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Dossier : 2012‑1019(EI)

ENTRE :

166020 CANADA INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

NICOLAS PLANTE et MARTIN LABELLE,

intervenants.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu les 6 et 7 mars 2014, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse


Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Nicolas Simard

Avocate de l’intimé :

Me Christina Ham

Avocat des intervenants :

Me Nicolas Simard

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli, et les affaires sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis qu’aucun des travailleurs visés en l’espèce n’exerçait un emploi assurable lorsqu’il travaillait pour l’appelante pendant la période en cause, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Kingston (Ontario), ce 15e jour de juillet 2014.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’août 2014.

 

M.-C. Gervais

 


Référence : 2014 CCI 220

Date : 20140715

Dossier : 2012‑1019(EI)

ENTRE :

166020 CANADA INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

NICOLAS PLANTE et MARTIN LABELLE,

intervenants.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

motifs du jugement

Le juge suppléant Masse

[1]             L’appelante, 166020 Canada Inc., est une société dont le siège social et le principal lieu d’affaires sont situés à LaSalle (Québec). Le 30 août 2010, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rendu des décisions selon lesquelles François Matte, Carl Brault, Nicolas Plante, Martin Labelle et Patrick Laquerre (les « travailleurs ») exerçaient un emploi assurable auprès de l’appelante pendant la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 (la « période »), compte tenu du fait qu’ils étaient employés aux termes d’un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) et de l’article 93 de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « LAE »). L’appelante a interjeté appel de ces décisions et, le 27 septembre 2010, le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelante visant tous ses travailleurs (la « cotisation ») pour la période visée en l’espèce. La cotisation s’élevait à un total de 20 866,83 $, y compris les pénalités et les intérêts. L’appelante a déposé un avis d’opposition à cette cotisation et, par une lettre datée du 6 décembre 2011, le ministre a confirmé la cotisation et confirmé les décisions rendues le 30 août 2010, d’où le présent appel devant la Cour.

[2]             La question en litige dans le présent appel est de savoir si les travailleurs engagés par l’appelante étaient des entrepreneurs indépendants ou s’ils exerçaient un emploi assurable auprès de l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services pour l’application de la LAE.

Contexte factuel

[3]             Monsieur Panos Christodoulopoulos est le président et l’un des actionnaires de l’appelante, qui fait affaire sous la raison sociale « Magie Seal ». Les activités de l’appelante consistent à fournir un traitement de protection des tissus et du cuir (le « traitement ») aux clients de grands détaillants de meubles comme Brault & Martineau et Meubles Léon. Les clients de l’appelante sont les magasins de meubles, non les acheteurs des meubles, puisqu’il n’y a pas de lien contractuel entre les acheteurs et l’appelante.

[4]             L’appelante a embauché les travailleurs, qui étaient considérés comme des techniciens autonomes, pour appliquer le traitement. Il n’y avait aucune entente écrite entre l’appelante et les travailleurs, mais il est clair que l’appelante et les travailleurs estimaient qu’ils étaient des entrepreneurs indépendants, et non des employés.

[5]             Lorsqu’un magasin comme Meubles Léon ou Brault & Martineau vend des meubles, il offre le traitement à l’acheteur dans le cadre du marché moyennant des frais supplémentaires. Si l’acheteur achète le traitement, le magasin de meubles conclut alors un contrat avec l’appelante pour appliquer le traitement aux nouveaux meubles. L’appelante communique avec l’acheteur et fixe un rendez-vous en vue de l’application du traitement. L’appelante communique alors avec l’un des travailleurs par télécopieur ou par courriel pour que le travailleur applique le traitement. Environ 15 travailleurs effectuaient ce travail pour l’appelante pendant la période. Un territoire était attribué à chaque travailleur. Un certain nombre de rendez-vous sont attribués tous les jours aux travailleurs et ces derniers sont chargés d’établir leur horaire à leur gré pour se rendre à la résidence de l’acheteur et appliquer le traitement. Un travailleur peut accepter autant ou aussi peu de rendez-vous qu’il le souhaite. Le travail est normalement effectué entre 8 h et 17 h. Les travailleurs décident seuls du moment où ils effectuent le travail, mais le travail doit être accompli le jour où l’acheteur s’attend à ce qu’il soit fait, étant donné que, ce jour‑là, l’acheteur demeure vraisemblablement à la maison toute la journée pour accueillir le travailleur. Si le travailleur n’est pas en mesure d’effectuer le travail le jour prévu, il lui incombe alors de communiquer avec l’acheteur et de fixer un nouveau rendez-vous pour le travail.

[6]             La plupart des travailleurs étaient des particuliers, mais d’autres étaient des entreprises privées et d’autres des personnes morales (voir la pièce A‑1). L’appelante paie la taxe sur les produits et services et la taxe de vente du Québec (la « TPS » et la « TVQ ») aux travailleurs dont les revenus sont suffisamment élevés pour que la TPS et la TVQ soient exigibles.

[7]             Selon M. Panos Christodoulopoulos, l’appelante avait engagé une société de paie, Ceridian, pour préparer les feuillets T4A destinés aux travailleurs. Par erreur, Ceridian a délivré des feuillets T4 (pour un revenu d’emploi) aux travailleurs, plutôt que des feuillets T4A (pour le revenu d’autres sources). Voilà comment l’affaire a attiré l’attention de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). L’erreur commise par Ceridian a été expliquée à l’ARC, mais cette dernière a quand même mené un examen même s’il n’y avait jamais eu de différend entre les travailleurs et l’appelante concernant la nature de leur relation. À la connaissance de M. Christodoulopoulos, aucun des travailleurs n’a présenté de demande d’assurance‑emploi et aucun n’a demandé la détermination de son assurabilité.

[8]             Selon les explications de M. Christodoulopoulos, lorsque les travailleurs sont embauchés, on leur explique qu’ils sont des entrepreneurs indépendants. On ne s’attend pas à ce qu’ils se présentent dans les locaux commerciaux de l’appelante, sauf pour venir chercher le liquide pour le traitement des taches et la crème pour le traitement du cuir qui sont fournis exclusivement par Magie Seal, ou pour présenter les bons de travail exécutés afin d’être payés. Les travailleurs ne disposent d’aucun espace de bureau dans les locaux de l’appelante. L’appelante fournit un pulvérisateur qui peut produire une certaine pression pour appliquer le liquide antitache. Toutefois, les travailleurs doivent fournir tout le reste en ce concerne l’équipement et les instruments de travail. Ils doivent fournir leur propre véhicule à moteur et payer leurs propres frais d’utilisation de leur automobile, comme l’essence, les réparations, le prix d’achat, les assurances et ainsi de suite. Les travailleurs fournissent également un télécopieur ou un ordinateur pour recevoir les bons de travail, un bureau à domicile s’ils en ressentent le besoin et des chiffons pour appliquer la crème pour le traitement du cuir. Même si l’appelante fournit une pompe à pulvériser spécialisée, des travailleurs se rendent chez Canadian Tire pour acheter une pompe à pulvériser manuelle pour appliquer le liquide, mais l’application prend plus de temps. Certains l’utilisent également cette pompe à pulvériser manuelle comme outil de rechange en cas de problème avec le pulvérisateur fourni par Magie Seal. M. Christodoulopoulos a dit qu’il savait qu’un travailleur utilisait uniquement une pompe à pulvériser manuelle, et non la pompe de Magie Seal. Si la pompe à pulvériser fournie par Magie Seal est perdue ou endommagée, il incombe aux travailleurs de la remplacer ou de la réparer.

[9]             Les travailleurs doivent accomplir le travail lorsque cela leur convient, selon leur propre horaire et sous leur propre contrôle. Ils décident du nombre de rendez‑vous auxquels ils veulent se rendre et du nombre de jours où ils veulent travailler. Certains travailleurs embauchent d’autres personnes pour les aider à accomplir le travail. Pour certains autres, leur conjoint les aidera à établir leur horaire. Les travailleurs peuvent faire ce qu’ils veulent pour autant que le travail soit accompli.

[10]        Un véhicule est nécessaire. Sans véhicule, le travailleur ne peut travailler. Si un véhicule tombe en panne, souvent le travailleur louera un véhicule de remplacement. L’appelante ne paie pas pour les assistants qu’un travailleur peut embaucher. Il appartient au travailleur de décider l’ordre dans lequel les acheteurs reçoivent le service et l’itinéraire suivi. Si un travailleur endommage un bien appartenant à un acheteur, par exemple s’il brise une lampe ou endommage le plancher en déplaçant des meubles, il en est tenu responsable. Si l’application du traitement n’est pas faite de façon appropriée, le travailleur est alors responsable de veiller à ce que le travail soit bien fait.

[11]        Le traitement n’est pas facturé à l’acheteur. L’acheteur paie le magasin de meubles pour le traitement, puis le magasin engage l’appelante pour accomplir le travail. L’appelante donne ensuite le travail en sous-traitance au travailleur. La seule chose que fait l’appelante est de veiller à ce que le travail soit accompli. L’appelante n’exerce pas de supervision sur le terrain concernant la façon dont le travail est exécuté. La seule préoccupation de l’appelante est que le travail soit fait de façon satisfaisante et, s’il ne l’est pas, il incombe alors au travailleur de l’accomplir de façon satisfaisante. Le travailleur ne fait pas l’objet d’une évaluation ou d’une évaluation de rendement. Le travailleur ne remplit pas de feuille de temps ni ne rend autrement compte de son temps. La seule formation consiste à montrer au travailleur le fonctionnement du pulvérisateur et la façon d’appliquer le liquide. Le travailleur agit ensuite de façon autonome. Certains travailleurs demandent à une personne de leur servir de chauffeur. M. Christodoulopoulos a déclaré dans son témoignage qu’un travailleur avait perdu son permis de conduire et que son père lui servait de chauffeur pour veiller à ce qu’il gagne un revenu. Le travailleur a le droit de refuser du travail. Les travailleurs sont en mesure de déterminer les moments où ils souhaitent travailler. Certains travailleurs ne travailleront que certains jours de la semaine et ce choix leur appartient. Ce n’est pas le choix de l’appelante. Les travailleurs sont payés à la pièce. Le montant versé est habituellement un montant standard, mais ce montant fait assez souvent l’objet de négociations entre le travailleur et l’appelante, plus particulièrement dans les cas où les travailleurs doivent parcourir une assez grande distance pour se rendre chez un acheteur. Le travailleur peut même négocier avec l’acheteur l’application du traitement à d’autres meubles que l’acheteur peut vouloir faire traiter. Les travailleurs peuvent modifier les rendez-vous fixés directement avec les clients sans communiquer avec l’appelante.

[12]        Le travailleur décide du moment où il prend ses vacances et la durée de celles‑ci. Il n’y a aucune paie de vacances, aucun avantage, aucune retenue à la source comme les retenues pour l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada (le « RPC ») et l’assurance‑emploi (l’« AE »). Il n’y a aucune garantie de travail et il n’y a aucune garantie de revenu minimum. Si le travail n’est pas accompli pour quelque raison que ce soit, y compris l’absence de l’acheteur, le travailleur n’est pas payé. Chaque travailleur peut lui-même décider du nombre de traitements qu’il est disposé à appliquer chaque jour. Il n’y a pas d’exclusivité des services. L’appelante ne fournit aucune assurance responsabilité pour les travailleurs. Elle ne dit pas au travailleur comment accomplir le travail, à quel moment le faire ou à quelle heure l’accomplir. Selon M. Christodoulopoulos, son rôle consiste à obtenir du travail pour les travailleurs; les travailleurs contrôlent tout le reste.

[13]        Lors de son contre‑interrogatoire, M. Christodoulopoulos a clairement déclaré que, si un acheteur avait un problème, ce dernier appellerait l’appelante pour le faire corriger. Si le problème concernait une tache, il s’agissait alors d’un problème concernant le produit et l’appelante en était responsable. Si le problème concernait l’application du produit, le travailleur en était responsable. Si un travailleur exécute d’autres services pour un acheteur, le travailleur est libre de négocier le prix du contrat pour le service supplémentaire, mais il y a un seuil sous lequel il ne peut fixer un prix, étant donné qu’il est clair que cela ne serait pas rentable ni pour l’appelante ni pour le travailleur. De même, la fixation d’un prix trop faible nuirait aux relations commerciales avec les magasins de meubles. Il reconnaît que les travailleurs n’achètent pas le liquide ou la crème pour le cuir, que ces produits leur sont fournis. Si un travailleur se présente à la résidence d’un acheteur et que l’acheteur est absent, le travailleur laisse une note ou une carte en donnant comme instruction d’appeler Magie Seal pour fixer un nouveau rendez‑vous.

[14]        Martin Labelle est l’un des travailleurs de même que l’un des intervenants. Il accomplit ce travail depuis neuf ans. Il ne se considère pas comme un employé de l’appelante. Il se considère comme un entrepreneur indépendant. Ses services ont été retenus à ce titre et un territoire de service lui a été attribué. Il assume toutes les dépenses engagées pour accomplir son travail, comme les frais d’automobile, l’essence, les assurances, les réparations. Lorsqu’il établit ses déclarations de revenus, il déduit ces dépenses de son revenu. Il soutient que s’il est décidé qu’il doit travailler en qualité d’employé, il cessera d’exécuter ce travail parce que celui‑ci ne serait plus rentable pour lui. Il a également la liberté d’occuper d’autres emplois ou d’avoir d’autres sources de revenus. Il fixe ses propres heures et, dans le passé, il a accompli le travail en soirée par souci de commodité pour l’acheteur. Même s’il dispose de son propre territoire, il accomplit souvent du travail dans d’autres secteurs lorsque cela est nécessaire et s’il accepte de le faire, ce qui lui permet de réaliser des profits. Dans un tel cas, il négocie un taux de rémunération plus élevé. Pour fournir ses services dans son territoire, il fait de nombreux déplacements. Plus la distance est grande, plus élevé est le paiement demandé et il négocie le montant avec l’appelante. Il utilise la pompe fournie par Magie Seal, mais il a toujours dans son véhicule sa propre pompe comme pompe de rechange. Il possède ses propres instruments de travail avec lesquels le réparer les pulvérisateurs au besoin. S’il perd la pompe fournie par Magie Seal ou si celle-ci est détruite, il lui incombe de la remplacer. Il a souscrit une assurance en cas d’un tel événement. Lorsqu’il produit ses déclarations de revenus, il les produit en qualité d’entrepreneur indépendant, non comme employé, et il déduit toutes les dépenses, y compris tous les frais de bureau à domicile, les frais de repas lorsqu’il se déplace, ainsi que les frais de télécopieur, d’ordinateur et d’Internet. Il offre et fournit aussi à l’acheteur des traitements supplémentaires pour les tissus et le cuir, à un prix qu’il négocie avec l’acheteur. Ce prix est partagé avec l’appelante. Il est celui qui décide de l’itinéraire à suivre au cours d’une journée et de l’ordre dans lequel les clients seront servis. Il est tout à fait libre de refuser du travail pour quelque raison que ce soit. Il n’est ni supervisé ni évalué. Il affirme qu’il est libre d’engager une autre personne pour accomplir le travail ou pour l’aider. Son père a agi comme chauffeur pendant une courte période. Il prend des vacances à son gré et pour la durée qu’il désire. Il ne porte pas d’uniforme ni de chemise de Magie Seal.

[15]        Marie-Josée Simard est agente des appels à l’ARC. Elle a examiné l’affaire après le dépôt de l’avis d’opposition déposé par l’appelante. Elle a rédigé un rapport sur un appel (formulaire CPT110) (pièce I‑1) qui énonce les motifs de sa décision et ses recommandations. Essentiellement, ce rapport se passe de commentaires. Il ressort clairement de son rapport que, même si l’appelante fournissait un pulvérisateur, tous les travailleurs interrogés ont déclaré qu’ils utilisaient leur propre pulvérisateur et qu’ils n’utilisaient pas celui fourni par l’appelante. Mme Simard a fondé sa décision presque entièrement sur le fait qu’elle croyait que l’appelante exerçait son pouvoir de direction ou de contrôle sur le travail des travailleurs et que les travailleurs avaient un lien de subordination avec l’appelante.

[16]        Lors de son contre-interrogatoire, Mme Simard a convenu qu’il était clair que le lien qui existait entre le magasin de meubles et l’appelante n’était pas du tout différent du lien qui existait entre l’appelante et les travailleurs, bien que l’appelante ne fût pas l’employée des magasins de meubles. Elle a convenu que l’acheteur était un client du magasin de meubles et n’était ni un client de l’appelante ni un client des travailleurs. Outre la subordination et le contrôle, un des facteurs que Mme Simard a pris en compte est le facteur de l’intégration des travailleurs dans l’entreprise de l’appelante. Ce facteur n’était toutefois pas mentionné dans son rapport CPT110. Elle a convenu que les techniciens négociaient en effet des frais ou un tarif dans les cas où ils devaient parcourir une assez grande distance pour se rendre chez le client. Elle a convenu qu’il n’y avait jamais eu de litige entre les travailleurs et l’appelante concernant la nature du lien et qu’aucun travailleur n’avait jamais demandé de déterminer s’il exerçait un emploi assurable. Elle a convenu qu’il ressortait clairement de l’intention des parties que celles-ci considéraient la relation comme une relation d’entrepreneur indépendant, non une relation employeur‑employé. En effet, tous les travailleurs interrogés avaient cette opinion.

La thèse des parties

[17]        L’appelante soutient que l’intention commune des parties est un facteur déterminant et qu’en l’espèce, il est manifeste que l’appelante et les travailleurs considéraient leur relation comme une relation d’entrepreneur indépendant. Cette relation n’a jamais été contestée. De plus, l’appelante n’exerçait aucun pouvoir de supervision ou de contrôle sur la manière dont les travailleurs accomplissaient leur travail. Il y avait une absence de lien de subordination et de contrôle.

[18]        L’appelante soutient par conséquent que l’appel devrait être accueilli.

[19]        L’intimé fait valoir que les travailleurs exerçaient un emploi assurable suivant l’alinéa 5(1)a) de la LAE parce qu’ils travaillaient aux termes d’un contrat de louage de services ou qu’ils étaient des employés de l’appelante. Il en est ainsi parce que les travailleurs avaient un lien de subordination avec l’appelante et que celle-ci exerçait un pouvoir de direction et de contrôle sur le travail accompli par les travailleurs.

[20]        L’intimé soutient donc que l’appel devrait être rejeté.

Analyse

[21]        Il n’est pas nécessaire d’énoncer les dispositions pertinentes de la LAE, puisqu’il est clair que, si les travailleurs sont des employés, ils exercent alors un emploi assurable et que, s’ils sont des entrepreneurs indépendants, ils n’exercent pas un emploi assurable au sens du paragraphe 5(1) de la LAE.

[22]        La présente affaire a pris naissance dans la province de Québec. Au Québec, le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (le « C.C.Q. ») détermine les règles applicables à un contrat conclu au Québec. En conséquence, la détermination de la question de savoir si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant doit être analysée du point de vue du droit civil du Québec. Au Québec, le « contrat de travail » comporte trois éléments constitutifs caractéristiques : 1) l’exécution du travail; 2) la rémunération; 3) un lien de subordination. Les deux premiers éléments font rarement l’objet d’une contestation. En l’espèce, comme dans presque tous les cas, l’élément de subordination est en cause en l’espèce.

[23]        Le droit civil et la common law abordent la question en cause ici de deux points de vue différents. Il va sans dire que, puisque l’affaire a pris naissance dans la province de Québec, le droit civil de cette province s’applique. Cela ne veut toutefois pas dire que les règles de common law appliquées dans le reste du Canada pour déterminer l’existence d’une relation employeur‑employé doivent être complètement ignorées. En effet, les règles de la common law fournissent des indicateurs très utiles quant à la question de savoir si un lien de subordination existe ou non dans les faits. Néanmoins, en dernière analyse, c’est le C.C.Q. qui fait de « la direction ou le contrôle » l’objet même de l’exercice et donc cet élément est beaucoup plus qu’un simple indice de la relation (voir l’arrêt 9041‑6868 Québec Inc. c. M.R.N, 2005 CAF 334, [2005] A.C.F. no 1720 (QL), au paragraphe 12).

[24]        En ce qui a trait aux contrats, les dispositions pertinentes du C.C.Q. sont les suivantes :

1425.      Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426.      On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

[25]        L’article 2085 du C.C.Q. définit ainsi le contrat de travail :

2085.   Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

[Non souligné dans l’original.]

[26]        Les articles 2098 et 2099 du C.C.Q. définissent ainsi le contrat d’entreprise ou de service :

2098.      Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2099.      L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[Non souligné dans l’original.]

[27]        Dans l’arrêt Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, [2009] 4 R.C.F. 592, le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale devait examiner l’interaction entre la common law et le droit civil du Québec pour se prononcer sur la question de savoir s’il existait ou non un contrat de travail ou un contrat d’entreprise. La cour a statué que le droit civil du Québec définit les éléments requis pour l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat d’entreprise. Pour sa part, la common law énumère plutôt des facteurs ou critères qui, si présents, peuvent servir à déterminer l’existence ou non d’une telle relation. Le contrat de travail se caractérise par l’exercice d’un contrôle sur l’exécution du travail par l’employeur. Il ne faut toutefois pas confondre ce contrôle avec celui de la qualité et du résultat. Dans le cas d’un entrepreneur indépendant, l’entrepreneur doit avoir le libre choix des moyens d’exécution du contrat. En droit civil québécois, la notion de contrôle est plus qu’un critère dont il faut tenir compte, comme c’est le cas en common law, elle est une caractéristique essentielle du contrat de travail. Le juge Létourneau a déclaré ce qui suit au paragraphe 43 :

En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi‑disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour l’existence d’un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise.

[Non souligné dans l’original.]

[28]        La Cour d’appel fédérale a repris cette notion dans l’arrêt NCJ Educational Services Limited c. M.R.N., 2009 CAF 131, [2009] A.C.F. no 507 (QL). La juge Desjardins a fait observer ce qui suit :

[58]      Bien que le critère du contrôle et la présence ou l’absence de lien de subordination constituent les éléments caractéristiques du contrat de travail, la multiplication des situations factuelles a contraint les tribunaux à élaborer des indices d’analyse dans leur recherche de la véritable nature d’une relation déterminée.

[59]      Dans l’édition la plus récente de l’ouvrage de Robert Gagnon (6e édition, mise à jour par Langlois Kronström Desjardins, sous la direction de Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche), les indices suivants (ci-après soulignés) ont été ajoutés à ceux que l’on trouvait dans la 5édition. Ces nouveaux indices sont les mêmes que ceux qui avaient été élaborés dans l’arrêt Montreal Locomotive Works et que notre Cour avait appliqués dans l’arrêt Wiebe Door.

92 – Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilités de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

[29]        Dans une décision bien motivée, Promotions C.D. Inc. c. M.R.N, 2008 CCI 216, [2008] A.C.I. no 321 (QL), le juge Bédard, mon collègue de la Cour canadienne de l’impôt, fournit une feuille de route merveilleusement simple et facile à suivre concernant la manière d’aborder la question en l’espèce plaidée conformément au C.C.Q. (aux paragraphes 12 et 13) :

[12]      On peut dire que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d’un contrat de travail est l’absence, dans le premier cas, d’un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l’employeur de diriger et de contrôler l’employé. Il faut donc déterminer en l’espèce s’il y avait ou non un lien de subordination entre l’appelante et les travailleurs.

[13]      L’appelante a le fardeau de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des faits en litige pour établir son droit à l’annulation des décisions du ministre. Elle doit prouver le contrat que les parties ont conclu et établir leur intention commune quant à la nature de ce contrat. S’il n’y a pas de preuve directe de cette intention, l’appelante peut avoir recours à des indices conformément au contrat qui avait été convenu et aux dispositions du Code civil qui le régissaient. L’appelante devra en l’espèce prouver l’absence d’un lien de subordination si elle veut établir l’inexistence d’un contrat de travail et, pour ce faire, elle peut utiliser, si nécessaire, des indices d’autonomie tels que ceux qui ont été énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, précité, soit la propriété des outils ainsi que le risque de perte et la possibilité de profit. Je suis d’avis toutefois que, contrairement à l’approche qui a cours en common law, une fois qu’un juge est en mesure de conclure à l’absence d’un lien de subordination, son analyse s’arrête là pour déterminer s’il s’agit d’un contrat de service. Il n’est pas nécessaire de considérer la pertinence de la propriété des outils ainsi que le risque de perte ou la possibilité de profit, puisqu’en vertu du Code civil, l’absence du lien de subordination constitue le seul élément constitutif du contrat de service qui le distingue du contrat de travail. Les éléments tels la propriété des outils et les risques de perte ou la possibilité de profit ne sont pas des éléments essentiels à un contrat de service. Par contre, l’absence d’un lien de subordination est un élément essentiel. À l’égard des deux formes de contrat, il faut décider s’il existe ou non un lien de subordination. Évidemment, le fait que le travailleur se comportait comme un entrepreneur pourrait être un indice de l’absence de lien de subordination.

[14]      En dernier ressort, c’est habituellement sur la base des faits révélés par la preuve au sujet de l’exécution du contrat qu’une décision devra être rendue par la Cour, et cela, même si l’intention manifestée par les parties indique le contraire. Si la preuve au sujet de l’exécution du contrat n’est pas concluante, une décision peut quand même être rendue selon l’intention des parties et la façon dont elles ont décrit le contrat, si la preuve est probante sur ces questions. Si cette preuve non plus n’est pas concluante, alors la sanction sera le rejet de l’appel de l’appelante pour cause de preuve insuffisante.

[15]      La question consiste alors à déterminer si, en l’espèce, les travailleurs travaillaient sous le contrôle ou la direction de l’appelante ou encore si l’appelante pouvait ou était en droit de contrôler ou de diriger les travailleurs.

[30]        Le juge Bédard a par la suite déclaré que, même si les parties contractantes manifestent clairement, librement et en toute connaissance de cause leur intention, cela ne signifie pas que leur intention est décisive. Le contrat doit également avoir été exécuté d’une manière compatible avec cette intention. Ce n’est pas parce que les parties ont stipulé que le travail sera exécuté par un entrepreneur indépendant qu’il n’existe pas de relation employeur-employé. Le tribunal doit vérifier si la relation contractuelle correspond à la réalité.

[31]        En common law, toute analyse de la question de savoir si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant doit commencer avec l’arrêt de principe Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., [1986] 2 C.T.C. 200 (C.A.F.), de la Cour d’appel fédérale. S’exprimant au nom de la cour, le juge MacGuigan a adopté le critère à quatre volets que lord Wright a énoncé dans l’arrêt Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161, le décrivant comme « une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [traduction] “examiner l’ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties”. » Ce critère à quatre volets comporte la prise en compte des éléments suivants : (1) le contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) la possibilité de profit; (4) le risque de perte. En common law, aucun de ces éléments n’est déterminant en lui‑même. Pour se prononcer sur la question, le tribunal du procès doit combiner et intégrer les quatre éléments du critère afin d’interpréter l’ensemble de la transaction. Le juge MacGuigan a également déclaré que le « critère d’organisation » ou le « critère d’intégration », c’est-à-dire la mesure dans laquelle le travailleur est une partie intégrante de l’entreprise de l’employeur, peut également être utile. La véritable question est de savoir si oui ou non le travailleur s’est engagé à exécuter des services en tant que personne dans les affaires pour son compte.

[32]        Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983, le juge Major de la Cour suprême du Canada a statué qu’en common law, la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant était le contrôle exercé par l’employeur sur l’employé. Le contrôle n’est toutefois pas le seul élément à considérer pour décider si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Le juge Major était d’avis qu’il n’existe pas un seul critère décisif qui peut être appliqué de façon universelle pour se prononcer sur la question de savoir si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Il a déclaré ce qui suit aux paragraphes 47 et 48 :

47.       Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

48.       Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

[33]        L’arrêt Wolf c. R., 2002 CAF 96, [2002] 4 C.F. 396, est une affaire qui a pris naissance au Québec, mais qui a été appliquée dans les provinces de common law. M. Wolf était un citoyen des États-Unis qui travaillait à titre d’ingénieur consultant au Québec. Il a voulu déduire des frais de logement et de déplacement à titre de dépenses d’entreprise, ce qu’il pouvait faire s’il était un entrepreneur indépendant, mais non un employé. Lors de l’instruction, la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il n’était pas un entrepreneur indépendant et que les dépenses d’entreprise avaient été refusées à juste titre. Le contribuable a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale. L’appel a été accueilli par décision unanime des trois juges d’appel, mais pour des motifs quelque peu différents. La juge Desjardins a appliqué les dispositions pertinentes du C.C.Q., de même que les critères de la common law. Elle a examiné le degré de contrôle que l’employeur exerçait sur les activités du travailleur, la propriété du matériel nécessaire pour exécuter le travail, si le travailleur engageait ses propres assistants, et le degré de risque financier et de profit dans la mesure où il concerne la situation d’une personne dotée de compétences spécialisées. Le juge Noël était d’avis qu’il s’agissait d’un cas où la qualification que les parties avaient donnée à leur relation devait se voir accorder un grand poids, même si cela n’était pas déterminant. Le juge Noël était toutefois d’avis que dans une issue serrée comme dans cette affaire, où les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté. Le juge Décary était également d’avis que l’intention contractuelle constituait un facteur important auquel un poids important devait être accordé. Il a déclaré ce qui suit :

117.          Le critère consiste donc à se demander, en examinant l’ensemble de la relation entre les parties, s’il y a un contrôle d’un côté et une subordination de l’autre. Je déclare, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l’essence d’une relation contractuelle, à savoir l’intention des parties. L’article 1425 du Code civil du Québec établit le principe selon lequel « on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés ». L’article 1426 du Code civil du Québec poursuit en disant : « on tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages ».

118.          Nous sommes en présence ici d’un type de travailleur qui a choisi d’offrir ses services à titre d’entrepreneur indépendant et non pas d’employé et d’un type d’entreprise qui choisit des entrepreneurs indépendants au lieu de prendre des employés. Le travailleur sacrifie délibérément sa sécurité d’emploi en échange de la liberté [traduction] « le salaire était beaucoup plus élevé, il n’y avait pas de sécurité d’emploi, pas d’avantages sociaux comme ceux que touche l’employé, par exemple l’assurance-maladie, la retraite, des choses de ce genre... » (témoignage de M. Wolf, Dossier d’appel, vol. 2, page 24). La société qui embauchait utilise délibérément des entrepreneurs indépendants pour effectuer un certain travail à un certain moment [traduction] (« Le salaire est plus élevé avec une sécurité d’emploi moindre, parce que les consultants sont engagés pour combler les besoins lorsque l’emploi local ou la charge de travail sont anormalement élevés, ou quand l’entreprise ne veut pas engager d’autres employés et les mettre à pied ensuite. Ils engageront des consultants parce qu’ils peuvent mettre fin à leur contrat en tout temps sans avoir de responsabilités à leur égard » (ibid., page 26). La société qui embauche ne traite pas ses consultants, dans son exploitation quotidienne, de la même manière qu’elle traite ses employés (voir par. 68 des motifs de Madame le juge Desjardins). Toute la relation de travail commence et se maintient selon le principe voulant qu’il n’y a pas de contrôle ou de subordination.

119.          […] Lorsqu’un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu’il est exécuté comme tel, l’intention commune des parties est claire et l’examen devrait s’arrêter là. […]

120.          De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l’embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n’est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l’on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d’emploi, le peu d’égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

Ainsi, il est clair que l’intention commune des parties, si elle peut être vérifiée, est très importante pour déterminer l’existence d’une relation employeur‑employé ou d’entrepreneur indépendant.

[34]        Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, [2007] 1 R.C.F. 35, la Cour d’appel fédérale a de nouveau été influencée par l’intention commune des parties. La Cour d’appel était d’avis que les danseurs engagés par le Royal Winnipeg Ballet étaient des entrepreneurs indépendants plutôt que des employés. La juge Sharlow était d’avis que le juge de première instance avait commis une erreur en n’examinant pas l’intention des parties. Les parties n’avaient pas l’intention que le contrat donne lieu à une relation employeur‑employé. La juge Sharlow a retracé l’historique de la jurisprudence depuis l’arrêt Wiebe Door :

60.       […] Un de ces principes veut que, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. Un autre principe est que, pour interpréter un contrat, il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que lui ont déjà donnée les parties ou d’autres personnes, ainsi que de l’usage. La conclusion inévitable est qu’il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée.

61.       Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

[…]

64.              Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

[35]        Dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (s/n Connor Homes) c. M.R.N., 2013 CAF 85, [2013] A.C.F. no 327 (QL), la payeuse gérait des foyers d’accueil et des foyers collectifs où elle fournissait des services à des enfants atteints de troubles graves de comportement et de développement. Les travailleuses assuraient la prestation des soins et l’une d’entre elles était surveillante de secteur. Le ministre avait décidé que les travailleuses occupaient un emploi assurable et ouvrant à pension au titre de l’AE et du RPC. Les travailleuses ont interjeté appel de cette décision à la Cour canadienne de l’impôt, qui a rejeté l’appel. Les travailleuses ont à nouveau interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale. Le juge Mainville a examiné le critère servant à établir si un travailleur était un employé ou un entrepreneur indépendant :

23.       La question fondamentale à laquelle il faut répondre pour déterminer si une personne donnée travaille comme employé ou comme entrepreneur indépendant est trompeusement simple : il s’agit de savoir si elle assure les services en question en tant que personne travaillant à son compte; voir 1671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2011 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983 (Sagaz), paragraphe 47.

[…]

29.       […] Les facteurs à prendre en considération peuvent donc varier selon les faits de l’espèce, et la liste doit en rester ouverte. Néanmoins, certains facteurs sont habituellement pertinents, à savoir le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit son propre outillage, s’il engage lui‑même ses assistants, s’il gère et assume des risques financiers, et s’il peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

[…]

33.       Par conséquent, la jurisprudence de Royal Winnipeg Ballet enseigne que le premier point à prendre en considération est celui de savoir s’il y a chez les parties une entente ou une intention commune touchant leur relation. Lorsque l’on constate une telle intention commune, qu’elle soit d’établir une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé, il convient d’appliquer le critère consacré par la jurisprudence Wiebe Door en examinant les facteurs voulus à la lumière de cette intention afin d’établir si, tout bien pesé, les faits pertinents cadrent avec celle‑ci et la confirment. […]

[…]

38.              C’est pourquoi les arrêts Wolf et Royal Winnipeg Ballet exposent une méthode en deux étapes pour l’examen de la question centrale, telle que l’ont définie les arrêts Sagaz et Wiebe Door, qui est d’établir si l’intéressé assure, ou non, les services en tant que personne travaillant à son compte.

39.              La première étape consiste à établir l’intention subjective de chacune des parties à la relation. On peut le faire soit d’après le contrat écrit qu’elles ont passé, soit d’après le comportement effectif de chacune d’elles, par exemple en examinant les factures des services rendus, et les points de savoir si la personne physique intéressée s’est enregistrée aux fins de la TPS et produit des déclarations d’impôt en tant que travailleur autonome.

40.              La seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. Comme le rappelait la juge Sharlow au paragraphe 9 de l’arrêt TBT Personnel Services Inc. c. Canada, 2011 CAF 256, 422 N.R. 366, « il est également nécessaire d’examiner les facteurs exposés dans Wiebe Door afin de déterminer si les faits concordent avec l’intention déclarée des parties ». Autrement dit, l’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs. À cette seconde étape, on peut aussi prendre en considération l’intention des parties, ainsi que les modalités du contrat, puisqu’elles influent sur leurs rapports. Ainsi qu’il est expliqué au paragraphe 64 de l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, les facteurs applicables doivent être examinés « à la lumière de » l’intention des parties. Cela dit, cependant, la seconde étape est une analyse des faits pertinents aux fins d’établir si le critère des arrêts Wiebe Door et de Sagaz est, ou non, rempli, c’est‑à‑dire si la relation qu’ont nouée les parties est, sur le plan juridique, une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé.

41.              La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour assurer les services le fait, concrètement, en tant que personne travaillant à son compte. Comme l’expliquent aussi bien les arrêts Wiebe Door que Sagaz, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et il n’y a pas de formule fixe qu’on puisse appliquer, dans l’examen qui permet de répondre à cette question. Les facteurs à prendre en considération varient donc selon les faits de l’espèce. Néanmoins, les facteurs que spécifient les arrêts Wiebe Door et Sagaz sont habituellement pertinents, ces facteurs étant le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit lui‑même son outillage, engage ses assistants, gère et assume des risques financiers, et peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

Après avoir exposé ce bref examen de la jurisprudence à la fois en droit civil et en common law, j’examinerai maintenant les différents facteurs.

A. L’intention commune des parties

[36]        Il s’agit d’un facteur très important. Les travailleurs n’avaient pas de contrat de travail écrit avec l’appelante. Il était toutefois bien entendu entre les travailleurs et l’appelante que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants. Personne, même Mme Simard de l’ARC, ne conteste qu’il s’agissait là de l’intention commune des parties. Tous les travailleurs interrogés se considéraient comme des entrepreneurs indépendants.

[37]        En outre, les parties avaient assurément des rapports quotidiens comme si les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants plutôt que des employés. Certains travailleurs exerçaient leurs activités sous leur propre nom commercial et d’autres se sont même constitués en société. Les travailleurs assumaient toutes les dépenses liées à l’exécution de leur travail. Ils étaient libres de refuser du travail. Il n’y avait pas de retenues à la source pour l’impôt, le RPC ou l’AE. Il n’y avait aucun avantage, comme les frais médicaux, les frais dentaires, etc., et il n’y avait pas de régime de retraite. Il n’y avait pas de congés rémunérés, et les travailleurs n’étaient pas payés les jours fériés. Les travailleurs pouvaient décider du moment où ils prenaient des vacances et la durée de celles‑ci. Les travailleurs produisaient leurs déclarations de revenus et déclaraient leur revenu comme un revenu d’entreprise et ils déduisaient des dépenses d’entreprise de ce revenu. Les travailleurs qui gagnaient un revenu suffisant étaient inscrits aux fins de la TPS et de la TVQ en vertu de la Loi sur la taxe d’accise et facturaient la TPS et la TVQ pour leurs services.

[38]        La nature du contrat, les circonstances dans lesquelles il a été conclu, l’interprétation qu’y donnent les parties et l’usage m’amènent tous à tirer la conclusion inévitable que les parties percevaient très certainement leur relation comme une relation d’entrepreneur indépendant plutôt que comme une relation d’employeur‑employé. Je conclus que les travailleurs et l’appelante comprenaient que les travailleurs étaient engagés à titre d’entrepreneurs indépendants et non pas à titre d’employés de l’appelante et que c’était leur intention réciproque.

B. La subordination

[39]        En droit civil, la subordination est le facteur le plus important et le plus décisif. Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les travailleurs étaient des travailleurs autonomes parce qu’il n’y avait pas de lien de subordination entre l’appelante et les travailleurs au sens de l’article 2099 du C.C.Q. Je suis également convaincu que l’appelante n’exerçait pas sur le travail des travailleurs le degré de direction ou de contrôle qui serait nécessaire pour qualifier leur relation de contrat de travail suivant l’article 2085 du C.C.Q. Un examen des facteurs reconnus en common law le justifie assurément.

(i) Le contrôle ou la direction

[40]        Je suis d’avis que l’appelante exerçait très peu de contrôle ou de direction sur la manière dont les travailleurs exécutaient leur travail.

[41]        Les travailleurs sont libres de refuser tout travail à faire. Les travailleurs ne disposaient d’aucun espace de bureau dans les locaux commerciaux de l’appelante et ils n’étaient pas obligés de s’y présenter sauf pour aller chercher le liquide de protection antitache et la crème pour le traitement du cuir. Lorsqu’ils étaient sur le terrain, les travailleurs ne faisaient jamais l’objet d’une supervision. Ils étaient libres d’organiser leur journée de travail à leur gré. Ils n’avaient pas d’horaire fixe et ils pouvaient fixer avec les acheteurs d’autres rendez‑vous pour l’application du traitement. Les travailleurs pouvaient exécuter le travail eux‑mêmes ou ils pouvaient engager d’autres personnes pour le faire à leur place ou pour les aider, par exemple en leur servant de chauffeur. Même si les travailleurs recevaient un prix standard suivant la taille et le type de meubles à traiter, ils étaient libres de négocier un prix plus élevé et le faisaient souvent s’ils devaient parcourir une grande distance pour offrir leurs services à un acheteur. Les travailleurs étaient libres d’exécuter des traitements supplémentaires pour les acheteurs, sans la permission de l’appelante. Toutefois, le prix négocié pour ces traitements supplémentaires ne pouvait pas être si faible au point de nuire aux intérêts commerciaux de l’appelante ou à sa relation avec les magasins de meubles. Les travailleurs n’étaient payés qu’une fois le travail exécuté. Si un travailleur se rendait à la résidence d’un acheteur pour appliquer un traitement et que l’acheteur était absent, de sorte que l’application ne pouvait être faite, le travailleur n’était pas payé pour le temps perdu.

[42]        Les travailleurs ne faisaient l’objet d’aucune évaluation de rendement. La seule préoccupation de l’appelante était la bonne application du traitement. Autrement dit, c’étaient les résultats qui étaient importants, et non les moyens pour exécuter le travail. Dans l’arrêt Charbonneau c. M.R.N., [1996] A.C.F. no 1337 (QL), la Cour d’appel fédérale a statué qu’il ne fallait pas confondre le contrôle du résultat du travail et le contrôle du travailleur.

[43]        À mon avis, ce facteur établit que l’appelante exerçait peu de contrôle sur le travail exécuté par les travailleurs. L’examen de ce facteur révèle que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants et va à l’encontre d’une relation employeur‑employé.

(ii) Le matériel et les instruments de travail

[44]        Le matériel et les instruments de travail constituent également un facteur important pour déterminer si les travailleurs avaient un lien de subordination avec l’appelante. Il est vrai que l’appelante était le fournisseur exclusif du liquide antitache et de la crème pour le traitement du cuir. L’intimé soutient qu’il s’agit d’un indice de subordination. Toutefois, il faut souligner que l’acheteur avait conclu un marché pour obtenir le traitement Magie Seal et non un autre produit. L’intimé soutient également que l’appelante fournissait une pompe à pulvériser pouvant produire une certaine pression pour l’application du traitement avec le liquide. Toutefois, aucun des travailleurs interrogés n’utilisait cette pompe. Ils utilisaient tous leur propre pompe pour appliquer le traitement ou comme pompe de rechange. L’intimé fait valoir que ces instruments de travail sont un indice convaincant d’un lien de subordination puisque l’appelante les fournissait. Il ressort cependant clairement de la preuve que j’ai entendue que l’instrument de travail le plus important et le plus coûteux était le véhicule à moteur que le travailleur devait fournir. Le travailleur devait assumer toutes les dépenses liées au fonctionnement de son véhicule à moteur et il n’était pas remboursé pour ses dépenses. Il devait soit avoir un télécopieur, soit un ordinateur pour recevoir les bons de travail de la part de l’appelante, et ce, à ses frais. Le travailleur devait également fournir son propre bureau à domicile. Il était tenu de réparer la pompe fournie par Magie Seal ou la remplacer en cas de perte ou de bris. Dans les faits, le travailleur achetait tout simplement sa propre pompe à pulvériser chez Canadian Tire ou dans une autre quincaillerie.

[45]        Essentiellement, les seuls instruments de travail que l’appelante fournissait étaient le produit à pulvériser et la crème pour le cuir. Les travailleurs devaient fournir tout le reste. Même si le liquide et la crème sont importants, l’instrument de travail le plus important et vraisemblablement le plus coûteux était le véhicule que les travailleurs devaient fournir eux-mêmes.

[46]        L’examen du matériel et des instruments de travail donne à penser que la relation qui existait entre l’appelante et les travailleurs était une relation d’entrepreneur indépendant et tend à aller à l’encontre de l’existence d’un lien de subordination.

(iii) L’embauche d’assistants

[47]        Les travailleurs pouvaient, à leur entière discrétion, engager qui ils voulaient soit pour accomplir le travail pour eux, soit pour les aider. En guise d’exemples fournis, l’épouse d’un travailleur l’aidait à établir son horaire et le père d’un autre travailleur conduisait son véhicule pour lui. Je suis d’avis que la capacité d’embaucher des assistants sans intervention de la part de l’appelante est un indice solide que la relation est une relation d’entrepreneur indépendant plutôt qu’une relation employeur-employé (voir la décision Malleau c. M.R.N., 2013 CCI 47, [2013] A.C.I. no 45 (QL).

(iv) Le risque financier

[48]        Il est préférable de traiter de ce facteur dans l’examen du facteur de la possibilité de profit et du risque de perte.

(v) L’investissement et la gestion

[49]        Les travailleurs étaient censés investir dans l’achat d’un véhicule à moteur, ce qui peut être très coûteux. Ils étaient libres de choisir le véhicule à moteur qu’il voulait, mais assurément un facteur dans leur choix de véhicules à moteur serait la fiabilité, étant donné que, sans véhicule à moteur fiable, ils ne pourraient pas travailler. Si le véhicule à moteur détenu par le travailleur tombait en panne, celui‑ci devait en acheter ou en louer un autre pour le remplacer.

[50]        L’examen de ce facteur donne à penser que la relation était une relation d’entrepreneur indépendant et tend à aller à l’encontre d’une relation employeur‑employé.

(vi)    La possibilité de profit et le risque de perte

[51]        Il n’y avait aucune garantie de travail et, par conséquent, il n’y avait aucune garantie de revenu. La capacité d’un travailleur de réaliser un profit était variable et dépendait entièrement de lui. Elle était fonction de la mesure dans laquelle le travailleur était disposé à accepter le travail à faire et était en mesure de le faire. Elle était de plus assurément fonction de l’efficacité du travailleur lorsqu’il exécutait le travail et organisait son horaire : plus un travailleur était efficace, plus il pouvait accomplir de travail et plus il pouvait gagner d’argent. La possibilité de profit était également fonction de la mesure dans laquelle le travailleur pouvait convaincre l’acheteur d’acheter d’autres services. Le travailleur devait également contrôler ses dépenses s’il souhaitait maximiser les profits et minimiser les pertes.

[52]        Le travailleur devait être minutieux dans l’exécution du travail parce qu’il était responsable envers l’acheteur de tout dommage qu’il pouvait causer pendant l’exécution du travail. L’appelante était uniquement responsable du matériel défectueux qu’elle fournissait.

[53]        Un examen de ce facteur tend à aller à l’encontre d’une relation employeur‑employé et donne en effet à penser qu’il n’y avait pas de lien de subordination.

(vii)   L’intégration aux activités d’exploitation de l’appelante

[54]        Le degré d’intégration des travailleurs dans une entreprise doit être apprécié du point de vue des travailleurs, et non du point de vue de l’entreprise (671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries, précité, à la page 1003). Le faire du point de vue de l’entreprise mène presque toujours inévitablement à la conclusion selon laquelle les activités du travailleur sont organisées et définies pour convenir à l’activité principale et dominante de l’entreprise. Autrement dit, les activités du travailleur sembleront toujours intégrées à l’entreprise. En l’espèce, les travailleurs n’étaient pas intégrés aux activités d’exploitation de l’appelante de façon significative. Les travailleurs pouvaient être renvoyés à n’importe quel moment et immédiatement remplacés par d’autres. Un travailleur n’avait pas de bureau dans les locaux commerciaux de l’appelante.

[55]        Il ne s’agit pas d’un facteur important, mais s’il était examiné, il irait à l’encontre d’une relation employeur-employé.

Conclusion

[56]        En conclusion, après avoir examiné l’ensemble de la preuve et des principes juridiques applicables, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante n’exerçait aucune direction ni aucun contrôle sur le travail à exécuter par les travailleurs et je conclus également que les travailleurs n’avaient pas de lien de subordination avec l’appelante. En conséquence, je suis convaincu que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants et n’étaient pas des employés de l’appelante.

[57]        Pour tous les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli et ces affaires sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis qu’aucun des travailleurs visés en l’espèce n’exerçait un emploi assurable lorsqu’il travaillait pour l’appelante pendant la période en cause.

Signé à Kingston (Ontario), ce 15e jour de juillet 2014.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’août 2014.

 

M.-C. Gervais

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 220

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1019(EI)

Intitulé :

166020 CANADA INC. c. M.R.N. et NICOLAS PLANTE et MARTIN LABELLE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 6 et 7 mars 2014

Motifs du jugement :

L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 juillet 2014

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Nicolas Simard

Avocate de l’intimé :

Me Christina Ham

Avocat des intervenants :

Me Nicolas Simard

 

Avocats inscrits au dossier :

Pour l’appelante :

Nom :

Nicolas Simard

Cabinet :

Spiegel Sohmer

Montréal (Québec)

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

Pour les intervenants :

Nicolas Simard

 

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