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Dossier : 2014-11(EI)

ENTRE :

BRADLEY D. GOODWIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 1er octobre 2014, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

Devant : L’honorable juge John R. Owen


Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

l’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Holly Popenia

 

JUGEMENT

L’appel est rejeté, sans frais, et la décision du ministre du Revenu national est confirmée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2014.

« J.R. Owen »

Juge Owen

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de janvier 2015.

 

S. Tasset

 


Référence : 2014 CCI 359

Date : 20141128

Dossier : 2014-11(EI)

ENTRE :

BRADLEY D. GOODWIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Owen

I. Introduction

[1]             Le présent appel a été interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») à l’encontre d’une décision rendue le 27 septembre 2013, en application de l’article 91 de la Loi, par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») confirmait une décision rendue le 21 février 2013, en application du paragraphe 90(1) de la Loi, qui établissait que l’appelant, M. Bradley D. Goodwin, avait touché une rémunération assurable, au sens de la Loi, durant la période allant du 1er janvier 2012 au 15 novembre 2012. Cette rémunération prenait la forme de prestations payables à M. Goodwin dans le cadre d’un régime d’invalidité de longue durée.

II. Exposé des faits

[2]             L’appelant a commencé à travailler comme pilote pour CP Airlines en juin 1979. CP Airlines est ensuite devenue Canadian Airlines, et Air Canada a fait l’acquisition de cette dernière en 2000.

[3]             Au milieu des années 80, à la suite de deux traitements qui n’ont rien donné pour soigner une blessure à la mâchoire qui semblait de prime abord bénigne, l’appelant a dû cesser de travailler comme pilote. Il était au début en congé d’invalidité de courte durée mais, une fois la protection expirée, il a obtenu un congé d’invalidité de longue durée en 1987. Il est en congé d’invalidité de longue durée depuis ce temps. Plusieurs années plus tard, après avoir subi de nombreuses interventions chirurgicales sans succès, on a dit à l’appelant qu’il ne pourrait plus jamais mener une vie normale ni être réintégré au travail. Quelques années plus tard, lorsqu’il s’est rendu compte de la véracité du pronostic, l’appelant a demandé et obtenu une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada.

[4]             Personne ne conteste que, après avoir subi 11 opérations à la mâchoire et une au cerveau, l’appelant est incapable de travailler en raison de son état de santé. Il a déclaré que, en raison de son invalidité, il n’avait jamais fourni de services à Air Canada et qu’il n’avait aucun dossier d’emploi à Service Canada.

[5]             L’appelant n’a pas indiqué clairement les détails du régime d’invalidité de longue durée dans le cadre duquel il touche des prestations, mais il a dit qu’il pensait que les prestations correspondaient à environ 35 % du salaire qu’il touchait comme pilote avant d’être blessé. L’appelant a versé en preuve, sous la cote A-5, une copie du feuillet T4 établi par Air Canada pour l’année d’imposition 2012, qui indique que le montant total des revenus d’emploi touchés en 2012 s’élevait à 33 015,90 $, soit 2 751,33 $ par mois, et que le montant des cotisations d’assurance‑emploi retenues pour 2012 s’élevait à 604,19 $. L’appelant a confirmé que le revenu d’emploi inscrit sur le feuillet T4 correspond à la somme des prestations d’invalidité qu’il a touchées en 2012 dans le cadre du régime d’invalidité de longue durée.

[6]             L’appelant ne se rappelait pas avoir souscrit à un nouveau régime d’invalidité de longue durée lorsque Air Canada a acheté Canadian Airlines en 2000, ni avoir signé un contrat de travail écrit avec Air Canada. Il se souvenait toutefois d’avoir reçu ultérieurement un numéro d’identification d’employé d’Air Canada.

[7]             L’appelant a versé en preuve, sous la cote A-3, une lettre de La Great-West, compagnie d’assurance­‑vie (la « Great-West »), datée du 8 mai 2014, qui indique que le régime collectif en vertu duquel l’appelant reçoit des prestations porte le numéro 51648 et que le numéro d’identification d’employé de l’appelant à Air Canada est le E91765.

[8]             Il a également versé en preuve, sous la cote A-4, un formulaire de détail de règlement, que la Great-West lui a envoyé le 12 mars 2014 et qui indiquait de la même manière que le numéro de régime collectif était le 51648. Par contre, le numéro d’identification d’employé comportait des zéros additionnels : E000091765. Cette légère différence importe peu. La pièce A-4 indique également ce qui suit : [traduction] « La Great-West, compagnie d’assurance‑vie, ne fournit que les services de traitement des demandes de règlement : les prestations prévues par le régime sont financées par le titulaire du contrat, et non par La Great-West, compagnie d’assurance-vie ».

[9]             L’intimé a fait témoigner Mme Kate Friedmann, qui est directrice, Gestion des limitations fonctionnelles, à Air Canada, fonction qu’elle occupe depuis septembre 2012. Grâce au témoignage de Mme Friedmann, la Cour a pu obtenir les détails concernant le droit de l’appelant à des prestations en application du régime d’assurance invalidité de longue durée.

[10]        Mme Friedmann a déclaré que son unité était responsable du dossier de l’appelant, même si son dossier médical était conservé par la Great‑West. Elle a également affirmé que, à sa connaissance, les conditions du régime d’invalidité de longue durée en vertu duquel l’appelant touche des prestations n’ont pas changé depuis l’acquisition de Canadian Airlines par Air Canada en 2000.

[11]        Mme Friedmann a confirmé l’authenticité des deux documents versés en preuve par l’intimé, sous les cotes R-1 et R-2. La Great‑West et Canadian Airlines sont parties aux deux documents. Elle a affirmé que, par suite de l’acquisition en 2000, Air Canada a pris la place de Canadian Airlines comme partie à ces documents. J’en conclus que, toutes les fois qu’il est question explicitement ou implicitement de Canadian Airlines dans ces documents, il est en fait question d’Air Canada. Par souci de clarté, les indications nécessaires ont été données dans les descriptions qui suivent.

[12]        Le premier document, la pièce R-1, est intitulé [traduction] « Description du régime » sur la page titre et [traduction] « Régime collectif d’assurance invalidité – Pilotes » en en‑tête de chaque page à partir de la page 3 (les deux premières pages affichant la table des matières). Sur la page couverture, il est inscrit que le détenteur du document est Canadian Airlines International Ltd. (qui a été remplacée par Air Canada si l’on ajoute foi au témoignage de Mme Friedmann), que le document porte le numéro 51648 et que la date de prise d’effet du régime est le 1er juillet 2000. La protection offerte est intitulée [traduction] « Assurance invalidité collective ». Mme Friedmann a déclaré que, à sa connaissance, il s’agit du régime en vertu duquel l’appelant touche des prestations d’invalidité, ce qui concorde avec les pièces A-3 et A-4. L’appelant n’a pas contesté ce fait.

[13]        Le document se rapportant au régime collectif d’assurance invalidité applicable aux pilotes (le « régime ») prévoit un certain nombre de conditions qui présentent un intérêt pour la question considérée :

1.       Le paragraphe 1(1) énonce que le régime a pour but de procurer aux pilotes une protection salariale raisonnable durant les périodes où ils ne sont pas en mesure d’exercer leurs fonctions habituelles pour des raisons médicales, sous réserve des restrictions énoncées dans le régime.

2.       Le paragraphe 2(1) énonce que la participation au régime est une condition d’emploi (qui vise également les pilotes en formation).

3.       Le paragraphe 2(3) énonce que le régime couvre les pilotes « invalides » ou « totalement invalides », au sens des alinéas 2(3)a) et b) du régime.

4.       Un pilote est considéré comme étant invalide si le service médical d’Air Canada ou Transport Canada juge que, pour des raisons médicales, il est inapte à piloter un avion.

5.       Selon la définition donnée, un employé est totalement invalide lorsque la Great‑West juge que son état de santé est tel qu’il est incapable d’occuper tout autre emploi qu’il serait raisonnablement apte à occuper compte tenu de son éducation, de sa formation ou de son expérience. Les parties s’entendent pour dire que M. Goodwin est totalement invalide, au sens de cette définition.

6.       Le paragraphe 2(6) décrit les situations où la protection peut être suspendue ou rétablie. Les alinéas 2(6)a) à d) parlent d’« employé ».

7.       Le paragraphe 2(7) prévoit que la protection prévue par le régime prend fin dès le jour où survient l’une des situations suivantes :

a.       l’employé quitte Air Canada;

b.       l’employé cesse d’être un pilote;

c.       l’employé prend sa retraite;

d.       le dernier jour du mois où l’employé atteint ses 60 ans;

e.       l’employé décède.

Une remarque au paragraphe 2(7) souligne que le participant au régime ne peut à son gré mettre fin à la protection.

8.       Le paragraphe 3(1) stipule que le montant total de la prime mensuelle du régime est payé par Air Canada.

9.       Le paragraphe 3(4) stipule que, dans le cas du prestataire déclaré totalement invalide, les prestations versées dans la deuxième année et les années subséquentes le sont au taux de 60 p. 100 du salaire jusqu’à ce que l’un des événements suivants survienne (l’événement survenant le premier l’emportant) : le prestataire décède, il se rétablit ou il atteint l’âge de 60 ans.

10.     Le paragraphe 3(7) prévoit une indexation au 1er juillet 2000 dans le cas des prestataires admissibles, à savoir ceux qui ont été classés dans la catégorie des employés invalides ou totalement invalides par la Great‑West.

11.     Le paragraphe 3(8) stipule que les prestations cesseront pour tous les employés le dernier jour du mois où ils atteignent l’âge de 60 ans.

12.     Le paragraphe 3(9) stipule que, pendant que l’employé touche des prestations du régime, le prélèvement des cotisations est interrompu, et les années de service admissibles continuent de s’accumuler dans le cadre du régime de pension d’Air Canada; l’employé a aussi droit à la protection complète offerte par les régimes d’assurance vie, d’assurance maladie complémentaire et d’assurance de soins dentaires et par le régime d’assurance de base en cas d’accident causant la mort, une mutilation ou une perte fonctionnelle, et ce, sans frais.

13.     L’alinéa 4(2)b) stipule que l’évaluation de l’invalidité repose sur les rapports fournis par l’employé, l’employeur et le médecin traitant.

14.     L’alinéa 4(2)c) stipule que, avant la fin de la première année d’invalidité, la Great-West évalue le degré d’invalidité de l’employé pour déterminer s’il est invalide ou totalement invalide. Les résultats de cette évaluation sont communiqués à la direction générale de l’entreprise et des ressources humaines, au comité consultatif et au service de la paie.

15.     L’alinéa 4(3)b) stipule qu’Air Canada peut exiger la tenue d’une enquête pour un cas particulier.

16.     Le paragraphe 4(4) stipule que, si un employé est insatisfait de l’évaluation, il peut interjeter appel par l’intermédiaire de ses représentants au comité consultatif pour examen. De plus, lorsque l’évaluation est contestée, un conseil médical formé de trois personnes est établi pour rendre une décision définitive.

17.     L’article 5 prévoit que le comité consultatif se compose de trois représentants d’Air Canada et de trois représentants de l’association des pilotes.

18.     L’article 6 énonce que le conseil médical est composé d’un médecin‑conseil désigné par Air Canada, d’un médecin‑conseil désigné par le prestataire et d’une tierce partie impartiale désignée par les deux premières personnes désignées.

[14]        Mme Friedmann a déclaré que la question de savoir si une personne est invalide (au sens de la définition du régime) est tranchée par des médecins spécialistes d’Air Canada qui sont agréés en médecine aéronautique. Pour déclarer un pilote invalide, les médecins spécialistes d’Air Canada doivent parvenir à la conclusion qu’il est inapte à piloter un avion pour des raisons médicales. Si tel est le cas, la décision est communiquée à la Great‑West, qui est alors chargée de déterminer si la personne est admissible aux prestations prévues par le régime. La Great‑West doit également déterminer si la personne est totalement invalide (au sens prévu par le régime). Cette décision doit être rendue avant la fin de la première année d’invalidité. Si un employé souhaite contester l’évaluation médicale, il peut interjeter appel par l’intermédiaire de son représentant au comité consultatif, et un conseil médical formé de trois personnes tranchera le litige.

[15]        Le deuxième document, la pièce R-2, est intitulé [traduction] « Entente de services ». Il est indiqué sur la page couverture que le titulaire du contrat est Canadian Airlines International Ltd. (qui a été remplacée par Air Canada si l’on ajoute foi au témoignage de M. Friedmann), que la date de prise d’effet est le 1er juillet 2000 et qu’il s’agit d’une entente de services. Les conditions de l’entente de services sont les suivantes :

1.       Le préambule énonce que la Great‑West a consenti à agir comme mandataire d’Air Canada dans l’exécution des modalités du régime.

2.       Le paragraphe II(4) prévoit que, dans l’exécution des obligations prévues dans l’entente de services, la Great‑West agit seulement à titre de mandataire d’Air Canada et que les droits et les responsabilités de la Great‑West et d’Air Canada sont déterminés conformément au droit des mandats, à moins d’indication contraire.

3.       À l’article III, la Great‑West s’engage à fournir les services décrits dans la grille présentée à l’annexe II, et Air Canada s’engage à payer à la Great‑West les frais qui sont prévus pour ces services dans la grille présentée à l’annexe I. L’annexe II énumère les services suivants :

a.       la préparation et l’impression des formulaires de demande de règlement, des chèques de règlement, des guides de l’administrateur et d’autres formulaires administratifs;

b.       la production de rapports statistiques mensuels, y compris l’état de rapprochement bancaire;

c.       des rapports mensuels sur les prestations versées;

d.       le traitement des demandes de règlement;

e.       la préparation et l’émission des chèques.

4.       L’article V stipule qu’Air Canada s’engage à indemniser la Great‑West de toute perte, dette, réclamation ou dépense découlant d’un acte ou d’une omission qu’Air Canada pourrait commettre relativement au régime.

[16]        Mme Friedmann a déclaré que la Great‑West fournissait à Air Canada des services administratifs qui consistaient à mettre en œuvre le régime et à l’administrer. En ce qui a trait au financement, Air Canada versait tous les mois dans un compte en fidéicommis une somme suffisante pour couvrir les montants qui seraient versés par la Great‑West aux prestataires du régime et les frais qu’Air Canada devait payer à la Great‑West. La Great‑West utilisait ces fonds pour faire les paiements aux prestataires et pour payer ses propres frais et présentait tous les deux mois à Air Canada des factures qui détaillaient les paiements faits aux prestataires et les frais auxquels elle avait droit conformément à l’entente de services.

[17]        Mme Friedmann a déclaré que, suivant les modalités de l’entente de services, la Great-West était chargée de la rédaction des documents à l’appui des prestations versées et de l’administration de celles‑ci. Ainsi, la Great-West fournissait à Air Canada des formulaires de demande de règlement, des chèques, des lignes directrices, des feuillets d’impôt et des rapports périodiques, y compris des états de rapprochement bancaire qui détaillaient les montants portés au crédit ou au débit du compte de fidéicommis. La Great‑West produisait également des rapports sur les prestations versées, participait avec Air Canada à un examen annuel et effectuait les révisions ou rapprochements nécessaires. Enfin, la Great‑West devait décider qui avait droit à des prestations en vertu du régime.

[18]        Mme Friedmann a témoigné que les obligations financières et les risques découlant du régime étaient assumés par Air Canada uniquement. Ainsi, si la Great‑West subissait une perte dans l’administration du régime, Air Canada devait la rembourser.

[19]        En contre-interrogatoire, Mme Friedmann a confirmé que le système d’Air Canada classait l’appelant comme un employé en congé, et qu’il ne fournissait donc pas de services à Air Canada. Elle a également mentionné que le régime s’appliquait aux personnes qui avaient été pilotes pour Canadian Airlines avant son acquisition par Air Canada et que la pièce A-3 confirmait que le régime s’appliquait à l’appelant.

A. Position de l’appelant

[20]        L’appelant a soutenu que les modalités du régime n’avaient pas changé après 2011 et que l’Agence du revenu du Canada avait agi de façon arbitraire en modifiant l’interprétation qu’elle donnait au régime de manière à percevoir des cotisations d’assurance‑emploi pour 2012, alors qu’elle n’en avait pas perçu pour les années antérieures. Il a avancé qu’il ne devrait pas être obligé de payer des cotisations d’assurance‑emploi parce que les modalités du régime n’avaient jamais auparavant donné lieu au prélèvement de ces cotisations. Il a fait valoir qu’il n’était pas en mesure de fournir des services et, en fait, qu’il n’en avait fourni à personne depuis qu’il souffrait d’une invalidité permanente. Il a aussi avancé que le paiement de cotisations d’assurance‑emploi dans ces circonstances équivaudrait à un préjudice et serait injuste pour lui et les autres personnes qui touchent des prestations d’invalidité de longue durée parce qu’ils n’ont pas accès au régime d’assurance‑emploi. L’appelant a aussi parlé d’un document du ministère de la Justice portant sur l’effet rétroactif des obligations conditionnelles en droit fiscal, qui explore l’effet rétroactif des obligations conditionnelles de droit civil et leur incidence dans un contexte fiscal.

B. Position de l’intimé

[21]        L’intimé a soutenu que la question en litige est celle de savoir si les prestations d’invalidité de longue durée touchées par l’appelant constituent une « rémunération assurable » au sens de la Loi. Il a affirmé qu’il n’était pas contesté que l’appelant avait été un employé d’abord de CP Air, puis de Canadian Airlines et qu’il était aujourd’hui un employé d’Air Canada, ni que l’appelant avait touché des prestations d’invalidité de longue durée pendant la période allant du 1er janvier 2012 au 15 novembre 2012.

[22]        L’intimé a parlé des définitions de « rémunération assurable » et d’« emploi assurable » énoncées au paragraphe 2(1) de la Loi : « rémunération assurable » s’entend du total de la rémunération d’un assuré, déterminé conformément à la partie IV, provenant de tout emploi assurable, et « emploi assurable » a par ailleurs le sens que lui donne l’article 5 de la Loi. L’alinéa 5(1)a) est rédigé en ces termes :

 

5(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[23]        L’avocate de l’intimé a également parlé du paragraphe 1(2) et des alinéas 2(1)a) et 2(3)d) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le « Règlement »), qui sont rédigés de la façon suivante :

1(2) Pour l’application de la partie IV de la Loi et pour l’application du présent règlement, « employeur » s’entend notamment d’une personne qui verse ou a versé la rémunération d’un assuré pour des services rendus dans l’exercice d’un emploi assurable.

2(1) Pour l’application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l’ensemble des montants suivants :

a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi;

2(3) Pour l’application des paragraphes (1) et (2), sont exclus de la rémunération :

[…]

d) tout montant supplémentaire versé par l’employeur à une personne afin d’augmenter les indemnités d’assurance‑salaire versées à celle‑ci par une tierce partie;

III. Le droit

[24]        Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes sont celles qui ont été citées par l’intimé et qui sont reproduites ci‑dessus. La portée de ces dispositions a été analysée dans deux arrêts de la Cour d’appel fédérale : Université Laval c Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 171, et Canada (Procureur Général) c Banque nationale du Canada, 2003 CAF 242. Dans ces deux décisions, la Cour d’appel fédérale a jugé que les indemnités d’assurance‑salaire versées par l’employeur constituaient une rémunération assurable pour l’application de la Loi. Dans l’arrêt Banque nationale, elle a résumé de la façon suivante les principes dégagés dans l’arrêt Université Laval, au paragraphe 3 de ses motifs :

3          Nous sommes d’avis que le dispositif de l’arrêt de notre Cour, rendu le 3 mai 2002 dans l’affaire Université Laval c. Le ministre du Revenu national, 2002 CAF 171, s’applique en l’espèce et qu’en conséquence la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Cet arrêt de notre Cour a dégagé les principes suivants :

1)   l’expression « à l’égard de » cet emploi qui qualifie la rémunération versée par l’employeur et que l’on retrouve au paragraphe 2(1) du Règlement revêt une acception particulièrement large;

2)    une rémunération assurable au sens du Règlement peut exister même en l’absence de prestations de services par l’employé;

3)   les indemnités d’assurance-salaire versées par l’employeur constituent de la rémunération assurable au sens de la Loi et du Règlement alors que celles versées par un tiers-assureur sont exclues de la définition de cette rémunération;

[…] et

5)      une indemnité est versée par un employeur dans le cadre du contrat de travail lorsqu’apparaissent les indices suivants qui ne sont pas nécessairement exhaustifs : le régime d’assurance-salaire est entièrement payé par l’employeur, le lien d’emploi subsiste pendant l’invalidité, l’indemnité payable est augmentée si le salaire est augmenté durant la période d’invalidité, le versement est effectuée par l’employeur lors des périodes normales de paie pendant les 52 premières semaines d’invalidité et par l’assureur par la suite, et enfin l’employeur décide de l’admissibilité aux prestations et signe les chèques.

[Non souligné dans l’original.]

[25]        La Cour d’appel fédérale a ensuite affirmé ceci au paragraphe 4 :

4          Il nous apparaît évident à la lecture de cet arrêt que la présence de tous et de chacun de ces indices n’est pas requise pour justifier une conclusion que l’indemnité est versée par l’employeur dans le cadre d’un contrat de travail.

[26]        Elle a décidé qu’une rémunération assurable peut exister même en l’absence de prestations de services par l’employé. La question qui se pose n’est pas de savoir si le bénéficiaire des prestations a fourni des services, mais si, eu égard aux circonstances, l’employé reçoit ses prestations d’invalidité de l’employeur à l’égard d’un emploi assurable.

[27]        Selon la Cour d’appel fédérale, pour trancher la question de savoir si les paiements sont faits par l’employeur, et reçus de celui‑ci, il faut déterminer si c’est l’employeur qui finance les prestations d’invalidité. Le fait que ce soit une autre personne que l’employeur qui émette les chèques ne détermine pas qui est l’auteur des paiements.

[28]        Enfin, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer au paragraphe 18 de l’arrêt Université Laval que l’alinéa 2(3)d) du Règlement exclut expressément de la rémunération assurable le supplément versé par un employeur lorsque l’indemnité de base de l’assurance salaire est payée par une autre personne que l’employeur. Il s’ensuit que les indemnités de type assurance salaire payées par un employeur sont par ailleurs considérées comme une rémunération assurable au sens du paragraphe 2(1) de la Loi.

IV. Conclusion

[29]        La première question à trancher consiste à se demander si l’appelant avait un emploi assurable pour la durée de la période en cause. L’emploi assurable inclurait un emploi à Air Canada occupé aux termes d’un contrat de louage de services exprès ou tacite, écrit ou verbal. L’appelant a déclaré qu’il était devenu un employé de CP Air en juin 1979, au moment où il a commencé à fournir des services comme pilote professionnel. Rien n’indique que son emploi à CP Air a pris fin lorsqu’il est devenu invalide au milieu des années 80 et qu’il a cessé d’être en mesure de faire son travail de pilote. CP Air est ensuite devenue Canadian Airlines, et Canadian Airlines a été achetée par Air Canada en 2000. Je le répète, rien n’indique que son emploi a pris fin par suite de ces changements. En fait, l’appelant possède un numéro d’employé à Air Canada depuis que celle‑ci a fait l’acquisition de Canadian Airlines, et les dossiers d’Air Canada montrent que l’appelant est un employé en congé. L’appelant a fait valoir qu’il n’avait pas fourni de services à Air Canada, mais il n’a pas avancé qu’il n’était pas un employé d’Air Canada. À la lumière de ces faits, je conclus que l’appelant était un employé d’Air Canada durant la période en cause, ce qui, incidemment, permet de satisfaire à l’une des conditions d’admissibilité au régime (voir le paragraphe 2(1) et l’alinéa 2(7)a) du régime). L’absence de prestation de services par l’appelant en raison de son invalidité ne change pas en soi son statut d’employé d’Air Canada.

[30]        La deuxième question à trancher consiste à se demander si c’est Air Canada qui paie les prestations d’invalidité à l’appelant. Les prestations que l’appelant a reçues sont entièrement financées par Air Canada au moyen de dépôts mensuels dans un compte en fidéicommis prévu à cette fin. La Great‑West, à titre de mandataire d’Air Canada, émet des chèques à l’appelant et tire ceux‑ci sur le compte en fidéicommis. Air Canada paie la Great‑West pour les services rendus et s’engage à l’indemniser de toute perte ou obligation découlant d’un acte ou d’une omission qu’Air Canada pourrait commettre dans le cadre du régime. À la lumière de ces faits, je conclus que c’est Air Canada qui paie les prestations d’invalidité à l’appelant et que celui‑ci, par conséquent, reçoit ses prestations d’invalidité d’Air Canada. Le fait que ce soit une autre personne qu’Air Canada qui émette les chèques ne détermine pas qui est l’auteur des paiements. Air Canada verse les prestations par l’intermédiaire de son mandataire, la Great‑West.

[31]        La troisième question à trancher consiste à se demander si les prestations d’invalidité sont versées à l’appelant à l’égard d’un emploi assurable. Pour répondre à cette question, le sens général de l’expression « à l’égard de » [« in respect of » dans le texte anglais] doit être pris en considération. Dans Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29, la Cour suprême du Canada a fait remarquer au paragraphe 30 :

À mon avis, les mots « quant à » [« in respect of » dans le texte anglais] ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression « quant à » qui est la plus large.

[32]        Un certain nombre d’indices importants portent à croire que les prestations d’invalidité sont versées à l’appelant à l’égard de son emploi à Air Canada :

1.       Air Canada finance le régime et assume tous les risques financiers liés au régime.

2.       L’admissibilité au régime est une condition d’emploi à Air Canada.

3.       Le régime a pour but de procurer aux pilotes une protection salariale raisonnable durant les périodes où ils ne sont pas en mesure d’exercer leurs fonctions habituelles.

4.       Air Canada a classé l’appelant comme un employé malgré le fait qu’il soit totalement invalide et qu’il soit en conséquence inapte à fournir des services. Air Canada considère simplement que l’appelant est en congé.

5.       Le régime prévoit que les prestations cessent d’être versées dès que l’appelant cesse d’être un employé d’Air Canada.

6.       Air Canada décide de l’admissibilité initiale au régime en déterminant si un employé est invalide au sens prévu par le régime.

7.       Puisqu’elle est représentée au comité consultatif et au conseil médical, Air Canada peut participer aux décisions relatives à l’admissibilité pour les cas qui ne sont pas expressément prévus dans les modalités du régime.

8.       L’appelant a droit à une protection complète offerte, sans frais, par les régimes d’assurance vie et d’assurance accident d’Air Canada et ses régimes collectifs d’assurance maladie complémentaire et d’assurance de soins dentaires. De plus, les années de service admissibles continuent de s’accumuler dans le cadre du régime de pension d’Air Canada.

9.       Le montant des prestations d’invalidité est fixé à 60 p. 100 du salaire de l’appelant.

[33]        Dans la présente affaire, on ne trouve pas tous les indices dont il a été question dans l’arrêt Banque Nationale, mais la Cour d’appel fédérale a déclaré que les indices énumérés dans sa décision n’étaient pas exhaustifs et qu’il n’était pas nécessaire que les indices qu’elle avait énumérés soient tous présents pour conclure qu’une prestation est versée à l’égard d’un emploi. À la lumière des indices que j’ai relevés, je conclus que les prestations d’invalidité reçues par l’appelant dans le cadre du régime lui sont payées par Air Canada à l’égard d’un emploi assurable et que, par conséquent, ces prestations constituent une « rémunération assurable » pour l’application de la Loi. Le fait que les cotisations d’assurance‑emploi n’aient pas été déduites des prestations d’invalidité de l’appelant dans les années antérieures à 2012 n’a aucune incidence sur la présente conclusion.

[34]        Pour les motifs exposés précédemment, l’appel est rejeté sans frais.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2014.

« J.R. Owen »

Juge Owen

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de janvier 2015.

 

S. Tasset


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 359

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-11(EI)

INTITULÉ :

BRADLEY D. GOODWIN c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL  

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er octobre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge John R. Owen

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimé :

Me Holly Popenia

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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