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Dossiers : 2011-1699(EI)

2011-1700(CPP)

ENTRE :

LES ENSEIGNANTS DE LANGUE
ANGLAISE DE MONTRÉAL LTÉE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DALIA EL MOURAD,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Les Enseignants de langue anglaise de Montréal ltée (2012-2986(EI), 2012-2987(EI), 2012‑2989(EI), 2012-3198(EI), 2012-3199(EI), 2012‑3200(EI), 2012‑3201(EI), 2012-3202(EI), 2012-3203(EI), 2012‑3204(EI),

2012-3206(EI)) les 16, 17 et 18 juillet 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré


Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Nadine Afif

Avocat de l’intimé :

Me Mathieu Tanguay

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, les appels sont accueillis et la décision du ministre du Revenu national est modifiée et remplacée par la suivante : Dalia El Mourad n’a pas exercé un emploi assurable ou ouvrant droit à pension auprès de Les Enseignants de langue anglaise de Montréal ltée au sens de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, respectivement, au cours de la période du 26 octobre 2009 au 31 juillet 2010.

Signé à Montréal (Québec), ce 26e jour de septembre 2014.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2014.

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


Dossiers : 2012-2986(EI)

2012-2987(EI), 2012 2989(EI)

2012-3198(EI), 2012-3199(EI)

2012 3200(EI), 2012 3201(EI)

2012-3202(EI), 2012-3203(EI)

2012 3204(EI), 2012-3206(EI)

ENTRE :

LES ENSEIGNANTS DE LANGUE

ANGLAISE DE MONTRÉAL LTÉE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Les Enseignants de langue anglaise de Montréal ltée (2011-1699(EI) et 2011-1700(CPP))

les 16, 17 et 18 juillet 2014, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré

Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Nadine Afif

Avocat de l’intimé :

Me Mathieu Tanguay

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, les appels sont accueillis et la décision du ministre du Revenu national est modifiée et remplacée par la suivante : Christine Bisaillon, Liza Rumjahn, Mark Miller, André Beauregard, Michael Dawson, Judith Gostick, Janice Walsh-Bonal, Marco Sisti, Tanya Linkletter, Andrea Rancourt et Marika Andrassi n’ont pas exercé un emploi assurable auprès de Les Enseignants de langue anglaise de Montréal ltée au sens de la Loi sur l’assurance-emploi au cours de la période du 30 avril 2008 au 18 août 2011.

Signé à Montréal (Québec), ce 26e jour de septembre 2014.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2014.

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


Référence : 2014 CCI 287

Date : 20140926

Dossiers : 2011-1699(EI), 2011-1700(CPP)

ENTRE :

LES ENSEIGNANTS DE LANGUE

ANGLAISE DE MONTRÉAL LTÉE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

DALIA EL MOURAD,

intervenante,

et

Dossiers : 2012-2986(EI), 2012-2987(EI)

2012-2989(EI), 2012-3198(EI)

2012-3199(EI), 2012-3200(EI)

2012-3201(EI), 2012-3202(EI)

2012-3203(EI), 2012-3204(EI)

2012-3206(EI)

ENTRE :

LES ENSEIGNANTS DE LANGUE

ANGLAISE DE MONTRÉAL LTÉE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Jorré

Introduction

[1]             L’appelante – la payeuse – exploite une entreprise de fourniture de services de formation linguistique.

[2]             Elle interjette appel d’une série de décisions du ministre selon lesquelles les douze personnes fournissant des services de formation exerçaient un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-emploi et l’une d’elles exerçait également un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada.

[3]             La distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est souvent bien claire, mais il existe une zone grise où il est nettement plus difficile de faire la distinction entre les deux, et il n’est guère surprenant que ce soit souvent le cas dans les affaires qui donnent lieu à un procès. Il en est ainsi en l’espèce pour certains des contrats en cause[1].

[4]             Les appels ont tous été entendus ensemble sur preuve commune, mais certains éléments de la preuve ne s’appliquent qu’à certains d’entre eux.

[5]             Les deux copropriétaires de l’appelante, Paule Grenier et Susan Bell, ont témoigné, de même que trois des personnes qui ont fourni des services de formation linguistique : Janice Walsh-Bonal, Mark Miller et Dalia El Mourad. Marie-Josée Simard, agente des appels à l’Agence du revenu du Canada, a témoigné elle aussi. L’audition de l’affaire a duré trois jours[2].

[6]             Je signale par ailleurs que Dalia El Mourad a été la seule personne à déposer une intervention; elle a été présente l’une des journées de l’audition, celle où elle a témoigné.

L’appel relatif au Régime de pensions du Canada

[7]             Le seul appel relatif au Régime de pensions du Canada concerne Dalia El Mourad.

[8]             Rien ne dénote qu’il y ait une différence importante entre l’appel relatif à l’assurance-emploi et l’appel relatif au Régime de pensions du Canada qui concernent Dalia El Mourad.

[9]             L’appelante et l’intimé conviennent que les résultats de l’appel relatif à l’assurance-emploi de Dalia El Mourad devraient également s’appliquer à son appel relatif au Régime de pensions du Canada. En conséquence, je n’analyserai pas davantage l’appel relatif au Régime de pensions du Canada de Dalia El Mourad, et j’y appliquerai le résultat concernant son appel relatif à l’assurance-emploi.

Les périodes en litige

[10]        Les périodes en litige présentent un problème. Dans onze des douze affaires d’assurance-emploi, la décision portée en appel conclut que la personne a exercé un emploi assurable du 30 avril 2008 au 18 août 2011.

[11]        Il ressort très clairement de la preuve qu’il y a certains moments au cours de la période du 30 avril 2008 au 18 août 2011 où certaines des onze personnes en question n’étaient ni des employés ni des entrepreneurs indépendants de l’appelante. L’annexe I décrit plus en détail ce problème.

[12]        En conséquence, dans les appels concernant Liza Rumjahn, André Beauregard, Michael Dawson, Judith Gostick, Christine Bisaillon, Mark Miller et Janice Walsh-Bonal, quelle que soit l’issue quant au statut de ces personnes, les décisions sont erronées pour ce qui est d’une partie au moins de la période précisée. Cela étant, il convient nécessairement d’accueillir les appels, ne serait-ce que pour modifier cette période.

Le droit applicable

[13]        L’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi indique, en partie, qu’un emploi assurable est « l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services […] exprès ou tacite ».

[14]        Cet alinéa ne définit pas ce qu’est un contrat de louage de services. Pour savoir s’il existe un tel contrat, il faut se reporter au droit civil général qui est en vigueur dans la province applicable en vue de déterminer s’il existe un contrat de travail; voir l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, qui confirme cette démarche.

[15]        Nul ne conteste que le droit applicable est celui du Québec[3].

[16]        Le Code civil du Québec (le « Code civil ») définit en ces termes ce qu’est un contrat de travail, à l’article 2085 :

Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

[17]        En l’espèce, les deux premiers éléments du contrat sont présents : le travail et la rémunération. La question est de savoir s’il existe un contrôle ou une subordination, soit le troisième élément de la définition.

[18]        Le premier paragraphe de l’article 2089 du Code civil indique, au sujet du contrat de travail :

Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l'employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence.

[19]        Le Code civil définit comme suit ce qu’est un contrat d’entreprise ou de service, à l’article 2098 :

Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

[20]        Les articles suivants, qui se rapportent aux contrats d’entreprise ou de service, sont eux aussi pertinents :

2099 L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[…]

2101 À moins que le contrat n'ait été conclu en considération de ses qualités personnelles ou que cela ne soit incompatible avec la nature même du contrat, l'entrepreneur ou le prestataire de services peut s'adjoindre un tiers pour l'exécuter; il conserve néanmoins la direction et la responsabilité de l'exécution.

[…]

2103 L'entrepreneur ou le prestataire de services fournit les biens nécessaires à l'exécution du contrat, à moins que les parties n'aient stipulé qu'il ne fournirait que son travail.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[21]        Enfin, les articles 1425 et 1426 du Code civil prévoient :

1425 Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés

1426 On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

[22]        La Cour d’appel fédérale a passé en revue les grands principes de droit qui s’appliquent en ce domaine dans les arrêts Grimard c. Canada[4] et 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national)[5]. La décision que la Cour d’appel du Québec a rendue dans Bermex International inc. c. Agence du revenu du Québec[6] suit essentiellement la même approche.

[23]        En l’espèce, la principale question consiste à savoir si, aux termes des contrats, les personnes en question entretenaient un rapport de subordination avec l’appelante, c’est-à-dire la payeuse. Autrement dit, les personnes enseignaient-elles une langue seconde sous la direction ou le contrôle de l’appelante?

[24]        À cet égard, il est fort important de garder à l’esprit la distinction parfois complexe qu’il y a entre le droit de l’employeur de contrôler l’exécution du travail et le droit d’un client de contrôler la qualité et le résultat de ce travail. Voir l’arrêt Grimard[7], où la Cour d’appel fédérale écrit :

Selon les dictionnaires Le Petit Robert et Le Petit Larousse Illustré, la subordination d’une personne implique la dépendance de celle-ci à une autre ou son assujettissement au contrôle de cette dernière. Le contrat d’entreprise se caractérise donc par une absence de contrôle de l’exécution du travail, un contrôle qu’il ne faut pas confondre avec celui de la qualité et du résultat. Le législateur québécois y ajoute également comme élément de définition le libre choix par l’entrepreneur des moyens d’exécution du contrat.

[25]        Il importe aussi de garder à l’esprit que lorsqu’un client conclut un contrat avec une personne – une personne que j’appellerai l’entrepreneur principal - qui sous-traite à son tour une partie du travail, cet entrepreneur principal est tenu de se soucier de la qualité et du résultat du travail du sous-traitant.

[26]        Pour déterminer la nature du contrat, l’intention des parties est un facteur important. La première étape consiste à déterminer quelle est cette intention.

[27]        Cela se fait en examinant non seulement le contrat, mais aussi en tenant compte d’un certain nombre d’autres facteurs, comme les circonstances entourant la formation du contrat et le fait de savoir si le comportement des parties concorde avec l’intention exprimée. Par exemple, il est possible d’examiner si l’intention exprimée d’une personne et la façon dont celle-ci a produit sa déclaration de revenus concordent.

[28]        Cependant, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Connor Homes[8] : « [l]’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs » et « [l]a seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties ».

[29]        Dans l’arrêt Connor Homes[9], la Cour indique également :

La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour assurer les services le fait, concrètement, en tant que personne travaillant à son compte. Comme l’expliquent aussi bien les arrêts Wiebe Door que Sagaz, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et il n’y a pas de formule fixe qu’on puisse appliquer, dans l’examen qui permet de répondre à cette question. Les facteurs à prendre en considération varient donc selon les faits de l’espèce. Néanmoins, les facteurs que spécifient les arrêts Wiebe Door et Sagaz sont habituellement pertinents, ces facteurs étant le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit lui‑même son outillage, engage ses assistants, gère et assume des risques financiers, et peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

[30]        Même si Connor Homes est une décision ontarienne et si le critère énoncé à l’article 2085 du Code civil est la subordination, ce qui est différent du critère que prévoit la common law, il ressort clairement de l’arrêt Grimard[10] que, pour déterminer s’il y a subordination - sur le plan juridique – ou non, les critères applicables en common law sont des indices utiles.

[31]        Il est question de ces indices dans l’ouvrage intitulé Le droit du travail du Québec[11], sixième édition, où son auteur, Robert Gagnon, écrit ceci :

92 — Notion — Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

[32]        Pour déterminer s’il y a contrôle ou non, aucun facteur particulier n’est déterminant et il est nécessaire de prendre en considération n’importe quel facteur qui se révèle pertinent dans les circonstances, dont les suivants :

a)                 le degré de contrôle que le payeur exerce sur les activités de la personne;

b)                le degré d’intégration de la personne à l’entreprise du payeur;

c)                 si la personne :

(i)                fournit son propre matériel;

(ii)             peut embaucher des assistants[12];

(iii)           gère et assume ses risques financiers;

(iv)           a la possibilité de tirer profit de l’exécution de ses tâches.

[33]        En gardant ces principes à l’esprit, examinons maintenant les faits des présentes affaires.

L’historique de l’entreprise

[34]        L’entreprise appelante fournit des services de formation en anglais, langue seconde à ses clients, de même que des services de formation en français, langue seconde. Il est possible aussi qu’elle fournisse des services de formation en langues étrangères.

[35]        L’entreprise a été fondée au départ par des personnes, dont les deux propriétaires actuelles de l’appelante, qui fournissaient des services de formation linguistique à Bell Canada. Au début des années 1990, Bell a procédé à quelques coupes budgétaires et les premières d’entre elles ont touché les services de formation linguistique.

[36]        Comme certains élèves étaient toujours intéressés à suivre une formation linguistique, quatre des enseignants ont créé une société de personnes qui a continué de fournir des services de formation.

[37]        En 1994, le gouvernement du Québec a pris des mesures en vue de promouvoir la formation des employés; vu la manière dont ces mesures étaient structurées, les membres de la société de personnes sont arrivés à la conclusion qu’il serait préférable de se constituer en personne morale. L’appelante a été constituée en personne morale au milieu des années 1990.

[38]        De façon générale, l’appelante a calqué son mode de fonctionnement sur celui que ses fondateurs appliquaient à l’époque où ils fournissaient des services de formation pour Bell.

[39]        À mesure que les activités prenaient de l’ampleur, l’appelante a commencé à recourir aux services d’enseignants autres que ceux qui avaient travaillé au départ chez Bell. Tous les enseignants qu’elle embauche à contrat sont des enseignants en langue seconde agréés.

L’intention

Le contrat

[40]        Les contrats produits en preuve sont d’une longueur d’une page[13], et il y a un contrat distinct pour chaque cours enseigné.

[41]        Les contrats sont intitulés [traduction] « Sous-contrat d’embauche d’enseignants » et il y est indiqué que l’appelante embauche la personne désignée à titre [traduction] « [d’]enseignant autonome et indépendant[14] » pour un nombre fixe d’heures et à un tarif horaire précisé, à compter d’une date particulière.

[42]        Le contrat indique également le montant total à payer; il précise que les paiements seront faits mensuellement et fondés sur la présentation de feuilles de temps, et que le montant payé dépendra du nombre d’heures enseignées.

[43]        Le contrat dispose que l’enseignant recevra le paiement final après avoir remis la totalité du matériel de l’appelante, les évaluations de cours remplies par les élèves ainsi que les rapports d’avancement des élèves.

[44]        L’appelante peut résilier le contrat sur-le-champ si les élèves annulent le cours. Chaque partie peut résilier le contrat sur préavis écrit de 14 jours. Si un enseignant résilie le contrat à la dernière minute, une pénalité de 50 $ est prévue, et elle est déduite de la prochaine facture.

[45]        Les contrats disposent que les enseignants doivent payer leurs propres dépenses ainsi que les charges fiscales connexes. On relève toutefois une différence entre les contrats au sujet de cette disposition. Les contrats que comportent les pièces R‑2 et R‑3 indiquent uniquement que les enseignants doivent payer les dépenses et les charges fiscales connexes qui leur sont propres, mais ceux que contient la pièce R‑5 prescrivent également que les enseignants peuvent faire des photocopies au bureau de l’appelante.

[46]        Les contrats déposés en tant que pièces R‑2 et R‑3 sont en anglais. Ils ont été produits par Janice Walsh-Bonal et Mark Miller. Les contrats que comporte la pièce R‑5 sont en français et ils ont été déposés par Dalia El Mourad.

[47]        Les contrats ne comportent pas de clause de non-concurrence générale, mais ils comprennent toutefois une disposition par laquelle l’enseignant convient de ne pas conclure directement un contrat d’enseignement avec l’un des clients de l’appelante pendant un délai de trois ans. Là encore, il y a une différence dans les contrats figurant dans la pièce R‑5, lesquels comportent une disposition additionnelle par laquelle la personne convient de ne pas utiliser le matériel de l’appelante auprès d’un autre client pendant un délai de trois ans.

L’intention des différentes personnes en cause

[48]        Il ressort clairement du témoignage de Paule Grenier et de Susan Bell que la société considérait les enseignants comme des travailleurs autonomes[15].

[49]        Janice Walsh-Bonal et Mark Miller ont déclaré qu’ils se considéraient comme des travailleurs autonomes. C’est sur cette base qu’ils ont produit leurs déclarations de revenus, et ils ont déduit des dépenses.

[50]        Selon les hypothèses du ministre, six autres enseignants se considéraient comme des travailleurs autonomes tandis qu’une, Christine Bisaillon, n’était pas sûre de son statut.

[51]        Là encore, selon les hypothèses du ministre, André Beauregard et Marika Andrassi se considéraient comme des employés.

[52]        Enfin, Dalia El Mourad a déclaré pour sa part qu’elle ne comprenait pas le contrat.

[53]        Elle a également déclaré qu’elle se considérait comme une employée. Elle ne voyait pas de différence entre ce qu’elle faisait pour l’appelante et ce qu’elle avait fait pour l’Alliance française, à Toronto. Cette dernière la considérait comme une employée à temps partiel.

[54]        Interrogée sur l’absence de retenues dans les paiements de l’appelante par rapport à ceux de l’Alliance française, elle a répondu qu’elle présumait que cela était dû au fait que l’appelante se trouvait au Québec, tandis qu’elle vivait et travaillait en Ontario[16].

[55]        Elle n’a pas déduit de dépenses dans sa déclaration de revenus.

L’évaluation de l’intention

[56]        Un grand nombre de clauses des contrats concordent avec celles d’un contrat de travail ou d’un contrat d’entreprise. Par exemple, un paiement basé sur un tarif horaire subordonné au temps réellement travaillé peut concorder avec l’un ou l’autre de ces contrats; dans le même ordre d’idées, un contrat d’entreprise n’est pas incompatible en soi avec le fait que le client fournisse du matériel[17]; à l’inverse, il arrive parfois que des employés aient à payer certaines de leurs propres dépenses.

[57]        Je suis persuadé que, tout compte fait, les contrats en soi concordent davantage avec un contrat d’entreprise qu’avec un contrat de travail, et ce, pour trois raisons considérées ensemble :

a)                 premièrement, le choix des termes [traduction] « sous-contrat » et [traduction] « enseignant autonome et indépendant » ne dénote d’aucune manière l’existence d’un travail;

b)                deuxièmement, le fait qu’il existait un contrat distinct pour chaque cours;

c)                 troisièmement, la disposition générale selon laquelle les enseignants devaient supporter leurs propres dépenses concorde davantage avec l’existence d’un emploi autonome.

[58]        À l’évidence, c’était également cela que concevaient la société appelante et huit des douze enseignants[18].

[59]        En conséquence, je suis également persuadé que dans le cas des huit personnes autres que Christine Bisaillon, André Beauregard, Marika Andrassi et Dalia El Mourad, l’intention commune des deux parties était que ces personnes avaient le statut d’entrepreneur indépendant.

[60]        Il est nécessaire de vérifier cette intention commune par rapport à « la réalité objective » de la relation.

[61]        En ce qui concerne les quatre autres enseignants, l’intention de l’appelante était la même, mais on ne sait pas exactement si l’intention de ces enseignants l’était aussi.

[62]        La preuve ne dénote pas qu’une de ces personnes a soulevé une question quelconque au sujet de la terminologie du contrat ou de l’absence de retenues[19].

[63]        Nous ignorons à quel titre les trois personnes autres que Dalia El Mourad ont produit leurs déclarations de revenus.

[64]        En ce qui concerne Christine Bisaillon, étant donné que cette dernière n’était pas sûre de son statut et que nous ne savons pas grand-chose d’autre, il est clair qu’au moment de signer le contrat elle ne s’est pas arrêtée à la question de savoir si elle avait le statut d’entrepreneure indépendante ou d’employée et, de ce fait, elle n’avait pas d’intention particulière.

[65]        Enfin, en ce qui concerne André Beauregard, Marika Andrassi et Dalia El Mourad, le fait qu’ils se considéraient comme des employés donne à penser que leur intention était d’avoir le statut d’employé[20].

[66]        Pour les quatre enseignants, comme on n’a pas établi l’existence d’une intention commune, il sera nécessaire d’examiner la réalité objective de la relation. En l’absence d’une intention commune, c’est la réalité objective qui détermine la nature de la relation.

[67]        Examinons maintenant la relation réelle.

Deux caractéristiques dignes de mention

[68]        Premièrement, le nom de l’appelante, Les Enseignants de langue anglaise de Montréal ltée, est en soi instructif.

[69]        Le mot [traduction] « école » n’apparaît pas dans ce nom et, en fait, l’appelante n’a aucune salle de cours; elle ne dispose que d’un petit bureau.

[70]        Les clients étaient des entreprises. Les services de formation étaient fournis dans les locaux des clients et, dans un cas en particulier, où le client exploitait les activités à partir de son automobile, les cours étaient donnés dans un café.

[71]        Deuxièmement, tous les enseignants en question étaient engagés pour un cours en particulier. Par exemple, ils pouvaient être engagés pour enseigner à une seule personne pendant, par exemple, deux heures par semaine, soit un nombre total de 30 heures, ou à quatre employés d’une entreprise pendant, par exemple, trois heures par semaine, soit un nombre total de 42 heures.

[72]        Ni l’appelante ni les enseignants ne s’engageaient à continuer de conclure réciproquement des contrats.

La propriété des instruments de travail/l’investissement

[73]        Il n’y avait aucun investissement dans des salles de cours car les cours étaient donnés dans les locaux des clients de l’appelante.

[74]        Même si la preuve sur la question n’est pas claire, j’ai conclu que les employeurs des élèves payaient à l’appelante les manuels de cours qu’elle vendait et que, souvent, l’enseignant fournissait. Dans certains cas, les élèves avaient déjà en main un manuel de cours avant le début de la formation, et il avait été décidé de continuer d’utiliser ce manuel[21].

[75]        Il arrivait souvent que les enseignants téléchargent des documents supplémentaires à partir d’Internet et en fassent des copies. Ils se servaient à cette fin de leurs ordinateurs personnels, mais rien n’indique que l’un d’eux avait expressément acheté un ordinateur à cette fin.

[76]        Les enseignants préparaient leurs cours à domicile.

[77]        Dans le même ordre d’idées, les enseignants se rendaient souvent en automobile à l’endroit où se trouvaient leurs élèves; là encore, rien ne dénote que l’un d’eux ait acheté une automobile expressément à cette fin, plutôt que d’utiliser simplement un véhicule qu’il possédait déjà. Dans l’appel la concernant, Dalia El Mourad a déclaré qu’elle prenait le train de banlieue de Mississauga jusqu’au centre-ville de Toronto, où elle donnait ses cours.

[78]        Dans ce modèle, où c’est un enseignant qui se présente chez les élèves, il est difficile de voir de quelle façon un enseignant pourrait faire un investissement important, que l’appelante soit l’employeuse ou non. De ce fait, dans ces circonstances factuelles particulières, les facteurs de l’investissement ou de la propriété des instruments de travail ont peu de poids[22].

Les chances de profit/les risques de perte

[79]        Là encore, ces facteurs ne sont pas très utiles dans les circonstances. S’il y a peu ou pas d’investissement requis, il y a fort peu de risques de perte pour un enseignant autonome et, que son statut soit celui d’un employé ou d’un travailleur autonome, le revenu de l’enseignant variera en fonction du nombre d’heures d’enseignement[23].

D’autres facteurs

[80]        D’autres éléments de preuve ont été présentés au sujet de la question de savoir si les enseignants pouvaient engager d’autres personnes pour exécuter leur contrat. Cependant, les contrats ne disent rien sur la question.

[81]        Il est assez clair qu’aucun des enseignants n’a envisagé d’engager quelqu’un pour donner le cours à sa place à un tarif de rémunération inférieur à celui qu’il touchait lui-même. Il n’aurait pas été valable de le faire du point de vue pécuniaire puisqu’ils auraient perdu de l’argent sauf s’ils étaient en mesure d’exercer un autre travail en même temps[24]

[82]        Cependant, il est arrivé à quelques reprises que des enseignants soient forcés de manquer un cours pour cause de maladie ou autrement. Ces enseignants essayaient tout d’abord de faire déplacer les cours dans la mesure où ils pouvaient s’entendre avec les élèves et dans la mesure où un local était disponible.

[83]        C’était plus souvent des élèves particuliers qui demandaient qu’un cours soit déplacé.

[84]        Lorsqu’il était impossible de déplacer un cours, les enseignants trouvaient parfois un remplaçant et en avisaient l’appelante[25]. Dans d’autres cas, l’enseignant demandait à l’appelante de lui trouver un remplaçant[26].

[85]        L’appelante payait directement les enseignants remplaçants.

[86]        En général, étant donné que pour un service tel que de l’enseignement la personne qui est choisie pour faire le travail compte, l’absence de sous-traitance de la part de l’enseignant ne fait pas pencher vraiment pencher la balance dans un sens ou dans l’autre[27]. Cependant, le fait que l’appelante paie directement le remplaçant est un indice qui la fait pencher en faveur de l’existence d’un contrat de travail.

[87]        Parmi les enseignants qui ont témoigné, seul le tarif horaire avait fait l’objet de négociations. La première fois que Janice Walsh-Bonal avait conclu un contrat avec l’appelante, elle avait négocié un tarif légèrement supérieur à celui qui lui avait été offert au départ.

[88]        Dalia El Mourad avait elle aussi négocié un tarif légèrement supérieur au moment de la conclusion de son premier contrat.

[89]        Mark Miller lui aussi avait déjà négocié un tarif supérieur.

[90]        Compte tenu de la nature du service ou du travail, le peu de négociations ne fait pas vraiment pencher la balance dans un sens ou dans l’autre au chapitre du statut d’employé par opposition au statut d’entrepreneur indépendant[28].

[91]        D’après certains des documents déposés, Mark Miller a été rémunéré pour 79 heures au cours d’une période de sept mois en 2010-2011[29]. Cela équivaut à une moyenne d’onze heures par mois.

[92]        Mark Miller avait aussi ses propres contrats d’enseignement avec l’UQAM ainsi qu’avec des particuliers. Il annonçait ses services d’enseignant en affichant des avis sur des tableaux d’affichage dans des supermarchés et ailleurs.

[93]        Janice Walsh-Bonal a été rémunérée pour 70,5 heures au cours d’une période de quatre mois environ en 2011[30]. Cela équivaut à une moyenne d’environ 17,625 heures par mois.

[94]        Elle enseignait également à l’École de langues de Montréal, où elle était considérée comme une employée.

[95]        Entre la toute fin du mois d’octobre 2009 et une date indéterminée au mois d’août 2010, Dalia El Mourad a enseigné pendant 328,25 heures, soit environ 35 heures par mois.

[96]        Elle a également enseigné à l’Alliance française à Toronto. Elle a reçu de l’appelante une somme d’environ 100 $ en remboursement de dépenses de photocopie.

[97]        La clause interdisant aux enseignants de conclure un contrat directement avec les clients de l’appelante pendant une période de trois ans est une restriction limitée. Rien ne les empêche de conclure des contrats d’enseignement personnels avec des élèves autres que ceux de l’appelante; il ne leur est pas non plus interdit d’enseigner dans une autre école de langues. Cette clause restreinte n’étaye pas une conclusion de statut d’employé.

Le contrôle exercé

[98]        Le nœud de l’affaire dépend de la question du contrôle exercé. Il est utile de rappeler, comme l’explique le professeur Gagnon, que le contrôle ou la subordination signifie une subordination juridique dans le sens le plus large du terme.

[99]        Il est plus simple de commencer par les contrats que l’appelante a conclus avec des entreprises autres que la SRC et une usine particulière appartenant à Agropur, que j’appellerai l’usine d’Agropur[31]. Je reviendrai plus tard aux contrats conclus avec la SRC et l’usine d’Agropur.

Les contrats autres que ceux conclus avec la SRC et l’usine d’Agropur

[100]   En ce qui concerne ces contrats, il ressort très clairement de la totalité de la preuve que les dispositions prises comportaient un contrôle très restreint[32].

[101]   Voici essentiellement ce qui s’est passé. L’appelante trouvait un client intéressé et, après avoir discuté avec ce dernier, trouvait un enseignant qui était prêt à donner le cours au moment convenu entre l’appelante et l’entreprise cliente.

[102]   Une fois que le cours commençait, l’enseignant et les élèves pouvaient changer les heures de cours si cela leur convenait. Cela arrivait plus souvent et était plus facile à faire quand il n’y avait qu’un seul élève. Dans un tel cas, le cours était souvent donné au bureau de l’élève.

[103]   S’il y avait plusieurs élèves, il était encore possible de changer les heures de cours, mais c’était plus compliqué et moins fréquent; il y avait parfois aussi un problème de disponibilité de local.

[104]   Avant le début d’un cours, l’appelante évaluait de façon préliminaire le niveau des élèves. Il était toutefois prévu que les enseignants effectuent leur propre évaluation au cours de la première séance.

[105]   Durant cette première séance, les enseignants discutaient avec les élèves de leurs besoins et de leurs intérêts et, ensuite, ils étaient libres de décider quel manuel utiliser et quel programme de cours suivre.

[106]   Les enseignants faisaient part à l’appelante de leur décision, et l’appelante fournissait le manuel que les élèves utiliseraient. Ce manuel était payé par l’entreprise cliente.

[107]   Les enseignants se servaient aussi en classe de divers documents qu’ils trouvaient sur Internet et ailleurs.

[108]   Dans certains cas, l’une des copropriétaires de l’appelante assistait à titre d’observatrice au cours d’un enseignant, et elle faisait par la suite des commentaires. Dans le cas d’autres enseignants, cela n’est jamais arrivé[33].

[109]   Les enseignants produisaient des feuilles de temps en vue d’être rémunérés. Ces feuilles étaient habituellement établies à partir d’un modèle que l’appelante fournissait et il fallait qu’ils les remettent avant une certaine date s’ils voulaient être rémunérés avant la fin du mois. Parfois, ils produisaient une feuille de temps sous une forme différente, mais ils étaient quand même rémunérés si les informations nécessaires y figuraient.

[110]   Les enseignants fournissaient également des rapports sur l’avancement de chaque élève à la fin du cours.

[111]   Les étudiants effectuaient des évaluations; même si le contrat exigeait qu’ils envoient ces évaluations à l’appelante, dans la plupart des cas c’était les élèves qui les transmettaient par voie électronique à l’appelante.

[112]   Lors des témoignages, je n’ai pas entendu parler de réunions du personnel pour les enseignants.

L’évaluation (les contrats autres que ceux conclus avec la SRC et l’usine d’Agropur)

[113]   Je tiens à évaluer ces contrats-là avant de passer aux deux autres.

[114]   Les enseignants, de pair avec les élèves, sont entièrement libres de déterminer le contenu du cours ainsi que les moyens utilisés. Cela dénote fortement une absence de contrôle.

[115]   Les enseignants sont engagés pour un cours en particulier et ils le donnent dans les locaux de l’employeur des élèves.

[116]   Comme il a été décrit plus tôt, l’investissement est négligeable et il ne s’agit donc pas d’un facteur important dans un sens ou dans l’autre.

[117]   De plus, comme il a été décrit plus tôt, il n’y a aucun risque de perte; ce facteur ne permet pas de conclure que les enseignants étaient des travailleurs autonomes. Quant aux chances de profit, tant un employé qu’un entrepreneur indépendant gagnerait davantage en travaillant plus; ce dernier facteur est neutre.

[118]   La rémunération étant effectuée sur une base horaire, il est normal que les enseignants produisent un compte rendu des heures travaillées, c’est-à-dire les feuilles de temps. Le fait que l’on utilise le formulaire du payeur est un facteur d’importance minime.

[119]   Quant au rapport produit à la fin du cours sur l’avancement des élèves, je ne vois pas en quoi cela fait pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Quel que soit le statut de l’enseignant, il est normal qu’il y ait une forme quelconque de compte rendu ou d’évaluation à la fin du cours. Les élèves s’attendraient à ce qu’un tel compte rendu soit produit, leurs employeurs s’y attendraient aussi, et ce document pourrait être utile aux prochaines personnes qui enseigneraient aux élèves.

[120]   Le fait que l’appelante ait observé à une reprise le travail de quelques enseignants, mais non celui de tous, concorde autant avec le fait de superviser un employé qu’avec le fait de contrôler la qualité du travail d’un fournisseur.

[121]   Tout compte fait, il y a peu de signes de subordination juridique, eu égard surtout à la liberté qu’ont les enseignants, en consultation avec leurs élèves, de déterminer le contenu du cours. La réalité de ces contrats est qu’il s’agit de contrats d’entreprise au sens de l’article 2098 du Code civil. Ce ne sont pas des contrats de travail.

[122]   En conséquence, en ce qui concerne les contrats autres que ceux conclus avec la SRC et l’usine d’Agropur en particulier, leur réalité concorde avec l’intention des enseignants qui les exécutaient, plus précisément Liza Rumjahn, Mark Miller, Michael Dawson, Judith Gostick, Janice Walsh-Bonal, Marco Sisti, Tanya Linkletter et Andrea Rancourt.

Le contrat conclu avec l’usine d’Agropur

[123]   L’appelante avait conclu un certain nombre de contrats avec Agropur. À part un seul, les autres contrats d’Agropur étaient semblables à ce que j’ai décrit plus tôt.

[124]   Un contrat, conclu avec une usine de fabrication de fromage particulière, était toutefois nettement différent. Ce contrat en question a duré du 28 septembre au 2 décembre 2010[34].

[125]   L’usine avait déjà conclu un contrat avec quelqu’un d’autre et avait déjà mis en place un programme bien précis. Dans le cadre de ce dernier, les élèves étaient soumis à dix heures d’anglais chaque semaine, une activité qui consistait, par exemple, en une certaine quantité de conversations, quelques leçons sur les conversations téléphoniques, l’écoute de certains fichiers balados avant les cours, la lecture de certains sites Web ainsi que le fait de regarder des épisodes d’une émission de télévision particulière[35].

[126]   Lorsque l’usine en question a conclu le contrat avec l’appelante, elle avait déjà mis en place ce programme hautement prescriptif, et chaque élève avait convenu de faire tout ce qui était exigé. Le client voulait que l’appelante poursuive le programme.

[127]   L’appelante a convenu de le faire et a demandé à l’enseignante, Marika Andrassi, de suivre le programme établi.

[128]   L’appelante n’a pas créé ce programme.

[129]   Le fait qu’il s’agisse là d’un programme hautement prescriptif change-t-il la nature du contrat conclu entre l’appelante et Marika Andrassi?

[130]   L’appelante fait valoir – et je suis d’accord avec elle – que la situation n’est pas différente de celle d’un entrepreneur général qui souscrit à certaines spécifications et qui, en retour, exige qu’un sous-traitant respecte toutes les exigences précises qui s’appliquent à la partie du travail que ce sous-traitant exécute.

[131]   Nous avons affaire ici à la fourniture d’un service plutôt qu’à la production d’un objet. Cependant, la situation est en principe la même, en ce sens que le consommateur ultime du service souhaite obtenir un contenu précis particulier. Quand un employeur veut que l’on donne un cours en langue seconde à des employés du service des ventes et souhaite que l’enseignant utilise un matériel particulier, qui inclut des textes et un vocabulaire adaptés aux ventes, un entrepreneur général qui exige la même chose du sous-traitant s’assure simplement que ce dernier s’acquitte de la propre obligation qu’a l’entrepreneur général envers le client.

[132]   Cela limite effectivement la liberté d’action des enseignants, mais pas plus que celle de l’appelante. Voici une autre façon de considérer la situation : si l’enseignant avait conclu directement un contrat en vue de donner le cours particulier à l’usine, il ne serait pas devenu un employé juste parce qu’il aurait convenu d’utiliser le matériel pédagogique que le client voulait.

[133]   À cet égard, il est utile de prendre en considération les deux paragraphes suivants, tirés de la décision qu’a rendue le juge Létourneau, de la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Le Livreur Plus Inc. c. Canada (M.R.N.)[36] :

24 La procureure du défendeur a invoqué un certain nombre de faits au soutien de sa prétention que la demanderesse exerçait un contrôle tel sur ses deux travailleurs qu'on ne peut faire autrement que conclure à l'existence d'un lien de subordination entre les parties. Elle a beaucoup insisté, dans un premier temps, sur le fait que les livreurs étaient soumis à des heures de disponibilité obligatoires, qu'ils œuvraient chacun dans un territoire défini et qu'ils ne pouvaient modifier l'horaire de travail sans l'autorisation de la demanderesse.

25 Avec respect, je ne crois pas que ces trois premiers éléments soient déterminants dans la recherche de la qualification de la relation globale entre les parties ou soient suffisants pour changer la nature de celle qu'elles ont exprimée au contrat. La raison en est bien simple. La demanderesse a, au terme de son contrat d'entreprise, assumé des obligations spécifiques dans le temps et dans l'espace envers ses clientes, les pharmacies. Tel qu'il appert du contrat régissant leurs relations, des heures et des endroits précis de collectes et de livraisons de médicaments étaient convenus entre la demanderesse et les pharmacies. Ce sont en partie ces obligations que l'on retrouve dans le contrat de sous-traitance avec les livreurs. Or, la spécificité des tâches et la disponibilité pour les exécuter ne sont pas l'apanage et le propre d'un contrat de travail. Un entrepreneur qui retient les services de sous-traitants pour effectuer tout ou partie des tâches qu'il s'est engagé envers ses clients à accomplir conformément à un échéancier va identifier et délimiter ce qu'ils ont à réaliser et s'assurer de leurs disponibilités pour le faire : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précité; Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 4. Autrement, il faudrait, sur cette base, conclure que la demanderesse elle-même est une employée des pharmacies puisqu'elle doit être disponible pour les servir aux heures et selon l'échéancier acceptés.

[134]   La réalité de ce contrat concorde également avec le fait qu’il s’agit d’un contrat d’entreprise. Même s’il n’y a pas d’intention commune entre l’appelante et l’enseignante, la réalité du contrat fait qu’il s’agit d’un contrat d’entreprise[37].

Le contrat conclu avec la SRC

[135]   L’appelante a été constituée en personne morale au milieu des années 1990.

[136]   Le contrat conclu avec la SRC a été le premier contrat gouvernemental que l’appelante a obtenu. Il a débuté en septembre 2009[38].

[137]   Pour ce qui est des enseignants qui ont travaillé dans le cadre du contrat conclu avec la SRC, il ressort de la preuve d’intention examinée plus tôt que l’appelante a toujours eu l’intention d’entretenir des relations d’entrepreneur indépendant. Liza Rumjahn, Michael Dawson, Judith Gostick et Janice Walsh‑Bonal ont tous considéré qu’ils étaient des entrepreneurs indépendants. André Beauregard et Dalia El Mourad se sont considérés comme des employés, tandis que Christine Bisaillon n’était pas sûre de son statut.

[138]   L’appelante avait auparavant soumissionné à l’égard d’un autre contrat gouvernemental mais son offre n’avait pas été retenue. En préparant l’autre soumission, elle avait établi le guide de l’enseignant qui a été déposé en tant que pièce A‑1 et qu’elle avait utilisé par la suite pour la soumission de la SRC.

[139]   Ce guide de l’enseignant n’a été remis qu’aux personnes travaillant dans le cadre du contrat de la SRC[39].

[140]   Les documents de soumission de la SRC étaient longs et comportaient de nombreuses exigences.

[141]   Le contrat de la SRC était le plus gros que l’appelante avait obtenu à ce jour et il consistait à fournir des services de formation non seulement dans la région de Montréal mais aussi dans d’autres villes, dont Toronto. Il s’agissait d’un contrat de trois ans, renouvelable pour une période additionnelle de deux ans.

[142]   À l’évidence, la SRC avait des doutes au sujet de la formation linguistique que d’autres fournisseurs avaient dispensée antérieurement. Elle tenait donc à spécifier une bonne partie de ce qui devait être fourni et à assurer une certaine uniformité.

[143]   Elle voulait également obtenir des rapports détaillés : le moment et le lieu des cours, des rapports de présence détaillés, ainsi que des rapports sur les aptitudes des élèves au début et à la fin du cours[40].

[144]   La SRC a insisté pour que l’on utilise un manuel particulier pour chaque niveau.

[145]   Il y a de nombreux détails sur certains éléments du programme dans la pièce A‑1, notamment les pages 9 à 15, qui énoncent ce que les élèves doivent apprendre aux différents niveaux. Il s’agissait là d’une exigence de la SRC, et non de l’appelante, qui, comme il a été décrit plus tôt, avait toujours fonctionné de manière nettement moins structurée.

[146]   C’est donc dire que le contrat de la SRC était nettement plus structuré que les autres, à part celui conclu avec l’usine d’Agropur. De ce fait, l’appelante a voulu s’assurer que les enseignants faisaient ce qui avait été promis à sa cliente et elle a participé davantage avec les enseignants à l’exécution du contrat de la SRC.

[147]   À titre d’exemple, dans une pièce jointe à un message électronique, on peut voir que l’appelante incite les enseignants à utiliser le manuel désigné une fois au moins à chaque cours[41].

[148]   Cet exemple comporte deux aspects intéressants. Premièrement, au haut de la première page du message électronique, l’appelante s’excuse d’avoir à d’envoyer les instructions qui suivent : [traduction] « Désolé de vous ennuyer à ce point avec ce contrat, mais nous avons fait des promesses aux RH ». Deuxièmement, il y a le simple fait de demander d’utiliser le manuel désigné une fois au moins à chaque cours. Ces deux aspects dénotent que l’appelante n’envoyait habituellement pas de telles instructions et, dans le contexte général de la preuve, cette attitude concorde davantage avec l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant qu’avec celle d’une relation de travail. En fait, il serait surprenant qu’au niveau « débutant » d’une formation linguistique, l’employeur, c’est-à-dire une école, doive dire à des enseignants employés de [traduction] « se servir du manuel » à chaque cours[42].

[149]   Ce ne sont pas toutes les demandes de l’appelante qui découlaient directement du contrat conclu avec la SRC. Par exemple, à un certain moment, l’appelante a appris que quelques élèves qui étudiaient le français, langue seconde, avaient exprimé le souhait d’apprendre des expressions employées au Québec de façon à pouvoir mieux communiquer avec leurs collègues, et l’appelante avait fourni à ses enseignants des documents comportant des expressions québécoises en leur demandant de les utiliser[43].

[150]   Ce dernier exemple est une décision qui faisait suite à une demande des élèves plutôt qu’à une demande de la SRC, qui payait le service, mais il s’agissait quand même d’une instruction d’origine externe plutôt que d’une instruction d’origine interne, émanant de l’appelante.

[151]   Un autre aspect lié au contrôle est le fait que l’appelante n’a aucun bureau ou personnel permanent à l’extérieur de Montréal et que certains des enseignants affectés au contrat conclu avec la SRC, comme Dalia El Mourad, qui enseignait à Toronto, se trouvaient en dehors de la région de Montréal. Bien que le critère applicable soit la subordination juridique, par opposition à une subordination ou à un contrôle quotidiens et concrets, et bien qu’il n’y ait aucun doute qu’il puisse y avoir subordination juridique d’une personne se trouvant à une certaine distance, toutes choses étant égales par ailleurs, le fait de travailler à une certaine distance dénote quelque peu une absence de subordination[44].

[152]   Après une période d’un an ou d’un an et demi, il y a eu un changement dans la direction de la SRC et celle-ci s’est assouplie, ce qui a donné à l’appelante plus de liberté et lui a permis de reprendre sa manière habituelle de fonctionner et de ne plus transmettre autant d’instructions[45].

[153]   Le seul aspect où il y a eu une certaine divergence dans les témoignages a été entre celui de Dalia El Mourad et celui de Janice Walsh-Bonal. La première enseignait le français, langue seconde, à des employés de la SRC à Toronto; la seconde enseignait l’anglais, langue seconde, à des employés de la SRC à Montréal.

[154]   Janice Walsh-Bonal avait parcouru rapidement le guide de l’enseignant, et elle le considérait comme rien de plus qu’un guide de nature générale. Par contraste, il a été évident que Dalia El Mourad estimait qu’elle devait suivre de beaucoup plus près le contenu du guide[46].

[155]   Dans le cas de chacune d’elles, quelqu’un est venu observer le cours qu’elles donnaient. Aucun changement n’a été suggéré à Janice Walsh-Bonal, contrairement à Dalia El Mourad[47]; l’une des suggestions était qu’elle observe le cours donné par un autre enseignant. Dalia El Mourad a décidé de ne pas le faire. Elle estimait manifestement qu’elle pouvait décider de suivre ou non les suggestions qu’on lui faisait[48].

[156]   Par contraste avec les autres contrats en litige, pour ce qui est de la réalité objective du contrat, les contrats par lesquels des enseignants ont été engagés pour donner des cours à des employés de la SRC se situent plus près de la ligne de démarcation. Les facteurs autres que celui du contrôle ne sont pas déterminants. Au chapitre du contrôle, il existe des éléments qui dénotent l’existence d’un contrôle mais, tout compte fait, la preuve concorde davantage avec le fait de veiller à ce que l’on obtienne le résultat promis au client. Il s’ensuit que la réalité des contrats est que ces derniers sont des contrats d’entreprise, et non des contrats de travail[49].

La conclusion[50]

[157]   En conséquence, les appels sont accueillis et les décisions du ministre seront modifiées et remplacées par les suivantes :

1.                 Christine Bisaillon, Liza Rumjahn, Mark Miller, André Beauregard, Michael Dawson, Judith Gostick, Janice Walsh-Bonal, Marco Sisti, Tanya Linkletter, Andrea Rancourt et Marika Andrassi n’ont pas exercé un emploi assurable auprès de Les Enseignants de langue anglaise de Montréal ltée au sens de la Loi sur l’assurance-emploi au cours de la période du 30 avril 2008 au 18 août 2011.

2.                 Dalia El Mourad n’a pas exercé un emploi assurable ou ouvrant droit à pension auprès de Les Enseignants de langue anglaise de Montréal ltée au sens de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, respectivement, au cours de la période du 26 octobre 2009 au 31 juillet 2010.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 26e jour de septembre 2014.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2014.

 

Claude Leclerc, LL.B.


Annexe I

Le problème que posent les périodes en litige

Ce que le ministre peut déterminer

1.                 Aux termes du paragraphe 90(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, il est possible de demander au ministre de rendre une décision sur un certain nombre de questions, lesquelles comprennent non seulement celle de savoir si un emploi est assurable, mais aussi, par exemple :

                    la détermination de la durée d’un emploi assurable, y compris ses dates de début et de fin;

                    la détermination de la rémunération assurable;

                    la détermination du nombre d’heures exercées dans le cadre d’un emploi assurable;

                    l’identité de l’employeur d’un assuré.

2.                 Aux termes de l’article 91 de la Loi sur l’assurance-emploi, la décision initiale peut être portée en appel devant le ministre.

3.                 Aux termes de l’article 103 de la Loi sur l’assurance-emploi, cette décision peut ensuite être portée en appel devant la Cour. Celle-ci peut confirmer, annuler ou modifier la décision.

4.                 En l’espèce, le ministre a déterminé l’existence d’un emploi assurable, ainsi que ses dates de début et de fin. En conséquence, la Cour peut traiter non seulement du statut des personnes en question, mais aussi de la période durant laquelle ce statut a existé.

5.                 Dans onze des douze affaires d’assurance-emploi, il a été conclu dans la décision portée en appel que les personnes ont exercé un emploi assurable du 30 avril 2008 au 18 août 2011.

6.                 Il se peut fort bien qu’il y a toujours eu une ou plusieurs des douze personnes en question qui ont été engagées par l’appelante dans le cadre d’un contrat en vue de fournir des services d’enseignement en langue seconde pendant toute la période du 30 avril 2008 au 18 août 2011.

7.                 Cependant, chacune des décisions concerne une personne en particulier.

8.                 Si, au cours d’une période de temps, une personne n’exécutait aucun travail pour l’appelante, soit à titre d’employée soit à titre d’entrepreneure indépendante, cette personne ne peut tout simplement pas avoir exercé un emploi assurable au cours de cette période en particulier.

9.                 Examinons maintenant les différentes personnes par rapport à la période applicable.

Dalia El Mourad

10.            Dans les affaires relatives à l’assurance-emploi et au Régime de pensions du Canada qui se rapportent à Dalia El Mourad, il ressort clairement des actes de procédure ainsi que de la totalité de la preuve que la période en litige s’étendait du 26 octobre 2009 au 31 juillet 2010. La décision portée en appel s’appliquait à cette période, et il ne se pose aucune question à cet égard.

Les personnes ayant enseigné uniquement à des employés de la SRC

11.            Selon la pièce R‑1, que les parties ont produite d’un commun accord, six des douze personnes en cause n’ont enseigné qu’à des employés de la SRC. Il ressort clairement de la preuve, et notamment des pièces A‑2 et A‑8, que la première séance en compagnie d’employés de la SRC a débuté à l’automne de 2009. De ce fait, tous ceux qui n’ont enseigné qu’à des employés de la SRC n’ont pas pu commencer à entretenir une relation contractuelle avec l’appelante en avril 2008.

12.            Les six employés comprennent Dalia El Mourad, dont la période est indiquée de manière exacte dans la décision, de même que Liza Rumjahn, André Beauregard, Michael Dawson, Judith Gostick et Christine Bisaillon.

13.            Dans l’affaire relative à Christine Bisaillon, la décision indique que la période en litige s’étendait du 30 avril 2008 au 18 août 2011. L’avis d’appel indique que la période s’étend du 9 novembre 2010 au 31 mai 2011 et, au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel, il est admis que la période du 9 novembre 2010 au 31 mai 2011 est la période exacte.

14.            Cependant, même si l’on reconnaît la période exacte dans la réponse à l’avis d’appel, cette réponse demande néanmoins par la suite que la Cour rejette l’appel.

15.            Même si la Cour venait à convenir que Christine Bisaillon exerçait un emploi assurable, il lui faudrait quand même ordonner que la décision soit modifiée de façon à ce que la période soit exacte.

16.            Dans les appels concernant Liza Rumjahn, André Beauregard, Michael Dawson et Judith Gostick, la décision doit elle aussi être modifiée de façon à ce que la période soit exacte.

Les autres employés

17.            Dans l’affaire le concernant,  Mark Miller a déclaré qu’il n’avait commencé à conclure des contrats avec l’appelante qu’au cours de l’année 2010, après avoir déménagé de Calgary à Montréal. La pièce R‑16 inclut les notes électroniques de l’agent des appels qui a rendu la décision initiale; aux deuxième et troisième pages, ces notes indiquent qu’une somme totale de 1 896 $ a été payée à Mark Miller pour des contrats exécutés au cours de la période du 4 octobre 2010 à la fin du mois d’avril 2011.

18.            Là encore, quel qu’ait été le statut de Mark Miller – employé ou entrepreneur indépendant – la période mentionnée dans la décision est erronée et, dans cette mesure-là au moins, il est nécessaire de la modifier.

19.            Dans l’affaire la concernant, Janice Walsh-Bonal a déclaré qu’elle est revenue à Montréal il y a environ quatre ans et demi et a commencé à conclure des contrats avec l’appelante après son retour.

20.            Là encore, cela ne concorde pas avec la date de début du 30 avril 2008 qui est mentionnée dans la décision.

21.            La pièce R‑17 est un document de même nature que la pièce R‑16, sauf qu’il y est question de Janice Walsh-Bonal. Aux deuxième et troisième pages, cette pièce fait état de contrats couvrant la période du 9 février 2011 à la fin du mois de mai 2011; Janice Walsh-Bonal a reçu un montant total de 1 551 $ au cours de ces quatre mois.

22.            Là encore, quel qu’ait été le statut de Janice Walsh-Bonal – employée ou entrepreneure indépendante – la période mentionnée dans la décision est erronée et, dans cette mesure-là au moins, il est nécessaire de la modifier.

23.            Les avis d’appel, à l’exception de celui de Christine Bisaillon, ne contestent pas la période indiquée dans la décision; cependant, je ne puis faire abstraction d’une preuve évidente.

La conclusion au sujet des périodes

24.            Compte tenu de mes conclusions relatives au statut, l’erreur commise dans les périodes indiquées importe peu car les personnes n’ont pas exercé un emploi assurable auprès de l’appelante au cours des périodes indiquées dans les décisions, soit – suivant les dates précises – parce qu’elles étaient des entrepreneurs indépendants, soit parce qu’elles n’avaient avec l’appelante aucun rapport contractuel.

25.            Cependant, si cela avait compté, les périodes indiquées dans les décisions concernant Liza Rumjahn, André Beauregard, Michael Dawson, Judith Gostick, Christine Bisaillon, Mark Miller et Janice Walsh-Bonal sont à tout le moins inexactes et il y a lieu de modifier, dans cette mesure-là, les décisions rendues dans ces sept appels.

26.            De plus, si cela avait compté, il aurait été nécessaire de rouvrir la preuve afin de déterminer les dates exactes ou d’obtenir des parties une entente au sujet de ces dernières.

27.            Cela aurait été regrettable car la conséquence financière de l’erreur commise au sujet des périodes en cause est probablement nulle. On ne peut prélever aucune cotisation sur une rémunération inexistante.

28.            Quant aux quatre employés restants : Marco Sisti, Tanya Linkletter, Andrea Rancourt et Marika Andrassi, aucune preuve, hormis les décisions, n’indique quelle a été leur période de travail. Vu l’absence de preuves et étant donné que cet aspect-là des décisions n’a pas été contesté, il n’y a pas lieu de modifier la période.


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 287

NOS DE DOSSIER DE LA COUR :

2011-1699(EI), 2011-1700(CPP)

2012-2986(EI), 2012-2987(EI), 2012-2989(EI),

2012-3198(EI), 2012-3199(EI), 2012-3200(EI),

2012-3201(EI), 2012-3202(EI), 2012-3203(EI),

2012-3204(EI), 2012-3206(EI)

INTITULÉ :

LES ENSEIGNANTS DE LANGUE ANGLAISE DE MONTRÉAL LTÉE c. M.R.N. et DALIA EL MOURAD

LES ENSEIGNANTS DE LANGUE ANGLAISE DE MONTRÉAL LTÉE c. M.R.N.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES D’AUDIENCE :

Les 16, 17 et 18 juillet 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Gaston Jorré

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 septembre 2014

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelante :

Me Nadine Afif

Avocat de l’intimé :

Me Mathieu Tanguay

Pour l’intervenante, dans les dossiers 2011-1699(EI), 2011‑1700(CPP) :

 

L’intervenante elle-même

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Me Nadine Afif

Cabinet :

Tutino Edwards Joseph

Montréal (Québec)

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l’intervenante :

 

 



[1] C’est le cas dans les présents appels des contrats liés aux services de formation linguistique fournis à des employés de la SRC ainsi que de l’un des contrats conclus avec Agropur. Voir ci-après.

[2] Elle aurait pu facilement durer quatre jours, n’eût été de la volonté de chacun de siéger jusqu’à 19 h 30 le dernier jour, qui tombait un vendredi.

[3] Voir l’article 1387 du Code civil du Québec. Il n’est pas nécessaire que je tranche la question, mais il ne semble pas que l’issue aurait été différente si le droit applicable était celui d’une autre province.

[4] 2009 CAF 47, notamment aux paragraphes 18 à 44.

[5] 2013 CAF 85, notamment aux paragraphes 23 à 41.

[6] 2013 QCCA 1379, notamment aux paragraphes 39, 43 et 49 à 56.

[7] 2009 CAF 47, au paragraphe 31.

[8] 2013 CAF 85, au paragraphe 40.

[9] 2013 CAF 85, au paragraphe 41.

[10] 2009 CAF 47, notamment au paragraphe 43.

[11] Ce passage est cité avec approbation par le juge Angers dans la décision Bernier c. M.R.N., 2010 CCI 280, au paragraphe 13. Dans l’arrêt Grimard, au paragraphe 36, le passage semblable, extrait de la cinquième édition du l’ouvrage du professeur Gagnon, a été entériné par la Cour d’appel fédérale

[12] En gardant à l’esprit l’article 2101 du Code civil.

[13] Voir les pièces R-2, R-3 et R-5.

[14] À la pièce R-2; la pièce R-3 emploie l’expression [traduction] « enseignant indépendant ».

[15] Le modèle d’annonce que comporte la pièce A‑9 n’est pas incompatible avec cette intention de l’appelante car il y est fait référence à un travail autonome; cependant, le texte de l’annonce n’étaye pas beaucoup cette intention, compte tenu de sa formulation générale et du libellé de la référence faite à un travail autonome.

[16] Je signale qu’elle était arrivée au Canada deux ans plus tôt et n’avait commencé à travailler ici qu’environ un an plus tard.

[17] Compte tenu de l’article 2103 du Code civil.

[18] Janice Walsh‑Bonal et Mark Miller, ainsi que six autres personnes selon les hypothèses du ministre; je signale que ces dernières n’ont pas été contestées.

[19] En fait, comme André Beauregard, Marika Andrassi et Christine Bisaillon n’ont pas témoigné, nous disposons d’informations assez restreintes sur ces trois personnes.

[20] Encore que cela n’équivaille pas à une déclaration directe selon laquelle, au moment de la signature du contrat, leur intention était de devenir des employés.

[21] Dans le cas du contrat conclu avec la SRC, le document d’appel d’offres de la SRC spécifiait le manuel de cours qu’il fallait utiliser pour la première année.

[22] Dans l’appel concernant Dalia El Mourad, il y a une différence entre la situation de cette dernière et celle des deux autres enseignants qui ont témoigné. Elle ne possédait pas de bibliothèque d’ouvrages de référence et avait demandé à l’appelante de lui envoyer certains ouvrages, ce que l’appelante avait fait. Il s’agit des 13 ouvrages énumérés à la deuxième page de la pièce R‑8; une liste de treize ouvrages n’a pas un effet marqué car ils représentent une dépense minime mais, dans son cas, ce facteur donne effectivement à penser à l’existence d’un travail.

Je signale également que même si les contrats exigent que les enseignants remettent le matériel de l’appelante, à part les ouvrages prêtés à Dalia El Mourad, il ne semble pas y avoir beaucoup de matériel à remettre.

[23] La situation de Dalia El Mourad est un peu différente, en ce sens que ses dépenses de photocopie lui ont été remboursées.

[24] Janice Walsh‑Bonal a déclaré qu’elle pensait qu’il lui était possible d’engager un assistant, mais qu’elle ne le ferait pas parce que cela lui coûterait de l’argent. Mark Miller a déclaré qu’il serait contraire à son éthique d’engager un remplaçant.

[25] Janice Walsh‑Bonal a déclaré qu’elle avait trouvé un remplaçant, mais pensait qu’il allait de soi qu’il fallait en informer l’appelante; dans un autre cas, Dalia El Mourad s’était organisée pour qu’une autre personne, qui enseignait aussi pour l’appelante, la remplace.

[26] Par exemple, dans un exemple différent concernant Dalia El Mourad par rapport au second dont il est question dans la note de bas de page précédente : voir la pièce A‑13.

[27] Compte tenu surtout du fait que l’article 2101 du Code civil reconnaît que la question de savoir qui est le sous‑traitant peut être importante.

[28] Parfois, avant qu’un contrat soit conclu, il y avait des négociations au sujet du moment prévu pour les cours entre l’éventuel enseignant, l’appelante et le client; là encore, de telles négociations pourraient concorder avec l’un ou l’autre des statuts.

[29] Pièce R-16, pages 2 et 3.

[30] Pièce R‑17, deuxième et troisième pages.

[31] D’autres contrats ont été conclus avec Agropur, mais ils ressemblaient à la plupart des contrats autres que celui conclu avec la SRC; le contrat conclu avec l’usine d’Agropur comportait des dispositions très précises.

[32] Je signale que Dalia El Mourad n’a enseigné qu’à des élèves de la SRC.

[33] Mark Miller a déclaré que cela ne lui était jamais arrivé, mais Janice Walsh‑Bonal a dit que cela avait eu lieu dans l’un de ses cours. Dalia El Mourad a également dit que l’appelante avait déjà demandé à quelqu’un d’observer le cours qu’elle donnait.

[34] Pièce R-15.

[35] Voir la pièce R-15.

[36] 2004 CAF 68.

[37] D’après les pièces R‑1 et R‑15 et certains témoignages, il est évident qu’il s’agit du seul contrat dans le cadre duquel Marika Andrassi a travaillé au cours de la période en litige. Je signale qu’au début de l’audience les parties ont convenu que la pièce R‑1 devait être corrigée comme suit : (i) l’en-tête des deux colonnes de droite devrait comporter simplement la mention [traduction] « Autres clients » et (ii) dans ces deux colonnes, les noms de clients précis devraient être rayés. En conséquence, si, dans les deux colonnes de droite, le nom d’un client est marqué d’un « X » ou rayé, cela signifie que la personne inscrite sur cette ligne a travaillé pour un client autre que la SRC.

[38] Environ un an avant le contrat conclu avec l’usine d’Agropur.

[39] Les personnes qui travaillaient dans le cadre d’autres contrats ne recevaient qu’une version très courte du guide, qui consistait uniquement en des exemples de feuilles de temps, des comptes rendus d’avancement, des factures et des évaluations de cours.

[40] Voir, par exemple, la pièce R-11.

[41] Pièce A-2, deuxième page, troisième paragraphe.

[42] À des niveaux plus avancés, on s’attend à plus de latitude.

[43] Pièce R-10, troisième, quatrième et cinquième pages.

[44] « Toutes choses étant égales par ailleurs » est fort important car il peut y avoir des aspects qui compensent l’éloignement, soit des instructions et des rapports très détaillés, soit l’utilisation d’un moyen de surveillance électronique. (Par exemple, il y a des employés de centres d’appels virtuels qui travaillent à domicile dans de nombreux endroits différents mais dont les appels sont surveillés électroniquement au chapitre du nombre des appels auxquels ils répondent, de la durée moyenne des appels, etc., et qui sont soumis de temps à autre à une surveillance aléatoire de leurs appels.)

[45] Au vu de la preuve, on ne sait pas avec exactitude quand ce changement a eu lieu et dans quelle mesure le programme est devenu moins prescriptif au cours d’une période particulière. Un autre problème qui se pose, pour ce qui est d’analyser ce changement, est que, de façon générale, nous ignorons la période de travail exacte des différents enseignants. Voir l’annexe 1. Cependant, il est clair que ce changement aurait été postérieur à la période au cours de laquelle Dalia El Mourad a travaillé car le travail qu’elle a accompli dans le cadre du contrat conclu avec la SRC s’est déroulé entièrement pendant la première année de ce contrat.

[46] Voir la pièce A‑1. La version anglaise du guide de l’enseignant n’a pas été mise en preuve, mais le contenu exact du cours aurait été différent puisque l’on aurait utilisé un texte différent. De plus, étant donné que les deux témoins enseignaient dans des langues différentes à des endroits différents, il est tout à fait possible que l’atmosphère et les besoins aient été différents, avec le résultat que leur expérience l’a été elle aussi.

[47] Pièce R‑14.

[48] L’appelante a exprimé l’avis qu’il s’agissait simplement de suggestions d’un enseignant à un autre (les copropriétaires étaient toutes deux enseignantes en langue seconde); Dalia El Mourad a jugé que la situation était la même qu’à l’Alliance française, où elle était une employée et où quelqu’un s’était présenté un jour pour assister au cours et formuler des suggestions. De telles observations et suggestions peuvent constituer un contrôle de la qualité ou des directives de la part d’un employeur.

Il a aussi été question de savoir si un enseignant pouvait exclure un élève d’un cours ou non. L’un des enseignants, André Beauregard, avait voulu le faire dans le cas d’un élève qui avait manqué de nombreux cours. L’appelante ne l’avait pas laissé faire parce que la personne en question était un employé d’un rang relativement élevé du client et qu’il s’agissait d’une question délicate. Je ne suis pas sûr de l’utilité de cette preuve dans un sens ou dans l’autre. Dans un contexte où le contrat consiste à donner des cours à certains employés de l’entreprise, si l’enseignant concluait directement un contrat avec la SRC il lui faudrait aussi veiller à ce que le client demeure satisfait et conclure aussi que, dans les circonstances, il ne pourrait pas exclure l’élève.

[49] Dans le cas de Liza Rumjahn, Michael Dawson, Judith Gostick et Janice Walsh‑Bonal, on peut également conclure que la réalité concorde avec l’intention contractuelle des parties.

[50] Il a été fait référence un certain nombre de fois à la manière dont on avait traité d’autres situations. Par exemple, l’appelante a fait état d’une décision rendue à l’égard d’une personne à un moment antérieur, et Dalia El Mourad a traité du fait que l’Alliance française la considérait comme une employée et que, selon elle, la relation était la même. Ces faits, bien qu’intéressants, ne sont pas pertinents à l’égard de la décision dont il est ici question, laquelle doit reposer sur les faits particuliers des relations qui sont en litige en l’espèce.

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