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Dossier : 2012-2292(GST)I

ENTRE :

SHAMSUDDIN SYED,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de
Abida Begum Syed, (2012-4656(GST)I),
les 5 et 6 mars 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable Rommel G. Masse, juge suppléant


Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me François Asselin

Avocat de l'intimée :

Me Michel Rossignol

 

JUGEMENT

        L’appel de la cotisation en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise est accueilli, en partie, selon les motifs de jugement ci‑joint. L’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de refléter le jugement par consentement ci‑joint, rendu par le juge Jorré de cette Cour dans de dossier de Buffet Samrat inc., (2011‑1092(GST)G).

Signé à Kingston, Ontario, ce 22e jour d’octobre 2014.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


Dossier : 2012-4656(GST)I

ENTRE :

ABIDA BEGUM SYED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de
Shamsuddin Syed, (2012-2292(GST)I),
les 5 et 6 mars 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable Rommel G. Masse, juge suppléant


Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me François Asselin

Avocat de l'intimée :

Me Michel Rossignol

 

JUGEMENT

        L’appel de la cotisation en vertu de la partie IX de Loi sur la taxe d’accise est rejeté, selon les motifs du jugement ci‑joint.

Signé à Kingston, Ontario, ce 22e jour d’octobre 2014.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


Référence : 2014 CCI 307

Date : 20141022

Dossier : 2012-2292(GST)I

ENTRE :

SHAMSUDDIN SYED,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Dossier : 2012-4656(GST)I

ENTRE :

ABIDA BEGUM SYED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

[1]             Dans le dossier 2012‑4656(GST)I, Shamsuddin Syed (« Shamsuddin ») a été cotisé par avis de cotisation daté du 11 juillet 2011 et portant le numéro F‑032866, établi en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15 (la « LTA ») en sa capacité d’administrateur d’une société, Buffet Samrat inc. (« Samrat »). La cotisation au montant de 86 640,07 $ comprenant la taxe sur les produits et services (la « TPS ») ainsi que les intérêts et les pénalités afférents, que Samrat est tenue de verser au ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu du paragraphe 228(2) de la LTA pour la période visée du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006. Comme expliqué ci‑dessous, le montant de cette cotisation est réduit à 66 666,39 $.

[2]             Dans le dossier 2012‑4656(GST)I, Abida Begum Syed (« Abida ») a été cotisée par avis de cotisation daté du 27 février 2012 et portant le numéro F‑036082 en vertu du paragraphe 325(2) de la LTA, à l’égard de la somme de 110 000 $ qui lui ont été transférés par Samrat à la fin de décembre 2008 et au début de janvier 2009. Le montant de la cotisation est 57 357,83 $. Le ministre affirme qu’Abida a un lien de dépendance avec Samrat et qu’elle a reçu cette somme d’argent sans contrepartie. Donc, d’après l’intimée, Abida et Samrat sont conjointement et solidairement tenues de payer la cotisation.

[3]             Shamsuddin et Abida interjettent appel de leurs cotisations. Ces deux appels ont été entendus sous preuve commune.

Contexte factuel

[4]             Moinuddin Syed (« Moinuddin ») est né au Bangladesh en 1967. Il est le frère de Shamsuddin. Il a émigré au Canada en 1988 ou il a travaillé en restauration. En 1995, il a parrainé son père, sa mère, ses quatre frères, et l’une de ses sœurs pour émigrer du Bangladesh au Canada. La famille vivait ensemble dans son appartement. En 1996, il a épousé Abida. La situation financière était très difficile pour Moinuddin, car la famille dépendait de lui. En 2003, une connaissance de Moinuddin lui proposa de partir en affaires et d’exploiter un restaurant. Moinuddin ne pouvait pas investir de l’argent ou devenir actionnaire, car il n’avait pas d’épargne, mais son frère Shamsuddin en avait. Alors, une société Buffet Samrat inc. fut incorporée et Shamsuddin est devenu actionnaire avec deux autres investisseurs. Shamsuddin est aussi devenu administrateur de la société sans trop savoir dans quoi il s’embarquait. Samrat était un restaurant de cuisine indienne de style buffet situé à la rue Ste‑Catherine à Montréal. Il n’est pas contesté que Samrat est une personne morale dûment constituée et inscrite aux fins de la partie IX de la LTA.

[5]             Le restaurant n’a jamais connu de succès et a toujours opéré à la perte. Les autres investisseurs sont devenus découragés et ils n’ont pas voulu continuer dans l’entreprise. Ils ont donc vendu leurs actions à Shamsuddin. Shamsuddin est devenu l’unique actionnaire et directeur de Samrat en 2004.

[6]             Les deux frères, Shamsuddin et Moinuddin, s’occupaient de la gestion du restaurant. Moinuddin avait plus d’expérience que Shamsuddin dans la restauration et donc Shamsuddin mandatait Moinuddin pour accomplir en son nom plusieurs fonctions d’administrateur. Bien que Shamsuddin fût le seul actionnaire et administrateur de Samrat, il s’agissait vraiment d’une entreprise familiale gérée par Moinuddin et Shamsuddin. Shamsuddin admet qu’il n’a pas d’expérience en comptabilité. Donc, la tenue des livres, les paies, les états financiers, les déclarations de revenus et les déclarations de taxes (TPS et la taxe de vente du Québec (« TVQ »)) étaient préparés par le comptable de Samrat, Hadi Aliahmad (« Hadi »). Hadi compilait lui‑même les dépenses de Samrat. Par contre, il est curieux de constater que les ventes de Samrat étaient compilées par Shamsuddin ou Moinuddin et non par Hadi. Tous les trois mois, Shamsuddin ou Moinuddin remettaient les totaux des ventes ainsi que toutes les factures de dépense à Hadi pour qu’il prépare les déclarations de TPS/TVQ, les états financiers et les déclarations de revenus. Hadi préparait ces déclarations ainsi que les chèques de paiement des droits dus pour signature par Moinuddin ou Shamsuddin. Shamsuddin ou Moinuddin révisait les déclarations, signait et transmettait les chèques et déclarations à Revenu Québec.

[7]             Le restaurant a connu des problèmes financiers. Il opérait toujours à perte. Samrat a dû faire de la publicité et des promotions pour attirer des clients. Diverses promotions ont été publicisées : a) buffets deux pour un, b) une consommation gratuite sur présentation d’une clé d’hôtel, et c) une deuxième consommation d’alcool gratuite à l’achat d’une première consommation. Malheureusement, ces promotions n’ont pas généré de profits. Malgré ceci, Samrat n’a pas mis fin aux promotions. Moinuddin estime qu’environ 30 % de l’alcool acheté était donné gratuitement aux clients. Le reste de l’alcool était vendu au prix normal. Shamsuddin estime qu’entre 30 à 35 % de l’alcool acheté était simplement donné en promotion aux clients. Malheureusement, ces estimations ne sont appuyées par aucune pièce justificative. La quantité d’alcool qui a été perdu par bouteilles cassées, ou l’alcool utilisé dans la cuisine ou volé par les employés ou donné en promotion n’a jamais été comptabilisé. Samrat ne conservait aucun registre de l’alcool perdu ou donné en promotion. Les estimations de 30 à 35 % sont exactement ça, des estimations, et celles‑ci très imprécises.

[8]             En 2007, la ville de Montréal acheta l’immeuble où se situait le local de Samrat. La ville avait l’intention de démolir ce bâtiment et donc la ville invoqua une clause du bail avec Samrat qui permettait la résiliation du bail. À la suite des négociations entretenues entre la ville de Montréal et Samrat, il fut entendu que la ville résilierait le bail de Samrat et que Samrat devra quitter les lieux en décembre 2008. La ville de Montréal a payé à Samrat 138 794 $ (qui représente la somme de 150 000 $ moins des loyers en retard que Samrat devait à la ville) pour mettre fin au bail. Samrat quitta les lieux et mit fin à ses opérations. Samrat obtient également 20 000 $ par la liquidation de ses équipements qui ont été vendus à l’enchère. Après décembre 2008, Samrat n’exploite plus d’entreprise, n’a plus d’employés et termine de liquider ses actifs.

[9]             Quoi faire avec la somme d’argent que Samrat a reçue de la ville de Montréal? Hadi était d’avis que cet argent pouvait être retiré par Shamsuddin à titre de « Capital Stock » sans incidence fiscale du bilan de Samrat, car Shamsuddin était l’unique actionnaire et cette somme représentait le capital investi dans la société par Shamsuddin. Hadi a comptabilisé les 150 000 $ reçus pour la résiliation du bail dans la section « Revenue and cancellation of lease » dans l’état financier de 2008 de Samrat. La somme de 10 000 $ a été payée à Shamsuddin pour payer des frais de subsistance et 23 000 $ pour payer une dette de carte de crédit. Le 23 décembre 2008, Samrat a tiré un chèque payable à Abida du montant de 60 000 $. Ce chèque fut signé par Shamsuddin. Le montant de 50 000 $ fut transféré du compte de banque de Samrat directement au compte de banque d’Abida le 3 janvier 2009 (voir la pièce I‑1, onglets 3 et 4). Ces transactions ont été comptabilisées en baissant le compte de « Capital Stock » de Samrat. Abida a témoigné que ces sommes lui ont été données comme cadeaux pour qu’elle et Moinuddin s’achètent une maison familiale. Elle a reçu l’argent au lieu de Moinuddin, car celui‑ci devait de l’argent au ministre de l’Emploi et de la sécurité sociale, car il avait parrainé sa famille pour émigrer au Canada et il voulait éviter de payer cette dette.

[10]        Shamsuddin prétend qu’il a cessé d’agir à titre d’administrateur de Samrat le 15 novembre 2008. Il n’y a pas de doute que Samrat a cessé ces activités commerciales au mois de décembre 2008. Ses comptes de TPS et TVQ sont inactifs depuis le 1er janvier 2009. Par contre, comme je vais expliquer ci‑dessous, Shamsuddin a continué à agir à titre d’administrateur après la fin des opérations de Samrat.

[11]        En 2007, monsieur Arnold Richard, vérificateur à l’emploi de Revenu Québec, a décidé de faire une analyse de certains indices financiers de Samrat. Premièrement, il a examiné le montant de taxes payées sur les fournitures achetées par Samrat comparé aux taxes perçues sur les ventes. Dans la restauration, il est rare que les taxes payées dépassent 30 % des taxes perçues. Il a constaté que les taxes payées comparées aux taxes perçues étaient très élevées — en l’espèce, la proportion était de 87 % en 2003, de 66 % en 2004, de 71 % en 2005 et de 69 % en 2006. Deuxièmement, l’entreprise était toujours à perte, et selon lui, ne verrait jamais de bénéfices. Troisièmement, la masse salariale était basse en considérant le nombre d’employés; plus basse que la norme de l’industrie. Quatrièmement, le coût d’énergie dépassait la norme de l’industrie. Tout ceci indiquait qu’il y avait des irrégularités sur le plan financier.

[12]        Monsieur Richard a visité le restaurant au mois d’octobre 2007 et il a demandé tous les documents comptables à l’égard des ventes et des achats du restaurant pour les années 2003, 2004, 2005 et 2006. Il a effectué une analyse de ces documents en utilisant une méthode alternative afin de reconstituer les revenus du restaurant. Monsieur Richard a bien expliqué cette méthode qui est une méthode statistique développée par Revenu Québec et l’Université de Montréal. La méthode consiste à établir un ratio des ventes par rapport aux litres d’alcool vendus en utilisant un logiciel. L’alcool est souvent utilisé comme point de départ dans cette méthode, car il est facile de vérifier auprès de la SAQ ou auprès des brasseries le volume d’alcool acheté par un restaurateur. Habituellement, les restaurateurs tiennent des registres au niveau des ventes d’alcool parce que la vente de l’alcool génère de gros profits. Il y a habituellement un meilleur contrôle interne dans les restaurants au niveau de l’alcool acheté et vendu, comparé aux autres produits vendus. Malheureusement, Samrat ne gardait pas un bon contrôle interne au niveau des ventes d’alcool ni au niveau de « pertes et promotion » (en voulant dire les pertes d’alcool à cause de bris de bouteille, d’alcool volé ou consommé par les employés, de l’alcool utilisé en cuisine et le montant d’alcool donné en promotion).

[13]        Le nombre total de litres d’alcool achetés par Samrat est déterminé. Ceci permet au logiciel d’extrapoler le nombre total de litres d’alcool vendus en fonction du nombre de litres achetés pour l’année. Ensuite, le nombre de litres d’alcool acheté par la société est réduit par 5 % à titre de pertes. Selon monsieur Richard lorsqu’on parle de pertes, on parle de l’alcool qu’on ne trouve pas sur les factures aux clients. Ce chiffre est nécessairement arbitraire, car Samrat ne tenait pas de registres de pertes et promotion qui auraient permis d’établir un pourcentage plus précis. Le taux de 5 % est généralement dans les proportions des pertes qu’on peut retrouver dans l’industrie. On présume que tous les litres d’alcool achetés moins les pertes et les promotions sont vendus étant donné qu’il n’y avait que très peu de changement d’inventaire d’alcool d’une année à l’autre. Par la suite, les factures de ventes sont examinées. Afin d’estimer les ventes réelles et les comparer aux ventes déclarées, monsieur Richard a procédé par échantillonnage. Le logiciel effectue un tirage au sort de dates et périodes de temps à examiner. En fait, un échantillonnage des notes de repas fut constitué et toutes les ventes pour cette période sont comptabilisées et informatisées. Les litres d’alcool vendus sont déterminés et par la suite, est établi un ratio des ventes pendant les périodes échantillonnées, en divisant le total des ventes par le nombre total de litres d’alcool vendus. Si l’on multiplie le nombre de litres d’alcool acheté par les ratios de chaque année, on obtient une estimation des fournitures taxables durant l’année. Étant donné le rapport entre les chiffres d’affaires, représenté par les ventes totales, et le volume d’alcool vendu, on doit s’attendre à des ventes d’un certain montant d’alcool. Par contre, le restaurant n’a déclaré que des montants qui étaient plus bas que les chiffres d’affaires attendus. En l’espèce, l’écart entre les ventes déclarées par Samrat et les ventes reconstituées était 186 299 $ pour 2003 (un écart de 97,35 % par rapport aux ventes déclarées), un écart de 257 479 $ pour 2004 (un écart de 104,50 %), un écart de 134 056 $ (un écart de 61,29 %) pour 2005, et un écart de 135 280 $ (un écart de 63,09 %) pour 2006. L’écart total entre les revenus reconstitués et les revenus déclarés par Samrat pour la période visée totalise 713,114 $.

[14]        La cotisation en TPS de la société est basée sur les revenus taxables non déclarés comptabilisés par cette méthode alternative. Les fournitures taxables estimées moins les fournitures taxables déclarées par la société nous donnent le montant des fournitures taxables non déclarées par la société. Le tableau suivant donne les résultats de la vérification en présumant un pourcentage de pertes et promotions de 5 % (voir pièce I‑5, onglet 15, page 1) :

Présumant un taux de 5 % pour pertes et promotions

TPS

Revenus non déclarés

Droits sur revenus non déclarés

2003

186 299 $

13 040,93 $

2004

257 479 $

18 023,53 $

2005

134 056 $

9 383,92 $

2006

135 280 $

8 793,20 $

 

[15]        En l’espèce, le pourcentage de pertes et promotions a été augmenté à 10 % à la suite de représentations faites par les appelants relativement au dossier Samrat. Si l’on présume un pourcentage de pertes et promotions de 10 %, les résultats sont indiqués dans le tableau suivant (voir la pièce I‑5, onglet 21) :

Présumant un taux de 10 % pour pertes et promotions

TPS

Revenus non déclarés

Droits sur revenus non déclarés

2003

166 422 $

11 649,59 $

2004

230 960 $

16 167,21 $

2005

115 488 $

8 084,17 $

2006

116 875 $

7 596,88 $

 

[16]        Bien entendu, les résultats consistent en des estimations des revenus non déclarés, car il s’agit en l’espèce d’une méthode alternative indirecte. Monsieur Richard admet qu’il n’a jamais posé de questions à Shamsuddin et Moinuddin dans le cadre de la vérification concernant les promotions, l’absence de profits, le taux élevé de dépenses taxables sur les revenus totaux, la masse salariale ou les frais d’énergie. Donc, il n’a pas pris en ligne de compte des pertes et promotions de 30 % à 35 % estimés par Moinuddin et Shamsuddin parce qu’il n’a jamais été mis au courant de ces pourcentages estimés. Monsieur Richard nous a dit que les factures aux clients qu’il a examinées étaient écrites à la main, elles n’étaient pas numérotées, et elles n’indiquaient pas si l’alcool était donné aux clients en promotion. Si l’alcool était donné en promotion, on s’attendrait de voir « Promo, 1 bière 00 $ » ou quelque chose de semblable sur les factures aux clients.

[17]        Le 6 janvier 2010, le ministre a établi une cotisation à l’égard de Samrat pour la TPS (voir la pièce A‑15). Le 29 novembre 2010, un jugement de la Cour fédérale fut obtenu par l’intimée contre Samrat à l’égard des sommes dues par cette dernière, et ce, aux termes de l’article 316 de la LTA, pour le montant de 84 068,11 $ y compris les pénalités plus les intérêts. Le 2 mars 2011, la Cour fédérale a décerné un bref de saisie‑exécution à l’égard de Samrat. Le 22 mars 2011, le bref de saisie‑exécution fut rapporté insatisfait en totalité. Le 11 juillet 2011, l’avis de cotisation numéro F‑032866 fut établi à l’égard de Shamsuddin, dans sa capacité d’administrateur de Samrat en vertu du paragraphe 323(1) de la LTA pour un total de 86 640,07 $.

[18]        Éventuellement, Samrat et le ministre ont conclu un règlement et le juge Jorré de la Cour canadienne de l’impôt a rendu un jugement par consentement daté du 26 avril 2013 (voir la pièce I‑7). Par ce consentement, la cotisation fut diminuée pour arriver à un total de 43 497,78 $. Le ministre a fait certaines concessions; un pourcentage de 10 % au lieu de 5 % pour pertes et promotion et la pénalité a été coupée à 50 %. Un nouvel avis de cotisation fut émis à l’égard de Samrat datée le 30 mai 2013 (voir la pièce I‑5, onglet 5).

Thèse des appelants

[19]        Shamsuddin conteste sa cotisation en se fondant sur trois motifs :

a)                 Samrat n’avait pas de dette en TPS. La société n’a pas omis de retenir, déclarer ou remettre la taxe nette. La cotisation de Samrat est basée entièrement sur des théories plutôt que sur ses registres qui étaient complets et précis;

b)                Plus de deux années se sont écoulées depuis qu’il a cessé d’administrer la société qui a cessé ses opérations en 2008, et donc la cotisation s’est prescrite. Il invoque comme défense les dispositions du paragraphe 323(5) de la LTA;

c)                 L’appelant a été diligent dans sa gestion de la compagnie. Tous les registres et les déclarations ont été complétés par un comptable et la compagnie a payé les droits ainsi calculés et dus et aucun revenu n’a été caché, ni aucune dépense exagérée.

[20]        Abida conteste sa cotisation en se fondant sur les motifs suivants :

a)                 Samrat n’avait pas de dette en TPS en date des paiements qu’elle a reçus;

b)                Elle aussi conteste la validité des cotisations sous-jacentes de Samrat;

c)                 Aucun transfert n’a eu lieu au sens du paragraphe 325(2) de la LTA.

[21]        Les appelants demandent que les cotisations soient annulées. Autrement, les appelants demandent que l’affaire soit déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant en ligne de compte un pourcentage de 30 % à titre de pertes et promotions.

Thèse de l’intimée

[22]        L’intimée soutient que la cotisation sous‑jacente de la société Samrat est valide et que les appelants n’ont pas démontré que cette cotisation est sans fondement en droit ou en fait.

[23]        L’intimée prétend que l’appelant Shamsuddin a toujours agi à titre d’administrateur de Samrat pendant les périodes où ce dernier était tenu de verser la taxe nette à l’intimée. En tout temps pertinent, Shamsuddin n’a jamais démissionné, n’a pas été remplacé ou destitué à titre d’administrateur de Samrat. Shamsuddin était l’unique administrateur de Samrat pour les années 2003 jusqu’au début de 2012. Shamsuddin savait, ou aurait dû savoir que Samrat était en défaut de remettre le montant positif de sa taxe nette tel que requis par la LTA. Shamsuddin n’a pas agi avec le soin, la diligence et la compétence requise ni n’a pris toutes les mesures pour prévenir les manquements de Samrat à ses obligations à l’égard de la LTA. Donc, Shamsuddin est conjointement et solidairement tenu avec Samrat de payer le montant de la cotisation ainsi que les intérêts et pénalités afférents en vertu du paragraphe 323(1) de la LTA.

[24]        L’intimée prétend que l’appelante Abida a reçu de Samrat un transfert de biens sans contrepartie et donc elle est solidairement tenue avec Samrat de payer les dettes fiscales de Samrat jusqu’à concurrence de la cotisation établie à son égard en vertu du paragraphe 325(1) de la LTA.

Les dispositions législatives

[25]        Le paragraphe 286(1) de la LTA prévoit l’obligation d’un mandataire de tenir des livres et registres :

286. (1) Toute personne qui exploite une entreprise au Canada ou y exerce une activité commerciale, toute personne qui est tenue, en application de la présente partie, de produire une déclaration ainsi que toute personne qui présente une demande de remboursement doit tenir des registres en anglais ou en français au Canada ou à tout autre endroit, selon les modalités que le ministre précise par écrit, en la forme et avec les renseignements permettant d’établir ses obligations et responsabilités aux termes de la présente partie ou de déterminer le remboursement auquel elle a droit.

[26]        Le paragraphe 288(1) de la LTA confère aux personnes dûment autorisées, le pouvoir de vérifier les livres et registres d’un mandataire pour établir sa responsabilité fiscale :

288. (1) Une personne autorisée peut, en tout temps raisonnable, pour l’application ou l’exécution de la présente partie, inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés d’une personne, dont l’examen peut aider à déterminer les obligations de celle-ci ou d’une autre personne selon la présente partie ou son droit à un remboursement […]

[27]        En vertu du paragraphe 296(1) de la LTA, le ministre peut établir une cotisation pour déterminer la taxe nette d’un mandataire pour une période de déclaration ainsi que les pénalités et les intérêts payables par celui-ci. En vertu du paragraphe 299(3) de la LTA, une cotisation est réputée valide et exécutoire.

[28]        Le paragraphe 323(1) de la LTA définit et délimite les responsabilités d’un administrateur d’une société :

323.     (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

(2) L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

(4) Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

(5) L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

[29]        Une personne ayant un lien de dépendance avec un mandataire qui est inscrit aux fins de la partie IX de la LTA peut se trouver responsable de la dette en TPS du mandataire si ce dernier lui transfère un bien sans contrepartie. L’article 325 de la LTA dispose comme suit :

325.     (1) La personne qui transfère un bien, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à son époux ou conjoint de fait, ou à un particulier qui l’est devenu depuis, à un particulier de moins de 18 ans ou à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, est solidairement tenue, avec le cessionnaire, de payer en application de la présente partie le moins élevé des montants suivants;

a)   le résultat du calcul suivant :

A – B

ou :

A

représente l’excédent éventuel de la juste valeur marchande du bien au moment du transfert sur la juste valeur marchande, à ce moment, de la contrepartie payée par le cessionnaire pour le transfert du bien,

B

l’excédent éventuel du montant de la cotisation établie à l’égard du cessionnaire en application du paragraphe 160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement au bien sur la somme payée par le cédant relativement à ce montant;

b) le total des montants représentant chacun :

(i) le montant dont le cédant est redevable en vertu de la présente partie pour sa période de déclaration qui comprend le moment du transfert ou pour ses périodes de déclaration antérieures,

(ii) les intérêts ou les pénalités dont le cédant est redevable à ce moment.

Toutefois, le présent paragraphe ne limite en rien la responsabilité du cédant découlant d’une autre disposition de la présente partie.

(2) Le ministre peut établir une cotisation à l’égard d’un cessionnaire pour un montant payable en application du présent article. Dès lors, les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstances.

Analyse

Fardeau de la preuve

[30]        Dans l’affaire Amiante Spec Inc. c. Canada, [2009] A.C.F. no 603 (QL), 2009 CAF 139, [2009] G.S.T.C. 71, la Cour d’appel fédérale nous instruit à l’égard du fardeau de la preuve applicable lorsqu’un contribuable désire contester la validité d’une cotisation :

[15]      L’affaire Hickman nous a rappelé que le ministre se fonde sur des présomptions pour établir une cotisation et que la charge initiale de démolir les présomptions exactes formulées par celui-ci est imposée au contribuable. Ce dernier s’acquitte de ce fardeau initial lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude des présomptions formulées dans la cotisation. Enfin, lorsque le contribuable s’est déchargé de son fardeau initial, le fardeau de la preuve passe au ministre qui doit alors réfuter la preuve prima facie faite par celui‑là et prouver les présomptions (Hickman, supra, aux paragraphes 92‑93‑94)

[…]

[23]      Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

[24]      Bien qu’il ne s’agisse pas d’une preuve concluante, « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable » (Voitures Orly inc. c. Canada, 2005 CAF 425 (CanLII), 2005 CAF 425, au paragraphe 20). Cette Cour a précisé que c’est le contribuable « qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle ».

[31]        Donc, il incombe aux appelants d’établir par une prépondérance de la preuve que les cotisations à leur égard sont dénuées de fondement.

Le dossier du restaurant Buffet Samrat inc.

[32]        Les appelants soutiennent que Samrat n’avait pas de dette en TPS et Samrat n’a pas omis de retenir, déclarer ou remettre la TPS qu’il devait pendant la période en litige. Les appelants prétendent que la cotisation de Samrat est basée entièrement sur des théories plutôt que sur ses registres qui étaient complets et précis. En autres mots, selon les appelants, la méthode alternative décrite par monsieur Richard ne pouvait pas être utilisée en l’espèce parce que Samrat possédait des registres comptables adéquats. Monsieur Richard aurait dû se fier seulement aux registres de Samrat en effectuant sa vérification et non à une méthode alternative. Les deux appelants ne doivent rien au ministre, car Samrat ne devait rien au ministre.

[33]        Mon collègue, le juge Favreau, dans sa décision 9100-8649 Québec inc. c. Canada, [2013] A.C.I. no 124 (QL), 2013 CCI 160, [2013] A.C.W.S. (3d) 274, (confirmé par la Cour d’appel fédérale, [2014] A.C.F. no 131 (QL), 2014 CAF 20, [2014] G.S.T.C. 20, a souligné la nécessité d’utiliser des méthodes alternatives dans les cas où le contribuable ne possède pas de registres fiables :

[39]      Les tribunaux permettent aux autorités fiscales d’utiliser une méthode de vérification alternative non seulement lorsque le contribuable ne possède pas de registres comptables adéquats, mais également lorsque ses livres, registres et états financiers ne sont pas fiables.

[40]      Dans le cas présent, l’appelante n’avait aucun document à l’appui des prises d’inventaires. Dans les circonstances, l’appelante ne peut prétendre que ses livres, registres, états financiers étaient complets, adéquats et fiables.

[34]        Dans le même sens, mon collègue, le juge Bédard a constaté dans l’affaire Restaurant Place Romaine Inc. c. Canada, [2010] A.C.I. no262 (QL), 2010 CCI 347, [2010] G.T.C. 74 :

[16]      À l’égard de la position de l’appelante selon laquelle le ministre n’était pas justifié d’utiliser une méthode de vérification indirecte étant donné que ses livres et ses registres étaient adéquats et bien tenus, mes commentaires seront brefs. L’appelante doit comprendre que le ministre peut être justifié d’utiliser une méthode de vérification indirecte en regard des affaires d’un contribuable même si ses livres et registres sont à leur face même adéquats et bien tenus. En effet, encore faut-il que ces mêmes livres, registres et états financiers soient fiables. […] Comment l’appelante peut-elle prétendre que ses livres, registres et états financiers sont fiables alors qu’elle ne conserve aucun document à l’appui des prises d’inventaires? […] Comment l’appelante peut-elle prétendre que ces mêmes livres, registres et états financiers sont fiables lorsqu’il existe pour chacune des périodes de la période visée un écart important entre les achats et les ventes de bière et de vin compte tenu du peu de variation de son inventaire d’une fin d’année à l’autre?

[35]        Il faut considérer toutes les circonstances afin de déterminer si oui ou non, le ministre était justifié d’utiliser une méthode de vérification alternative. En l’espèce, Samrat n’a produit aucun document à l’appui des prises d’inventaire. Le vérificateur, monsieur Richard, a constaté que le ratio des crédits de taxes sur les intrants réclamés sur la TPS perçue par Samrat est très élevé, entre deux à trois fois plus élevés que la normale dans l’industrie. Depuis le début de son existence, Samrat a connu des difficultés financières et était toujours à la perte. Chaque année, la masse salariale déclarée par la société est très basse pour les huit à dix employés que la société avait à son emploi. Le coût d’énergie était très élevé comparé à la norme dans l’industrie. Bien que Hadi comptabilisait lui‑même les dépenses de la société, il s’en remettait uniquement aux feuilles préparées par Shamsuddin et Moinuddin indiquant le montant des revenus sans considérer aucune des pièces justificatives. Hadi n’a jamais considéré les factures de ventes lors de la préparation des états financiers. Dans les circonstances, même si les livres, registres et états financiers sont adéquats et bien tenus, ces livres, registres et états financiers doivent de même être fiables et doivent refléter la réalité financière du commerce. Les appelants ne peuvent pas prétendre que les livres, registres et états financiers de Samrat étaient complets, adéquats et fiables alors que Samrat ne conservait aucun registre de la perte d’alcool ou de la quantité d’alcool donné en promotion, ayant une valeur très importante de supposément 30 % à 35 % de la valeur d’alcool acheté. La vente d’alcool peut générer de gros profits. L’insuffisance de contrôle interne au niveau de l’alcool en l’espèce met en doute la fiabilité des livres et registres de Samrat. À mon avis, compte tenu de toutes les circonstances, le ministre était justifié d’utiliser une méthode de vérification indirecte à l’égard des affaires de Samrat.

[36]        Les appelants contestent la fiabilité de cette méthode alternative. Ils suggèrent que le ministre aurait dû faire entendre un témoin expert au procès afin de démontrer que les prémisses sur lesquelles est basée la méthode de vérifications sont fiables. Comme l’a indiqué Me Rossignol, la méthode de vérification alternative utilisée par le ministre en l’espèce est reconnue par les tribunaux depuis quelques années, et ce, sans le témoignage d’un expert. Me Rossignol a référé à la Cour plusieurs décisions ou la méthode indirecte de vérification utilisée en l’espèce a été entérinée par la Cour canadienne de l’impôt : voir 9100‑8649 Québec inc., précité, (confirmé par la Cour d’appel fédérale, [2014] A.C.I. no 131 (QL), 2014 CAF 20), Restaurant Place Romaine inc., précité, et 9110‑1568 Québec Inc. c. Canada, [2014] A.C.I. no 436 (QL), 2009 CCI 554 (CanLII).

[37]        En l’espèce, je dois souligner que les appelants n’ont pas eux-mêmes cité de témoins en vue de réfuter le témoignage de monsieur Richard ni la méthodologie qu’il a employée. Les appelants n’ont pas proposé une autre méthode plus fiable et n’ont pas fourni de données manifestement plus exactes que les résultats produits par la méthode alternative.

[38]        Dans l’affaire Ruest c. Camada, [1998] A.C.I. no 798 (QL), [1998] G.S.T.C. 112, 1998 CanLII 649, le juge Tardif a conclu que la contribuable ne s’était pas acquittée de la charge qui lui incombait de démontrer que la cotisation était dénuée de fondement, étant donné qu’au lieu d’avancer des arguments à l’appui de sa position, elle avait décidé de chercher à discréditer le travail de l’intimée. Il incombe aux appelants de prouver que la méthode employée n’était pas valable. Juge Tardif nous instruit ainsi :

[25]      En cette matière, le fardeau de la preuve incombe à celui qui conteste le bien fondé de la cotisation découlant généralement d’une vérification suivie de discussions et de négociations.

[26]      En d’autres termes, à défaut de la preuve par l’appelante que la cotisation présumée bien fondée est mal fondée, le tribunal doit simplement confirmer ladite cotisation. Le degré de cette preuve en est un de prépondérance; ainsi, il n’est pas nécessaire de faire une preuve hors de tout doute raisonnable. Il est cependant essentiel que la balance des probabilités soutienne les prétentions sous-jacentes à l’appel.

[27]      Pareille preuve requiert généralement l’intervention de témoins dont le ou les témoignages sont complétés, confirmés par une preuve documentaire adéquate. À l’occasion, il peut s’avérer utile de faire intervenir un ou des experts. La preuve doit être cohérente, claire et surtout crédible et vraisemblable.

[28]      En l’espèce, la preuve de l’appelante a été totalement déficiente et sans fondement; l’appelante a choisi de concentrer ses énergies à disqualifier le travail de l’intimée. Elle a oublié que la loi l’obligeait à avoir, en tout temps, des registres complétés par la documentation adéquate permettant d’établir et de définir la qualité de son administration en tant que fiduciaire de l’État.

[…]

[30]      Il peut sembler exagéré qu’un tel fardeau soit imputé à certains contribuables; cela s’explique et se justifie par le fait que notre société place et met sa confiance dans ses citoyens qui doivent s’auto‑cotiser. Les personnes assujetties à une telle responsabilité doivent comprendre qu’elles constituent des acteurs importants directement associés à la bonne gestion de l’État. À cet égard, elles ont l’obligation d’avoir en tout temps une comptabilité claire, précise, détaillée et complète permettant de vérifier si les obligations ont été assumées correctement.

[31]      En l’espèce, l’appelante a failli totalement à ses obligations et doit, de ce fait, assumer les conséquences de sa grossière négligence.

[39]        J’arrive à la même conclusion que le juge Tardif. En l’espèce, les appelants se sont contentés à disqualifier le travail de monsieur Richard sans faire la preuve que la méthode alternative utilisée par ce dernier n’était pas valable.

[40]        Les appelants disputent le pourcentage accordé par le ministre à titre de pertes et promotions. Il faut souligner qu’il incombe aux appelants de présenter une preuve convaincante à l’appui de leur prétention que le pourcentage accordé par le ministre est erroné. La seule preuve contraire fournie par les appelants à l’égard du pourcentage de pertes d’alcool est une approximation par Moinuddin et Shamsuddin que 30 à 35 % de l’alcool acheté soit perdu par vol, gaspillage, consommation par les employés, bris de bouteille, utilisé dans la cuisine ou promotion. Comme j’ai déjà indiqué, les appelants n’ont fourni aucune preuve documentaire adéquate à l’appui de cette approximation. Samrat avait l’obligation en tout temps d’avoir une comptabilité claire, précise, détaillée et complète permettant de vérifier si ses obligations ont été assumées correctement. Il est inconcevable qu’un restaurant ne tienne aucun registre adéquat permettant de déterminer le coût de pertes et promotion — une dépense très importante en l’espèce. L’approximation de 30 à 35 % est très imprécise et peu fiable. Les preuves présentées par les appelants à cet égard ne créent pas le degré de probabilité requis pour constituer une preuve prima facie. Je suis d’avis que l’allocation accordée de 10 % pour pertes et promotions par le ministre est très raisonnable dans les circonstances.

[41]        En considérant l’ensemble de la preuve, j’arrive à la conclusion que le ministre était justifié d’utiliser une méthode indirecte afin de reconstituer les revenus de Samrat. Cette méthode est valable et a été acceptée par plusieurs de mes collègues. Je suis également d’avis que les appelants ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombe d’établir que la cotisation à l’égard de Samrat est sans fondement. Selon le paragraphe 286(1) de la LTA, Samrat avait l’obligation à avoir, en tout temps, des registres complétés par la documentation adéquate permettant d’établir ses obligations et responsabilités aux termes de la LTA. À défaut de la preuve par les appelants que la cotisation à l’égard de Samrat, présumée bien fondée est mal fondée, le tribunal doit simplement confirmer ladite cotisation. Les appelants n’ont produit aucune preuve documentaire. La preuve des appelants à cet égard est déficiente et sans fondement.

[42]        Je suis d’avis que la cotisation établie à l’égard de Samrat est valide et je confirme ladite cotisation.

Le dossier de Abida Begum Syed

Aucun transfert au sens du paragraphe 325(1) LTA

[43]        Abida soutient que le paragraphe 325(1) de la LTA ne s’applique pas aux circonstances dans lesquelles elle a obtenu l’argent. Elle prétend que c’est Shamsuddin qui a cédé l’argent à Abida et non Samrat. L’argent appartenait à Shamsuddin et non à Samrat. La section « Capital Stock » au bilan de la compagnie fait partie de la section « Avoir des actionnaires ». Abida prétend que les avoirs des actionnaires appartiennent aux actionnaires et non à la société. En l’espèce, il s’agit de rachats d’actions privilégiées par Samrat. Abida affirme que la société a remboursé les fonds investis initialement par Shamsuddin, sans gain ni valeur ajoutée. Shamsuddin était créancier de ces sommes récupérées de Samrat. Il lui était loisible de les céder à Abida. Elle soutient que le fait que Shamsuddin lui ait autorisé le paiement direct par Samrat ne change rien à cette réalité juridique. Abida se fie à l’article 1557 du Code civil du Québec, RLRQ c C‑1991 (le « C.c.Q. »), qui prévoit la possibilité de désigner un tiers pour recevoir le paiement qui lui est dû à titre de créancier. Cet article dispose :

[1557]  Le paiement doit être fait au créancier ou à une personne autorisée à le recevoir pour lui.

S’il est fait à un tiers, il est valable si le créancier le ratifie; à défaut de ratification, il ne vaut que dans la mesure où le créancier en a profité.

[44]        Abida cite à l’appui de cet argument la décision de mon collègue, juge O’Connor, dans l’affaire Finch c. Canada, [2003] A.C.I. no 389 (QL), 2003 CCI 472.

[45]        Avec respect, je dois rejeter cet argument.

[46]        L’objet et l’esprit de l’article 325 de la LTA consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à une personne avec qui il a un lien de dépendance afin de faire échec aux efforts du ministre pour recevoir l’argent qui lui est dû; voir Canada c. Livingston, [2008] A.C.F. no 360 (QL), 2008 CAF 89, paragraphe 18, à l’égard de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »). L’article 160 de la LIR est l’équivalent à l’article 325 de la LTA.

[47]        Il ne peut être contesté qu’il existe un lien de dépendance entre Abida et Samrat vu le lien de dépendance qui existe entre Abida et Shamsuddin — le seule actionnaire et administrateur de Samrat. L’article 160 de la LIR (et donc l’article 325 de la LTA dont le libellé est très semblable) s’applique dans la mesure où il y a transfert de biens par une société contrôlée par une personne avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance : voir Christensen c. Canada, [1998] A.C.I. no 361 (QL), 98 DTC 1893.

[48]        Le paragraphe 325(1) de la LTA vise la personne qui transfère un bien, soit directement ou indirectement, à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance. La preuve démontre que Samrat a transféré les sommes d’argent en question directement à Abida par moyen d’un chèque daté du 23 décembre 2008 au montant de 60 000 $ tiré sur le compte de banque de Samrat, et, par moyen d’un transfert direct du compte de banque de Samrat au compte de banque d’Abida du montant de 50 000 $ le 3 janvier 2009. Ces deux transactions constituent des transferts directs de Samrat à Abida. Ces deux montants d’argent proviennent de la ville de Montréal qui a payé la somme de 150 000 $ à Samrat lors de la résiliation du bail que Samrat avait avec Montréal. Un bail est un actif. Le bail en question était certainement un actif appartenant à Samrat et non un actif de Shamsuddin. Donc, le montant que Samrat a reçu pour la résiliation du bail est également un actif de Samrat et non un actif de Shamsuddin.

[49]        J’accepte l’argument de l’intimée voulant que Shamsuddin comme actionnaire de Samrat ait contribué à Samrat par la mise en commun d’apports. Ces apports constituent le patrimoine de Samrat. Le patrimoine de la société est distinct de celui de l’appelant. Les sommes comprises dans le poste « capital‑actions » appartiennent à la société, au même titre que les bénéfices non répartis de la société, et non à Shamsuddin. Shamsuddin était un actionnaire de la société et non un créancier. Donc, l’article 1557 du C.c.Q. n’a pas d’application en l’espèce.

[50]        Je suis d’avis que les transferts totalisant 110 000 $ qui ont été effectués par Samrat directement à Abida ont été faits sans contrepartie. Je suis aussi d’avis qu’au moment où les transferts ont été effectués, Samrat devait au ministre une dette à titre de TPS. En vertu de l’article 325 de la LTA, l’appelante est solidairement tenue au paiement des sommes dont Samrat est redevable en vertu de la LTA jusqu’à concurrence de 53 956,53 $.

Le dossier de Shamsuddin Syed

La cotisation s’est prescrite

[51]        La question de la date à laquelle une personne cesse d’être un administrateur est souvent soulevée dans le contexte du paragraphe 323(5) de la LTA. Cette disposition prévoit que l’établissement d’une cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur. Donc, la date à laquelle une personne a cessé pour la dernière fois d’être administrateur d’une compagnie est très importante et est parfois difficile à déterminer. Tout dépend des faits en l’espèce.

[52]        En l’espèce, Shamsuddin fut cotisé le 11 juillet 2011 par l’avis F‑032866 en vertu du paragraphe 323(1) de la LTA. Donc, la question à trancher est à savoir si Shamsuddin a cessé pour la dernière fois d’être administrateur de la société avant le 11 juillet 2009; deux ans auparavant. Si oui, la cotisation est prescrite par l’application du paragraphe 323(5) de la LTA et Shamsuddin n’est aucunement obligé à payer à l’intimée le montant de la cotisation. Sinon, il est tenu solidairement, avec Samrat, de payer le montant ainsi que les intérêts et les pénalités afférents.

[53]        L’appelant soutient que le mandat d’administrateur de Shamsuddin a pris fin à la fin de 2008, tel qu’il l’a déclaré dans le questionnaire se trouvant à l’onglet 11 de la pièce I‑3. Samrat n’était plus inscrit aux fins de percevoir la TPS en juin 2009, plus de deux ans avant l’émission de la cotisation sous appel (voir la pièce A‑18). L’appelant affirme que Samrat n’opérait plus après 2008 et seul Moinuddin agissait pour la société aux seules fins de contester des cotisations fiscales. Par contre, l’intimée soutient que l’appelant n’a jamais cessé d’être administrateur; l’appelant était en tout temps administrateur en droit et/ou en fait.

Administrateur en droit

[54]        Selon la Loi sur les compagnies, Partie IA, RLRQ, c C‑38 (la « LCQ »), article 123.76, « malgré l’expiration de son mandat, un administrateur demeure en fonction jusqu’à ce qu’il soit réélu, remplacé ou destitué ». En l’espèce, il est admis par l’appelant qu’aucun avis de résignation à titre d’administrateur n’a été donné par lui, que ce soit verbal ou par écrit. Selon l’appelant, le fait que Samrat a cessé ses opérations a mis fin à son mandat d’administrateur et il n’a rien fait à titre d’administrateur depuis la cessation des activités commerciales du restaurant.

[55]        D’après l’intimée, le simple fait de l’expropriation du local loué par la société et la cessation des opérations de la société n’implique pas automatiquement que la société cesse d’exister et que son administrateur n’est plus en fonction. Comme l’a observé mon collègue le juge Bédard dans l’affaire Dufour c. Canada, [2005] A.C.I. no 15 (QL), 2005 CCI 9, [2005] G.S.T.C. 5, au paragraphe 4 :

[4]        À mon avis, on ne cesse pas d’être administrateur d’une compagnie à partir du moment où cette dernière cesse toute activité commerciale. Je suis d’avis qu’il faut se référer aux dispositions de la Loi sur les compagnies pour déterminer le moment où une personne cesse d’être administrateur. À cet égard, l’article 123,76 de cette loi prévoit que, malgré l’expiration de son mandat, un administrateur demeure en fonction jusqu’à ce qu’il soit réélu, remplacé ou destitué. Il faut résigner ses fonctions en donnant un avis à cet effet. […]

[56]        Même après que Samrat a cessé ses activités, l’appelant était autorisé à signer les chèques, les déclarations de revenus et tous les documents permettant à un tiers de croire qu’il était toujours l’administrateur pour Samrat. Le relevé de l’état des renseignements de la société publié au registraire des entreprises (voir la pièce I‑3, onglet 1, page 3), daté du 30 juillet 2012, indique que l’appelant était toujours le seul administrateur et président de Samrat à cette date. Vu l’absence de preuve d’une démission, d’un remplacement ou d’une destitution, je ne suis pas convaincu que l’appelant a cessé d’être administrateur de Samrat. La prétention de l’appelant n’est pas convaincante pour contredire l’enregistrement du registraire. C’est l’appelant qui a le fardeau de prouver sa démission et la date de cette démission vu la présomption de validité de la cotisation. Donc l’appelant n’a jamais cessé d’être administrateur en droit de Samrat.

Administrateur de fait

[57]        L’intimée soutient aussi que l’appelant a continué d’agir à titre d’administrateur de fait. La notion d’administrateur est bien expliquée par le juge Tardif dans l’affaire Milani c. Canada, 2011 CCI 488 :

[58]      Même si une résignation au sens de la loi peut être complétée en bonne et due forme, le fait qu’une personne continue à agir comme administrateur l’empêche de se prévaloir de la provision de l’alinéa 323(5), car il peut être alors considéré comme un administrateur de fait. Il est opportun ici de citer le juge Proulx dans l’arrêt Hattem [Hattem c. Canada, 2008 CCI 32], où il cite Paul Martel :

33        Le fait pour une personne de se présenter aux tiers comme un administrateur fera d’elle un administrateur de facto. Je cite l’auteur Paul Martel dans le Précis de droit sur les compagnies au Québec, 1ere édition, Montréal (QC), Éditions Wilson & Lafleur, Martel Ltée, 2000, aux pages 465 et 489 :

[…]

Comme son nom l’indique, l’administrateur de facto sera considéré comme un administrateur si, dans les faits, il usurpe cette fonction en posant des actes normalement réservés aux administrateurs : par exemple, participer aux réunions du conseil d’administration, signer des résolutions du conseil, prendre ou participer à des décisions d’administration ou d’aliénation, donner des instructions au nom de la compagnie, se présenter aux tiers comme un administrateur, etc. ...

[…]

Un administrateur qui démissionne, mais qui continue en fait d’agir et de se présenter aux tiers comme administrateur de la compagnie risque, nonobstant sa démission, d’être considéré comme administrateur de facto et en tant que tel de demeurer sujet aux responsabilités imposées par la loi aux administrateurs.

Soulignons par ailleurs que l’administrateur démissionnaire a avantage à veiller à ce que la formule d’avis de changement des administrateurs énonçant son retrait soit dûment produite à Québec ou Ottawa, à cause de la présomption créée par la loi que les administrateurs désignés comme tels dans le dernier avis envoyé à l’Inspecteur général ou au Directeur occupent bel et bien ce poste (L.c.Q., art. 123.31(2) et (3); L.c.s.a., art. 253(2); L.p.l. art. 62(6)). Cette présomption est toutefois réfutable, et elle ne joue qu’en faveur des tiers de bonne foi.

[…]

34        La preuve a révélé que l’appelante a continué à se présenter comme administratrice jusqu’au 2 juin 2005 auprès des agents du Ministre. Ni elle ni son mari, n’ont informé le Ministre de sa prétendue démission. Même si cette démission avait eu lieu à la date soumise, l’appelante serait tout de même restée un administrateur de facto. Cette démission ne pourrait être opposée au Ministre qui ignorait ce fait jusqu’à l’avis d’opposition. Mais, je suis d’avis, que selon la preuve en cette affaire, la démission n’a pas eu lieu à la date du 22 mars 2002.

[59]      Selon la jurisprudence, pour cesser d’être administrateur, une personne ne doit pas agir comme administrateur de fait dans la période en question [Sandhu c. R., 2009 CCI 175 au para. 47]. Cette exigence est fondamentale au point qu’elle peut annuler tous les effets et bénéfices d’une véritable démission.

[60]      Il s’agit évidemment d’une disposition claire et très simple à comprendre. Il doit s’agir d’une véritable démission et la preuve de sa réalité doit être déterminante, fiable et crédible.

[58]        En l’espèce, l’appelant n’a jamais démissionné et il n’a jamais cessé de diriger les affaires internes de la société. La preuve démontre que depuis la fin de 2008, l’appelant a continué d’accomplir un certain nombre de mesures de gestion des affaires de Samrat. L'intimée les a repérés comme suit :

a)                 le 23 décembre 2008, il a signé un chèque du montant de 60 000 $ émis par Samrat en faveur de sa belle-sœur, Abida (voir la pièce I‑3, onglet 4);

b)                le 3 janvier 2009, il a signé un bordereau de transfert du montant de 50 000 $ en provenance de Samrat en faveur du compte de banque d’Abida (voir la pièce I‑3, onglet 5);

c)                 le 8 septembre 2009, il a signé la déclaration des revenus du Québec de Samrat dans laquelle il s’est déclaré être l’administrateur et président de cette société pour l’exercice se terminant le 31 décembre 2008, accompagné des états financiers de la société également signée par l’appelant à titre de « Director » (voir la pièce I‑3, onglet 3, déclaration CO‑17 de 2008);

d)                le 22 septembre 2009, le formulaire « Déclaration de renseignements pour le registre des entreprises 2008 » pour l’année 2008 de la société a été déposée au registre des entreprises sans modification (voir la pièce I‑3, onglet 2);

e)                 le 2 novembre 2009, l’appelant a procédé personnellement à la fermeture du compte de banque de Samrat (voir la pièce I‑3, onglet 12);

f)                  le 15 février 2010, il a signé à titre de président de Samrat, le formulaire « Autorisation relative à la communication de renseignements, procuration ou révocation » pour mandater un avocat afin de le représenter dans le cadre de l’opposition de la société (voir la pièce I‑5, onglet 2, avant dernière page);

g)                 le 20 septembre 2010, il a signé la déclaration de revenus du Québec de la société dans laquelle il s’est déclaré être administrateur et président de Samrat pour l’exercice se terminant le 31 décembre 2009, accompagné des états financiers de la société également signée par l’appelant à titre de « Director » (voir la pièce I‑3, onglet 3, la déclaration CO‑17 de 2009);

h)                le 22 novembre 2010, il a signé le formulaire « État des renseignements » de la société dans laquelle l'appelant s’est déclaré être administrateur et président pour l’année 2009 de la société au Registraire des entreprises (voir la pièce I‑3, onglet 2);

i)                   le 14 janvier 2011, il a déposé le formulaire « État des renseignements » pour l’année 2009 de la société au registraire des entreprises (voir la pièce I‑3, onglet 2);

j)                   le 12 décembre 2011, il a signé la déclaration de revenus du Québec de la société dans laquelle il s’est déclaré être administrateur et président de la société pour l’exercice se terminant le 31 décembre 2010, accompagné des états financiers de la société également signés par l’appelant à titre de « Director » (voir la pièce I‑3, onglet 3, déclaration CO‑17 de 2010);

k)                le 5 janvier 2012, le formulaire « Déclaration de mise à jour annuelle » pour l’année 2010 de la société a été déposé au registraire des entreprises.

[59]        Donc, on voit que l’appelant a continué à se présenter comme un directeur ou administrateur de Samrat jusqu’au 5 janvier 2012. Dans l’affaire Snively c. Canada, [2011] A.C.I. no 181 (QL), 2011 CCI 196, [2011] G.S.T.C. 78, le juge Paris de la Cour canadienne de l’impôt, faisant référence à la décision dans l’affaire Bremner c. Canada, 2007 CCI 509, [2007] G.S.T.C. 113, confirmée par la Cour d’appel fédérale [2009] A.C.F. no 569 (QL), 2009 CAF 146, 393 N.R. 61, nous instruit au paragraphes 35 et 36, qu’il n’est pas nécessaire que les activités de l’administrateur soient importantes pour qu’elle soit considérée comme une poursuite de la gestion de l’entreprise :

[35]      La Cour d’appel fédérale a également explicitement appuyé la conclusion selon laquelle il n’est pas nécessaire que les activités de l’administrateur réputé aient été importantes pour qu’elle soit considérée comme une poursuite de la gestion de l’entreprise :

6. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que, par la correspondance entretenue avec l’ADRC, l’appelant a établi qu’il gérait encore les actions de la société, peu importe leur importance.

7. À notre avis, cette conclusion est irréfutable et suffisante pour trancher l’appel puisqu’elle établit que le délai de prescription de deux ans n’expirerait pas avant avril 2003, date postérieure au 1er octobre 2002, date d’établissement de la cotisation.

[36]      Dans la présente affaire, la preuve montre qu’après le 10 octobre 2003, l’appelant a pris un certain nombre de mesures que je qualifierais de mesures de gestion des affaires de JDR :

        il a fait produire par JDR un avis d’opposition aux cotisations de TPS qui avaient été établies en février 2004 et a donné des directives à l’avocat représentant JDR au sujet de l’opposition;

        il a demandé aux comptables de JDR de préparer des états financiers et des déclarations de revenus pour JDR;

        il a signé les déclarations de revenus en question;

        il a signé le formulaire de consentement autorisant l’ARC à communiquer des renseignements concernant JDR à Inch Hammond.

[60]        De toute évidence, l’appelant n’a jamais cessé d’être administrateur de fait de la société puisqu’il a posé des gestes d’administration et a continué d’agir à titre de président et directeur de la société jusqu’au 5 janvier 2012.

[61]        J’arrive à la conclusion que l’appelant n’a jamais cessé d’être administrateur de la société soit en droit ou de fait. L’appelant a effectué, et/ou a mandaté son frère d’effectuer en son nom, multiples actes à titre d’administrateur au moins jusqu’au 5 janvier 2012. Par conséquent, conformément au paragraphe 323(5) de la LTA, puisque la cotisation à son égard fut établie le 11 juillet 2011, je dois conclure que l’appelant a continué d’agir à titre d’administrateur de fait à l’intérieur du délai de deux ans précédant l’établissement de la cotisation. Je suis d’avis que la cotisation ne s’est pas prescrite et l’appelant ne peut pas se prévaloir des dispositions du paragraphe 323(5) de la LTA.

La défense de soin, diligence et compétence

[62]        Selon le paragraphe 323(3) de la LTA, un administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement de payer les taxes que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[63]        Dans l’affaire Attia c. Canada, 2014 CCI 46, mon collègue le juge Bédard a bien décrit le cadre juridique applicable à la défense prévue au paragraphe 323(3) de la LTA :

[10]      Le cadre juridique applicable à la défense de soin, de diligence et de compétence prévue au paragraphe 323(3) de la LTA a été récemment expliqué en bref comme suit par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Canada c. Buckingham et Balthazard c. Canada :

a.         La norme de soin, de diligence et de compétence exigée au paragraphe 323(3) de la L.T.A. est une norme objective comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461. Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci. Une norme objective ne signifie toutefois pas que les circonstances propres à un administrateur ne doivent pas être prises en compte. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérées au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ».

b.         L’examen de la conduite de l’administrateur aux fins de cette norme objective commence lorsqu’il devient évident pour l’administrateur, agissant raisonnablement et avec le soin, la diligence et la compétence qui sont requises, que la société entame une période de difficultés financières.

c.         Une société qui fait face à des difficultés financières pourrait se hasarder à réaffecter les versements dus à la Couronne afin de payer d’autres créanciers et ainsi assurer la poursuite de ses activités. C’est précisément une telle conjoncture que l’article 323 de la LTA vise à éviter. Le moyen de défense prévue au paragraphe 323(3) de la LTA ne doit pas servir à encourager de tels défauts de versements en permettant aux administrateurs d’invoquer une défense de soin, de diligence et de compétence lorsqu’ils financent les activités de leur société à l’aide de remises dues à la Couronne, en espérant ou non remédier plus tard à ces défauts.

d.         Puisque la responsabilité des administrateurs à ces égards n’est pas absolue, il est possible qu’une société puisse ne pas effectuer des remises à la Couronne sans que la responsabilité solidaire des administrateurs soit engagée.

e.         Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux et qu’ils se sont acquittés de leurs obligations de soin, de diligence et de compétence afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants en cause [et non qu’ils démontrent avoir remédié après coup à ces défauts].

[64]        En l’espèce, la preuve démontre que depuis le début de son existence, la société a connu des difficultés financières, étant toujours à perte. L’appelant était certainement au courant de ses difficultés financières, car il surveilla quotidiennement l’opération du restaurant. Dans un tel contexte, il incombe à l’appelant de faire preuve de diligence.

[65]        L’appelant admet qu’il n’a pas été parfait et aurait pu faire mieux, en tenant des registres précis des inventaires et de consommations données en promotion; mais il ne l’a pas fait. L’appelant prétend que ceci ne veut pas dire qu’il n’a pas agi avec le soin, la diligence et la compétence exigé par le paragraphe 323(3) de la LTA. Il affirme qu’il était tout de même raisonnablement prudent en compilant lui-même les ventes, surveillant régulièrement les opérations du restaurant, mandatant un comptable pour faire les déclarations et en tenant une comptabilité précise.

[66]        À mon avis, la comptabilité n’était pas complète et précise. Il y avait une absence de contrôle interne. Les factures aux clients étaient inadéquates; elles n’étaient pas numérotées et n’indiquaient pas quand une consommation d’alcool était donnée au client en promotion. Les factures de dépenses étaient remises au comptable afin de les faire comptabiliser, mais non les factures de ventes aux clients. Je dois me demander, pourquoi pas? L’appelant n’avait aucun document à l’appui des prises d’inventaire, non seulement de l’alcool, mais aussi de façon générale. L’appelant ne tenait aucun registre d’alcool vendu ou d’alcool donné en promotions, ou en gratuités, ou consommé par les employés ou utilisé dans la cuisine. Comme j’ai déjà indiqué, l’alcool représente un potentiel de réaliser de gros profits pour un restaurant. Je trouve inconcevable qu’un restaurant ne tienne aucun registre de ventes, de pertes ou de promotion à l’égard de l’alcool; surtout lorsqu’on allègue que 30 à 35 % de l’alcool acheté sort de la porte du restaurant, soit en pertes ou en promotions. Il incombe à l’appelant de faire preuve que l’alcool non comptabilisé faisait partie de pertes et promotions et non de ventes; ce qu’il n’a pas réussi à faire. Ce manque de comptabilité démontre un manque de diligence raisonnable de la part de l’appelant.

[67]        Je suis d’avis que l’appelant, à titre d’administrateur du restaurant, n’a pas agi avec le soin, la diligence et la compétence dont une personne raisonnablement prudente aurait fait preuve pour prévenir le défaut de Samrat de verser la TPS perçue des clients du restaurant. Ainsi, l’appelant ne peut pas se prévaloir de la défense prévue par le paragraphe 323(3) de la LTA.

[68]        À la suite de la concession faite par le ministre au niveau du dossier de Samrat, le montant dû par l’administrateur au 11 juillet 2011 correspond à 66 666,39 $, soit 43 497,78 $ en droits, 8 590,38 $ en pénalités et 14 578,23 $ en intérêts. Donc, l’appelant est solidairement tenu, avec Samrat, de payer ce montant au ministre en vertu de l’article 323 de la LTA.

Conclusion

[69]        Ayant considéré l’ensemble de la preuve, j’arrive aux conclusions suivantes par une prépondérance de la preuve :

a)                 Le ministre était justifié d’utiliser une méthode indirecte afin de reconstituer les revenus de Samrat. Je suis également d’avis que les appelants ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombe d’établir que la cotisation à l’égard de Samrat est sans fondement. Je suis d’avis que la cotisation établie à l’égard de la société Buffet Samrat inc., conformément au jugement par consentement rendu par le juge Jorré de la Cour canadienne de l’impôt daté du 26 avril 2013 dans le dossier portant le numéro 2011‑1092(GST)G, est valide et je confirme ladite cotisation.

b)                Je suis d’avis que les transferts totalisant 110 000 $ qui ont été effectués par Samrat directement à Abida ont été faits sans contrepartie. Je suis aussi d’avis qu’au moment que les transferts ont été effectués, Samrat devait au ministre une dette à titre de TPS. En vertu de l’article 325(1) de la LTA, l’appelante Abida est solidairement tenue au paiement des sommes dont Samrat est redevable en vertu de la LTA jusqu’à concurrence de 53 956,53 $.

c)                 J’arrive à la conclusion que l’appelant Shamsuddin ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe à réfuter l’exactitude des présomptions formulées par le ministre : voir Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336. J’arrive à la conclusion que l’appelant n’a jamais cessé d’être administrateur de la société soit en droit ou de fait. Je suis convaincu que l’appelant n’a pas démissionné de son poste d’administrateur, il n’a pas été remplacé et il n’a pas été destitué de ses pouvoirs et obligations d’administrateur de Samrat. Donc il était en tout temps un administrateur de jure. Je suis aussi convaincu que, malgré le fait que Samrat a cessé ses opérations commerciales au mois de décembre 2008, l’appelant a effectué et/ou a mandaté son frère d’effectuer en son nom, de multiples actes à titre d’administrateur jusqu’au 5 janvier 2012. Il était donc un administrateur de facto en tout temps pertinent. Je suis d’avis que la cotisation ne s’est pas prescrite et l’appelant ne peut pas se prévaloir des dispositions du paragraphe 323(5) de la LTA.

d)                Je suis d’avis que l’appelant, à titre d’administrateur du restaurant, n’a pas agi avec le soin, la diligence et la compétence dont une personne raisonnablement prudente aurait fait preuve pour prévenir le défaut de Samrat de verser la TPS perçue des clients du restaurant. Donc, l’appelant ne peut pas se prévaloir de la défense prévue au paragraphe 323(3) de la LTA.

[70]        Pour ces motifs :

a)                 L’appel dans le dossier portant le numéro 2012-4656(GST)I à l’égard de Abida Begum Syed est rejeté.

b)                L’appel dans le dossier portant le numéro 2012‑2292(GST)I à l’égard de Shamsuddin Syed est accueilli en partie. L’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de refléter le jugement par consentement rendu par le juge Jorré de cette Cour dans le dossier de Buffet Samrat inc., (2011‑1092(GST)G).

Signé à Kingston, Ontario, ce 22e jour d’octobre 2014.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 307

s DES DOSSIERS DE LA COUR :

2012-2292(GST)I
2012-4656(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SHAMSUDDIN SYED c. SA MAJESTÉ LA REINE

ABIDA BEGUM SYED c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 5 et 6 mars 2014

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable Rommel G. Masse, juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 octobre 2014

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me François Asselin

Avocat de l'intimée :

Me Michel Rossignol

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour les appelants:

Nom :

Me François Asselin

Cabinet :

Litige fiscal / Tax Litigation

Montréal, Québec

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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