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Dossiers : 2013-2443(EI)

2013-2444(CPP)

ENTRE :

PETER SZELI s/n GRAND OAK LAWN AND LANDSCAPE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus le 24 janvier et le 31 mars 2014, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocat de l’intimé :

Me Stephen Oakey

 

JUGEMENT

L’appel est rejeté sans frais, et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 28jour de juillet 2014.

 

M.-C. Gervais, traductrice


Référence : 2014 CCI 203

Date : 20140619

Dossiers : 2013-2443(EI)

2013-2444(CPP)

ENTRE :

PETER SZELI s/n GRAND OAK LAWN AND LANDSCAPE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

Introduction

[1]             Les points soulevés dans les présents appels sont tributaires des faits. Cependant, les faits ont été pour la plupart contestés, et les affirmations des témoins ont été très contradictoires. Je dois donc décider laquelle des versions rendait compte, selon toute vraisemblance, de la véritable relation des parties, suivant la prépondérance de la preuve.

[2]             L’appelant interjette appel à l’encontre de la détermination du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon laquelle, durant la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009 (la « période »), l’emploi de Scott Heward (le travailleur) était à la fois un emploi ouvrant droit à pension et un emploi assurable. Les deux appels, interjetés en vertu du Régime de pensions du Canada (le « Régime ») et de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE »), ont été instruits ensemble sur preuve commune.

[3]             L’appelant prétend que le travailleur a été embauché en tant qu’entrepreneur indépendant, aux termes d’un contrat d’entreprise. La question est donc de savoir si le travailleur a été embauché par l’appelant en tant qu’employé ou en tant qu’entrepreneur indépendant.

[4]             Seuls quelques-uns des faits pertinents n’ont pas été contestés. L’appelant exploitait une entreprise individuelle sous la raison sociale Grand Oak Lawn and Landscape. Il fournissait des services d’entretien de terrains et des services de déneigement à des particuliers comme à des entreprises. Le travailleur a été embauché au cours de l’année 2005 pour accomplir des tâches d’entretien de terrains, par exemple tondre le gazon et élaguer les haies et les arbres durant les mois d’été, et enlever la neige durant les mois d’hiver (Transcription, volume 1, interrogatoire principal de Scott Heward, page 82). Aucune entente écrite ne décrivait les conditions de la relation entre l’appelant et le travailleur. En octobre 2005, le travailleur a fait enregistrer un nom commercial, Scott Heward Landscaping. Il a aussi à cette époque loué un camion. Hormis ces rares éléments, l’appelant et le travailleur n’avaient pas les mêmes souvenirs de l’entente qui les liait.

La position de l’appelant

[5]             En 2004-2005, l’appelant a acheté un portefeuille de travaux à une autre entreprise d’entretien paysager. Ce portefeuille équivalait, en taille, à un groupe d’environ 80 à 100 clients à qui il fournissait déjà des services avec l’aide d’une autre personne. Il a donc embauché le travailleur en 2005. L’appelant a prétendu avoir pris le travailleur dans son équipe en tant qu’entrepreneur indépendant pour qu’il s’occupe de ce deuxième portefeuille de travaux. Selon l’appelant, le travailleur et lui entendaient établir entre eux une relation d’entrepreneur indépendant. Il a témoigné avoir cru comprendre que le travailleur songeait à lancer sa propre entreprise, et il pensait que l’occasion qu’il lui offrait lui permettrait d’y parvenir.

[6]             Quand l’appelant a acheté ce second portefeuille de travaux, il a acheté des instruments de travail et de l’équipement supplémentaires, qui étaient remisés dans un entrepôt en libre-service à Brampton. L’appelant disposait de son propre véhicule et d’une remorque à essieux en tandem. Le travailleur a par la suite dû disposer de son propre véhicule, et l’appelant lui a fourni l’équipement nécessaire à l’accomplissement de ses tâches, et l’a aussi autorisé à utiliser la remorque.

[7]             Le taux de rémunération du travailleur variait en fonction du nombre de clients dont il s’occupait. L’appelant et le travailleur s’accordaient sur les clients dont le travailleur s’occuperait. Ce travail était exécuté en fonction de l’emploi du temps du travailleur, sauf quand le client voulait qu’il soit exécuté un jour précis. L’appelant ne surveillait pas le travailleur et il n’exigeait pas non plus que le travailleur comptabilise ses heures. Le travailleur ne relevait pas de l’appelant et la communication entre eux était sporadique. Selon l’appelant, celui‑ci communiquait avec le travailleur dans les cas où un client avait une plainte à formuler. Le travailleur pouvait lui‑même embaucher des aides, et il était libre également d’obtenir des contrats de travail ailleurs pour sa propre entreprise d’entretien paysager. L’appelant a affirmé que, selon lui, le travailleur avait eu deux clients en propre durant la période.

La position de l’intimé

[8]             De façon générale, selon l’intimé, le travailleur fournissait ses services comme le faisait tout autre ouvrier non qualifié travaillant sous la direction et le contrôle de l’appelant. Sans doute le travailleur n’avait‑il pas droit à certains avantages, par exemple jours fériés ou congés de maladie, mais cela n’en faisait pas un entrepreneur indépendant. Le travailleur a prétendu que, contrairement à ce qu’affirmait l’appelant, il n’y avait eu entre eux aucune entente sur la manière de qualifier leur relation. Le travailleur pensait avoir été embauché comme employé.

[9]             L’intimé a reconnu que le témoignage de l’appelant et celui du travailleur ne cadraient pas ensemble, mais, selon lui, celui du travailleur devrait l’emporter parce que le témoignage de l’appelant était quelque peu équivoque. L’appelant dirigeait les activités quotidiennes du travailleur, puisqu’il établissait ses délais et ses priorités. Il fixait les heures normales de travail, lesquelles commençaient à 7 heures du matin et se terminaient quand le travail était achevé. Le travail était exécuté chez les clients de l’appelant. Le travailleur n’avait pas une clientèle en propre. Il avait été embauché à temps plein, soit 40 heures par semaine, pour une durée indéterminée. Il n’était pas tenu de présenter des factures, de consigner ses heures de travail ou de remplir des feuilles de temps.

[10]        C’est à l’appelant qu’il appartenait de répondre aux plaintes des clients et d’assumer les coûts s’y rapportant. C’est lui qui fixait le salaire du travailleur et c’est lui qui payait le travailleur, par chèque.

[11]        Avant que le travailleur n’achète son propre véhicule, il se déplaçait avec l’appelant dans le camion de celui‑ci et il travaillait avec lui. Certains vendredis, tous les travailleurs s’activaient ensemble au même endroit. Quand le travailleur a loué son propre véhicule, il l’a utilisé pour transporter la remorque et les instruments de travail de l’appelant. Le salaire du travailleur variait d’une saison à l’autre et tenait compte des frais afférents à son camion et des frais de carburant.

[12]        Tous ces éléments étayent la détermination du ministre selon laquelle le travailleur était un employé durant la période.

Analyse

[13]        Le droit jurisprudentiel régissant le point soulevé dans les présents appels est bien établi. Deux observations ressortent nettement de la jurisprudence. D’abord, en ce qui concerne la question de savoir si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, aucun critère concluant ne peut être appliqué de façon uniforme à un ensemble donné de faits. Deuxièmement, la question centrale à trancher dans les affaires de ce genre est de savoir si le travailleur qui fournit les services est véritablement une personne travaillant à son compte (arrêt 1392644 Ontario Inc. s/n Connor Homes c Ministre du Revenu national, 2013 CAF 85 [l’arrêt Connor Homes]).

[14]        Cette question centrale a été énoncée dans la décision Market Investigations Ltd. v Minister of Social Security, [1968] 3 All ER 732 (QBD), et plus tard adoptée par la Cour d’appel fédérale dans un arrêt régulièrement cité, Wiebe Door Services Ltd. v Minister of National Revenue (1986), 87 DTC 5025 (CAF) [l’arrêt Wiebe Door], puis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] ACS n° 61. Les facteurs qu’il convient d’examiner pour répondre à cette question centrale, et qui sont énumérés dans l’arrêt Wiebe Door, constituent ce qu’il est convenu d’appeler le « critère composé de quatre parties intégrantes ». Ce sont : le contrôle exercé sur le travail, la propriété des instruments de travail et des équipements, les chances de bénéfices et les risques de perte. Cependant, l’importance relative accordée à chacun des facteurs dépendra des faits et circonstances propres à chaque cas. L’intention des parties doit également être déterminée et prise en compte pour la conclusion à tirer (arrêt Royal Winnipeg Ballet c Ministre du Revenu national, 2006 CAF 87, 2006 DTC 6323).

[15]        En résumé, pour répondre à la question centrale soulevée par les cas de ce type, la Cour doit procéder à une analyse en deux étapes. D’abord, il faut déterminer l’intention des parties si l’on veut savoir quel type de relation elles entendaient établir. Deuxièmement, il faut entreprendre une analyse de la situation pour savoir si la réalité objective confirme cette intention. C’est à la deuxième étape que les facteurs de l’arrêt Wiebe Door doivent être considérés. Au paragraphe 42 de l’arrêt Connor Homes, le juge Mainville a résumé ainsi le critère à appliquer :

[…] La première étape de l’analyse devrait toujours être de déterminer l’intention des parties puis, en deuxième lieu, d’examiner sous le prisme de cette intention la question de savoir si leurs rapports, concrètement, révèlent des rapports d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant. […]

[16]        L’appelant et le travailleur ont exprimé des opinions totalement opposées de ce qu’étaient leurs intentions respectives concernant leur relation de travail. L’appelant a témoigné que le travailleur fournissait ses services en tant qu’entrepreneur indépendant. Il a affirmé qu’il avait expliqué au travailleur la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant au moment de l’embaucher, et que c’est le travailleur qui avait choisi d’être un entrepreneur indépendant. Le travailleur a reconnu qu’il songeait à lancer sa propre entreprise d’entretien paysager, mais il a affirmé que cette intention n’avait jamais signifié qu’il fournissait ses services à l’appelant en tant qu’entrepreneur indépendant. Il n’y avait pas accord des volontés sur la nature de leur relation, et il n’y avait aucune entente écrite. Dans ces conditions, l’intention des parties doit être déterminée d’après leur conduite et leur comportement. Le travailleur n’a jamais été tenu de produire des factures pour son travail. Il n’a jamais produit de déclarations de revenus pour la période. L’appelant ne lui a jamais délivré de feuillet T4. Le travailleur ne percevait pas la TPS, ni ne la versait. Cependant, il avait obtenu un numéro de TPS. Il avait aussi enregistré sa raison sociale, mais c’était en 2005, avant qu’il ne commence à travailler pour l’appelant. Il a aussi affirmé que, bien qu’il ait eu l’intention de lancer sa propre entreprise éventuellement, il n’avait jamais songé à être un fournisseur de services pour l’appelant. Une lettre datée du 19 août 2011, censément signée par le travailleur et produite comme preuve par l’appelant, indiquait les sommes que ce dernier avait reçues de l’appelant. Le travailleur a nié avoir jamais reçu l’appelant à son domicile à propos de cette lettre, bien qu’il eût admis qu’elle portait sa signature. Vu l’authenticité douteuse de ce document, il ne présente guère d’utilité pour ce qui est de savoir ce qu’était l’intention des parties concernant leur relation.

[17]        Comme le témoignage de l’appelant et celui du travailleur étaient diamétralement opposés sur tant d’aspects, il est impossible de tirer des conclusions sur l’intention des parties, si ce n’est que le travailleur prétend qu’il était un employé, alors que l’appelant affirme qu’il était un entrepreneur indépendant. Je me propose donc d’examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door. Parfois, il est tenu compte de ces facteurs pour savoir si la réalité objective s’accorde avec l’intention déclarée des parties. Cependant, dans les présents appels, puisqu’il m’est impossible de tirer une conclusion sur l’intention des parties, il me faut examiner ces facteurs pour déterminer la véritable nature juridique de la relation de travail entre le travailleur et l’appelant. Ces facteurs ne sont pas exhaustifs, et leur importance relative respective dépend des faits particuliers de l’affaire.

[18]        Comme le témoignage de l’appelant et celui du travailleur sont en grande partie contradictoires, je voudrais, avant d’analyser chacun des facteurs de l’arrêt Wiebe Door, reproduire plusieurs commentaires pertinents, glanés dans la jurisprudence, qui intéressent les conclusions d’un tribunal en matière de crédibilité. Dans la décision Springer v Aird & Berlis LLP, 96 OR (3d) 325, aux paragraphes 14 à 17, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a formulé les observations suivantes concernant l’appréciation de la crédibilité :

[traduction]

14.       Pour apprécier la crédibilité et la fiabilité, il m’apparaît utile de tenir compte des commentaires suivants que le juge O’Halloran a formulés dans R. v. Pressley (1948), 94 C.C.C. 29 (C.A. C.‑B.) :

[traduction] Le juge ne saurait deviner ce qui est dans le cœur et dans l’esprit des témoins qui comparaissent devant lui. La justice ne donne pas automatiquement raison au meilleur acteur à la barre des témoins. Le critère judiciaire le plus satisfaisant consiste à déterminer si la vérité concorde avec la prépondérance des probabilités, telle que les faits et les circonstances la révèlent eu égard aux circonstances de l’affaire.

15.       Les remarques que le juge Farley a formulées dans Bank of America Canada v. Mutual Trust Co. (1998), 18 R.P.R. (3d) 213, au paragraphe 23, m’apparaissent également pertinentes, notamment en l’espèce :

[traduction] Il arrive souvent que les juges soient appelés à se prononcer sur la crédibilité des témoins. Le plus souvent, c’est là une tâche très difficile, à moins que la version du témoin ne soit truffée de mensonges flagrants, comme le montrent les aveux, les contradictions du témoin lui‑même, les éléments de preuve opposés préparés au cours de la période pertinente ou la preuve très fiable présentée par des tiers. Il est bien certain que les gens peuvent avoir des perceptions sincères très différentes du même événement, que les souvenirs s’estompent avec le temps, que les témoins peuvent commettre des erreurs mineures (et même majeures) par inadvertance et qu’il y a un risque de rationalisation, soit un comportement humain fort compréhensible. Un aspect au sujet duquel le témoin n’est pas certain au départ devient avec le temps une certitude dans son esprit, parce qu’il se trouve en harmonie avec sa théorie. La rationalisation touche également les perceptions de certaines personnes, de telle sorte que la certitude entourant un fait « A » devient une confirmation que le fait en question n’était « pas A ».

16.       Dans Olympic Wholesale Co. v. 1084715 Ontario Ltd., [1997] O.J. No. 5482, au paragraphe 3, le juge Farley a également formulé les observations suivantes, que m’apparaissent utiles :

[traduction] J’aimerais commenter de façon très générale l’aspect de l’appréciation de la crédibilité et de la preuve. [...] Il importe de placer en perspective la preuve et la façon dont elle est présentée et d’en faire une appréciation pondérée. Le témoignage parfait n’existe pas et, de l’avis de plusieurs, lorsqu’un témoignage est trop uniforme, il y a de bonnes chances qu’il ait été construit de manière artificielle. Je reconnais également que le témoin peut, par inadvertance, rationaliser les faits dont il se souvient afin de les adapter à sa version subséquente des événements plutôt que donner un compte rendu correspondant à ses souvenirs réels. Ce risque s’accroît habituellement avec le temps […]

17.       Le juge Farley a employé le mot « rationalization » (rationalisation). À mon avis, il renvoie à ce qui est souvent appelé la « reconstitution » de la preuve. La reconstitution peut être accidentelle ou volontaire. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un élément dont le juge des faits doit tenir compte lors de l’appréciation de la preuve.

[19]        En résumé, les témoignages contradictoires de l’appelant et du travailleur devraient être appréciés, selon les termes employés par le juge O’Halloran dans l’arrêt Pressley, d’une manière qui permette de [traduction] « déterminer si la vérité concorde avec la prépondérance des probabilités, telle que les faits et les circonstances la révèlent eu égard aux circonstances de l’affaire ».

Le contrôle

[20]        La preuve relative au facteur du contrôle me conforte dans l’idée que les parties se trouvaient dans une relation d’employeur à employé. L’appelant a témoigné qu’il ne surveillait pas le travailleur, ni même ne communiquait avec lui, d’une manière régulière. Il a affirmé n’avoir jamais réprimandé ou sanctionné le travailleur, ni ne lui avoir jamais dit comment accomplir le travail. Sur ce point, le travailleur a produit un témoignage contradictoire. Cependant, la preuve montre que c’est l’appelant qui attribuait les tâches et qui déterminait les itinéraires du travailleur. L’appelant a reconnu qu’il [traduction] « préparait les itinéraires de manière à minimiser le temps passé à conduire » (Transcription, volume 1, page 10) et qu’il fournissait au travailleur la liste des clients à visiter. Il a aussi reconnu que, en réalité, le travailleur [traduction] « se rendait chez les clients les jours qui avaient été convenus avec eux » (Transcription, volume 1, page 14). La preuve donne aussi à penser que le travailleur n’avait pas la liberté d’accomplir comme il l’entendait les tâches qui lui avaient été attribuées. Il était mis au fait des préférences du client concernant la manière dont les tâches devaient être accomplies. Le travailleur a bien affirmé qu’il était sans doute libre de s’occuper d’un client avant un autre se trouvant dans le même pâté de maisons [traduction] « mais, la plupart du temps, nous devions respecter l’itinéraire » (Transcription, volume 1, page 97). Il est intéressant de noter que le travailleur se désignait, par l’emploi du pronom « nous », comme un ouvrier parmi les autres, qui, eux, étaient des employés. En outre, il suivait les directives de l’appelant concernant les clients qui voulaient être servis à un moment précis de la journée. Il devait, quand le travail était achevé chez un client, cocher une case sur la liste que lui remettait l’appelant. Si le travail était achevé avant la fin de la journée de huit heures que devait faire le travailleur, alors l’appelant lui demandait de se rendre chez un autre client où se trouvait un autre groupe de travailleurs. Les jours où il pleuvait, le travailleur devait s’asseoir dans un café en compagnie d’autres employés, en attendant les directives additionnelles de l’appelant, ou bien s’atteler à d’autres tâches pour l’appelant, par exemple l’entretien de l’équipement.

[21]        L’appelant a affirmé qu’il ne remettait pas au travailleur un emploi du temps à respecter et, en contre-interrogatoire, il a déclaré : [traduction] « Il ne s’agissait pas d’un emploi du temps, il s’agissait des clients dont il fallait s’occuper tel ou tel jour » (Transcription, volume 1, page 62). Cependant, l’appelant « coupait les cheveux en quatre ». La conduite des parties montre clairement que, contrairement au témoignage de l’appelant, le travailleur avait un emploi du temps à observer et devait tenir compte des préférences des clients dans l’accomplissement des tâches.

[22]        Quand on a demandé au travailleur de dire s’il lui était loisible de ne pas se présenter au travail, il a répondu : [traduction] « […] je devais toujours me présenter, et, si je ne me présentais pas, je devais téléphoner à Peter pour le lui dire » (Transcription, volume 1, page 98). Si le travailleur s’absentait du travail, il était sanctionné par la perte d’un pourcentage de son chèque de paie pour la journée ordinaire de huit heures qu’il était censé accomplir. La rémunération du travailleur variait dans une certaine mesure et, bien que la preuve ne soit pas d’une parfaite clarté, elle atteste que les écarts de rémunération pouvaient s’expliquer par les frais de carburant supportés par le travailleur pour l’utilisation de son propre véhicule, ou par la fluctuation saisonnière des activités.

[23]        Plusieurs faits confirment le témoignage du travailleur selon lequel il avait été embauché en tant qu’employé. D’abord, l’appelant a témoigné que le travailleur devait, à sa demande, corriger les problèmes, par exemple à la suite d’une plainte d’un client.

[24]        Deuxièmement, le travailleur a témoigné qu’on lui avait demandé de porter un uniforme portant le logotype de l’appelant. Selon l’appelant, ses travailleurs n’étaient pas tenus de porter un uniforme et ils pouvaient décider de ne pas arborer cet habillement promotionnel. Le témoignage du travailleur est là encore davantage compatible, selon la prépondérance des probabilités, avec la totalité des faits qui m’ont été soumis. Le témoignage de l’appelant est miné par le contenu du site Web de l’appelant. On peut y lire ce qui suit :

[traduction] […] Notre équipe en uniforme mettra un point d’honneur à entretenir votre terrain, qu’il s’agisse de tonte du gazon ou d’élagage des haies et des arbres […]

(Pièce R‑1)

Selon l’appelant, son site Web a été établi dans le dessein de concrétiser son objectif récent de franchiser plus tard son entreprise. Cependant, il a admis que le site Web existait depuis 2008, c’est‑à‑dire à l’intérieur de la période sur laquelle je dois statuer.

[25]        Troisièmement, les travailleurs de l’appelant étaient munis des cartes professionnelles de l’appelant, pour qu’ils les remettent aux clients. Prié en contre-interrogatoire de dire s’il avait demandé au travailleur de remettre sa carte professionnelle à d’éventuels nouveaux clients, l’appelant a répondu ce qui suit :

[traduction]

Évidemment, je m’efforce de faire croître mon entreprise et, s’il lui était possible de distribuer mes cartes, alors ce serait parfait, mais je sais que ce n’est pas ce qui est arrivé. Mes travailleurs gardaient les clients pour eux‑mêmes, ce qui était acceptable.

(Transcription, volume 1, page 56).

Cette réponse ne s’accorde tout simplement pas avec le bon sens le plus élémentaire.

[26]        Finalement, l’appelant a affirmé qu’il avait acheté un portefeuille additionnel de travaux et qu’il avait embauché le travailleur comme entrepreneur indépendant pour qu’il s’occupe des nouveaux clients ainsi acquis. Je n’ai reçu aucune réponse à la question évidente suivante : pourquoi l’appelant voudrait‑il embaucher quelqu’un qui, selon ce qu’il croyait, songeait à établir sa propre entreprise d’entretien paysager concurrente, pour ainsi risquer de perdre de nouveaux clients avec lesquels il n’avait pas encore établi de rapports? Il semblerait préférable d’employer une personne qui s’occuperait de ces nouveaux clients, mais non quelqu’un qui semblait rechercher activement une nouvelle clientèle et qui ferait concurrence à l’appelant. Aucune preuve n’a été produite pour étayer l’affirmation de l’appelant selon laquelle le travailleur s’affairait à établir son entreprise, mis à part le fait qu’il a fait enregistrer sa raison sociale, laquelle n’a jamais été utilisée, et qu’il a loué un véhicule. Selon le témoignage du travailleur, après qu’il eut enregistré sa raison sociale et pris possession de son camion, [traduction] « ce n’est jamais allé plus loin » (Transcription, volume 1, page 89). Il avait certes l’intention de lancer sa propre entreprise, mais il n’a pas été établi que cette intention se soit jamais concrétisée. Il n’a jamais annoncé sa supposée entreprise, n’a jamais activement recherché des clients et n’a jamais acheté les instruments de travail nécessaires, tout simplement parce qu’il ne pouvait pas se le permettre. Il avait loué un camion, et il avait tenté de le rendre après qu’il eut décidé de renoncer à son projet, mais le bail l’en avait empêché. Après avoir cessé de travailler pour l’appelant, il avait travaillé pour une autre entreprise d’entretien paysager. L’appelant a prétendu que le travailleur recherchait activement des clients et qu’il avait eu deux clients en propre durant la période, des clients qui n’étaient pas ceux de l’appelant. Cependant, eu égard à l’ensemble de la preuve, je crois que le témoignage du travailleur est plus conforme à la réalité des faits. Le travailleur a dit qu’il n’avait jamais activement recherché de clients et que l’unique travail additionnel qu’il avait effectué l’avait été pour une voisine de l’un des clients de l’appelant, une veuve qui lui avait offert un déjeuner en échange de quelques travaux ce jour‑là.

[27]        En résumé, le contrôle a été défini comme étant « le droit qu’avait l’appelant de dire aux travailleurs comment faire leur travail, par opposition à la question de savoir si ce droit était exercé par l’appelant » (arrêt Gagnon c Ministre du Revenu national, 2007 CAF 33, [2007] ACF n° 156, au paragraphe 7, non souligné dans l’original). Ce qui importe donc, c’est de savoir si l’appelant avait le droit de contrôler le travailleur, et non de savoir s’il a effectivement exercé ce contrôle. Je ne doute pas, comme l’a prétendu l’appelant, qu’il ait jamais réprimandé ou sanctionné le travailleur, mais je suis persuadée qu’il avait le pouvoir de le faire. L’appelant pouvait décider des vêtements de travail, de l’ordonnancement des travaux, des itinéraires, du mode de paiement et du traitement des plaintes des clients. Considérée dans son ensemble, la preuve valide ma conclusion selon laquelle le facteur du contrôle atteste l’existence d’une relation d’employeur à employé entre l’appelant et le travailleur.

La propriété des instruments de travail

[28]        Le seul actif du travailleur était son véhicule, un camion qu’il avait loué. Le travailleur avait la charge d’entretenir et d’assurer ce véhicule. Cependant, l’appelant lui versait une indemnité pour l’utilisation de son véhicule, dont le travailleur se servait pour prendre les instruments de travail de l’appelant dans l’entrepôt de celui‑ci et être ainsi à même d’accomplir ses tâches. L’appelant a témoigné que le travailleur n’avait pas les instruments de travail et l’équipement indispensables pour exécuter les travaux d’entretien paysager. L’appelant fournissait tous les instruments de travail en question y compris les tondeuses à gazon, les souffleuses à feuilles, les élagueuses et les serpettes. Il avait aussi acheté des instruments de travail additionnels pour le nouveau portefeuille de travaux dont il avait fait l’acquisition. Les instruments de travail étaient transportés sur les lieux de travail à l’aide d’une remorque en tandem, parfois fixée au camion du travailleur. L’appelant a aussi témoigné qu’il assurait l’entretien de la remorque et des instruments de travail. Le travailleur a témoigné que l’appelant l’avait formé au bon usage de ces instruments de travail. Là encore, ce facteur montre que le travailleur était un employé.

Les chances de bénéfice et les risques de perte

[29]        Le travailleur n’avait guère la possibilité, voire aucune, de réaliser un bénéfice ou de subir une perte. Il travaillait à plein temps, effectuant des journées de huit heures. S’il terminait l’itinéraire plus tôt que prévu, ou si la journée était pluvieuse, alors l’appelant lui demandait d’effectuer d’autres tâches. Le travailleur a témoigné, et un sommaire des chèques qui lui avaient été remis le confirme, que l’appelant le payait régulièrement toutes les deux semaines, ce qui s’accorde avec la notion de salaire. Le caractère variable des paiements s’expliquait par l’indemnité versée à l’appelant pour l’usage de son camion, ou par le caractère saisonnier des activités, sa rémunération étant moindre durant les mois d’hiver au cours desquels il s’occupait des déneigements. Cela étant, le travailleur ne pouvait pas gagner davantage en exécutant davantage de tâches, et il lui était également indifférent pécuniairement qu’il termine son travail avant la fin de sa journée de huit heures.

[30]        La seule perte possible pour lui était le cas où il manquait un jour de travail, lequel ne lui était alors pas payé. Son unique responsabilité était son véhicule. Cependant, l’appelant remboursait le travailleur pour le carburant et le kilométrage lorsque le camion était utilisé pour les activités de l’appelant. L’appelant a affirmé que le travailleur faisait du travail au noir parce qu’il acceptait des clients en propre et qu’il faisait le travail en se servant des instruments de travail de l’appelant, mais il est plus vraisemblable que le travailleur ait accompli quelques tâches à titre gracieux pour quelques personnes. Le travailleur avait l’ambition de lancer sa propre entreprise et avait pris quelques mesures en ce sens, mais son projet ne s’est pas par ailleurs concrétisé. La preuve confirme ma conclusion selon laquelle le travailleur n’avait aucune possibilité de réaliser un bénéfice et qu’il ne courait aucun risque de perte, deux facteurs qui militent en faveur d’une relation d’employeur à employé.

Conclusion

[31]        L’application aux faits dont je suis saisie du critère en deux étapes énoncé dans l’arrêt Connor Homes me permet de conclure que le travailleur était un employé. La question ultime à poser, après examen de l’ensemble de la preuve, est la suivante : « À qui appartient l’entreprise? » ou, comme l’avocat de l’intimé a succinctement formulé la question : [traduction] « Qui était à même de mener la barque? » (Transcription, volume 2, page 56). La réponse du travailleur résume d’une manière concise la nature de la relation qu’il y avait entre l’appelant et lui :

[traduction]

Pour l’essentiel, je me présentais au travail et accomplissais les tâches requises. Le patron parlait à tous les clients. Il me disait l’heure à laquelle nous allions commencer et c’est lui qui prenait toutes les décisions, qui se chargeait de tout, c’est lui qui menait la barque.

Lorsque nous nous rendions chez un client, il me disait ce que j’avais à faire chez lui, ainsi que la manière dont les tâches seraient partagées.

(Transcription, volume 1, page 86)

[32]        En dépit des prétentions habiles de l’avocate de l’appelant, je n’ai aucune hésitation à conclure que c’était l’entreprise de l’appelant. Tous les facteurs de l’arrêt Wiebe Door permettent de dire que le travailleur n’exploitait pas une entreprise pour son propre compte.

[33]        Pour ces motifs, l’appel est rejeté sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 28jour de juillet 2014.

 

M.-C. Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 203

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2013-2443(EI); 2013-2444(CPP)

INTITULÉ :

PETER SZELI s/n GRAND OAK LAWN AND LANDSCAPE c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 24 janvier et le 31 mars 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DE JUGEMENT:

Le 19 juin 2014

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelant :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocat de l’intimé :

Me Stephen Oakey

AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Leigh Somerville Taylor

 

Cabinet :

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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