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Dossier : 2012-3293(IT)G

ENTRE :

DANNY JOBIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 7 octobre 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable Gerald J. Rip, juge en chef

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me André Taillefer

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Anne-Marie Boutin

 

JUGEMENT

        L’appel de la cotisation établie en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 83 de la Loi sur l’assurance‑emploi, dont l’avis porte le numéro 1026314 et est daté du 21 mai 2010, est rejeté, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de novembre 2014.

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 326

Date : 20141121

Dossier : 2012-3293(IT)G

ENTRE :

DANNY JOBIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Rip

[1]             La seule question à trancher dans le présent appel est de savoir si l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a établi, en dehors du délai prescrit, par avis de cotisation du 21 mai 2010, une cotisation à l’égard de Danny Jobin pour les sommes d’impôt dues au titre de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« Loi ») et les sommes dues au titre de l’article 83 de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[2]             J’étais prêt à rendre mes motifs en vue de rejeter l’appel à la fin de l’audience, mais l’avocat de l’appelant a demandé qu’on lui accorde un délai de 15 jours pour qu’il puisse chercher certains documents et présenter des observations écrites. Ce délai est maintenant écoulé.

[3]             Les parties conviennent que 3560643 Canada Inc. a omis de retenir, relativement aux salaires et aux traitements qu’elle a versés, des sommes au titre de l’impôt sur le revenu et des cotisations d’assurance‑emploi, ainsi que de remettre ces sommes au receveur général du Canada pour les périodes se terminant le 19 septembre 2002, le 2 octobre 2002 et le 17 décembre 2002. La cotisation vise également les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

[4]             Pendant toute la période pertinente, M. Jobin était l’unique administrateur de la société, ainsi que son président. Lors de l’instruction, il n’a pas allégué qu’en sa qualité d’administrateur, il avait agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans les circonstances : paragraphe 227.1(3) de la Loi. La seule question à trancher est de savoir si l’ARC a établi les cotisations en dehors du délai prescrit.

[5]             Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre du Revenu national s’est fondé et qui ne sont pas contestées sont les suivantes :

a)         La société « 3560643 Canada Inc. » (ci‑après « la société ») (…) a été incorporée le 24 décembre 1998 en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

[…]

c)         La société opérait sous la dénomination sociale « Boutique F.O.A.M. Fashion International ».

[…]

g)         La société a fait cession de ses biens le 27 février 2003.

h)         L’Agence du revenu du Canada (ci‑après « ARC ») avait une créance dans cette faillite pour un montant de 37 607,52 $ due au défaut par la société de verser, en 2002, des retenues à la source, tel qu’il appert du tableau suivant :

Date

Période

visée

Impôt

Assurance-

emploi

Pénalité

Intérêts

Total

19/09/2002

2002

14 479,86 $

                 0 $

939,64 $

307,84 $

15 727,34 $

02/10/2002

2002

4 983,50 $

     3 875,47 $

785,89 $

  48,71 $

9 693,57 $

17/12/2002

2002

5 710,84 $

     4 532,57 $

924,34 $

  90,16 $

11 257,91 $

27/02/2003

2002

 

 

 

928,70 $

  928,70 $

 

 

 

 

 

 

 

TOTAL

37 607,52 $

i)          Le 14 août 2003, l’ARC a produit une preuve de réclamation de 37 607,52 $ (…).

[…]

l)          Le syndic a été libéré le 5 avril 2007.

[…]

o)         L’appelant n’a jamais démissionné comme administrateur de la société.

[6]             La société a déposé une cession le 27 février 2003. Le syndic a été nommé la même journée. L’ARC a établi l’existence de sa créance le 14 août 2003, dans les six mois suivant la date de la cession : alinéa 227.1(2)b) de la Loi.

[7]             Le 6 mai 2005, la société a été radiée d’office du registre des entreprises du Québec (« registre »).

[8]             L’avocat de l’appelant se fonde sur le paragraphe 227.1(4) de la Loi, qui est libellé en ces termes :

L’action ou les procédures visant le recouvrement d’une somme payable par un administrateur d’une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l’administrateur cesse pour la dernière fois d’être un administrateur de cette société.

No action or proceedings to recover any amount payable by a director of a corporation under subsection 227.1(1) shall be commenced more than two years after the director last ceased to be director of that corporation.

[9]             L’avocat de l’appelant a soutenu que, qu'à tous les moments suivants, M. Jobin avait cessé d’être un administrateur de la société et que l’avis de cotisation lui avait été envoyé en 2010, soit plus de deux ans après chacun de ces moments :

a)       au moment où la société a fait cession des biens, le 27 février 2003, et qu’on a nommé un syndic : l’appelant a perdu le droit d'administrer la société au profit dudit syndic, et d'ailleurs son poste d’administrateur, selon la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

b)       au moment où la société fut radiée d’office du registre des entreprises du Québec, le 6 mai 2005 : l’appelant a perdu son statut d’administrateur par la radiation d’office.

c)        au moment où le syndic a été libéré, le 5 avril 2007 : à ce moment, la société a cessé d’exister et par conséquent, l’appelant ne pouvait conserver son statut d’administrateur d’une entité inexistante.

[10]        Il est évident que l’appelant ne peut pas avoir gain de cause.

[11]        Si une société fait faillite, cela n’a aucune incidence sur son existence. La société continue d’exister et ses dirigeants continuent d’exercer leur mandat, bien que leurs pouvoirs puissent être réduits. Une personne ne cesse pas d’être un administrateur en raison de la nomination d’un syndic de faillite : Kalef c. La Reine[1]. Je n’ai pas trouvé de disposition dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ni de décision publiée contredisant l’arrêt Kalef.

[12]        En ce qui a trait à la radiation d’une société du registre, si une loi provinciale pouvait prévoir la dissolution d’une personne morale constituée sous le régime d’une loi fédérale, ou si une loi fédérale pouvait prévoir la dissolution d’une personne morale constituée sous le régime d’une loi provinciale, cela créerait une situation complètement anarchique sur le plan constitutionnel. La Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales[2] (la « LPLE ») exige que les sociétés qui n’ont pas été constituées au Québec, mais qui y sont domiciliées, soient immatriculées conformément à la loi si elles exercent des activités au Québec. Le paragraphe 2(5o) de la LPLE prévoit qu’est assujettie à l’obligation d’immatriculation :

[…]

50 la personne morale de droit privé qui n’est pas constituée au Québec, si elle y a son domicile, y exerce une activité, incluant l’exploitation d’une entreprise […]

[13]        La LPLE ne prévoit pas la constitution d’une société. Si une société immatriculée conformément à la LPLE qui n’est pas constituée au Québec mais qui y a son domicile est radiée, cette société continue d’exister, bien qu’il puisse lui être interdit d’exercer ses activités au Québec. Les articles 50 à 53 traitent de la radiation d’une société, et l’article 56 prévoit la révocation de la radiation de l’immatriculation au moyen d’un arrêté en ce sens. Il est plutôt exagéré de considérer la radiation du registre comme une dissolution en ce qui a trait à une personne morale constituée à l’extérieur de la province.

[14]        Généralement, la constitution d’une société est prévue par une loi, laquelle prévoit aussi les conditions de fin d’existence d’une société[3], ou le moment auquel les administrateurs d’une société perdent leur statut. Dans le cas qui nous intéresse, cette loi est la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »).

[15]        L’article 108 de la LCSA prévoit ce qui suit :

(1) Le mandat d’un administrateur prend fin en raison :

(1) A director of a corporation ceases to hold office when the director

a) de son décès ou de sa démission;

(a) dies or resigns;

b) de sa révocation aux termes de l’article 109;

(b) is removed in accordance with section 109; or

c) de son inhabilité à l’exercer, aux termes du paragraphe 105(1).

(c) becomes disqualified under subsection 105(1).

(2) La démission d’un administrateur prend effet à la date de son envoi par écrit à la société ou, à la date postérieure qui y est indiquée.

(2) A resignation of a director becomes effective at the time a written resignation is sent to the corporation, or at the time specified in the resignation, whichever is later.

 

[16]        L’article 109 prévoit la révocation des administrateurs par résolution des actionnaires, et le paragraphe 105(1) prévoit que les particuliers de moins de 18 ans, les faibles d’esprit qui ont été reconnus comme tels par un tribunal et les personnes qui ont le statut de failli ne peuvent être administrateurs. M. Jobin n’a pas démissionné de son poste d’administrateur, et son mandat n’a pas été révoqué non plus.

[17]        L’appelant n’a pas allégué que la société avait été dissoute conformément aux dispositions de la LCSA, ni liquidée selon celles de la Loi sur les liquidations et les restructurations[4] ou de toute autre loi. Si la société avait été dissoute, M. Jobin aurait cessé d’en être administrateur.

[18]        M. Jobin était administrateur de la société dans les deux années précédant l'avis de cotisation visé par le présent appel.

[19]        L’appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de novembre 2014.

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 326

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-3293(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DANNY JOBIN c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 7 octobre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable Gerald J. Rip, juge en chef

DATE DU JUGEMENT :

le 21 novembre 2014

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me André Taillefer

Avocate de l’intimée :

Me Anne-Marie Boutin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant:

Nom :

Me André Taillefer

Cabinet :

André Taillefer, avocat

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           96 DTC 6132 (CAF), [1996] A.C.F. no 269 (QL), aux pages 6133 à 6135. Voir aussi la décision R. c. Wellburn, 95 DTC 5417 (C.F. 1re inst.), [1995] A.C.F. no 971 (QL).

[2]           R.L.R.Q. ch. P‑45, en vigueur le 6 mai 2005.

[3]           Au Québec, une société constituée en vertu des dispositions de la Loi sur les compagnies peut être dissoute conformément aux articles 28, 123.144 et 131 de cette loi. De plus, la radiation du registre d’une personne morale constituée au Québec « emporte sa dissolution », conformément au paragraphe 50(2) de la LPLE, qui était en vigueur en 2005.

[4]           L.R.C. 1985, ch. W-11.

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