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Dossier : 2011-3519(IT)G

ENTRE :

ACHIM BEKESINSKI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 29, 30 et 31 octobre 2013, ainsi que le 1er novembre 2013, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me Gavin Laird; Me Drew Gilmour

 

Avocate de l’intimée :

Me Catherine M.G. McIntyre

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’avis de cotisation no 1176897, portant la date du 15 octobre 2010, est accueilli sans frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 28e jour de juillet 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de novembre 2014.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2014 CCI 245

Date : 20140728

Dossier : 2011-3519(IT)G

ENTRE :

ACHIM BEKESINSKI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

Introduction

[1]             Une cotisation a été établie, conformément au paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), à l’encontre de l’appelant, en sa qualité d’administrateur de la société D.M. Stewart’s Cartage Ltd. (la « société ») au titre des années d’imposition 2001, 2002 et 2003, pour le non-versement de l’impôt sur le revenu, des cotisations de l’employeur, des intérêts et des pénalités, soit un montant total de 477 546,08 $.

[2]             L’appelant allègue qu’il a démissionné de son poste d’administrateur de la société au moyen d’un avis de démission daté du 20 juillet 2006, et qu’il est maintenant interdit au ministre du Revenu national (le « ministre ») d’établir la cotisation parce qu’elle a été établie le 15 octobre 2010, soit après l’expiration du délai de prescription de deux ans fixé au paragraphe 227.1(4) de la Loi.

[3]             Le ministre fait valoir que l’appelant n’a pas cessé d’être administrateur de la société le 20 juillet 2006 parce que l’avis de démission était antidaté et que ce n’était donc pas un document authentique.

[4]             La question est de savoir si l’appelant est demeuré administrateur après le 20 juillet 2006, de sorte qu’il est responsable des dettes de la société. Plus exactement, il faut se demander si l’avis de démission était antidaté.

[5]             L’appelant a acheté la société en 1992. Les activités de la société étaient le camionnage et l’entreposage. Au départ, l’épouse de l’appelant, Angelika Bekesinski, était elle aussi administratrice de la société, mais elle a démissionné le 1er août 2002.

[6]             Le dernier rapport annuel de la société a été déposé en 2003 auprès du registre des sociétés de la Colombie-Britannique. À partir de 2004, l’appelant a eu maintes fois affaire à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Devant la perspective d’une faillite, et après avoir reçu avis l’informant que la société serait radiée du registre le 25 mars 2006, l’avocat de la société de l’appelant, MHawthorne, avait ordonné que le siège de la société soit transféré de son cabinet à l’adresse personnelle de l’appelant.

[7]             Le 28 janvier 2011, l’appelant a fait savoir à l’ARC qu’il avait déjà démissionné de sa fonction d’administrateur dans son avis de démission. Comme cette information était adressée à l’ARC peu de temps après l’établissement de la cotisation à l’encontre de l’appelant au titre de sa responsabilité d’administrateur, et après de nombreux échanges avec l’appelant au fil des ans, l’ARC a soupçonné que l’avis de démission avait été antidaté. Elle a donc prié Annie Vallière, chimiste spécialisée dans l’examen judiciaire de documents auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada, de vérifier l’authenticité de l’avis de démission en procédant à un examen de la datation de l’encre. Au cours de l’audience tenue en octobre 2013, j’ai décidé, après un voir‑dire, que Mme Vallière serait reconnue comme témoin expert en sa qualité de chimiste spécialisée dans l’examen judiciaire de documents. Après que Mme Vallière fut reconnue à ce titre, l’appelant a formulé une objection, affirmant que le rapport d’expert n’était pas conforme à l’article 145 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). Les parties ont présenté des observations écrites sur cette objection, et j’ai rendu ma décision le 31 janvier 2014 (2014 CCI 35). Le rapport d’expert a été exclu pour non‑conformité à l’article 145. L’audience n’a pas repris, et les parties n’ont pas produit d’autres éléments de preuve, hormis des observations écrites finales.

La preuve

[8]             Quatre témoins ont été entendus : l’appelant, son épouse, Angelika Bekesinski, l’avocat de la société, Me Ted Hawthorne, et une agente des recouvrements et de l’exécution de l’ARC, Cindie May Barlow.

[9]             L’appelant avait au fil des ans exercé le rôle d’administrateur de plusieurs sociétés. Entre 2003 et 2004, une vérification de la société a été entreprise. Après l’échec de plusieurs achats et ventes d’entreprise, et les poursuites judiciaires qui en ont résulté, l’appelant et son épouse ont commencé à rencontrer Tony Bocking, à l’ARC, à propos de dettes fiscales non réglées. Les deux rencontres ont eu lieu en 2005 et en 2006, et l’appelant a laissé ses registres et dossiers à l’ARC.

[10]        En 2008, l’appelant s’est vu prier par l’ARC de produire des déclarations de fin d’exercice pour la société bien qu’elle fût inactive. Sa rencontre suivante avec l’ARC, au cours de laquelle les dettes fiscales de la société devaient être abordées, a eu lieu en 2009. À aucune de ces rencontres, l’appelant n’a produit l’avis de démission ni n’en a fait état. En contre-interrogatoire, il a témoigné qu’il ne se rappelait pas avoir reçu de l’ARC une lettre d’avertissement en 2005 l’informant que lui et son épouse s’exposaient, en tant qu’administrateurs, à devoir répondre des versements de la société. Cependant, il se souvenait que M. Bocking, de l’ARC, l’avait informé, en 2005 ou en 2006, que son épouse échapperait à la responsabilité de l’administrateur parce qu’elle avait donné sa démission en 2002. Il a reçu de nombreuses lettres de l’ARC entre 2005 et 2011, dont certaines l’informaient qu’il pourrait être responsable en tant qu’administrateur de la société. Il n’a jamais informé M. Bocking, avant l’avis de démission de 2006, qu’il songeait à démissionner de son poste d’administrateur, et il n’a pas non plus informé l’ARC, à aucune des rencontres subséquentes, qu’il avait déjà démissionné.

[11]        En ce qui concerne son avis de démission, il a témoigné avoir décidé de démissionner parce qu’on lui avait signifié que la société serait radiée du registre provincial, et il croyait que cette mesure faisait partie des formalités devant mettre fin aux activités de la société. Il a affirmé que son épouse avait tapé son avis de démission et employé le même libellé que pour son propre avis de démission, qu’elle avait signé quatre ans auparavant, en 2002. Après avoir signé son avis de démission, l’appelant avait présumé que son épouse l’avait placé dans les registres de la société. Plus tard, il avait réuni tous les registres de la société et les avait déposés dans des boîtes. Il pensait que c’était son épouse qui l’avait poussé à démissionner de la société. Nul n’avait connaissance de la démission de l’appelant, excepté lui-même et son épouse. Il a affirmé qu’il n’en avait pas informé les créanciers de la société parce que c’était lui qu’ils harcelaient, et non la société, car il s’était porté caution pour elle.

[12]        C’est le 28 janvier 2011 que l’appelant a communiqué pour la première fois avec l’ARC, par lettre de son avocat actuel, pour l’informer qu’il avait démissionné de son poste d’administrateur en 2006. Sur demande, il a transmis le document original au ministre le 8 avril 2011, pour expertise.

[13]        Angelika Bekesinski n’avait qu’un très mince souvenir de son avis de démission signé en 2002, et se souvenait encore moins de l’avis de démission de l’appelant. Elle a affirmé qu’il était [traduction] « bien possible » qu’elle ait tapé l’avis de démission de l’appelant parce que c’était elle qui s’occupait de toute la correspondance à leur domicile. Elle a témoigné qu’il avait vraisemblablement été tapé dans la salle familiale, où se trouvait l’ordinateur. Elle imaginait qu’elle avait [traduction] « probablement » rangé l’avis dans les registres de la société, car elle avait pour habitude de conserver toutes ces choses au même endroit. Cependant, elle n’avait gardé aucun souvenir précis des circonstances entourant la rédaction, la signature ou le classement de l’avis de démission de l’appelant. Elle a en fait reconnu se souvenir uniquement que l’avis de démission avait été rédigé le 20 juillet 2006 au cours de conversations avec l’appelant et l’avocat actuel de celui-ci.

[14]        Me Hawthorne, qui était l’avocat de la société de l’appelant depuis 25 ans, a témoigné avoir mis fin à ce mandat en 2005 ou en 2006, quand la société avait connu plusieurs difficultés et cessé d’exercer ses activités. Il avait transféré le siège de la société au domicile personnel de l’appelant pour éviter de devoir faire signifier des documents et des pièces de correspondance à cette cliente. Il se rappelait avoir reçu [traduction] « généralement » des demandes de renseignements provenant de l’ARC, et il [traduction] « croyait » qu’elles se rendaient à son cabinet. Son souvenir reposait principalement sur la pratique et la politique en vigueur dans son cabinet lorsqu’il s’agissait de conseiller des clients en matière de démission ou de responsabilité d’un administrateur, en particulier lorsqu’une société connaissait des difficultés. Il n’a pas pu préciser à quel moment il avait suggéré à l’appelant une possible démission. Cependant, il était sûr d’avoir donné un tel conseil à l’appelant, d’autant plus qu’ils étaient tous deux membres de la même association régimentaire. En ce qui concerne l’avis de démission de l’appelant, il a témoigné que ce n’était pas lui qui l’avait rédigé, parce que son libellé ne cadrait pas avec la manière dont il l’aurait formulé. Toutefois, il croyait que le texte de l’avis concordait avec les directives qu’il donnerait à un client pour la rédaction d’une lettre de démission.

[15]        Cindie May Barlow a témoigné avoir communiqué avec l’appelant à propos de la responsabilité de l’administrateur. Lors de sa première conversation avec l’appelant, celui-ci avait paru inquiet et avait admis que c’était là une affaire sérieuse. Après avoir envoyé à l’appelant la lettre faisant état d’une cotisation à son encontre au titre de sa responsabilité en tant qu’administrateur, et ne recevant aucune réponse, elle avait certifié la dette comme créance recouvrable en justice et introduit plusieurs actions en justice. Elle avait plus tard reçu un appel téléphonique de l’appelant et de son avocat actuel, qui l’avaient informée qu’il existait un avis de démission. Mme Barlow a affirmé que c’était la première fois qu’il était fait état d’un tel avis. Elle en avait donc référé au Service des enquêtes spéciales, car il lui semblait étrange que, après tant d’échanges avec l’appelant au fil des ans, un avis de démission daté de 2006 apparaisse soudainement à la suite de l’établissement en 2010 d’une cotisation à l’encontre de l’appelant au titre de sa responsabilité d’administrateur.

La position de l’appelant

[16]        L’avis de démission produit des effets juridiques et réfute l’hypothèse du ministre selon laquelle l’appelant était administrateur de la société. Le ministre n’a présenté aucune preuve susceptible d’étayer sa thèse selon laquelle l’avis de démission était antidaté. Ainsi, il n’existait aucune lettre, aucune note ni aucune inscription dans le journal de recouvrement donnant à penser que l’avis de démission était antidaté. L’intimée n’a d’ailleurs pas cité de témoins ayant pris part à cette affaire durant la période immédiatement antérieure ou postérieure à l’avis de démission. En ce qui concerne le temps écoulé avant que ne soit révélée l’existence de l’avis de démission, l’appelant a fait observer que le ministre n’avait jamais posé de questions ni pris aucune mesure pour informer l’appelant qu’il pouvait démissionner.

[17]        L’appelant, se fondant sur la décision LeCaine c. La Reine, 2009 CCI 382, 2009 DTC 1246, a fait valoir que le fardeau de la preuve est plus lourd lorsqu’est faite une allégation inusitée, comme la présente allégation selon laquelle l’avis de démission aurait été antidaté. La partie qui fait une allégation inusitée de cette nature doit produire une preuve d’autant plus convaincante sans que le principe de la prépondérance des probabilités cesse pour autant de s’appliquer.

La position de l’intimée

[18]        L’intimée n’a pas contesté que l’avis de démission était effectif au regard du Business Corporations Act de la Colombie-Britannique. Son argument était fondé sur le fait que l’appelant était administrateur de la société quand celle-ci avait assumé une dette fiscale toujours non réglée. L’appelant n’avait pas produit une preuve crédible et convaincante pouvant réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle il était resté administrateur. Par exemple, la preuve produite par l’appelant et par ses deux témoins reposait sur des conjectures et ne réfutait pas les hypothèses du ministre.

[19]        L’essentiel de l’argument de l’intimée était que l’appelant n’était pas un témoin crédible parce qu’il n’avait révélé l’existence d’un avis de démission qu’après qu’une cotisation eut été établie à son encontre au titre de sa responsabilité d’administrateur. Il est difficile de croire que l’appelant négligerait d’informer l’ARC qu’il avait démissionné, d’autant plus qu’il savait que son épouse s’était dégagée de sa responsabilité d’administratrice en démissionnant en 2002.

[20]        L’intimée, se fondant sur la décision Moll c. La Reine, 2008 CCI 234, 2008 DTC 3420, et sur la décision Campbell c. La Reine, 2010 CCI 100, 2010 DTC 1090, affirme que l’avis de démission n’était pas authentique parce que l’appelant aurait révélé l’existence de ce document essentiel s’il avait véritablement démissionné.

Analyse

[21]        Dans un appel en matière fiscale comme celui dont il s’agit ici, c’est à l’appelant qu’il incombe de « démolir » les hypothèses du ministre en produisant une preuve prima facie suivant le principe de la prépondérance des probabilités. Dans l’arrêt House c. La Reine, 2011 CAF 234, 2011 DTC 5142, la Cour d’appel fédérale a expliqué ainsi, au paragraphe 57, ce en quoi consiste une preuve prima facie :

[…] Dans l’arrêt Amiante Spec Inc. c. Canada, 2009 CAF 239, 2009 ACF no 603 (QL), la Cour a expliqué comme suit, au paragraphe 23, ce qu’était une preuve prima facie :

   [23] Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

[22]        Si l’appelant « démolit » les hypothèses du ministre, alors c’est à celui‑ci qu’incombe le fardeau de réfuter la preuve prima facie et d’établir les hypothèses. Si ce fardeau est passé au ministre, mais que le ministre ne produit aucune preuve, le contribuable sera fondé à obtenir gain de cause (arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 RCS 336).

[23]        L’appelant, invoquant la décision LeCaine, en particulier ses paragraphes 31 à 33, a fait valoir que le fardeau de la preuve sera plus lourd lorsqu’une partie fait une allégation inusitée, comme l’allégation faite dans le présent appel, selon laquelle l’avis de démission aurait été antidaté. Non seulement je ne souscris pas à cette interprétation, mais je suis d’avis que l’appelant fait absolument fausse route en isolant ces trois paragraphes pour appuyer son argument. Les trois paragraphes en question s’inscrivent dans l’analyse détaillée que fait le juge Webb concernant le mécanisme de la charge de la preuve devant la Cour :

[31]      Dans l’arrêt The Continental Insurance Company c. Dalton Cartage Company Limited, [1982] 1 R.C.S. 164, le juge en chef Laskin a affirmé ce qui suit, aux pages 169 à 171 :

Chaque fois qu’il y a une allégation de conduite moralement blâmable ou qui peut revêtir un aspect criminel ou pénal et que l’allégation se présente dans le cadre d’un litige civil, le fardeau de la preuve qui s’applique est toujours celui de la preuve suivant la prépondérance des probabilités. C’est ce que cette Cour a décidé dans l’arrêt Hanes c. Wawanesa Mutual Insurance Co., [1963] R.C.S. 154. Dans cet arrêt, le juge Ritchie a étudié la jurisprudence qui existait à l’époque et qui comprenait notamment l’arrêt de lord Denning Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458, à la p. 459, et celui du juge Cartwright, alors juge puîné, Smith c. Smith et Smedman, [1952] 2 R.C.S. 312, à la p. 331, et il a conclu (à la p. 164) :

[TRADUCTION] Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, je suis d’avis que le savant juge de première instance a appliqué la mauvaise norme de preuve en l’espèce et que la question de savoir si l’appelant était dans un état d’ébriété au moment de l’accident aurait dû être tranchée suivant la « prépondérance des probabilités ».

Il est vrai que, mis à part sa mention des arrêts Bater v. Bater et Smith et Smedman, le juge Ritchie n’a pas lui-même précisé ce qu’il faut entendre par preuve suivant la prépondérance des probabilités lorsqu’il s’agit de conduite comme celle visée par les deux polices en l’espèce. À mon avis, le juge Keith, sur la question du fardeau de la preuve, pouvait à bon droit tenir compte du caractère convaincant des éléments de preuve offerts en vue d’établir une preuve selon la prépondérance des probabilités, et c’est ce qu’il a fait en faisant mention de preuves correspondant à la gravité des allégations ou de l’accusation de vol contre le chauffeur employé à titre temporaire. L’appréciation des éléments de preuve se rapportant au fardeau de la preuve implique nécessairement une question de jugement, et un juge de première instance est fondé à examiner la preuve plus attentivement si la preuve offerte doit établir des allégations sérieuses. Je reprends les propos de lord Denning à cet égard dans l’arrêt Bater v. Bater, précité, à la p. 459 :

[traduction] Il est vrai que notre droit impose une norme de preuve plus élevée dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles sous une réserve toutefois, savoir que dans l’un et l’autre cas il n’y a pas de norme absolue. Dans les affaires criminelles, on doit prouver l’accusation hors de tout doute raisonnable, mais à l’intérieur de cette norme, il peut y avoir des degrés de preuve. Nombre de grands juges ont dit que plus le crime est grave, plus la preuve doit être claire. Il en va de même pour les affaires civiles. On peut établir le bien‑fondé de la demande suivant la prépondérance des probabilités, mais cette norme peut comporter des degrés de probabilité. Le degré est fonction de l’objet du litige. Il est naturel qu’une cour de juridiction civile, lorsqu’elle est saisie d’une accusation de fraude, exige un degré plus élevé de probabilité qu’elle n’exigerait s’il s’agissait de décider si l’on a prouvé la négligence. Le degré de probabilité qu’elle exige n’est pas aussi élevé que celui qu’exigerait une cour de juridiction criminelle, même lorsqu’elle est saisie d’une accusation de nature criminelle, mais il reste qu’elle exige un degré de probabilité qui correspond à la gravité de la situation.

Je n’estime pas que ce point de vue s’écarte du principe d’une norme de preuve fondée sur la prépondérance des probabilités ni qu’il appuie une norme variable. La question dans toutes les affaires civiles est de savoir quelle preuve il faut apporter et quel poids lui accorder pour que la cour conclue qu’on a fait la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

            [Non souligné dans l’original.]

[32]      Dans l’arrêt Hickman Motors Limited c. La Reine, [1997] 2 R.C.S. 336, le juge L’Heureux‑Dubé a déclaré ce qui suit :

92        Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue,  [1966] R.C.S. 95, et que, à l’intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106.

[33]      Dans une décision récente de la Chambre des lords, In re Doherty, [2008] UKHL 33, lord Carswell a affirmé ce qui suit :

[traduction]

25.       L’expression « degré de probabilité » a été relevée et reprise dans un certain nombre de décisions subséquentes — voir, par exemple, In re Dellow’s Will Trusts, [1964] 1 WLR 451, à la p. 455, Blyth v. Blyth, [1966] AC 643, à la p. 669, et R. v. Secretary of State for the Home Department, Ex p Khawaja, [1984] AC 74, aux pages 113 et 114 — et peut avoir amené certains tribunaux judiciaires à conclure qu’une norme de preuve autre que celle de la prépondérance des probabilités ou qu’une norme de preuve plus rigoureuse était nécessaire dans certains cas. Dans la mesure où ce malentendu est survenu, il aurait dû y être mis fin par les remarques souvent citées de lord Nicholls of Birkenhead dans l’arrêt In re H (Minors). Immédiatement après le passage de ses motifs que j’ai cité, lord Nicholls of Birkenhead a ajouté ce qui suit, aux pages 586 et 587 :

En appréciant les probabilités, le tribunal aura à l’esprit comme facteur, dans la mesure où la chose est appropriée dans une affaire particulière, que plus l’allégation est grave, moins il sera probable que l’événement se soit produit, de sorte que la preuve devrait être d’autant plus forte pour que le tribunal puisse conclure que l’allégation est établie selon la prépondérance des probabilités. La fraude est habituellement moins probable que la négligence. Un dommage corporel délibéré est habituellement moins probable qu’un dommage corporel accidentel. Habituellement, il est moins probable qu’un beau‑père ait à maintes reprises violé et ait eu des relations sexuelles orales non consensuelles avec sa belle‑fille mineure plutôt que d’avoir à un moment donné perdu patience et de l’avoir giflée. La norme de la prépondérance des probabilités comporte un degré élevé de souplesse pour ce qui est de la gravité de l’allégation.

Le résultat est à peu près le même, mais cela ne veut pas pour autant dire que lorsqu’une allégation grave est en cause, la norme de preuve nécessaire est plus rigoureuse. Cela veut uniquement dire que la vraisemblance ou l’invraisemblance intrinsèque d’un événement est en soi une question dont il faut tenir compte en appréciant les probabilités et en décidant si, somme toute, l’événement s’est produit. Plus l’événement est improbable, plus la preuve indiquant que cet événement s’est produit doit être forte pour que, selon la prépondérance des probabilités, il soit établi qu’il s’est produit. [...] C’est sans aucun doute ce sentiment qui amène de temps en temps les juges à faire remarquer que des questions graves doivent être prouvées selon une norme plus rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités.

[...]

27.       Le lord juge Richards a exprimé cette thèse d’une façon adroite dans l’arrêt R (N) v. Mental Health Review Tribunal (Northern Region), [2005] EWCA Civ 1605, [2006] QB 468, aux pages 497 et 498, paragraphe 62, où il a dit ce qui suit :

Il existe une seule norme civile de preuve selon la prépondérance des probabilités, mais elle s’applique d’une façon souple. En particulier, plus l’allégation est grave ou plus les conséquences sont graves si l’allégation est établie, plus la preuve devra être forte pour que le tribunal puisse conclure que l’allégation est prouvée selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, la souplesse de la norme ne dépend pas de quelque modification du degré de probabilité nécessaire pour qu’une allégation soit établie (de sorte qu’une allégation plus grave doive être prouvée selon un degré plus élevé de probabilité), mais elle dépend plutôt de la force ou de la qualité de la preuve qui sera en pratique nécessaire pour établir l’allégation selon la prépondérance des probabilités.

À mon avis, ce paragraphe énonce correctement en des termes concis l’état du droit sur ce point. Toutefois, j’aimerais faire une réserve, qui ne fait peut‑être qu’expliquer ce que le lord juge Richards voulait dire en parlant de la gravité des conséquences. Ce facteur est pertinent pour ce qui est de la probabilité ou de l’absence de probabilité que l’allégation soit non fondée, comme je l’expliquerai ci‑dessous.

28.       Il est reconnu au moyen de ces énoncés qu’une source possible de confusion découle de ce qu’il n’est pas tenu compte d’une façon suffisamment claire du fait que dans certains contextes, une cour de justice ou un tribunal doit examiner les faits d’un œil plus critique et avec plus de circonspection que dans d’autres cas pour qu’il puisse être convaincu qu’il est satisfait à la norme requise. Toutefois, la norme elle-même est précise et immuable. Les cas dans lesquels un tel examen plus approfondi est nécessaire peuvent découler de ce qu’il est intrinsèquement peu probable que l’événement se soit produit (comme l’exemple que lord Hoffmann a donné de l’animal qui a été vu dans Regent’s Park), de la gravité de l’allégation à établir ou, dans certains cas, des conséquences susceptibles de découler de l’acceptation de la preuve du fait pertinent. Il n’est pas nécessaire de préciser l’importance de la gravité de l’allégation; le tribunal chargé d’examiner les faits examinera de plus près les faits sur lesquels est fondée l’allégation de fraude avant de reconnaître que cette allégation a été établie. La gravité des conséquences est un autre aspect de la même thèse; l’allégation selon laquelle un directeur de banque s’est livré à un détournement de fonds mineur peut entraîner des conséquences fort graves pour la carrière de celui-ci, de sorte qu’il est peu probable qu’il risque de s’y livrer. Il s’agit dans tous les cas de s’en remettre à l’expérience ordinaire, les personnes qui ont à trancher de telles questions devant faire preuve de bon sens. La norme de preuve n’a pas à être différente ou à être particulièrement convaincante; il suffit que le tribunal prenne la chose en considération d’une façon minutieuse appropriée pour arriver à sa conviction au sujet de la question à établir.

[Non souligné dans l’original.]

[24]        Les paragraphes susmentionnés de la décision LeCaine ne renferment aucune indication, expresse ou implicite, qui permette d’affirmer que, lorsqu’est faite une allégation inusitée, la charge de la preuve qui incombe à la partie à l’origine de cette allégation sera plus lourde. D’abord, l’arrêt de la Cour suprême du Canada, The Continental Insurance Company c. Dalton Cartage Company Limited, cité au paragraphe 31 de la décision LeCaine, n’appuie pas l’affirmation de l’appelant. Le passage reproduit concerne plutôt la relation entre l’examen détaillé de la preuve et la gravité de l’allégation. Si l’allégation qui est faite est d’une gravité manifeste, alors la norme de la prépondérance des probabilités commandera une preuve claire et convaincante, bien que la norme reste la même. Avant la décision LeCaine, le juge Rothstein, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41, au paragraphe 30, avait interprété de la manière suivante le rejet par le juge en chef Laskin de la « norme variable » :


30        Une « norme variable » de probabilité n’a toutefois pas fait l’unanimité. Dans l’arrêt Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164, le juge en chef Laskin l’a en effet écartée. À son avis, pour tenir compte de la gravité de l’allégation, le juge du procès devait plutôt examiner la preuve « plus attentivement » (p. 169-171) :

Chaque fois qu’il y a une allégation de conduite moralement blâmable ou qui peut revêtir un aspect criminel ou pénal et que l’allégation se présente dans le cadre d’un litige civil, le fardeau de la preuve qui s’applique est toujours celui de la preuve suivant la prépondérance des probabilités…

…L’appréciation des éléments de preuve se rapportant au fardeau de la preuve implique nécessairement une question de jugement, et un juge de première instance est fondé à examiner la preuve plus attentivement si la preuve offerte doit établir des allégations sérieuses…

Je n’estime pas que ce point de vue [celui de l’arrêt Bater] s’écarte du principe d’une norme de preuve fondée sur la prépondérance des probabilités ni qu’il appuie une norme variable. La question dans toutes les affaires civiles est de savoir quelle preuve il faut apporter et quel poids lui accorder pour que la cour conclue qu’on a fait la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

Le juge Rothstein n’interprète pas ce passage en concluant que l’auteur de l’allégation doit supporter une charge accrue, puisque le juge en chef Laskin était clairement d’avis que, pour tenir compte de la gravité de l’allégation, le juge du procès devait examiner la preuve « plus attentivement ».

[25]        Deuxièmement, il est manifeste que l’appelant fait reposer son argument sur quelques paragraphes qui ont été isolés d’un courant jurisprudentiel. En isolant certains passages des motifs exposés par le juge Webb dans la décision LeCaine, l’avocat de l’appelant les a sortis de leur contexte et les a interprétés erronément pour tenter d’appuyer un argument fautif. Après avoir examiné dans la décision LeCaine la jurisprudence applicable, le juge Webb en a fait une récapitulation qui se rapportait uniquement à la vraisemblance ou à l’invraisemblance d’un événement comme facteur devant être considéré par le juge dans l’appréciation de la preuve, mais non, contrairement à ce que laisse entendre l’avocat de l’appelant, à un quelconque accroissement de la charge de la preuve suivant la norme elle-même de la prépondérance des probabilités. Au paragraphe 36 de la décision LeCaine, le juge Webb a écrit ce qui suit :


[36]      Il me semble que ces décisions sont compatibles les unes avec les autres et que la question, dans une affaire civile (ce qui comprend le présent appel), sera de savoir si la preuve présentée est suffisante pour convaincre le juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qui a la charge de la preuve a établi ce qu’elle était obligée d’établir. En analysant la preuve qui a été présentée, la vraisemblance ou l’invraisemblance de l’événement qui est en cause est un facteur pouvant être pris en considération. Plus l’événement est improbable, plus la preuve devra être forte. À l’inverse, il me semble également qu’une personne peut être en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’un événement fort probable s’est produit en se fondant sur une preuve plus faible que celle qui est nécessaire pour établir qu’un événement improbable s’est produit.

En se restreignant aux seuls paragraphes 31 à 33 de la décision LeCaine, l’avocat de l’appelant n’a pas tenu compte de l’ensemble de la situation et a donc interprété erronément les motifs exposés par le juge Webb.

[26]        Troisièmement, il n’existe aucune règle de droit déterminant l’incidence de la vraisemblance intrinsèque d’un événement. Le juge du procès doit examiner avec soin la preuve pertinente pour savoir si une allégation est intrinsèquement improbable ou probable lorsqu’il s’applique à apprécier la preuve et à déterminer le poids qu’il convient de lui accorder. Au paragraphe 48 de l’arrêt McDougall, le juge Rothstein a fait observer ce qui suit :

Un fait allégué peut être très improbable, un autre moins. Il ne saurait y avoir de règle permettant de déterminer dans quelles circonstances et jusqu’à quel point le juge du procès doit tenir compte de l’improbabilité intrinsèque. Dans l’arrêt In re B, lord Hoffmann fait remarquer ce qui suit (par. 15) :

[traduction] Le sens commun — et non le droit — exige, pour trancher à cet égard, qu’on tienne compte, dans la mesure où cela est indiqué, de la probabilité intrinsèque.

Il revient au juge du procès de décider dans quelle mesure, le cas échéant, les circonstances donnent à penser que le fait allégué est intrinsèquement improbable et, s’il l’estime indiqué, il peut en tenir compte pour déterminer si la preuve établit que, selon toute vraisemblance, l’événement s’est produit. Or, aucune règle de droit ne saurait le lui imposer.

[27]        En résumé, contrairement à ce que laisse entendre l’avocat de l’appelant, il n’y a aucun accroissement de la charge qui repose sur la partie à l’origine d’une allégation inusitée. La probabilité d’un événement dépend plutôt des circonstances, et c’est alors au juge du procès qu’il incombe de décider dans quelle mesure la probabilité d’un événement devrait être prise en compte dans l’appréciation de la preuve. La norme de preuve en matière civile reste donc la norme de la prépondérance des probabilités.

[28]        Pour ce qui est de la décision LeCaine, l’intimée a fait valoir que, compte tenu du paragraphe 36, ce précédent permet d’affirmer que des faits que l’on qualifierait plutôt d’improbables doivent être examinés d’une manière plus poussée. L’intimée fait sans doute reposer cette conclusion sur l’emploi par le juge Webb des mots « en analysant la preuve ». Cependant, je crois que c’est détourner le sens de la décision LeCaine que de soutenir que le juge du procès examinera la preuve avec plus ou moins de rigueur selon le niveau de probabilité de l’événement. Au paragraphe 36 de la décision LeCaine, le juge Webb soulignait que la vraisemblance ou l’invraisemblance d’un événement se rapporte à l’appréciation de la preuve dans le respect de la norme de la prépondérance des probabilités, et non au niveau de rigueur de l’examen. Au paragraphe 45 de l’arrêt McDougall, le juge Rothstein a affirmé qu’il n’existe qu’une seule règle de droit : « le juge du procès doit examiner la preuve attentivement ». (Non souligné dans l’original.)

[29]        Je ne crois pas que la prétendue antidatation de l’avis de démission soit un événement improbable comme l’a qualifiée l’avocat de l’appelant. Des documents de complaisance font souvent partie de la preuve dans les appels en matière fiscale. Même si je souscrivais à la manière dont l’avocat de l’appelant interprète la décision LeCaine, ce qui n’est pas le cas, l’allégation d’antidatation d’un document n’en est pas une que je qualifierais de particulièrement inusitée.

[30]        Il n’a été produit aucune preuve documentaire corroborant l’avis de démission de l’appelant, ni aucune preuve d’expert portant sur la datation de l’encre utilisée pour la rédaction du document. Je n’ai que les dépositions des témoins et la crédibilité joue donc un rôle clé dans le présent appel.

[31]        La décision Springer v. Aird & Berlis LLP, 96 OR (3rd) 325, souligne que le [traduction] « critère judiciaire de la vérité » le plus satisfaisant réside dans la compatibilité ou l’absence de compatibilité avec la prépondérance des probabilités telles qu’elles sont révélées par les faits et les circonstances propres à chaque cas. La perfection n’existe pas dans un témoignage, et une preuve qui est trop cohérente peut même être le signe qu’elle est artificiellement construite.

[32]        Au paragraphe 23 de la décision Nichols c. La Reine, 2009 CCI 334, 2009 DTC 1203, la juge V.A. Miller énonce plusieurs critères pouvant servir à apprécier la crédibilité d’un témoin :

[23] En matière de crédibilité, je peux tenir compte des incohérences ou des faiblesses que comporte le témoignage des témoins, y compris les incohérences internes (si le témoignage change pendant que le témoin est à la barre ou s’il diverge du témoignage rendu à l’interrogatoire préalable), les déclarations antérieures contradictoires et les incohérences externes (soit lorsque le témoignage est incompatible avec des éléments de preuve indépendants que j’ai acceptés). Il m’est ensuite loisible d’apprécier l’attitude et le comportement du témoin. Troisièmement, je peux rechercher si le témoin a des raisons de rendre un faux témoignage ou d’induire la Cour en erreur. Enfin, je peux prendre en compte la teneur générale de la preuve. C’est‑à‑dire que j’ai toute latitude pour rechercher si l’examen du témoignage à la lumière du sens commun donne à penser que les faits exposés sont impossibles ou hautement improbables.

[33]        Dans la décision Chow c. La Reine, 2011 CCI 263, 2011 DTC 1196, la juge V.A. Miller prônait le recours au bon sens pour savoir si les faits exposés sont possibles, impossibles, probables ou hautement probables.

[34]        Le témoignage de l’appelant cadrait, pour l’essentiel, avec ceux des autres témoins. Il cadrait par exemple avec celui de Me Hawthorne selon lequel l’appelant et lui avaient abordé plusieurs fois la question de la responsabilité d’un administrateur et celle de sa démission. Le témoignage de l’appelant et celui de son épouse concordaient en ce qui concernait la frappe et le classement de l’avis de démission.

[35]        Cependant, il y avait une contradiction de taille dans l’explication donnée par l’appelant pour justifier le fait de ne pas avoir révélé son avis de démission à l’ARC. Il a affirmé ne pas très bien savoir quel effet aurait une telle révélation. Cela était incompatible avec son admission selon laquelle il avait été informé par M. Bocking que son épouse ne serait pas responsable en tant qu’administratrice parce qu’elle avait déjà démissionné. Fort de cette information, l’appelant aurait dû savoir l’effet crucial d’une démission pour un administrateur. L’autre raison qu’il avait de ne pas avoir informé l’ARC de sa démission était qu’il présumait que l’ARC avait accès à ses dossiers. Il est manifeste que l’appelant avait certainement une motivation pécuniaire pour fabriquer une preuve. Il a été intéressé dans plusieurs sociétés au fil des ans, et nombre d’entre elles s’étaient révélées infructueuses.

[36]        Me Hawthorne n’avait qu’un souvenir imprécis des événements. Il n’y avait pas de contradictions dans son témoignage, mais il n’a exprimé que des généralités sur la manière dont son cabinet renseignait ses clients sur la responsabilité que comportait la qualité d’administrateur, ou sur les effets d’une démission.

[37]        Madame Bekesinski ne se souvenait pour ainsi dire pas des circonstances entourant l’avis de démission de l’appelant ou son propre avis de démission en 2002, et sa preuve reposait principalement sur des conjectures. Son témoignage concordait avec la preuve de l’appelant sur la séquence probable des événements. Cependant, elle n’avait aucun véritable souvenir des choses. Elle était certaine d’avoir tapé l’avis de démission de l’appelant et de ne pas avoir [traduction] « altéré » la date, car elle n’aimait pas la discorde. Bien qu’elle eût une motivation pour fabriquer la preuve, elle a néanmoins reconnu ne pas se souvenir de façon distincte de la frappe de l’avis de démission.

[38]        L’avocat de l’appelant a tenté, en vain, de mettre en doute certains aspects du témoignage de Mme Barlow, en disant qu’il n’était appuyé d’aucune preuve corroborante ou que la preuve ne concordait pas avec son témoignage à elle. Par exemple, il a tenté en contre-interrogatoire de montrer qu’il n’y avait probablement eu aucune conversation précise entre l’ARC et l’appelant concernant sa responsabilité d’administrateur. Cependant, puisque l’appelant lui‑même a reconnu durant son contre-interrogatoire avoir reçu entre 2005 et 2011 de nombreuses lettres l’informant du possible établissement d’une cotisation fondée sur sa responsabilité en tant qu’administrateur, j’ai du mal à voir précisément ce que l’avocat de l’appelant tentait de montrer. Je n’arrive pas non plus à voir en quoi il était utile de savoir si Mme Barlow elle-même avait ou non mené, concernant la société, les recherches dont le résultat se trouve à la pièce R-4.

[39]        L’intimée a accordé un grand poids au fait que l’appelant n’avait pas communiqué l’avis de démission à l’ARC ni à aucun de ses créanciers. Se fondant sur les deux décisions précitées, la décision Campbell et la décision Moll, elle a fait valoir que l’omission de communiquer un avis de démission à l’ARC ou aux tiers créanciers laissera planer un doute sur l’authenticité de l’avis. Le présent appel peut être distingué de l’affaire Moll, un précédent dont l’issue reposait sur la conclusion selon laquelle le contribuable s’était fait passer pour un administrateur après avoir censément démissionné et n’avait informé personne, pas même les tiers créanciers, qu’il n’était plus administrateur. Dans la présente affaire, l’appelant a témoigné ne pas avoir informé ses créanciers parce qu’il avait personnellement cautionné les emprunts de la société et qu’il était donc personnellement responsable envers les créanciers. Ce fait distingue aussi le présent appel de l’affaire Campbell, où il était dans l’intérêt du contribuable d’informer les tiers créanciers de sa qualité d’administrateur.

[40]        L’intimée n’a produit, concernant les tiers créanciers, aucun élément de preuve indépendant susceptible de miner la crédibilité de l’appelant. On ne m’a présenté aucun élément de preuve donnant à penser que des créanciers talonnaient la société. L’appelant a d’ailleurs affirmé avoir cru que, démission ou non, il demeurait responsable des choses passées.

[41]        L’affaire Campbell peut également être distinguée du présent appel parce que, dans ce précédent, le contribuable avait produit un témoignage qui contredisait des déclarations qu’il avait faites au cours de l’interrogatoire préalable à propos de l’endroit où la lettre de démission avait été rangée, et la manière dont elle avait été trouvée. Il n’y a aucune contradiction du genre dans le présent appel. Je suis d’avis que l’avocate de l’intimée aurait pu approfondir cet aspect avec l’épouse de l’appelant au moment de la contre-interroger, mais l’intimée n’a pas insisté auprès de Mme Bekesinski après avoir constaté qu’elle n’avait aucun souvenir distinct de l’événement.

[42]        Le fait que l’appelant n’ait informé personne à l’ARC, durant une longue période, de sa démission comme administrateur de la société ne manque pas d’être suspect. Il a expliqué qu’il avait présumé que l’ARC avait accès à ses registres et pensé que, de toute façon, il était responsable des dettes contractées. Cela contredit son aveu selon lequel l’ARC l’avait informé que son épouse échapperait à sa responsabilité pour dettes parce qu’elle avait démissionné. Cependant, l’appelant a donné une explication vraisemblable en affirmant que, puisqu’il avait déjà eu affaire à l’ARC, il pensait qu’il était responsable de la dette fiscale déjà encourue et que le fait de démissionner comme administrateur le mettrait à l’abri uniquement d’événements futurs.

[43]        Durant le contre-interrogatoire des témoins de l’appelant et durant l’interrogatoire principal de Mme Barlow, l’avocate de l’intimée a tenté de montrer que l’appelant avait sans doute conscience du lien entre la dette fiscale et sa qualité d’administrateur. L’intimée soutenait donc que, si l’appelant avait effectivement démissionné en 2006, il en aurait informé l’ARC afin d’échapper à une possible responsabilité. Elle voulait par là miner la crédibilité de l’appelant, mais Mme Barlow a affirmé dans son témoignage que l’ARC n’aurait pas demandé à l’appelant s’il avait démissionné afin d’éviter de le renseigner de la sorte sur les effets de sa qualité d’administrateur.

[44]        La remise en mémoire des événements entourant l’avis de démission est notablement déficiente. Cependant, il n’y a pas véritablement eu de contradictions ou d’incohérences entre les témoins. Me Hawthorne a témoigné avoir informé l’appelant des possibles responsabilités qu’entraînait la qualité d’administrateur. L’appelant a affirmé que ce conseil reçu de Me Hawthorne, son ami et l’avocat de longue date de sa société, l’avait décidé à démissionner à une époque où la société était en train de mettre fin à ses activités. Cette affirmation cadre avec la pratique de Me Hawthorne qui consistait à s’assurer que ses anciens clients se mettent à l’abri des responsabilités de cette nature.

[45]        Appliquant les observations tirées des motifs de la décision Springer, ainsi que les critères énoncés par la juge Miller dans la décision Nichols concernant l’appréciation de la crédibilité d’un témoin, je conclus que le témoignage de l’appelant est généralement corroboré par les autres témoins qu’il a convoqués. Les explications sont vraisemblables et possibles, même si elles sont affaiblies par le passage du temps et l’effacement des souvenirs. Il n’y a pas de contradictions flagrantes avec ce qu’ont dit les témoins. Dans l’ensemble, l’appelant a expliqué d’une manière vraisemblable certains choix que j’aurais pu autrement qualifier de douteux. Selon toute probabilité, l’appelant a antidaté l’avis de démission, mais, sans une preuve d’expert portant sur la datation de l’encre du document, et puisque la preuve ne laisse pas apparaître de variations ou de contradictions évidentes, je dois conclure que l’appelant s’est acquitté de son obligation de réfuter l’hypothèse de fait de l’intimée selon laquelle l’appelant était administrateur de la société.

[46]        Le fardeau de la preuve incombe donc maintenant à l’intimée. Selon l’intimée, l’avis de démission a été antidaté à 2006 et ce n’est donc pas un document authentique. Suivant le principe de la prépondérance des probabilités, l’intimée n’a pas été en mesure de réfuter la preuve de l’appelant. L’intimée n’a produit aucun élément de preuve indépendant susceptible d’affaiblir la crédibilité de l’appelant ou de montrer que l’avis de démission était antidaté. L’intimée s’est fondée sur les circonstances pour affaiblir la crédibilité de l’appelant. Plus précisément, elle a fait valoir que l’appelant n’avait pas un souvenir précis des événements et qu’il n’avait pas informé de sa démission l’ARC et les créanciers. Cependant, l’intimée n’a pas montré, suivant la prépondérance des probabilités, que l’avis de démission était antidaté et donc frauduleux, ni que l’appelant était demeuré administrateur de la société après l’avis de démission.

[47]        Je crois que les hypothèses de fait du ministre manquaient de clarté et de précision. Les cinq hypothèses de fait invoquées par l’intimée étaient les suivantes :

[traduction]

a)         les faits exposés et admis ci-dessus;

b)         l’appelant était l’unique administrateur de DM;

c)         DM avait été dûment constituée en société en vertu des lois de la Colombie-Britannique;

d)         DM exerçait des activités de camionnage;

e)         un certificat de 477 546,08 $ et se rapportant au non‑versement par DM de déductions à la source a été enregistré auprès de la Cour fédérale conformément à l’article 223 de la Loi, et il y a eu défaut d’exécution totale à l’égard de cette somme.

L’obligation initiale qui incombait à l’appelant était donc précisément de « démolir », sans plus, l’hypothèse selon laquelle il était administrateur de la société.

[48]        Les hypothèses de fait susmentionnées sont bâclées, inadéquates et préjudiciables à la cause de l’intimée. En raison de l’avantage que tire l’intimée de la pratique consistant à invoquer des faits qui sont présumés avérés, la jurisprudence a établi le principe selon lequel telles hypothèses doivent être exactes et précises afin que le contribuable sache exactement ce à quoi il doit répondre. Les hypothèses omettent les faits eux-mêmes sur lesquels se fonde la position de l’intimée, à savoir l’antidatation de l’avis de démission et son absence d’authenticité. Il n’était pas non plus fait état d’une diligence raisonnable de la part de l’appelant. Si les faits en question avaient été évoqués, alors l’appelant aurait eu, au départ, l’obligation de les démentir. Cependant, la seule hypothèse décisive invoquée par l’intimée était celle selon laquelle l’appelant était administrateur de la société. L’appelant aurait eu beaucoup plus de mal à faire valoir sa position si l’intimée avait établi ses hypothèses de fait avec plus de soins. Il incombait à l’appelant de produire une preuve suffisante pour réfuter l’hypothèse selon laquelle il était administrateur de la société. Il n’avait pas l’obligation de prouver que l’avis de démission n’était pas antidaté. Quand la charge de la preuve est retombée sur l’intimée, celle-ci n’a pas été en mesure de prouver, suivant la prépondérance des probabilités, que l’avis de démission était antidaté et que l’appelant était resté administrateur.

Conclusion

[49]        L’avis de cotisation est daté du 15 octobre 2010. La preuve permet de croire que l’appelant a cessé d’être l’administrateur de la société à la date de son avis de démission, à savoir le 20 juillet 2006. Puisque la cotisation a été établie plus de deux ans après l’avis de démission, l’appelant ne sera pas responsable de l’impôt impayé et des versements non effectués.

[50]        L’issue de cet appel dépendait de l’authenticité de l’avis de démission. Le témoignage d’Angelika Bekesinski et celui de Me Hawthorne ne donnaient pas de détails sur l’avis de démission, mais ils ne présentaient aucune incohérence ou contradiction flagrante avec le témoignage rendu par l’appelant. Pour l’essentiel, la preuve se tenait, et elle ne renfermait rien qui puisse miner leur crédibilité.

[51]        La charge initiale, qui repose sur l’appelant, ne l’oblige pas à prouver sa position d’une manière absolument certaine, mais seulement à montrer, suivant la prépondérance des probabilités, qu’il n’était pas administrateur de la société au cours des deux années précédant l’établissement de l’avis de cotisation. L’avis de démission suffit donc à démolir l’hypothèse du ministre selon laquelle l’appelant [traduction] « était l’unique administrateur » de la société. L’intimée a prétendu que l’avis de démission était antidaté, mais elle n’a pas prouvé, suivant la prépondérance des probabilités, qu’il n’est pas authentique. L’intimée avait tenté de se fonder sur une preuve d’expert, mais, pour les motifs exposés dans ma décision interlocutoire, le rapport d’expert a été exclu. L’intimée n’a produit aucun autre élément de preuve indépendant, si ce n’est pour mettre en doute les mesures prises par l’appelant et par les témoins dans l’espoir d’affaiblir la crédibilité de l’appelant. Cependant, cela ne lui a pas permis de montrer, suivant la prépondérance des probabilités, que l’avis de démission avait été antidaté.

[52]        Je m’interroge sur l’authenticité de l’avis de démission, mais, la preuve requise n’ayant pas été produite, je dois accueillir l’appel. Ma décision est motivée par les choix procéduraux de l’intimée. Les hypothèses de fait contenues dans la réponse n’étaient pas assez claires et précises et les faits sur lesquels l’intimée fondait sa position, à savoir l’antidatation de l’avis de démission et son absence d’authenticité, auraient dû être mieux formulés. En raison de leur imprécision, l’obligation de l’appelant se limitait à montrer qu’il n’était pas administrateur de la société durant la période considérée. De mauvais choix ont alors été faits concernant la teneur du rapport d’expert sur la datation de l’encre, rapport qui devait servir à appuyer la position de l’intimée selon laquelle l’avis de démission avait été antidaté. Certaines des pièces produites ne présentaient également aucun intérêt pour la question posée. Par exemple, des recherches dans le registre des sociétés (pièce R-4) avaient porté sur des années autres que les années d’imposition en cause. En outre, comme on l’a fait observer durant le contre-interrogatoire du témoin de l’intimée, aucun des documents censés appuyer le témoignage de Mme Barlow selon lequel l’appelant avait été informé par écrit qu’il encourait une responsabilité en tant qu’administrateur n’a été produit comme preuve.

[53]        En fin de compte, je dois m’en tenir à la preuve qui m’a été présentée, même si j’ai la conviction que l’avis de démission a été antidaté.

[54]        J’accueille l’appel, mais je m’abstiens d’adjuger des dépens dans cette affaire. Ce sont des avocats expérimentés qui ont comparu devant moi dans cet appel, et je ne puis donc faire les exceptions qu’il me serait ordinairement loisible de faire pour des avocats ayant moins d’expérience. L’avocat de l’appelant a par le passé considéré les choses des deux côtés de la table, puisqu’il a déjà représenté la Couronne au début de sa carrière. En choisissant de manière sélective plusieurs paragraphes pour appuyer mal à propos sa thèse, et sans manifestement se référer à d’autres précédents applicables, l’avocat de l’appelant a avancé des arguments absolument boiteux.

[55]        Pour ces motifs, l’appel est accueilli, mais sans frais.

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 28e jour de juillet 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de novembre 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 245

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2011-3519(IT)G

INTITULÉ :

ACHIM BEKESINSKI et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 29, 30 et 31 octobre 2013 et le 1er novembre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 juillet 2014

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me Gavin Laird; Me Drew Gilmour

Avocate de l’intimée :

Me Catherine M.G. McIntyre

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Gavin Laird

Drew Gilmour

 

Cabinet :

Laird & Company

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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