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Dossier : 2010-1972(IT)G

ENTRE :

MICHEL MATHIEU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 mai 2013, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Emmanuelle Campeau

Me Paul Ryan

Avocates de l'intimée :

Me Marie-Aimée Cantin

Me Anne-Marie Boutin

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

        Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008 sont accueillis, avec dépens à l’appelant,  conformément aux motifs du jugement et conformément au consentement à jugement partiel ci‑joints.

 

       Signé à Vancouver, Colombie-Britannique, ce 22e jour de juillet 2014.

 

 

"B. Paris"

Juge Paris


 

 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 207

Date : 20140627

Dossier : 2010-1972(IT)G

ENTRE :

MICHEL MATHIEU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]             Il s’agit des appels de nouvelles cotisations établies par le ministre du

Revenu national (le « ministre ») pour les années d’imposition 2004 à 2008.

 

[2]             Certaines questions en litige pour les années d’imposition 2004 à 2008 ont été réglées par les parties avant le début de l’audience par écrit dans un consentement à jugement partiel produit par les parties (Annexe A).  Les modalités du consentement seront incluses dans le jugement en l’espèce.

 

[3]             Les questions qui restent en litige concernent les années d’imposition 2004, 2005 et 2006, dans lesquelles l’appelant s’est vu refusé des déductions en vertu de l’alinéa 110(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). Cette disposition permet la déduction de 50% d’un avantage tiré d’un emploi et inclus dans le revenu d’un contribuable en vertu de l’article 7 de la LIR qui prévoit l’imposition des options d’achat d’actions octroyées par un employeur à son employé.

 

[4]             Une déduction en vertu de l’alinéa 110(1)d) n’est possible que si l’employeur et l’employé n’ont pas de lien de dépendance. En l’espèce, le ministre a conclu qu’il y avait un lien de dépendance entre l’appelant et son employeur, Forages Garant & Frères inc. (« Forages Garant ») et a refusé d’accorder à l’appelant les déductions prévues à l’alinéa 110(1)d).

 

Questions en litige

 

[5]             La première question en litige est de savoir s’il existait un lien de dépendance entre l’appelant et Forages Garant justifiant le refus du ministre de lui accorder les déductions.

 

[6]             Si la Cour décide qu’il y avait un lien de dépendance entre l’appelant et Forages Garant, l’intimée et l’appelant conviennent que les avantages reçus par l’appelant et découlant des options d’achat d’actions ne sont pas imposables en vertu de l’article 7 de la LIR.  Alors, une deuxième question se pose: la valeur de l’avantage reçu par l’appelant chaque année doit-elle être ajoutée à son revenu en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la LIR?

 

Faits

 

[7]             Les faits suivants sont tirés de l’entente partielle sur les faits déposée à l’audience.

 

[8]             Pendant les années en question, l’appelant était à l’emploi de Forages Garant. À titre d’employé, il était admissible à un régime d’octroi d’options d’achat d’actions de Forages Garant.

 

[9]             En 2004, 2005 et 2006 Forages Garant a émis des avis de levée d’options d’achat d’actions, et, chaque année, l’appelant a choisi de faire racheter ses options par Forages Garant.

 

[10]        Forages Garant a versé les montants suivants à l’appelant pour l’achat de ses options :

 

2004                            1 117 594 $

2005                            2 037 379 $

2006                            1 401 630 $

 

[11]        L’appelant détenait indirectement 37,5% des actions de Forages Garant.

 

[12]        Doris Landry, qui a épousé l’appelant le 19 août 1972, détenait indirectement 6,25% des actions de Forages Garant.

 

[13]         Ken Mathieu, le fils majeur de l’appelant et de Doris Landry,  détenait indirectement 12,5% des actions de Forages Garant.

 

[14]        Les intérêts de l’appelant, de Doris Landry et de Ken Mathieu dans Forages Garant découlaient des faits suivants:

 

-La société 3153991 Canada inc. (« 315 ») détenait la totalité des actions de Forages Garant.

 

-Les actions de 315 étaient détenues à 37.5% par la société 96052 Canada inc. (« 960 ») à 25% par la société 4178688 Canada inc. (« 417 »), et 37.5% par d’autres personnes.

 

-L’appelant détenait 100% des actions de 960.

 

-Doris Landry détenait 25% des actions de 417, et Ken Mathieu détenait 50% des actions de 417.

 

-Cette situation s’illustre comme suit :

 

 

[15]        L’appelant et Doris Landry ont cessé de faire vie commune le 1er octobre 1990 et ont obtenu un jugement en séparation de corps le 29 septembre 1993. Le jugement entérinait un « projet d’accord et entente sur mesures accessoires » entre l’appelant et Doris Landry daté du 17 mai 1993.

 

[16]        L’appelant et Doris Landry ont signé une convention sur mesures accessoires (la « convention ») le 10 janvier 2008 dans laquelle ils ont indiqué qu’il n’y avait jamais eu reprise de vie commune et qu’ils désiraient  faire remonter les « effets de la dissolution du régime matrimonial à la date de cession de la vie commune, soit en date du 1er octobre 1990 ». La Cour supérieure du Québec a entériné la convention dans le jugement de divorce daté le 27 mars 2008. Le divorce a pris effet le 27 avril 2008 et le certificat de divorce de l’appelant et de Doris Landry a été délivré le 15 mai 2008.

  

[17]        A tout moment pertinent l’appelant avait une conjointe de fait.

 

Le cadre législatif

 

[18]        En termes généraux, lorsqu'un employeur (une « personne admissible ») convient de vendre ou d'émettre des titres de la société à un de ses employés, le paragraphe 7(1) de la LIR (qui sera abordé plus en profondeur plus tard dans ces motifs) prévoit que l’employé est réputé avoir reçu un avantage soit au cours de l'année où il lève l'option et acquiert les titres, soit au cours de l’année où il dispose des droits prévus par l’option. L’avantage dans chaque cas est réputé avoir été tiré par l’employé de son emploi.

 

[19]        Un employé qui est réputé par l’article 7 avoir reçu un avantage et qui n’a pas de lien de dépendance avec son employeur aura droit (si certaines conditions sont respectées) à une déduction en vertu de l’alinéa 110(1)d). Pour les années en l’espèce, cette disposition prévoyait la déduction de 50% du montant de l’avantage réputé reçu par l’employé. Le but de cette disposition est d’imposer l’avantage au même taux que les gains en capital.

 

[20]        Pour les années 2004, 2005 et 2006 les parties pertinentes de l’alinéa 110(1)d) se lisaient comme suit :

 

d) Options d’employés —la moitié de la valeur de l’avantage que le contribuable est réputé par le paragraphe 7(1) avoir reçu au cours de l’année relativement à un titre qu’une personne admissible donnée est convenue, après le 15 février 1984, d’émettre ou de vendre aux termes d’une convention, ou relativement au transfert ou à une autre forme de disposition des droits prévus par la convention, dans le cas où les conditions suivantes sont réunies :

 

(i) le titre, selon le cas :

 

                        […]

 

(B)  aurait été une action visée par règlement s’il avait été vendu au contribuable, ou émis en sa faveur, au moment où il a disposé de ses droits prévus par la convention,

 

[…]

 

(ii) si les droits prévus par la convention n’ont pas été acquis par le contribuable

      par suite d’une disposition de droits à laquelle le paragraphe 7(1.4)

      s’applique, à la fois :

 

[…]

 

(B) immédiatement après la conclusion de la convention, le contribuable n’avait de lien de dépendance avec aucune des personnes suivantes :

 

(I)    la personne admissible donnée,

 

[…]

 

[21]         Les dispositions qui concernent la détermination d’un lien de dépendance aux fins de la LIR se trouvent à l’article 251. Le paragraphe 251(1) prévoit que les « personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance » et le paragraphe 251(2) inclut dans la définition des « personnes liées » « des particuliers…unis par les liens du mariage. »

 

[22]        Selon le paragraphe 251(2), la définition de « personnes liées » inclut aussi une société et une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société.

 

[23]        Le paragraphe 251(4) prévoit qu’un « groupe lié » est un « groupe de personnes dont chaque membre est lié à chaque autre membre du groupe. »

 

[24]        Finalement, l’alinéa 251(6)b) dispose que, pour l’application de la LIR « des personnes sont unies par les liens du mariage si l'une est mariée à l'autre ou à une personne qui est ainsi unie à l'autre par les liens du sang ».

 

[25]         Les parties pertinentes de l’article 251 se lisaient comme suit pour les années pertinentes :

 

251. (1) Lien de dépendance. Pour l’application de la présente loi :

      

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

[…]

 

(2) Définition de « personnes liées ». Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

 

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage, de l’union de fait ou de l’adoption;

 

b) une société et :

 

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

 

(ii) une personne qui est membre d’un groupe lié qui contrôle la société,

 

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

 

c) deux sociétés :

 

(i) si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes,

 

(ii) si chacune des sociétés est contrôlée par une personne et si la personne contrôlant l’une des sociétés est liée à la personne qui contrôle l’autre société,

 

(iii) si l’une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à un membre d’un groupe lié qui contrôle l’autre société,

 

(iv) si l’une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à chaque membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre société,

 

(v) si l’un des membres d’un groupe lié contrôlant une des sociétés est lié à chaque membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre société,

 

(vi) si chaque membre d’un groupe non lié contrôlant une des sociétés est lié à au moins un membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre société.

 

[…]

 

(4) Définitions relatives au groupe. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« groupe lié » « groupe lié » Groupe de personnes dont chaque membre est lié à chaque autre membre du groupe.

 

   […]

 

   (5) Groupe lié, droit d’achat ou de rachat et personne liée à elle-même

Pour l’application du paragraphe (2) et de la définition de « société privée sous contrôle canadien » au paragraphe 125(7):

 

a) le groupe lié qui est en mesure de contrôler une société est réputé être un groupe lié qui contrôle la société, qu’il fasse ou non partie d’un groupe plus nombreux qui contrôle en fait la société;

 

        […]

 

(6) Personnes liées par les liens du sang. Pour l’application de la présente loi :

 

                                […]

 

b) des personnes sont unies par les liens du mariage si l’une est mariée à l’autre ou à une personne qui est ainsi unie à l’autre par les liens du sang;

 

[…]

 

Première question : lien de dépendance

 

[26]        La question à déterminer en l’espèce est de savoir si l’appelant et Doris Landry étaient, pendant la période pertinente, unis par les liens du mariage. Si oui, ils seraient réputés avoir formé, avec Ken Mathieu, un groupe lié selon le paragraphe 251(4) de la LIR, puisque chacun d’eux serait réputé lié à chaque autre membre du groupe. Étant donné que ce groupe lié serait réputé contrôler Forages Garant, tout membre de ce groupe serait réputé lié à Forages Garant et, donc, l’appelant et Forages Garant seraient réputés avoir un lien de dépendance.

 

Position de l’appelant

 

[27]        Le procureur de l’appelant affirme qu’une analyse contextuelle et téléologique du terme « unis par les liens du mariage » démontre que le législateur n’entendait pas y inclure les situations où une séparation de corps avait été prononcée. Selon lui, il est manifeste que l’appelant et Doris Landry n’étaient plus « unis » par les liens du mariage depuis 1990, quand ils ont cessé de faire vie commune, ou tout au moins depuis 1993, moment auquel ils ont obtenu un jugement en séparation de corps et ont pourvu à toutes les conséquences civiles et familiales résultant de la rupture de leur mariage.

 

[28]        L’appelant soutient que la Cour devrait accepter une interprétation de la phrase « unis par les liens du mariage » à l’article 251 de la LIR qui, selon lui, est plus conforme à l’esprit de la LIR et au but visé par le législateur.  En effet, il suggère que la Cour tienne compte de la substance et non pas de la forme de la relation entre l’appelant et Doris Landry pendant la période pertinente.

 

[29]        Il note qu’au Québec, il est reconnu que des époux peuvent rompre complètement leur relation matrimoniale sans obtenir un divorce formel, en choisissant de se pourvoir en séparation de corps. À cet effet il cite l’arrêt Droit de la famille – 2285[1] à la page 12:

 

En effet, comme je le signalais plus tôt, le Code déclenche le processus d’accumulation du patrimoine familial avec la date du mariage et le continue sans interruption jusqu’à sa rupture officielle. Rien, entre ces deux époques, ne l’interrompt ou ne le suspend. Toutefois, il est des fois où des époux décident de rompre généralement, complètement et irrévocablement leur relation maritale sans pour autant faire formellement reconnaître ce nouvel état par une décision judiciaire. L’on conçoit que, dans un tel cas, il pourrait devenir inéquitable que les biens du patrimoine familial accumulés par l’un des époux après une telle rupture puissent continuer de s’accroître au profit de son ex-conjoint uniquement parce qu’aucun jugement n’a sanctionné un état de fait que les deux parties voulaient définitif. […] il faut que cette interruption de vie maritale soit irrévocable et surtout totale de sorte que les conjoints se considèrent et soient dorénavant, sous tous les aspects de la conduite de leur vie, parfaitement autonomes comme ils le seraient si un jugement avait consacré la rupture de leur mariage. L’équité, qui doit présider en cette matière, l’exige.

 

[30]        Le procureur de l’appelant cite la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Éric c. Lola[2] à l’effet qu’au Québec la rupture du mariage peut prendre la forme d’une séparation de corps. Au paragraphe 82 de cette décision, la Cour suprême dit :

 

82     Aujourd'hui, à la suite des réformes que je viens de résumer, le mariage entraîne l'imposition d'un cadre juridique destiné à régir les rapports mutuels des conjoints. Ce cadre est composé d'un régime primaire et d'un régime matrimonial légal ou conventionnel dont les effets se manifestent tant durant le mariage qu'à la rupture. Cependant, avant d'examiner les effets de chacun de ces régimes pendant et après le mariage, je rappelle qu'outre le décès d'un des époux, la rupture du mariage peut prendre la forme d'une séparation de corps, régie par le Code civil du Québec, ou d'un divorce, en vertu de la Loi sur le divorce. […]

 

[31]        Le procureur de l’appelant note aussi que la Cour supérieure du Québec a statué que le terme ‘ex-conjoint’ ne fait pas seulement référence au conjoint divorcé[3].

 

[32]        Il invoque également à l’article 518 du Code civil du Québec (C.c.Q.)[4], qui prévoit que le divorce emporte la dissolution du régime matrimonial, mais qui permet au tribunal de faire remonter les effets de la dissolution du régime, entre les époux, à la date de cessation de la vie commune. Ceci signifie, selon lui, que la séparation de corps peut être considérée comme une rupture définitive du mariage.

 

[33]        De plus, le procureur de l’appelant cite diverses lois québécoises dans lesquelles les termes « conjoint » et « ex-conjoint »  sont définis de façon qui fait comprendre que la séparation de corps met fin à la relation matrimoniale entre les époux.  Par exemple, la Loi sur le régime des rentes du Québec[5] prévoit à l’article 102.2 que « deux personnes mariées et séparées de corps » sont considérées comme des « ex-conjoints ». Selon le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie[6] deux personnes mariées doivent cohabiter pour être considérées des « conjoints ». Des dispositions semblables se trouvent dans la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles[7], dans la Loi sur les normes du travail[8], et dans la Loi sur les régimes complémentaires de retraite[9].

 

[34]        Quant à la LIR, le procureur de l’appelant affirme que le législateur reconnaît que les personnes mariées mais qui vivent séparément à cause de l’échec de leur mariage ont subi une rupture de leur mariage sans qu’elles soient divorcées. Ce   concept de « l’échec du mariage » paraît à maintes reprises dans la LIR pour accorder un traitement fiscal différent aux parties que s’il n’y avait pas eu de séparation.

 

[35]        Finalement, le procureur de l’appelant cite la décision Caron c. Québec[10], où la Cour du Québec s’est prononcée sur l’application de l’article 14.4 de la Loi sur l’administration fiscale[11], qui rend une personne responsable de la dette fiscale d’une autre dans les circonstances où il a eu transfert d’un bien. Parmi des personnes visées par cette disposition sont celles qui ont un lien de dépendance avec l’auteur du transfert. Dans l’affaire Caron, l’appelante était séparée de corps de son ancien conjoint (l’auteur du transfert)  mais ils n’étaient pas divorcés. La Cour a dit que, dans ce cas :

 

«[m]ême si, en l’absence de divorce, le lien du mariage demeure, ce seul lien ne suffit pas pour conclure à l’existence d’un lien de dépendance lorsque l’article 2.2.1 de la Loi sur les impôts[12] permet de faire échec à la solidarité entre conjoints prévue aux articles 14.4 et 14.5 de la Loi sur le ministère du Revenu»[13].

 

[36]        En conclusion, le procureur de l’appelant allègue que Doris Landry et l’appelant n’étaient plus « unis » par les liens du mariage au sens de l’alinéa 251(2)a) de la LIR depuis 1990 ou, tout au moins, depuis 1993 de sorte qu’il n’y avait pas de lien de dépendance entre Forages Garant et l’appelant durant les années 2004 à 2006.

 

Analyse : lien de dépendance

 

[37]        L’alinéa 251(2)a) de la LIR dispose que les personnes unies par les liens du mariage sont considérées comme des personnes liées et, selon l’alinéa 251(1)a) de la LIR, des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance.

 

[38]        La question en l’espèce est de savoir si deux personnes mariées cessent d’être des particuliers « unis par les liens du mariage » au sens de l’alinéa 251(2)a) de la LIR lorsqu’il y a séparation de corps.

 

[39]        L’appelant affirme qu’une analyse contextuelle et téléologique de l’expression « unis par les liens du mariage» démontre que le législateur n’entendait pas inclure les situations où une séparation de corps avait été prononcée. 

 

[40]        Je ne suis pas convaincu que l’approche de l’appelant est conforme à la règle applicable en matière d’interprétation des lois fiscales telle qu’exprimée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances[14]). La Cour suprême y a réitéré l’importance de l’aspect textuel de l’interprétation des lois fiscales. Au paragraphe 21 de cet arrêt, la Cour suprême a dit:

 

[…] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (p. 578) : voir l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, 1999 CanLII 639 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50.  Toutefois, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre davantage l’accent sur l’interprétation textuelle : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, par. 11.  Les contribuables ont le droit de s’en remettre au sens clair des dispositions fiscales pour organiser leurs affaires.  Lorsqu’il est précis et non équivoque, le texte d’une loi joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation.

 [Non souligné dans l’original.]

[41]        À mon avis, une analyse textuelle des alinéas 251(1)a), (2)a) et (6)b) ne révèle pas d’ambiguïté sur le sens de l’expression « unis par les liens du mariage » puisque l’alinéa 251(6)b) prévoit que des personnes sont unies par les liens du mariage « si l'une est mariée à l'autre ». Alors, les liens de mariage sont ceux qui existent si les personnes concernées sont mariées, et ces liens unissent les mariés.

 

[42]        Au Canada un mariage n’est dissous que par le divorce ou par le décès de l’un des époux. La dissolution du mariage par le divorce est prévue par l’article 14 de la Loi sur le divorce[15] :

 

14. À sa prise d’effet, le divorce accordé en application de la présente loi dissout le mariage des époux.

 

[43]        Au Québec, l’article 516 du C.c.Q. énonce que :

 

516. Le mariage se dissout par le décès de l'un des conjoints ou par le divorce.

 

[44]        Même si en pratique la séparation de corps représente une rupture définitive du mariage, elle ne rompt pas, strictement parlant, le lien de mariage et n’équivaut pas au divorce: article 507 C.c.Q. :

 

507. La séparation de corps délie les époux de l'obligation de faire vie commune; elle ne rompt pas le lien du mariage.

 

Comme l’indique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Éric c. Lola :

 

87. […] Puisque la séparation de corps, bien qu’elle distende le lien matrimonial en libérant les époux de l’obligation de faire vie commune, ne rompt pas le mariage, elle ne met pas fin à ses autres effets […]

 

[45]        De plus, on ne peut conclure en s’appuyant sur le contexte de la LIR que le législateur entendait exclure de l’expression « unis par les liens du mariage » que l’on trouve à l’alinéa 251(2)a) les époux séparés de corps. Là où le législateur a voulu tenir compte dans la LIR des situations où des époux sont toujours mariés mais vivent séparément, il l’a fait en utilisant les expressions telles que « vit séparé… pour cause d’échec de leur mariage »  dans la définition de pension alimentaire au paragraphe 56.1(4), ou « vivaient séparément par suite de la rupture de leur mariage » au paragraphe 160(4). Il me semble aussi que, selon le paragraphe 251(6) par le seul fait d’être mariées, les personnes sont unies par les liens du mariage.

[46]        Finalement, bien que ni l’appelant ni l’intimée n’aient fait référence à l’objet de l’alinéa 251(1)b) de la LIR, il me semble que le législateur voulait délinéer certaines catégories de personnes qui, à cause de leurs relations, sont susceptibles de ne pas agir dans le sens de leurs meilleurs intérêts commerciaux. Le législateur entendait créer une règle qui est simple à appliquer. Il n’est pas incompatible avec ce but d’inclure toutes les personnes mariées.

Deuxième question : inclusion au revenu

[47]        Ayant conclu qu’il y avait un lien de dépendance entre l’appelant et Doris Landry, et donc entre l’appelant et Forages Garant,  il faut maintenant décider si les montants reçus par l’appelant de Forages Garant pour la cession de ses options d’achat sont imposables.

[48]        Le point de départ d’une analyse du traitement fiscal sur l’avantage qui découle d’une option d’achat accordée à un employé se trouve à l’article 7 de la LIR.

[49]        En termes généraux, l’article 7 prévoit qu’une option d’achat d’actions accordée par un employeur à son employé donne lieu à un avantage tiré d’un emploi, mais que l’avantage n’est pas constaté au moment de l’octroi de l’option. Si l’employé lève l’option, l’avantage est réputé être reçu au moment où l’employé la lève : l’alinéa 7(1)a) (sauf dans le cas où l’employeur est une société privée sous contrôle canadien sans lien de dépendance paragraphe 7(1.1), qui n’est pas pertinent en l’espèce.)

[50]        Les alinéas 7(1)b) à d) s’appliquent aux scénarios où l’employé transfère ou dispose des droits prévus par l’option sans acquérir d’actions.

[51]        L’alinéa 7(1)b) vise un transfert des droits par l’employé à une personne sans lien de dépendance.

[52]        L’alinéa c) s’applique lorsque l’employé transfère l’option d’achat d’actions à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance et qui acquiert des actions aux termes de l’option.

[53]        L’alinéa d) prévoit le cas où, à la suite d’une ou de plusieurs opérations entre personnes ayant un lien de dépendance, les droits en vertu de l’option sont subséquemment transférés à une personne sans lien de dépendance.

[54]        Dans les années pertinentes, les alinéas 7(1)a) à d) se lisaient comme suit :

 

7. (1) Émission de titres en faveur d’employés —Sous réserve des paragraphes (1.1) et (8), lorsqu’une personne admissible donnée est convenue d’émettre ou de vendre de ses titres, ou des titres d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, à l’un de ses employés ou à un employé d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, les présomptions suivantes s’appliquent :

 

a) l’employé qui a acquis des titres en vertu de la convention est réputé avoir reçu, en raison de son emploi et au cours de l’année d’imposition où il a acquis les titres, un avantage égal à l’excédent éventuel de la valeur des titres au moment où il les a acquis sur le total de la somme qu’il a payée ou doit payer à la personne admissible donnée pour ces titres et de la somme qu’il a payée pour acquérir le droit d’acquérir les titres;

 

b) l’employé qui a transféré des droits prévus par la convention, afférents à tout ou partie des titres, à une personne avec qui il n’avait aucun lien de dépendance, ou en a par ailleurs disposé en faveur de cette personne, est réputé avoir reçu, en raison de son emploi et au cours de l’année d’imposition où il a effectué la disposition, un avantage égal à l’excédent éventuel de la valeur de la contrepartie de la disposition sur la somme qu’il a payée pour acquérir ces droits;

 

c) dans le cas où, par suite d’une ou de plusieurs opérations entre personne ayant un lien de dépendance, des droits de l’employé prévus par la convention sont dévolus à une personne qui a acquis des titres en vertu de la convention, l’employé est réputé avoir reçu, en raison de son emploi et au cours de l’année d’imposition où cette personne a acquis ces titres, un avantage égal à l’excédent éventuel de la valeur des titres au moment où cette personne les a acquis sur le total de la somme qu’elle a payée ou doit payer à la personne admissible donnée pour ces titres et de la somme éventuelle que l’employé a payée pour acquérir le droit d’acquérir les titres; toutefois, si l’employé était décédé au moment où la personne a acquis les titres, celle-ci est réputée avoir reçu un avantage au cours de l’année comme revenu provenant des fonctions d’un emploi qu’elle exerçait au cours de l’année dans le pays où l’employé exerçait principalement les fonctions de son emploi;

 

d) dans le cas où, par suite d’une ou plusieurs opérations entre personnes ayant un lien de dépendance, des droits de l’employé prévus par la convention sont dévolus à une personne donnée qui a transféré des droits prévus par la convention à une autre personne avec qui elle n’avait aucun lien de dépendance, ou en a par ailleurs disposé en faveur de cette personne, l’employé est réputé avoir reçu, en raison de son emploi et au cours de l’année d’imposition où la personne donnée a effectué la disposition, un avantage égal à l’excédent éventuel de la valeur de la contrepartie de la disposition sur la somme que l’employé a payée pour acquérir ces droits; toutefois, si l’employé était décédé au moment où l’autre personne a acquis les droits, la personne donnée est réputée avoir reçu un avantage au cours de l’année à titre de revenu provenant des fonctions d’un emploi qu’elle exerçait au cours de l’année dans le pays où l’employé exerçait principalement les fonctions de son emploi;

[55]        En l’absence d’un lien de dépendance entre l’appelant et Forages Garant, les parties conviennent que les montants reçus par l’appelant seraient imposables en vertu de l’alinéa 7(1)b). Ils conviennent également qu’en présence d’un lien de dépendance, les paiements reçus par l’appelant ne seraient pas imposables en vertu de l’article 7.

[56]        Pourtant, l’intimée allègue que les avantages découlant des dispositions des options d’achat d’actions par l’appelant sont néanmoins imposables en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la LIR en tant que bénéfices tirés de son emploi. L’alinéa 6(1)a) prévoit l’imposition de « la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu’il a reçus ou dont il a joui au cours de l’année au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi » à l’exception de certains avantages énumérés.

[57]        L’appelant affirme que l’application de l’alinéa 6(1)a) est écartée par l’alinéa 7(3)a). L’alinéa 7(3)a) se lit comme suit :

(3) Dispositions spéciales— Lorsqu’une personne admissible donnée est convenue d’émettre ou de vendre de ses titres, ou des titres d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, à un de ses employés ou à un employé d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, les présomptions suivantes s’appliquent :

a) l’employé est réputé ne pas avoir reçu d’avantage ni avoir bénéficié d’un avantage en vertu ou par l’effet de la convention, sauf indication contraire au présent article;

Prétentions de l’intimée

[58]        L’intimée est d’avis que la disposition générale qu’est l’alinéa 6(1)a) de la LIR a préséance sur l’article 7. L’intimée cite la décision Canada c. Chrysler[16], comme appuyant la proposition selon laquelle la disposition générale s’applique d’emblée et que ce n’est que si les conditions de la disposition spécifique sont remplies que la disposition générale cessera de s’appliquer.

[59]        L’intimée prétend aussi que, pour que l’article 7 s’applique, il faut que toutes les conditions qui y sont énumérées soient remplies, et non seulement les conditions que l’on trouve dans le préambule. À cet effet, l’intimée affirme que, dans la version anglaise de cet article, (par opposition à la version française) le préambule n’est séparé du corps de la disposition que par une virgule et que la même phrase qui débute au préambule se poursuit dans les divers alinéas. Ainsi, l’intimée est d’avis que l’inclusion des conditions au préambule n’est pas suffisante pour conclure à l’application de l’article 7, encore faut-il qu’une des conditions prévues aux alinéas 7(1)a) à e) soit aussi remplie.

[60]        L’intimée cite aussi les arrêts Robertson c. Canada[17], et Henley c. Canada[18], où la Cour d’appel fédérale a conclu que, puisque les conditions prévues à l’article 7 n’étaient pas remplies, l’avantage était alors imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la LIR. Bref, si les conditions d’application de la disposition spécifique ne sont pas remplies, la disposition générale trouve alors application.

[61]        L’intimée affirme que, si l’article 7 n’existait pas, l’employé se verrait conférer un avantage imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la LIR. Ainsi, l’intimée prétend que l’alinéa 7(3)a) vise à éviter une double imposition. En d’autres mots, l’article 7 n’exclut pas l’application de l’article 6, mais exclut uniquement l’application double des articles 6 et 7. Ainsi, l’article 7 n’a préséance que dans la mesure où l’article 7 prévoit l’inclusion de l’avantage.

[62]        Dans le même ordre d’idées, l’intimée affirme qu’il faut interpréter et appliquer l’alinéa 6(1)a) de la façon la plus large possible, tel qu’énoncé dans l’arrêt La Reine c. Savage[19]. L’intimée soutient également que, lorsque le législateur souhaite exclure un avantage en vertu de l’alinéa 6(1)a), il le mentionne expressément. Or, le législateur ne mentionne nulle part qu’un montant versé à la suite du rachat d’options ne constitue pas un avantage imposable.

[63]        L’intimée s’appuie également sur l’article 12 de la Loi d’interprétation[20] qui se lit comme suit :

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[64]        Selon l’intimée, l’objet de la LIR est d’imposer le revenu d’une personne. L’économie de la LIR veut que tout employé qui se voit conférer un traitement, un salaire ou une rémunération doive l’inclure dans son revenu. Pour cette raison, la non-imposition des avantages en l’espèce serait une absurdité, et une telle interprétation est à éviter.

[65]        L’intimée cite finalement le paragraphe 3 de l’article 45 de la Loi d’interprétation (précité) et fait valoir que l’alinéa 7(1)b.1) est venu clarifier la LIR.

[66]        L’intimée souligne que l’article 7 constitue une mesure incitative visant à rendre plus accessible l’acquisition de titres d’une société par les employés.

Prétentions de l’appelant

[67]        Pour sa part l’appelant affirme que l’article 7 de la LIR est un code complet quant à l’imposition des bénéfices reçus en vertu des options octroyées par un employeur à son employé pour l’achat d’actions de l’employeur ou d’une personne liée, mais que l’article 7 ne prévoit pas de bénéfice imposable dans le cas de l’appelant. 

[68]        L’appelant dit qu’à partir du moment où l’on s’appuie sur le texte introductif du paragraphe 7(3), on ne peut pas recourir à d’autres dispositions de la LIR pour imposer l’avantage reçu en vertu de l’option d’achat. Il en résulte que le bénéfice réalisé par l’appelant en vertu des options d’achat échappe à l’imposition.  

Analyse : inclusion au revenu

[69]        Il est clair à la lecture de l’article 7 qu’il s’agit d’un code pour l’imposition des options d’achat d’actions accordées aux employés, et par ce fait, que cet article constitue une disposition spéciale dans la LIR relatif à un avantage particulier tiré d’un emploi.

[70]        Alors, le principe generalibus specialia derogant s’appliquerait avec comme résultat que la disposition spéciale aurait préséance sur la disposition générale : 6(1)a). Comme dit le juge Strayer dans l’arrêt Chrysler :

7  […] Il est bien établi en common law que lorsqu'une loi renferme une disposition spéciale et une disposition générale et que cette dernière annulerait la première si on l'interprétait dans son sens le plus large, on doit alors donner effet à la disposition spéciale et considérer que la disposition générale ne s'applique pas dans ces circonstances particulières.

[71]        Il est vrai, comme le dit l’intimée, que si les conditions préalables à l’application d’une disposition spéciale ne sont pas réunies, que la disposition générale pourrait s’appliquer. C’est en fait ce qui s’est produit dans les deux arrêts de la Cour d’appel fédérale cités par l’intimée, Henley et Robertson.

 

[72]        Dans les deux cas, tous les critères énoncés au préambule du paragraphe 7(1) n’étaient pas réunis, et c’était pour cette raison que le ministre a réussi à imposer les avantages reçus par les contribuables, en vertu de l’alinéa 6(1)a).

 

[73]        Dans l’arrêt Henley, l’employé avait reçu des bons de souscription pour des actions d’une société qui n’était pas liée à l’employeur. Pour que l’article 7 s’applique, il faut que les actions prévues par la convention d’option d’achat soient des actions de l’employeur ou d’une société liée.

 

[74]        Dans l’arrêt Robertson, l’employeur était un particulier et donc n’était pas visé par l’expression « personne admissible » figurant au préambule du paragraphe 7(1). Selon la définition au paragraphe 7(7), une « personne admissible » est une société ou une fiducie de fonds de placement.  De plus, l’appelant dans l’affaire Robertson ne contestait pas avoir reçu un avantage en vertu du paragraphe 5(1) et de l’alinéa 6(1)a).

[75]        Mais il y a une distinction importante à faire entre ces arrêts et les circonstances en l’espèce. Dans les arrêts Henley et Robertson, la Cour d’appel fédérale n’avait pas à se prononcer sur l’application du paragraphe 7(3). Les conditions d’application du paragraphe 7(1) auxquelles les contribuables dans les affaires Henley et Robertson ne répondaient pas se trouvaient dans le préambule du paragraphe 7(1) même. Puisque les conditions précisées dans le préambule du paragraphe 7(1) sont les mêmes conditions que l’on retrouve au paragraphe 7(3), les contribuables évidemment ne répondaient pas aux conditions pour l’application du paragraphe 7(3).

[76]        Contrairement à la situation prévalant dans les arrêts Henley et Robertson, l’appelant répond aux conditions du préambule du paragraphe 7(1), ce qui veut dire qu’il répond à toutes les conditions d’application prévues au préambule du paragraphe 7(3) : Forages Garant est une personne admissible (selon la définition au paragraphe 7(7)) qui est convenue d’émettre de ses titres à son employé (l’appelant).

[77]        Je ne suis pas d’accord avec l’intimée que une des conditions énumérées aux alinéas 7(1)a) à d) doit aussi être rencontrée avant que l’application du paragraphe 7(3) ne soit écartée. Le paragraphe 7(3) ne fait mention d’aucune de ces conditions-là. Alors, dans le cas de l’appelant, le principe de generalibus specialia derogant s'appliquerait et le paragraphe 7(3) écarterait l’application de la disposition générale – l’alinéa 6(1)a).  Selon l’alinéa 7(3)a), l’appelant est réputé ne pas avoir reçu d’avantage en vertu de la convention d’option d’achat avec Forages Garant, sauf indication contraire à l’article 7. Les parties sont déjà convenues que l’article 7 ne prévoit pas l’imposition de l’avantage reçu par l’appelant dans les années pertinentes.

[78]        Il est vrai comme le dit l’intimée que le paragraphe 7(3) vise à empêcher une double imposition des avantages relatifs aux options d’achats accordées aux employés, mais en même temps, il faut reconnaître que le législateur a choisi aussi de préciser à l’article 7 quels avantages relatifs aux options seraient imposés et à quel moment ils seraient réputés être réalisés par les employés. 

[79]        L’intimée n’a pas démontré qu’il y avait une ambiguïté à l’alinéa 7(3)a) ou au paragraphe 7(1) en ce qui concerne les avantages que le législateur a choisi d’imposer et, à mon avis, le langage utilisé dans ces dispositions est clair et non‑équivoque. Le fait que les avantages reçus par l’appelant échapperont à l’imposition est dû à une échappatoire dans la législation, mais ce n’est pas le rôle de la Cour d’interpréter les dispositions fiscales de manière à protéger le fisc. La Cour d’appel fédérale s’est prononcée à cet effet récemment dans l’arrêt Canada c. Quinco Financial Inc.[21], aux paragraphes 8 et 9 :

 

[8] Dans l’ensemble, la Loi comporte des règles claires et précises en vue de faciliter son application, son uniformité et sa prévisibilité. Voilà qui fait ressortir le rôle primordial que joue le sens ordinaire du libellé de la Loi dans le processus d’interprétation de ses dispositions.

 

[9] Il peut y avoir des cas où des dispositions formulées en termes précis ou leur interaction procurent un avantage inattendu ou une aubaine à un inscrit en vertu de la Loi. Or, nous ne donnons pas aux dispositions fiscales une interprétation tendancieuse ou une interprétation visant à obtenir un résultat donné pour enrichir le Trésor fédéral : Shell Canada, supra, aux paragraphes 39 et 40. En l’absence de termes qui nous permettent de corriger des cas d’abus ou des aubaines, lorsque les dispositions sont précises, claires et non équivoques, il faut leur donner plein effet.

 

[80]        En 2010 la LIR a été modifiée pour introduire le nouvel alinéa 7(1)b.1). Cet alinéa est une copie de l’alinéa b), mais il s’applique dans les cas où il existe un lien de dépendance entre l’employé et la société émettrice. En d’autres mots, il s’appliquerait là où il y a un transfert des droits prévus par une option d’achat d’actions, où l’employé transfère ses droits à son employeur (ou à une personne liée) avec qui il a un lien de dépendance. Dans ce cas, l’employé serait réputé avoir reçu un avantage en raison de son emploi. Le nouvel alinéa 7(1)b.1) se lit comme suit :

b.1) dans le cas où l'employé a transféré des droits prévus par la convention afférents à tout ou partie des titres à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance qui est la personne admissible donnée ou une personne admissible avec laquelle celle-ci a un lien de dépendance, ou a autrement disposé de ces droits en faveur d'une telle personne, il est réputé avoir reçu, en raison de son emploi et au cours de l'année d'imposition où il a effectué la disposition, un avantage égal à l'excédent de la valeur visée au sous-alinéa (i) sur la somme visée au sous-alinéa (ii) :

[81]        L’intimée allègue que la modification était une clarification de la LIR, tel qu’indiqué à l’Annexe 5 du Budget de 2010[22] :

Le budget de 2010 propose également de modifier les règles de l'impôt sur le revenu afin de préciser que la disposition de droits aux termes d'une convention d'achat d'actions au profit d'une personne liée donne lieu à un avantage imposable relatif à l'emploi au moment de la disposition (notamment une disposition résultant de l'encaissement d'une option). Même si le gouvernement estime que ces avantages sont imposables dans ces circonstances d'après les règles fiscales en vigueur, il croit également qu'il y a lieu de préciser ces règles.

[82]        L'intimée s’appuie aussi sur le paragraphe 45(2) de la Loi d’interprétation, qui est ainsi rédigé:

 

45. (2) La modification d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l'a édicté, les considérait comme telles.

[83]        Bien que le simple fait qu’il y a une modification à la loi ne donne pas lieu à une présomption d’une intention de modifier la loi, la Cour doit tenir compte de la nature de la modification et des circonstances qui l’entourent en décidant  si le but de la modification était de changer la loi. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Silicon Graphics Ltd. c. La Reine[23], s’est prononcée ainsi :  

 

[43] Toutefois, la Loi d'interprétation n'empêche pas la Cour de tirer une inférence selon laquelle les modifications sont destinées à changer la loi lorsque la preuve interne et externe justifie une telle conclusion. On a laissé entendre qu'il existe une présomption selon laquelle les modifications apportées au libellé d'une loi ont un but et que les dispositions de la Loi d'interprétation mentionnées ci-dessus n'empêchent pas la Cour de reconnaître que, en principe du moins, l'objet principal des modifications est de provoquer un changement considérable du droit. Voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Londres: Butterworths, 1994), à la page 451.

[84]        À mon avis, l’introduction du nouvel alinéa 7(1)b.1) a apporté un changement à la LIR et non seulement une « précision ». Tout d’abord, l’intimée ne conteste pas que les avantages reçus par l’appelant ne sont pas imposables en vertu de l’article 7 (dans sa version en vigueur pendant les années en question) mais elle maintient que l’alinéa 6(1)a) s’applique pour inclure les avantages au revenu de l’appelant. Pourtant, il y a une importante différence entre l’application de l’alinéa 6(1)a) et du nouvel alinéa 7(1)b.1). L’alinéa 6(1)a) ajouterait l’avantage au revenu de l’appelant au moment de l’octroi de l’option d’achat, et non au moment de la disposition du droit, tel que le prévoit dorénavant l’alinéa 7(1)b.1). Ainsi, l’ajout de l’alinéa 7(1)b.1) modifie tout au moins le moment de l’inclusion de l’avantage au revenu d’un employé.

 

[85]        Plus important encore, c’est l’effet du paragraphe 7(3) de la LIR selon lequel l’article 7 est un code complet pour l’imposition des avantages reçus en vertu des options d’achat d’actions accordées par un employeur à son employé. Puisque l’intimée ne conteste pas que, pour les années en question, l’article 7 ne s’appliquait pas aux avantages reçus par l’appelant, il est évident que l’ajout de l’alinéa 7(1)b.1) opère un changement à l’article 7 et non pas une clarification. 

 

[86]        Finalement, il faut se demander si l’interprétation découlant du sens ordinaire des termes de l’article 7 peut être écartée en raison d’un résultat absurde. Le principe d’interprétation législative selon lequel il faut éviter d’adopter une interprétation qui mène à un résultat absurde est bien établi. La validité de ce principe a notamment été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.[24], où la Cour s’est exprimée en ces termes :

 

27. […] Selon un principe bien établi en matière d'interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D'après Côté, op. cit. [Pierre-André Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 2nd ed. (Cowansville : Yvon Blais, 1991)], on qualifiera d'absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d'autres dispositions ou avec l'objet du texte législatif (aux pp. 430 à 432). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu'on peut qualifier d'absurdes les interprétations qui vont à l'encontre de la fin d'une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile (Sullivan, Construction of Statutes, op. cit. [Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3d ed. (Toronto : Butterworths, 1994)] à la p. 88).

[87]        Pourtant, les tribunaux n’ont pas la faculté d’interpréter les lois, peu importe jusqu’à quel point les résultats peuvent être rigides ou absurdes, tant qu’il n’a pas été démontré que les termes en question peuvent, dans le contexte où ils sont utilisés, avoir plus d’un sens. Se prononçant pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Mclntosh[25],l’ancien juge en chef Lamer a déclaré :

 

34     […] lorsqu'une législature adopte un texte législatif qui emploie des termes clairs, non équivoques et susceptibles d'avoir un seul sens, ce texte doit être appliqué même s'il donne lieu à des résultats rigides ou absurdes ou même contraires à la logique (Maxwell on the Interpretation of Statutes, op. cit., à la p. 29). Le fait qu'une disposition aboutit à des résultats absurdes n'est pas, à mon avis, suffisant pour affirmer qu'elle est ambiguë et procéder ensuite à une analyse d'interprétation globale.

 

[…]

36     En conséquence, ce n'est que lorsqu'un texte législatif est ambigu, et peut donc raisonnablement donner lieu à deux interprétations, que les résultats absurdes susceptibles de découler de l'une de ces interprétations justifieront de la rejeter et de préférer l'autre.

[Non souligné dans l’original.]

 

[88]        Dans le même sens, le juge Bowman a déclaré dans l’affaire Datacalc Research Corp. c. Canada[26] :

54 Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que le fait qu’une disposition légale puisse dans certaines circonstances donner lieu à un résultat injuste ou malencontreux ou même absurde puisse justifier de faire fi de cette disposition ou ne de pas l’appliquer à une série différente de circonstances. […] Modifier un libellé légal clair pour qu’il cadre avec l’idée du juge quant à ce qui serait plus raisonnable ou plus juste ou moins absurde, ce serait usurper le rôle du législateur.

[Non souligné dans l’original.]

[89]        En l’espèce, le libellé de l’alinéa 7(3)a) est clair et il n’y a pas lieu de recourir à la présomption que son interprétation est susceptible de conduire à des résultats absurdes.

[90]        J’en conclus que les montants reçus par l’appelant de Forages Garant en relation avec l’option d’achat d’actions ne doivent pas être inclus dans le revenu de l’appelant en 2004, 2005 et 2006.

[91]        L’appel est accueilli en conformité avec ces motifs et en conformité avec le consentement à jugement partiel produit par les parties, le tout avec dépens à l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de juin 2014.

 

 

« B.Paris »

Juge Paris


Annexe A

 



 

 

RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 207

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-1972(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MICHEL MATHIEU ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 13 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 27 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Emmanuelle Campeau

Me Paul Ryan

Avocates de l'intimée :

Me Marie-Aimée Cantin

Me Anne-Marie Boutin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour :

 

                     Nom :                           Me Emmanuelle Campeau

                                                          Me Paul Ryan

 

                 Cabinet :

 

Pour l’intimée:

William F. Pentney

 

Sous-procureur général du Canada

 

Ottawa, Canada

 

 



[1]           [1995] R.D.F. 619 (C.A.).

[2]           Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61.

[3]           RL c. EB, 2003 R.D.F. 55.

[4]           LRQ c, C-1991.

[5]           LRQ, c. R-9.

[6]           RRQ, c. A-29, r.5.

[7]           LRQ c. A-13.1.1.

[8]           LRQ, c. N-1.1.

[9]           LRQ, c. R-15.1.

[10]          2003 R.D.F.Q. 102.

[11]          L.R.Q., c. A-6.002.

[12]          Chapitre I-3.

[13]          L.R.O. 1990, c M.33.

[14]          [2006] 1 R.C.S. 715, 2006 CSC 20.

[15]          L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.)

 

[16]          [1992] A.C.F. no 361.

[17]          [1990] 2 C.F. 717.

[18]          2007 CAF 370.

[19]          [1983] 2 R.C.S. 428.

[20]          L.R.C. (1985), ch. I-21).

[21]          2014 CAF 108.

[22]          Ministère des Finances, Annexe 5: Mesures fiscales: Renseignements supplémentaires et Avis de motion de voies et moyens, 4 mars 2010, à la p. 391.

[23]          2002 FCA 260.

[24]          [1998] 1 S.C.R. 27.

[25]          [1995] 1 R.C.S. 686, [1995] A.C.S. no 16.

[26]          [2002] A.C.I. no 99, [2002] C.T.C. 2548.

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