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Dossier : 2014-1137(IT)I

ENTRE :

DESIREE BEKKERUS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de
Roseann Bekkerus, 2014-1489(IT)I,
le
6 octobre 2014, à Winnipeg (Manitoba)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

 

Représentant des appelantes :

M. Chris Shannon

Avocate de l’intimée :

Me Larissa Benham

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement communs ci-joints, l’appel relatif à la cotisation numéro 2062173 établie le 23 janvier 2013 en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est rejeté.

Le présent jugement remplace le jugement daté du

20 octobre 2014.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 3e jour de décembre 2014.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de janvier 2015.

 

M.-C. Gervais


Dossier : 2014-1489(IT)I

ENTRE :

ROSEANN BEKKERUS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de
Desiree Bekkerus, 2014-1137(IT)I,
le 6 octobre 2014, à Winnipeg (Manitoba)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

 

Représentant des appelantes :

M. Chris Shannon

Avocate de l’intimée :

Me Larissa Benham

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement communs ci-joints, l’appel relatif à la cotisation numéro 2182705 établie le 16 avril 2013 en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est rejeté.

Le présent jugement remplace le jugement daté du

20 octobre 2014.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 3e jour de décembre 2014.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de janvier 2015.

 

M.-C. Gervais


Référence : 2014 CCI 311

Date : 20141020

Dossier : 2014-1137(IT)I

ENTRE :

DESIREE BEKKERUS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2014-1489(IT)I

ET ENTRE :

ROSEANN BEKKERUS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT COMMUNS

Le juge Bocock

I. Introduction

[1]             Il s’agit de deux appels portant sur le transfert de deux biens par un fils à sa mère, Roseann, ainsi qu’à son épouse, Desiree, respectivement. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation à l’encontre de la mère et de l’épouse parce que, dans chacune des années d’imposition pertinentes (qui s’étendent de 2005 à 2011), le fils avait des dettes d’impôt impayées. En général, dans les affaires de cette nature, les appelants contestent des éléments du cadre législatif du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Mais, en l’espèce, il en est autrement : on conteste la validité sous-jacente de l’obligation fiscale du fils, la nature de la relation entre le fils et sa mère ou son épouse et, de façon plus courante, la juste valeur marchande du bien transféré ou le montant de la valeur (ou de la contrepartie) payée par l’acquéreur pour le bien transféré.

[2]             Plus précisément, dans ces deux affaires dont la Cour est saisie, le fondement des appels, tel qu’il est exposé par le représentant des appelantes, est un unique argument juridique d’application générale : la Loi omet de décrire un contribuable comme une personne qui gagne sa vie dans le secteur privé.

II. Quelques faits supplémentaires

[3]             Comme il a été mentionné plus tôt, aucun fait n’est en litige. Roseann et Desiree Bekkerus sont la mère et l’épouse, respectivement, de Rick Bekkerus. En 2005, ce dernier a transféré sa motocyclette Harley-Davidson de 2002 (la « Harley ») à Desiree sans recevoir de contrepartie. À cette époque, il devait au ministre une somme d’environ 206 000 $ en cotisations d’impôt sur le revenu. En 2011, il a transféré sa Lexus RX450H de 2011 (la « Lexus ») à Roseann, sans recevoir de contrepartie. À cette époque, il devait au ministre une somme de plus de 3 000 000 $ en cotisations d’impôt sur le revenu. À l’époque de leur transfert respectif, la Harley avait une juste valeur marchande présumée de 19 000 $ et la Lexus, une juste valeur marchande présumée de 51 500 $. Le ministre a établi des cotisations égales aux justes valeurs marchandes de la Harley et de la Lexus, respectivement, à l’encontre de Desiree et de Roseann, là encore respectivement, à titre de bénéficiaires au sens de l’article 160 de la Loi.

III. Les questions préliminaires

[4]             Les appelantes n’ont pas comparu à l’audience, mais elles étaient représentées par M. Chris Shannon. En salle d’audience, au début de l’instruction et en réponse à des questions directes de la Cour, ce représentant a confirmé plusieurs choses par voie de représentation : le pouvoir que lui avaient accordé les deux appelantes d’agir en leur nom, le choix de Roseann Bekkerus de procéder sous le régime de la procédure informelle de la Cour et sa renonciation concurrente à des droits d’appel au-delà de la limite de 25 000 $ prévue par les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle) (DORS/90‑688b), de même que sa réception, à titre de représentant, du mandat des appelantes d’agir en leur absence. Les présents motifs sont présentés par écrit, vu l’absence des appelantes.

[5]             Le représentant, M. Shannon, a également informé la Cour au début de l’audience que les appelantes ne produiraient pas d’éléments de preuve pour contester les cotisations sous-jacentes, la relation entre l’auteur du transfert et les bénéficiaires, la juste valeur marchande des biens transférés ou l’absence de contrepartie.

IV. L’argument juridique des appelantes

[6]             Les appelantes n’ont produit aucun élément de preuve, et les affidavits d’un agent des appels, néanmoins présent dans la salle au cas où l’on voudrait le contre‑interroger, avaient été déposés avant l’audience; ces affidavits décrivaient les cotisations sous-jacentes, la relation, les transferts, la juste valeur marchande et l’absence de contrepartie. La Cour a donc entrepris d’entendre les observations juridiques puisque aucun fait ni aucune présomption de l’intimée n’étaient contestés.

[7]             Le représentant des appelantes a soulevé comme fondement de l’appel un argument juridique succinct et – aux yeux de la Cour du moins – nouveau : la Cour canadienne de l’impôt n’est pas un tribunal possédant une compétence inhérente, mais un tribunal d’origine législative créé par le Parlement. La Cour a le pouvoir législatif de se prononcer sur la validité des cotisations qu’établit le ministre à l’encontre de contribuables. Ces derniers ne sont, nulle part dans la Loi, définis ou décrits comme des personnes qui [traduction] « gagnent leur vie dans le secteur privé ». La conclusion avancée est que, sur ce fondement, l’intimée n’a pas prouvé, « hors de tout doute raisonnable », que Roseann ou Desiree sont des contribuables et doivent donc les montants d’impôt établis en vertu de l’article 160.

[8]             Même si, à strictement parler, les observations que contient un avis d’appel ne constituent pas en soi des observations soumises à la Cour, dans la présente affaire, elles contribuent quand même à étoffer quelque peu l’argument sommaire qui précède. La Cour signale les extraits suivants, tirés de l’argument juridique identique que contiennent les avis d’appel des deux appelantes :

[traduction

a.     pour qu’il y ait une obligation en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, 5e suppl., deux éléments essentiels doivent se rattacher à une personne;

b.     résidence : la personne doit être résidente au sens de la Loi, c’est‑à‑dire qu’elle doit résider sur les terres que Sa Majesté la Reine du chef du Canada possède ou dont elle a le droit de disposer OU elle tombe sous le coup des paragraphes 250(1), (2) et (3);

c.      revenu imposable : pour avoir un revenu imposable, la personne doit avoir un profit ou un gain imposable ou être employée au sens du mot « employé » qui est défini à l’article 248;

d.     si la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, 5e suppl., s’adressait uniformément à chaque homme, femme et personne (c.-à-d., les personnes morales), il ne serait pas nécessaire de préciser les fonctionnaires et leurs postes à titre de charge ou d’emploi;

e.      il n’est fait nulle mention d’une femme ou d’un homme privé gagnant sa vie dans le secteur privé;

f.       les appelantes n’ont aucune obligation ni ne sont contraintes d’exécuter quoi que ce soit sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, 5e suppl., comme en font foi la jurisprudence et la législation;

g.     les coutumes et les conventions canadiennes ne prévoient l’abrogation des droits de la personne et des droits civils dans le secteur privé qu’en cas de guerre. À cause des abus excessifs commis dans le passé, le Parlement du Canada a abrogé la Loi sur les mesures de guerre et, à l’heure actuelle, ne dispose d’aucun instrument législatif pour contraindre unilatéralement le secteur privé à se conformer à la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu de 1917, dans sa forme modifiée.

[9]             De plus, il est dit dans les observations, dans le contexte qui précède, que les appelantes n’ont jamais [traduction] « résidé » sur des terres fédérales ou été des employées de l’État et qu’elles n’ont jamais exécuté une fonction pour l’État ou occupé une charge ou un emploi dans le but de réaliser un profit.

V. La décision

[10]        Pour deux raisons différentes, les appels ne peuvent pas être accueillis et sont rejetés : premièrement, l’article 160 n’exige pas que Desiree ou Roseann soient des contribuables et, deuxièmement, la Loi constitutionnelle de 1867, 1867 (R.-U.), 30 & 31 Victoria, ch. 3, attribue au Parlement des pouvoirs d’imposition explicites, étendus et énumérés sur tous les Canadiens et, de pair avec la Loi elle-même, ne restreint pas l’établissement des cotisations d’impôt aux employés de l’État, aux titulaires d’une charge ou aux personnes résidant sur des terres fédérales.

VI. L’analyse

[11]        Les dispositions pertinentes de l’article 160 sont les suivantes :

160. (1) Lorsqu’une personne a […] transféré des biens, […] à l’une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait […];

b) […];

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie […] égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été […];

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent […] de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi […] au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

[…]

[12]        L’article 160 englobe l’idée que l’auteur du transfert, Rick Bekkerus, doit être redevable de l’impôt en premier lieu. Il s’agit là d’un fait que les appelantes ne contestent pas. À l’instar du représentant des appelantes, qui a déclaré qu’il ne peut relever aucune mention d’une [traduction] « personne qui gagne sa vie dans le secteur privé » en tant que contribuable, nulle part dans le paragraphe 160(1), qui crée une responsabilité solidaire pour les bénéficiaires du transfert, soit Roseann et Desiree, n’est-il mentionné ou exigé que le bénéficiaire du transfert soit un contribuable ou, quant à cela, un résident ou une personne tirant un revenu d’une source quelconque. Étant donné que les critères juridiques et factuels énoncés qui s’appliquent à l’établissement des cotisations visées au paragraphe 160(1) n’ont pas été remis en question par l’argument invoqué, mais ont été admis, les cotisations sont maintenues en raison de ce que la Cour d’appel fédérale a appelé « la signification claire des termes du paragraphe 160(1) » qui définissent ces critères : Livingston c R, 2008 CAF 89, au paragraphe 17.

VII. Le champ d’imposition sous le régime de la Loi

[13]        Je suis conscient qu’il n’est pas nécessaire que je tranche la seconde question en litige à cause de la décision que j’ai rendue plus tôt, mais l’argument juridique tenait une place prédominante dans les appels des appelantes et, de ce fait, j’en traiterai malgré son caractère théorique.

[14]        Le paragraphe 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose :

Autorité législative du parlement du Canada

91. Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

[…]

3. Le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation.

[15]        Il s’agit là de pouvoirs de taxation étendus, d’une portée considérable et manifestes, et ils englobent ce qui a toujours été décrit comme des pouvoirs directs et indirects de taxation.

[16]        On pourrait dire que la Loi elle-même est l’instrument fiscal prééminent et prédominant au Canada. La définition même d’un « contribuable », au sens du paragraphe 248(1) de la Loi, remet directement en question l’affirmation du représentant des appelantes selon laquelle ni Desiree ni Roseann ne sont des contribuables. Cette définition précise : « [s]ont comprises parmi les contribuables toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l’impôt » (non souligné dans l’original). Le mot « personne » n’est pas défini dans la Loi, il convient de lui donner son sens ordinaire et, en tout état de cause, il n’a pas été allégué que les appelantes ne sont pas des personnes.

[17]        En conséquence, même si le paragraphe 160(1) employait le mot « contribuable » plutôt que « bénéficiaire du transfert », l’argument selon lequel les appelantes ne sont pas des contribuables parce qu’elles ne sont pas définies comme telles est indéfendable. Quelles que soient les raisons, les exemptions ou les omissions législatives qui puissent dispenser les appelantes d’un autre assujettissement à l’impôt, les pouvoirs constitutionnels conférés par le Parlement et la définition claire et tout à fait évidente d’un « contribuable » dans la Loi (qui inclut toute personne, indépendamment de l’obligation de payer de l’impôt) font des appelantes des « contribuables » au sens de la Loi.


[18]        Comme il a été mentionné, pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 20e jour d’octobre 2014.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de janvier 2015.

 

M.-C. Gervais


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 311

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2014-1137(IT)I
2014-1489(IT)I

INTITULÉ :

DESIREE BEKKERUS
ROSEANN BEKKERUS
ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 octobre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 octobre 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant des appelantes :

M. Chris Shannon

Avocate de l’intimée :

Me Larissa Benham

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelantes :

Nom :

Chris Shannon

 

Cabinet :

S.O.

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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