore, vu la nature sévère et potentiellement disproportionnée de la pénalité que prévoit le paragraphe 163(1), je crois que c’est cette deuxième conclusion qu’envisageait le législateur.

La diligence raisonnable en 2008

[11]        Après avoir conclu que M. Galachiuk peut éviter la pénalité que prévoit le paragraphe 163(1) en prouvant qu’il a fait preuve de diligence raisonnable pour produire soit sa déclaration de revenus pour 2008 soit sa déclaration de revenus pour 2009, j’examinerai maintenant son degré de diligence raisonnable. Voyons tout d’abord l’année d’imposition 2008 de M. Galachiuk.

[12]        M. Galachiuk et Mme Tranquada ont quitté Fort McMurray pour s’installer à Calgary en octobre 2008. M. Galachiuk a pris soin d’aviser son courtier et son conseiller en placements de son déménagement et leur a expressément demandé de veiller à ce que les diverses entités dans lesquelles il avait investi (les « entités de placement ») soient informées de sa nouvelle adresse. Sachant qu’il se pouvait que certaines de ces entités risquent de ne pas changer son adresse, M. Galachiuk a pris des dispositions avec Postes Canada pour que son courrier soit réacheminé à sa nouvelle adresse jusqu’au 30 avril 2009. Il a choisi cette date-là parce qu’elle tombait un mois après le délai prévu pour la production des feuillets T3, soit le 30 mars. Il ressort de divers feuillets T produits en preuve que ce ne sont pas toutes les entités de placement qui ont fait le changement d’adresse. Cependant, le fait que M. Galachiuk ait inclus ces feuillets dans sa déclaration montre que son plan complémentaire a été efficace, étant donné que Postes Canada les lui a réexpédiés avec succès.

[13]        On ne sait trop comment, un feuillet T3 n’a pas été réexpédié par Postes Canada et M. Galachiuk ne l’a jamais reçu. L’avocate de l’intimée a fait valoir qu’après avoir reçu des feuillets T sur lesquels apparaissait l’adresse inexacte, M. Galachiuk aurait dû réaliser que les efforts qu’il avait faits pour changer son adresse auprès des entités de placement n’avaient pas tous porté fruit et qu’il aurait dû prendre d’autres mesures pour s’assurer qu’il avait en main la totalité de ses feuillets T3, comme communiquer lui-même avec toutes les entités de placement afin de savoir si elles lui avaient livré ses feuillets T. Cette suggestion repose sur l’idée que M. Galachiuk aurait dû tenir pour acquis que Postes Canada ne lui transmettrait pas tous les feuillets destinés à une adresse inexacte. Étant donné que Postes Canada avait en fait transmis à M. Galachiuk un certain nombre des feuillets destinés à l’adresse inexacte, il était raisonnable de sa part, selon moi, qu’il croie que son système complémentaire était efficace et qu’il n’était pas nécessaire de se renseigner davantage.

[14]        Un élément clé de la conclusion qui précède est le témoignage de M. Galachiuk, à savoir qu’il ignorait qu’il lui manquait un feuillet T3. Cela était compréhensible dans les circonstances. Le feuillet T3 manquant aurait informé M. Galachiuk qu’il avait à déclarer une somme additionnelle de 683 $ dans ses revenus de 2008. Ce montant non déclaré représentait moins de 0,1 % de ses revenus imposables en 2008. Si le feuillet avait représenté une part nettement plus importante des revenus de M. Galachiuk, je me serais attendu à ce que ce dernier, d’une part, en constate l’absence et, d’autre part, prenne des mesures pour savoir où il se trouvait.

[15]        M. Galachiuk et Mme Tranquada ont expliqué comment ils ont établi la déclaration de revenus de M. Galachiuk en 2008. Mme Tranquada est comptable agréée. À l’époque où elle a aidé M. Galachiuk à établir sa déclaration concernant l’année 2008, elle exerçait les fonctions de gestionnaire principale des affaires fiscales au sein d’un cabinet comptable national. Le processus d’établissement de la déclaration de revenus qu’ont décrit M. Galachiuk et Mme Tranquada a semblé être rigoureux. L’avocate de l’intimée a laissé entendre qu’ils auraient pu faire plus pour s’assurer qu’il ne manquait aucun feuillet T. Vu le montant des revenus de M. Galachiuk, le nombre de placements différents auxquels il participait, le montant du revenu que représentait le feuillet T3 manquant et la difficulté à déterminer, à partir de relevés de placement, quel montant de revenu avait été acquis dans une entité de placement donnée, je ne suis pas sûr que même un examen plus approfondi aurait permis à M. Galachiuk de constater qu’il lui manquait un feuillet T3. Je conviens que le processus qui a été suivi était valable dans les circonstances.

[16]        L’intimée a attiré mon attention sur le fait que M. Galachiuk avait également déclaré en moins ses revenus pour son année d’imposition 2007. L’avocate de l’intimée a clairement indiqué que cette dernière ne se fondait pas sur l’omission de déclarer des revenus pour 2007 pour satisfaire au critère énoncé au paragraphe 163(1). L’intimée se fondait plutôt sur l’année d’imposition 2007 pour montrer ce que l’avocate a décrit comme un mode de comportement chez M. Galachiuk et pour dénoter que celui-ci aurait dû faire davantage attention quand il a établi sa déclaration de revenus concernant l’année 2008.

[17]        Quand M. Galachiuk a produit sa déclaration de revenus pour l’année 2007, il a omis de déclarer la somme de 517,48 $ en revenus étrangers non tirés d’une entreprise. Ce montant figurait à la case 25 de trois feuillets T3 différents qu’il avait reçus. Il a inscrit le solde des revenus figurant sur ces feuillets dans sa déclaration de revenus, mais, pour une raison quelconque, les montants figurant dans la case 25 n’ont pas été relevés. M. Galachiuk n’a pu expliquer comment cela avait pu se produire. Sa seule supposition était que c’était peut-être à cause d’une lacune possible du logiciel fiscal en ligne dont il s’était servi cette année-là. Je signale que le montant non déclaré représentait moins de 0,02 % des revenus de M. Galachiuk en 2007. Je signale par ailleurs que l’omission n’était pas due à un feuillet T3 manquant (comme en 2008), mais plutôt au fait qu’une case avait été manquée sur un feuillet T3 qui avait par ailleurs été déclaré. Je ne tire aucune conclusion à propos de la diligence raisonnable de M. Galachiuk en 2008 du fait de l’omission commise en 2007.

[18]        Cependant, l’intimée a invoqué un autre argument, plus troublant celui-là, au sujet de l’année d’imposition 2007 de M. Galachiuk. Cette année-là a fait l’objet d’une nouvelle cotisation, le 19 mars 2008, en vue d’inclure la somme susmentionnée de 517,48 $. L’avis de nouvelle cotisation précisait : [traduction] « Nous avons rajusté votre déclaration en vue d’inclure des revenus provenant des sources suivantes : Fonds de titres canadiens à revenu conservateur AGF (T3), Portefeuille Fidelity Équilibre (T3) et Superportefeuille équilibré Harmony (T3) ». Le feuillet T3 qui manquait en 2008 provenait du Superportefeuille équilibré Harmony. L’intimée a fait valoir que la nouvelle cotisation de 2007 aurait dû avertir M. Galachiuk qu’il avait peut-être un feuillet T3 du Superportefeuille équilibré Harmony en 2008 et qu’il aurait donc fait preuve de négligence en omettant de déterminer s’il manquait un feuillet T3 correspondant en 2008. Je suis d’accord avec l’intimée. Mais cet argument présente un problème de preuve. M. Galachiuk a déclaré qu’il ne se souvenait pas du moment où il avait reçu la nouvelle cotisation relative à 2007, ni de celui où il avait produit sa déclaration de revenus pour 2008. Je souscris au témoignage de M. Galachiuk sur ces points. En l’absence de preuve quant au moment où M. Galachiuk a reçu la nouvelle cotisation, je ne puis conclure qu’il aurait été au courant de l’existence de la nouvelle cotisation au moment où il a produit sa déclaration de revenus concernant 2008. De plus, même si j’en venais à conclure que M. Galachiuk avait reçu la nouvelle cotisation dans un délai raisonnable après la date qui y était inscrite, comme je n’ai aucune preuve du moment où M. Galachiuk a produit sa déclaration de revenus concernant 2008, je ne peux pas conclure qu’il l’a produite après ce délai raisonnable. La copie de la déclaration de revenus relative à 2008 qui a été produite en preuve n’est pas datée. La table des matières du recueil conjoint de documents fait mention d’une date à laquelle la déclaration a censément été produite, mais je ne suis pas disposé à accepter qu’une mention figurant dans une table des matières prouve quoi que ce soit. L’avocate de l’intimée m’a prié de conclure que l’avis de nouvelle cotisation aurait été reçu avant la fin du mois de mars, donc avant l’expiration du délai prévu pour produire les feuillets T3, et que M. Galachiuk n’aurait pas produit sa déclaration avant cette date. Je ne suis pas disposé à tirer une telle conclusion. Je trouve quelque peu amusant que l’intimée veuille que, d’une part, j’admette que Postes Canada est régulièrement peu fiable tout en reconnaissant, d’autre part, son efficacité.

[19]        La question consiste donc à savoir s’il incombe à M. Galachiuk de prouver qu’il n’a pas reçu la nouvelle cotisation relative à 2007 avant de produire sa déclaration concernant 2008, ou s’il revient à l’intimée de le faire. À l’évidence, il appartient à M. Galachiuk de produire une preuve prima facie qu’il a été raisonnablement diligent. À mon avis, c’est ce qu’il a fait en décrivant les mesures qu’il a prises pour s’assurer de recevoir ses feuillets T et pour établir sa déclaration concernant 2008, et aussi en établissant la minuscule partie de ses revenus qui n’avait pas été déclarée. Il incombe donc à l’intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que M. Galachiuk n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Il lui appartient de ce fait de produire les éléments de preuve sur lesquels elle veut se fonder. Il ne lui suffit pas d’émettre simplement des hypothèses sur ce qui s’est peut-être passé et, ensuite, d’attendre que M. Galachiuk prouve le contraire. D’autant plus que la date à laquelle M. Galachiuk a transmis par Internet sa déclaration de revenus pour 2008 n’est pas une chose qu’il pourrait particulièrement savoir, mais plutôt un fait que le ministre, en consultant ses propres dossiers, aurait pu facilement prouver.

[20]        Si le ministre avait prouvé que M. Galachiuk avait produit sa déclaration de revenus concernant 2008 après avoir reçu l’avis de nouvelle cotisation relatif à 2007, j’aurais conclu qu’il n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable au moment de produire sa déclaration de revenus concernant 2008. Cependant, à défaut d’une telle preuve, il me faut conclure qu’il a été raisonnablement diligent. Pour ce motif, j’accueillerai l’appel.

La diligence raisonnable en 2009

[21]        Compte tenu de ma conclusion selon laquelle, d’une part, M. Galachiuk peut éviter la pénalité que prévoit le paragraphe 163(1) s’il a fait preuve de diligence raisonnable au moment de produire soit sa déclaration de revenus pour 2008, soit sa déclaration de revenus pour 2009 et, d’autre part, il a fait preuve de diligence raisonnable en produisant sa déclaration de revenus pour 2008, il est inutile que j’examine s’il a fait preuve de diligence raisonnable au moment de produire sa déclaration concernant l’année 2009. Toutefois, comme je pense qu’il y a une possibilité raisonnable que l’intimée porte ma décision en appel devant la Cour d’appel fédérale afin de clarifier l’interprétation du paragraphe 163(1), par souci d’exhaustivité je traiterai de la question de la diligence raisonnable de M. Galachiuk en 2009.

[22]        Les contribuables peuvent satisfaire au critère de la diligence raisonnable de deux façons, et la Cour d’appel fédérale les a énoncées dans l’arrêt Les Résidences Majeau Inc. c. La Reine, 2010 CAF 28 :

[8] Selon l’arrêt Corporation de l’école polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, un défendeur bénéficie de la défense de diligence raisonnable s’il établit l’une ou l’autre des deux choses suivantes : soit qu’il a commis une erreur de fait raisonnable, soit qu’il a pris des précautions raisonnables pour empêcher que ne se produise l’évènement qui donne naissance à la pénalité.

[9] L’erreur de fait raisonnable emporte un double test : subjectif et objectif. Le test subjectif est satisfait si le défendeur établit qu’il s’est mépris en ce qu’il a cru en une situation de fait qui, si elle avait existé, aurait éliminé le caractère fautif de son geste ou de son omission. En outre, pour que cet aspect de la défense opère, il faut aussi que l’erreur soit raisonnable, i.e. une erreur qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait commise. Il s’agit là du test objectif.

[23]        Pour montrer qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable dans le cas de son année d’imposition 2008, M. Galachiuk s’est fondé sur le fait qu’il avait pris des précautions raisonnables pour éviter l’erreur en question. Pour tenter d’établir sa diligence raisonnable à l’égard de son année d’imposition 2009, M. Galachiuk admet qu’il n’a pas pris de précautions raisonnables pour éviter de commettre l’erreur en question, mais il soutient avoir fait une erreur de fait raisonnable qu’une personne raisonnable aurait commise dans les circonstances.

[24]        En 2009, M. Galachiuk a cessé de travailler pour son employeur de longue date. Pendant ses 27 années de travail auprès de cet employeur, M. Galachiuk a bénéficié d’un certain nombre d’avantages : un régime de pension à prestations déterminées, un compte accessoire à prestations déterminées, un régime complémentaire de retraite, un compte de retraite personnel ainsi que diverses options d’achat d’actions. Quand son emploi a pris fin, des fonds considérables ont été virés depuis ses divers régimes, soit au régime enregistré d’épargne-retraite (« REER ») de M. Galachiuk, soit à son compte de retraite immobilisé (« CRI) », soit à son compte bancaire personnel. Ces virements ont tous eu lieu au cours d’une période de sept jours ouvrables en octobre 2009. Les virements au REER et au CRI ont été faits avec report d’impôt, et il n’était donc pas tenu d’inclure dans ses revenus aucun des montants en question. En revanche, les virements faits dans son compte bancaire personnel étaient imposables. L’impôt sur le revenu a été retenu à la source par son employeur et M. Galachiuk était tenu d’inclure les montants concernés dans sa déclaration de revenus pour l’année 2009. Certains des montants en question auraient été inscrits sur un feuillet T4 et les autres sur un feuillet T4A. M. Galachiuk a reçu de son employeur un feuillet T4 et un feuillet T4A pour l’année 2009. Le feuillet T4 faisait état de la totalité des revenus appropriés. Le feuillet T4A n’indiquait que 30 % des revenus appropriés. Les 70 % restants ont été inscrits sur un second feuillet T4A. M. Galachiuk a déclaré qu’il n’avait pas reçu ce second feuillet T4A au moment de produire sa déclaration pour l’année 2009[5] et qu’il croyait qu’un employeur ne produirait qu’un seul feuillet T4A à chaque employé et que, de ce fait, le feuillet T4A qu’il avait reçu englobait sûrement la totalité des revenus appropriés.

[25]        M. Galachiuk soutient que le fait d’avoir cru par erreur qu’un employeur ne produirait qu’un seul feuillet T4A pour chaque employé et qu’il y déclarait tous les montants de revenu appropriés satisfait à l’élément subjectif du critère de l’erreur de fait. L’intimée concède ce point, mais elle déclare que, dans les circonstances, une personne raisonnable n’aurait pas commis cette erreur. Je suis d’accord avec elle.

[26]        Une personne raisonnable aurait peut-être pu croire qu’un employeur ne produirait qu’un seul feuillet T4A par employé, mais je n’admets pas qu’une personne se trouvant dans la situation de M. Galachiuk, après avoir vu le montant inscrit sur le feuillet T4A qu’elle aurait reçu, aurait cru que ce feuillet faisait état de la totalité de son revenu. Le montant de revenu qui figurait sur le feuillet T4A que M. Galachiuk avait reçu ne représentait que 30 % de celui qui s’y serait trouvé si l’intention était de déclarer la totalité du revenu en question. M. Galachiuk avait en main des documents détaillés de son employeur qui énuméraient les montants approximatifs qu’il toucherait, de même que leur traitement fiscal. Il a déclaré qu’il n’avait pas passé en revue ces documents au moment d’établir sa déclaration. Une personne raisonnable, après avoir reçu un feuillet T4A sur lequel figurait un chiffre fort différent de celui qui aurait dû s’y trouver, aurait passé en revue les documents de son employeur pour vérifier ce qu’elle avait compris et s’assurer qu’elle ne se trompait pas en croyant qu’un seul feuillet serait produit.

[27]        M. Galachiuk a attiré mon attention sur le fait qu’il avait reçu trois montants d’argent très semblables qui se rapportaient à la cessation de son emploi et il a laissé entendre que la question de savoir quel montant devait être déclaré pouvait facilement porter à confusion. Je ne souscris pas à cet argument, et ce, pour trois raisons. Premièrement, seuls deux des trois montants ont été effectivement versés dans le compte bancaire de M. Galachiuk. Le troisième a été versé directement dans son REER ou son CRI. Il n’y aurait donc pas eu de confusion à propos de ce troisième montant, car M. Galachiuk aurait su que celui-ci n’était pas imposable. Deuxièmement, il a déclaré ne pas avoir passé en revue les dépôts faits dans son compte bancaire lorsqu’il avait établi sa déclaration de revenus. Il m’est difficile d’admettre qu’une chose qu’il n’a pas examinée aurait été pour lui une source de confusion. Troisièmement, et plus important encore, le feuillet T4A que M. Galachiuk a reçu était loin de correspondre à l’un quelconque des trois montants en question[6].

La conclusion

[28]        Compte tenu de tout ce qui précède, l’appel est accueilli et l’affaire renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation, étant entendu que M. Galachiuk n’est pas passible d’une pénalité en vertu du paragraphe 163(1) pour son année d’imposition 2009.

[29]        À l’issue de l’audience, l’avocate de l’intimée a demandé l’autorisation de présenter des observations sur les dépens. Les parties auront 60 jours à compter de la date du présent jugement pour le faire.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2014.

« David E. Graham »

Juge Graham

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de septembre 2014.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 188

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-2093(IT)G

INTITULÉ :

ROBERT PAUL GALACHIUK c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 mai 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocates de l’intimée :

Me Margaret M. McCabe

Me Paige MacPherson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

   Pour l’appelante :

Nom :

 

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Je signale que la pénalité imposée à M. Galachiuk en vertu du paragraphe 163(1) dépasse donc même l’amende maximale que l’on impose dans le cas d’une déclaration de culpabilité pour fraude fiscale en vertu du paragraphe 239(2), laquelle amende n’équivaut qu’à 200 % de l’impôt éludé.

[2]           Dans la décision Chiasson, la juge D’Auray a exprimé l’avis que le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable ne pouvait s’appliquer que dans l’année où les pénalités avaient été imposées, mais que, compte tenu des divergences d’opinions sur la question parmi des juges de la Cour et du fait que la Cour d’appel fédérale n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur cette question, elle avait décidé d’accorder à la contribuable le bénéfice du doute et avait également pris en compte la diligence raisonnable de cette dernière dans l’année précédente.

[3]           Il existe un certain nombre d’affaires dans lesquelles la Cour a pris en compte la diligence raisonnable du contribuable dans plus d’une année, mais elle n’a pas explicitement dit qu’elle était tenue de le faire : Jack c. La Reine, 2013 CCI 1; Paul c. La Reine, 2008 CCI 159; Ciobanu c. La Reine, 2011 CCI 319; et Tacilauskas c. La Reine, 2012 CCI 288. Les appels ayant été rejetés dans chacune de ces affaires, je ne puis donc pas conclure que les juges en question souscrivent nécessairement à l’opinion selon laquelle la défense de diligence raisonnable s’applique à l’une ou l’autre des années, car ils auraient également rejeté les appels s’ils avaient adhéré à l’opinion contraire. Il est possible que ces juges aient pris en compte la diligence raisonnable des contribuables dans l’année antérieure dans le simple but de présenter un tableau complet de la preuve. J’ai donc exclu ces affaires de ma liste de celles qui penchent en faveur de l’opinion selon laquelle la diligence raisonnable peut être établie dans l’une ou l’autre année.

[4]           Voir l’analyse détaillée du juge Jorré sur cette question dans la décision Knight c. La Reine, 2012 CCI 118, aux paragraphes 1 à 32, où il conclut qu’un contribuable, comme M. Galachiuk, qui réside en Alberta sera toujours puni plus sévèrement sous le coup d’une pénalité fédérale et provinciale combinée pour omission en vertu du paragraphe 163(1) qu’il ne le serait sous le coup d’une pénalité fédérale et provinciale combinée pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2).

[5]           Il a admis plus tard avoir découvert le feuillet parmi ses documents au moment où il avait fait l’objet d’une vérification en 2011, mais il n’avait aucune idée de la façon dont le feuillet s’était retrouvé là, ni à quel moment.

[6]           Les trois montants s’élevaient à 424 089 $, à 413 935 $ et à 436 890 $ avant déduction des retenues à la source, et le feuillet T4A faisait état de la somme de 189 924 $ avant déduction des retenues à la source. Les trois montants étaient de 424 089 $, de 332 721 $ et de 305 823 $ après déduction des retenues à la source, et le feuillet T4A faisait état de la somme de 132 947 $ après déduction des retenues à la source.

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