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Dossier : 2014-641(IT)I

ENTRE :

DOUGLAS P. OCHITWA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 16 juillet 2014, à Calgary (Alberta)

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2011 est rejeté.

Signé à Toronto (Ontario), ce 2e jour de septembre 2014.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de mars 2016.

M.-C. Gervais


Référence : 2014 CCI 263

Date : 20140902

Dossier : 2014-641(IT)I

ENTRE :

DOUGLAS P. OCHITWA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]             M. Ochitwa interjette appel, sous le régime de la procédure informelle, à l’encontre de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour son année d’imposition 2011. Le ministre a refusé le montant pour personne entièrement à charge (alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)) et le montant pour enfant (alinéa 118(1)b.1) de la Loi) au motif que M. Ochitwa ne pouvait pas demander ces déductions au titre du paragraphe 118(5) de la Loi, car il était tenu de payer une pension alimentaire.

[2]             Voici un résumé des faits. M. Ochitwa et son épouse se sont séparés en 2003. Ils avaient deux enfants, tous deux d’âge mineur. Ils ont conclu une entente de garde partagée et ont obtenu une ordonnance de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, prononcée le 11 janvier 2011, dont voici un extrait :

[traduction]

ET ATTENDU QUE, selon les lignes directrices, le revenu de la demanderesse en 2010 est estimé à 80 000 $ et le revenu du défendeur en 2010 est estimé à 120 000 $ [...] LA COUR ORDONNE :

                                    1.      le défendeur doit verser à la demanderesse une pension alimentaire de 549 $ par mois à compter du 1er janvier 2011, puis le premier jour de chaque mois par la suite jusqu’à ce que la Cour rende une autre ordonnance ou jusqu’à ce que l’enfant cesse d’être un enfant au sens de la Loi sur le divorce.

[3]             Comme l’a expliqué M. Ochitwa et comme l’a confirmé son avocat dans une lettre, le montant de la pension alimentaire se fondait sur la compensation des deux revenus, conformément à ce que prévoient les tables fédérales simplifiées de pensions alimentaires pour enfants pour la province de l’Alberta dans le cas d’une pension alimentaire pour deux enfants (M. Ochitwa gagnait 40 000 $ de plus que son ex-épouse). M. Ochitwa a laissé entendre que le montant de la pension alimentaire varierait en fonction des revenus, de sorte que, si le revenu de son ex‑épouse était supérieur au sien, celle‑ci devrait payer la pension alimentaire. Il ressort clairement du libellé de l’ordonnance que cela pourrait se produire uniquement si une ordonnance subséquente était rendue.

[4]             Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

118(1)b)          le total de […] et de la somme obtenue par la formule ci-après si le particulier ne demande pas de déduction pour l’année par l’effet de l’alinéa a) et si, à un moment de l’année :

(i)        d’une part, il n’est pas marié ou ne vit pas en union de fait ou, dans le cas contraire, ne vit pas avec son époux ou conjoint de fait ni ne subvient aux besoins de celui-ci, pas plus que son époux ou conjoint de fait ne subvient à ses besoins,

 (ii)       d’autre part, il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient aux besoins d’une personne qui, à ce moment, remplit les conditions suivantes :

(A)       elle réside au Canada, sauf s’il s’agit d’un enfant du particulier,

(B)       elle est entièrement à charge soit du particulier, soit du particulier et d’une ou de plusieurs de ces autres personnes,

(C)       elle est liée au particulier,

(D)       sauf s’il s’agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, elle est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique,

[...]

(5)        Aucun montant n’est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition si le particulier, d’une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne et, d’autre part, selon le cas :

a)         vit séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l’année pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait;

b)         demande une déduction pour l’année par l’effet de l’article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait.

(5.1)     À supposer que la présente loi s’applique compte non tenu du présent paragraphe, dans le cas où personne n’a droit, par le seul effet du paragraphe (5), à la déduction prévue aux alinéas (1)b) ou b.1) pour une année d’imposition relativement à un enfant, le paragraphe (5) ne s’applique pas relativement à l’enfant pour l’année en cause.

[5]             Bien que M. Ochitwa reconnaisse que le paragraphe 118(5) de la Loi a pour objectif d’empêcher une personne de se prévaloir des déductions prévues au paragraphe 118(1) de la Loi si elle est tenue de payer une pension alimentaire, il doute qu’il soit approprié d’appliquer cette disposition lorsqu’il existe une entente de garde partagée visant plus d’un enfant et lorsque les paiements sont établis en fonction d’une compensation. Si M. Ochitwa avait payé une pension alimentaire seulement pour un enfant, j’aurais peut‑être retenu son argument. Cependant, dans les circonstances, il m’est impossible de le faire.

[6]             M. Ochitwa a porté à mon attention un extrait du site Web de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), intitulé « Garde partagée et montant pour une personne à charge admissible », particulièrement les exemples 2 et 3. Les voici :

Exemple 2

Stéphane et Christine partagent la garde de leurs enfants Samuel et Émilie. Ces derniers passent 50 % de leur temps avec Stéphane et l’autre 50 % avec Christine. L’accord écrit prévoit que Stéphane doit payer 300 $ par mois à Christine et que cette dernière doit payer 400 $ par mois à Stéphane. Pour des raisons pratiques, Christine accepte que Stéphane ne lui remette pas de chèque mensuel. Elle lui versera tout simplement 100 $ par mois. De cette façon, ils remplissent tous les deux leurs obligations alimentaires.

Stéphane demandera le montant pour une personne à charge admissible à la ligne 305 de sa déclaration de revenus et de prestations pour Samuel. Christine demandera le montant pour une personne à charge admissible à la ligne 305 de sa déclaration de revenus et de prestations pour Émilie.

Exemple 3

Bernard et Jocelyne partagent la garde de leurs enfants Éric et Coralie. Ces derniers passent 50 % de leur temps avec Bernard et l’autre 50 % avec Jocelyne. En fonction des revenus de Bernard et de Jocelyne, l’ordonnance du tribunal prévoit que Bernard doit payer 250 $ par mois à Jocelyne selon les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. Le montant que Bernard paie à Jocelyne est considéré comme une pension alimentaire. Par conséquent, Bernard n’a pas le droit de demander de montant à la ligne 305 pour Éric et Coralie. Cependant, Jocelyne peut demander un montant pour une personne à charge admissible à la ligne 305 de sa déclaration de revenus et de prestations pour ses deux enfants.

[7]             M. Ochitwa veut savoir pourquoi, dans une entente de garde partagée et non dans l’autre, les deux parents semblent avoir le droit de demander la déduction prévue à l’alinéa 118(1)b) de la Loi. L’intimée a répondu par écrit à ma question à cet égard :

[traduction]

Le ministre du Revenu national confirme qu’à son avis, dans l’exemple 2, les deux parents peuvent demander une déduction au titre de l’alinéa 118(1)b), tandis que, dans l’exemple 3, seulement Julie peut demander une déduction au titre de l’alinéa 118(1)b).

Dans l’exemple 2, les deux parents sont tenus par la loi de payer une pension alimentaire pour leurs deux enfants conformément à l’entente écrite. Par conséquent, ils peuvent conclure une entente leur permettant tous deux de demander le crédit prévu à l’alinéa 118(1)b) pour un de leurs enfants, comme le prévoit le paragraphe 118(5.1).

Dans l’exemple 3, seul William est tenu de payer une pension alimentaire selon la loi pour ses enfants conformément à l’ordonnance du tribunal. Le paragraphe 118(5) l’empêche de demander le crédit prévu à l’alinéa 118(1)b) pour l’un ou l’autre de ses enfants.

Il m’est impossible de ne pas souscrire aux conclusions de l’intimée, mais je suis étonné de constater que, dans le cadre d’une situation de garde partagée, un parent pourra ou non demander le crédit au titre du montant pour personne à charge admissible simplement en raison de la façon dont une ordonnance ou un accord est rédigé. Par exemple, lorsqu’une entente de garde partagée vise deux enfants, il me semble qu’il y a trois façons possibles de prévoir comment sera payée la pension alimentaire pour enfants lorsque chacun des parents gagne un revenu :

                                   1.      les parents conviennent, ou il leur est ordonné, de payer une pension alimentaire pour un enfant (l’un doit payer 400 $, par exemple, et l’autre 300 $ – le montant net étant de 100 $) : les deux parents pourraient demander le crédit au titre du montant pour personne à charge admissible;

                                   2.      comme dans l’exemple 2 ci-dessus, les deux parents conviennent, ou il leur est ordonné, de payer une pension alimentaire pour les deux enfants (l’un doit payer 300 $, par exemple, et l’autre 400 $ – le montant net étant de 100 $ : les deux parents peuvent se fonder sur le paragraphe 118(5.1) de la Loi, ce qui annule l’effet du paragraphe 118(5) de la Loi);

                                   3.      comme dans le cas de M. Ochitwa, le parent dont le revenu est le plus élevé est tenu de payer une pension alimentaire pour les deux enfants (le montant net étant de 100 $ : aucun crédit au titre du montant pour personne à charge admissible ne serait accordé).

[8]             Donc, il s’agit d’une même entente de garde partagée, d’une même incidence fiscale, mais d’un résultat différent. C’est malheureux. Pourquoi chacun des parents (lorsqu’ils gagnent tous deux un revenu) d’au moins deux enfants, visés par une entente de garde partagée concernant deux enfants ou plus, ne pourraient-ils pas demander un crédit au titre du montant pour personne à charge admissible – un enfant chacun? À mon avis, il faudrait apporter des précisions à ces dispositions afin de s’assurer plus clairement de réaliser les objectifs de la politique, vraisemblablement dans l’intérêt des enfants.

[9]             Me Softley, l’avocate de l’intimée, laisse entendre que l’arrêt Verones c Sa Majesté la Reine[1], rendu récemment par la Cour d’appel fédérale, apporte une réponse complète à la présente affaire. Il s’agit d’un arrêt qui porte également sur une entente de garde partagée et une ordonnance qui précise la différence entre le montant total que l’appelant dans cette affaire était tenu de payer pour subvenir aux besoins des enfants, et le montant que l’ex-épouse était tenue de payer au même titre, conformément aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. La Cour d’appel a conclu ce qui suit :

Tout le débat autour du concept de la compensation ne fait que détourner notre attention de la véritable question, en l’occurrence celle de savoir si l’appelant est ou non le seul parent payant une « pension alimentaire pour enfants » conformément à une « ordonnance d’un tribunal compétent » ou à un « accord écrit » au sens de la Loi.

[…]

[…] le concept de la compensation ne transforme pas l’obligation respective des parents de contribuer à l’éducation des enfants en une « pension alimentaire » au sens de la Loi.

[10]        Je conviens que la compensation n’est qu’une façon de déterminer qui est tenu de faire le versement : il ne s’agit pas d’une obligation relative au versement réciproque de deux pensions alimentaires, mais, comme je l’ai démontré plus haut, l’ordonnance ou l’accord aurait facilement pu être rédigé autrement.

[11]        Je me sens tenu de conclure que, selon le paragraphe 118(5) de la Loi, une personne dans la même situation que M. Ochitwa n’a pas droit au montant pour personne à charge admissible. Malheureusement, cela semble aller à l’encontre de l’objectif du montant pour personne à charge admissible, soit de procurer un avantage à l’enfant, lorsqu’en fait il y a plus d’un enfant. Dans le cas d’une telle entente de garde partagée, une quelconque raison empêche de demander deux déductions au titre de l’alinéa 118(1)b), ce qui laisse plus d’argent pour les enfants. Il semble que deux enfants ne profitent pas des mêmes avantages qu’un seul enfant.

[12]        Il est facile de sentir la frustration de M. Ochitwa à l’égard du régime législatif et peut‑être à l’égard de la possibilité de manipuler ce régime. Malheureusement pour M. Ochitwa, ses questions sur la politique législative sous‑tendant ces dispositions sont peut-être légitimes, mais elles relèvent de la compétence des législateurs. Aux termes de la Loi, telle qu’elle est libellée, pour que M. Ochitwa soit admissible au montant pour personne entièrement à charge suivant l’alinéa 118(1)b), les critères suivants doivent être respectés :

                                   1.      à un moment de l’année, l’enfant devait être entièrement à la charge de M. Ochitwa (division 118(1)b)(ii)(B) de la Loi);

                                   2.      M. Ochitwa n’est pas tenu de payer une pension alimentaire pour cet enfant.

[13]        Lorsque l’un des enfants ou les deux enfants habitaient avec M. Ochitwa, je suis convaincu qu’ils étaient entièrement à la charge de celui‑ci. M. Ochitwa satisfait au premier critère. En ce qui a trait au deuxième critère, la preuve révèle que la pension alimentaire que payait M. Ochitwa avait été établie en fonction des deux enfants. Comme il était tenu de payer une pension alimentaire pour les deux enfants, il ne satisfait pas au deuxième critère. Le paragraphe 118(5.1) de la Loi ne permet pas renverser cette conclusion, car l’ordonnance du tribunal n’impose pas à son ex‑épouse l’obligation juridique de verser une quelconque pension alimentaire.

[14]        Je dois rejeter l’appel de M. Ochitwa.

Signé à Toronto (Ontario), ce 2e jour de septembre 2014.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de mars 2016.

M.-C. Gervais




[1]           2013 CAF 69.

 

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