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Date : 20030116

Dossier : T-1370-01

Référence neutre : 2003 CFPI 14

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2003                

En présence de : L'honorable juge Blais

ENTRE :

                              MARIO BERNIER

                                                                demandeur

                                    et

                      PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                    

                                                                défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  • [1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre d'une décision rendue le 27 juin 2001 par le comité d'appel du Tribunal des anciens combattants [Tribunal] suite à un appel, aux termes de l'article 25 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) d'une décision rendue le 14 septembre 2000 par le comité de révision de ce Tribunal qui refusait le droit du demandeur à une pension d'invalidité en raison de chondromalacies aux genoux gauche et droit.

FAITS

  • [2]                 Le demandeur est en service dans les forces régulières de l'armée canadienne depuis le 16 août 1979.
  • [3]                 Il a, de ce fait, servi en zone de service spécial à Chypre, du 16 novembre 1983 au 9 mai 1984.
  
  • [4]                 Le 27 mai 1999, le demandeur a présenté une demande de pension d'invalidité pour ses genoux et son dos. Toutefois, le 18 octobre 1999, il retira sa demande relative au dos « puisque [la] radiographie n'a pas [démontré] quoi que ce soit » . (Dossier du demandeur, p. 85)
  • [5]                 Le 13 mars 2000, en conformité avec les articles 21(1) et 21(2) de la Loi sur les pensions, le ministère des Anciens combattants [ministère] a décidé que les affections réclamées, soit les syndromes fémoro-patellaire genou gauche et fémoro-patellaire genou droit, chondromalacie genou gauche et chondromalacie genou droit ne donnaient pas droit à une pension.
  

  • [6]                 L'article 21(1) de la Loi sur les pensions prévoit le droit à une pension pour invalidité imputable au service militaire en zone de service spécial ou survenue au cours de ce dernier, alors que l'article 21(2) prévoit le droit à une pension en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix.
  • [7]                 Le demandeur a alors porté cette décision en appel devant le comité de révision du Tribunal.
  
  • [8]                 Le 27 juillet 2000, lors de l'audition devant ce Tribunal, le demandeur a retiré ses demandes de pension présentées en vertu des articles 21(1) et 21(2) de la Loi sur les pensions pour les syndromes fémoro-patellaires aux genoux gauche et droit et ses demandes présentées en vertu de l'article 21(1) de la Loi sur les pensions pour les chondromalacies aux genoux gauche et droit.
  • [9]                 Conséquemment, l'audition devant le Tribunal ne portait que sur les demandes de pension pour des chondromalacies aux genoux gauche et droit, en vertu de l'article 21(2) de la Loi sur les pensions.
  
[10]            Le 14 septembre 2000, le comité de révision du Tribunal a décidé que les chondromalacies aux genoux gauche et droit n'étaient ni consécutives, ni directement rattachées au service en temps de paix du demandeur et ne donnent, en conséquence, pas droit à une pension.

  • [11]            Insatisfait de cette décision, le demandeur a interjeté appel devant le comité d'appel du Tribunal.
  • [12]            À cet égard, le 27 juin 2001, le comité d'appel du Tribunal confirmait la décision rendue par le comité de révision. Cette décision fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
  

DÉCISION DU TRIBUNAL

  • [13]            Pour une meilleure compréhension, voici un résumé des décisions prises à l'égard de la demande de pension d'invalidité du demandeur.
  • [14]            Dans sa décision du 13 mars 2000, le ministère était d'avis que:

[...]

Le ministère a pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés à l'appui de la demande, y compris les dossiers médicaux relatifs au service, votre déclaration et les divers rapports annexés à la demande.

[...]                                 

Bien que [le] rapport du 14 décembre 1998 note un diagnostic clinique de chondromalacie, la radiographie ne permet pas d'en établir l'existence. Le ministère conclut donc que l'affection réclamée de chondromalacie des genoux n'est pas consécutive ou rattachée directement à notre service dans les forces régulières. [...]

[...]

  • [15]            Le 14 septembre 2000, les deux membres du comité de révision rendirent une décision à l'effet que:

[...]

En effet, avec tout le respect que le Tribunal porte au certificat médical émis par le Dr Gagnon, aucune preuve objective ne permet de relier directement les affections de chondromalacie genou gauche et chondromalacie genou droit dont souffre le requérant à ses fonctions militaires.

Considérant que par son témoignage le requérant n'a pu établir un lien entre les affections en cause et les exigences du service militaire du requérant;

Considérant que la preuve documentaire ne permet pas d'établir un lien entre les affections en cause et les exigences du service militaire du requérant;

Considérant qu'aucune preuve médicale ne fut produite pouvant permettre d'établir clairement et directement un lien entre les affections en cause et le service militaire du requérant;

Pour ces motifs, le Tribunal rejette la présente demande.

[...]

  • [16]            Le 27 juin 2001, le comité d'appel du Tribunal, présidé par J.R. Gallant, a conclu que la preuve médicale ne permettait pas de relier les chondromalacies des genoux gauche et droit au service militaire accompli par le demandeur et qu'en conséquence, ces affections ne pouvaient être jugées consécutives ou directement rattachées au service du demandeur.

[...]

Ayant révisé toutes les informations contenues au dossier, ainsi qu'ayant considéré les nouvelles preuves présentées, le Tribunal a dûment considéré la lettre du Dr Corriveau et trouve que l'opinion de celui-ci n'est pas supportée par les documents contenus au dossier.


Le Tribunal note qu'il n'y a aucune consignation de blessure ou fracture aux genoux reliée au service qui aurait causé les affections sous appel. Malheureusement, la preuve au dossier n'[établit] pas un lien de cause à effet entre[s] les affections sous appel et le service de l'appelant. Par conséquent, le Tribunal conclut que les affections de chondromalacie du genou droit et chondromalacie du genou gauche ne sont ni consécutives ni directement rattachées au service de l'appelant dans les forces régulières, en vertu des dispositions du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.

Pour ces raisons, le droit à pension est refusé.

[...]

QUESTION EN LITIGE

  • [17]            Le comité d'appel du Tribunal, lorsqu'il a rendu sa décision refusant au demandeur une pension d'invalidité, a-t-il commis une erreur de droit ou de fait en ne tenant pas compte, d'une part, de la preuve soumise devant lui et d'autre part, de la présomption légale en faveur du demandeur établie par l'article 21(3) de la Loi sur les pensions donnant ainsi ouverture au pouvoir de contrôle et de surveillance de cette Cour?

CADRE LÉGISLATIF

[18]            Le droit à une pension est prévu à l'article 21 de la Loi sur les pensions. Plus particulièrement, les conditions d'ouverture du droit à une pension sont les suivantes:


[...]

21(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix_:

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

[...]

...

21(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

...


  
[19]            L'article 21(3) de la Loi sur les pensions permet de présumer l'existence d'un lien de causalité si la blessure a été subie pendant le service militaire:


21(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours_:

a) d'exercices d'éducation physique ou d'une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu'ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l'intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;

[...]

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

21(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

(a) any physical training or any sports activity in which the member was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;

...

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member; and


[20]            L'article 25 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [Loi] fait état du droit d'appel au Tribunal:

25. Le demandeur qui n'est pas satisfait de la décision rendue en vertu des articles 21 ou 23 peut en appeler au Tribunal.

25. An applicant who is dissatisfied with a decision made under section 21 or 23 may appeal the decision to the Board.


  • [21]            L'article 39 de la Loi adresse la question des règles de preuve applicables au Tribunal:


39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve_:

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

[nos italiques]

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


  •     L'article 26 de la Loi fait état de la compétence exclusive du comité d'appel:

26. Le Tribunal a compétence exclusive pour statuer sur tout appel interjeté en vertu de l'article 25, ou sous le régime de la Loi sur les allocations aux anciens combattants ou de toute autre loi fédérale, ainsi que sur toute question connexe.

26. The Board has full and exclusive jurisdiction to hear, determine and deal with all appeals that may be made to the Board under section 25 or under the War Veterans Allowance Act or any other Act of Parliament, and all matters related to those appeals.


  • [23]            L'article 31 de la Loi est à l'effet que la décision du comité d'appel du Tribunal est définitive et exécutoire:

31. La décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.


  • [24]            L'article 3 de la Loi prescrit le principe d'interprétation des dispositions:

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.     



ANALYSE                                                        

  • [25]            Quant à la norme de contrôle applicable, dans MacDonald c. Canada (Procureur général), (1999) 164 F.T.R. 42, [1999] A.C.F. n ° 346, le juge Cullen est d'avis que:

[para. 21] Lorsque la Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, elle ne peut pas substituer sa propre décision à la décision de l'office ou du tribunal qui est à l'étude. Comme le cadre législatif confère une compétence exclusive au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et comme la clause privative rend ses décisions définitives et exécutoires, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : Weare c. Canada (Procureur général) (T-347-97, 11 août 1998).

[nos italiques]

  • [26]            Cette décision a été confirmée par le juge Pinard dans Tousigant c. Canada (ministre des Anciens combattants), [2001] A.C.F. n ° 1083, au paragraphe 11, et plus récemment par le juge Blanchard dans Elliot c. Canada (Procureur général), [2002] F.C.J. n ° 1264 aux paragraphes 15 et 16.
  • [27]            Ainsi, compte tenu de l'effet combiné des articles 18 et 31 de la Loi, soit, respectivement, une clause de compétence exclusive de révision et d'appel et une clause de finalité, il découle de ces décisions que cette Cour doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions rendues par le comité d'appel du Tribunal.
  
[28]            Dans Smith c. Canada (Procureur général), (2001) 209 F.T.R. 172, [2001] A.C.F. n ° 1225, le juge MacKay énonce, toujours relativement à la norme de contrôle:

[para. 23] Dans l'affaire McTague c. Canada (Procureur général), (2000) 177 F.T.R. 5 (C.F. 1re inst.), le juge Evans a commenté les normes de révision àappliquer pour l'examen des décisions du TAC. Plus tard, dans l'affaire Trainor c. Canada (Procureur général) (2000),188 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a donnéd'autres explications à ce sujet à la page 80 :

Dans la décision McTague c. Canada (Procureur général) [supra], M. le juge Evans a analysé la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions du Tribunal compte tenu de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle et il a tiré la conclusion suivante, au paragraphe [48] de ses motifs :

L'importance des facteurs examinés précédemment dans le cadre de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle indique qu'en l'espèce, on devrait considérer que le législateur a prescrit une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire. Toutefois, ces facteurs ne montrent pas que la norme fondée sur la plus grande retenue judiciaire devrait être appliquée. La norme de contrôle de la décision "manifestement déraisonnable" semble de plus en plus réservée aux décisions des organismes administratifs qui sont protégés par des clauses limitatives rigides et qui ont beaucoup plus de responsabilités de réglementation que le Tribunal qui n'exerce que des fonctions juridictionnelles. Il s'agit également de la norme appropriée, comme je l'ai indiquéprécé demment, quand la question litigieuse concerne des conclusions quant àdes faits essentiels, y compris des conclusions tirées des éléments de preuve.

[...]

[para. 24] Je souligne que dans l'affaire McTague, le juge Evans a conclu à la lumière des faits que la décision rendue au sujet de la question de savoir si la blessure sous étude découlait du service militaire n'était pas une conclusion de fait principal, mais une conclusion àlaquelle s'appliquait la norme du caractère raisonnable de la décision aux fins de la révision.

[nos italiques]


[29]            Le demandeur prétend que le comité d'appel du Tribunal a commis une erreur dans l'appréciation de la preuve en ne tenant pas compte des éléments qui lui étaient soumis. Par conséquent, il s'agit d'appliquer la norme de contrôle dite de manifestement déraisonnable à la question en litige. Dans MacDonald, supra:

[para. 21] ...Par conséquent, la Cour ne peut intervenir que si la décision contestée est fondée sur une erreur de droit ou sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments soumis au Tribunal : Hall c. Canada (Procureur général) (T-2267-97, 22 juin 1998).

  • [30]            Ces propos ont été confirmés dans Hall c. Canada (Procureur général), (1999) 250 N.R. 93, [1999] A.C.F. n ° 1800 au paragraphe 8:

Le juge des requêtes a eu raison de déclarer que pour accueillir la demande de l'appelant il lui faudrait conclure que la décision sous examen était fondée sur une erreur de droit ou sur une conclusion de fait erronée tirée de façon arbitraire ou abusive sans tenir compte des éléments soumis au Tribunal [Voir Note 1 ci-dessous].

Note 1: Elle s'est appuyée sur Lalonde c. Canada (Tribunal d'appel des anciens combattants), 21 juin 1995, T-224-94 (C.F. 1re Inst.) et sur Johnson c. Canada (Ministre des Anciens combattants), (1990) 108 Imm.R. 306 (C.A.F.).

  • [31]            Le fardeau de preuve incombant au demandeur est la prépondérance des probabilités, comme l'a exprimé le juge Muldoon dans Hunt c. Canada (ministre des Anciens combattants), (1998) 145 F.T.R. 96, [1998] A.C.F. n ° 377 au paragraphe 9:

Bien que l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) impose au Tribunal d'accepter tout élément de preuve non contredit, encore faut-il que cette preuve soit crédible. Le requérant est tenu au critère applicable en matière civile et doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a effectivement contractéla maladie dont il souffre aujourd'hui alors qu'il servait sous les drapeaux. Son avantage réside dans le fait que la preuve sera interprétée de la manière qui lui est la plus favorable.                                        

[nos italiques]

  • [32]            Pour que le demandeur puisse avoir droit à une pension, deux conditions doivent être réunies. Celles-ci ont été énumérées dans MacDonald, supra. À savoir:

[para. 23] [...] Premièrement, l'état de l'ancien combattant doit ouvrir droit àpension; il doit s'[agir] d'un état qui peut être considéré comme une invalidité causée par une blessure ou une maladie. Deuxièmement, l'état initial doit être consécutif au service militaire, ou avoir étéaggravé par le service militaire. Par conséquent, le lien de causalité doit être prouvé et, sauf preuve contraire, la présomption prévue au paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions permet de présumer l'existence d'un lien de causalité si la blessure a été subie pendant le service militaire.[...]

  • [33]            En ce qui a trait à la première condition, il est clair que le demandeur y satisfait puisque l'invalidité dont il souffre, soit les chondromalacies des genoux gauche et droit, satisfait à la définition d' « invalidité » de l'article 3 de la Loi sur les pensions.
  • [34]            La question en litige concerne plutôt la deuxième condition, soit le lien de causalité entre l'invalidité du demandeur et son service militaire.
  
[35]            Dans Hall c. Canada (Procureur général), (1998) 152 F.T.R. 58, [1998] A.C.F. n ° 890, le juge Reed a déclaré :

[para. 19] [...] Bien que le demandeur affirme à juste titre que les éléments de preuve non contredits qu'il soumet doivent être acceptés à moins que l'on [conclut] à une absence de vraisemblance et que les conditions qui lui sont les plus favorables doivent être tirées et que toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande doit être tranchée en sa faveur, le demandeur est quand même tenu de démontrer que le trouble médical dont il souffre présentement découle de son service militaire ou y est rattaché. En d'autres termes, il doit faire la preuve d'un lien de causalité.


Cette décision a été portée en appel, supra, mais cet appel a été rejeté.

  • [36]            L'argument soumis par le demandeur est que les chondromalacies des genoux gauche et droit sont directement imputables aux exigences du service militaire. Il prétend que son travail à titre de technicien en approvisionnement depuis de nombreuses années a conduit aux invalidités réclamées. Selon lui, ces prémisses ont été démontrées lors des instances antérieures et appuyées par l'opinion médicale du docteur Marie Gagnon de même que par celle du docteur Mario Corriveau.
  • [37]            En outre, le demandeur prétend que le Tribunal a commis une erreur « en rejetant les deux rapports médicaux soumis par le demandeur et nullement contredits et qui concluent, les deux, que les déficiences du demandeur proviennent des exigences de son travail lors du service militaire » .
  
  • [38]            De son côté, le défendeur soumet qu'il ne faut pas confondre le fait, pour un tribunal, d'omettre de tenir compte d'un élément de preuve, ce qui pourrait constituer une erreur de droit, et le fait d'accorder peu ou pas de valeur probante à une preuve. De plus, le défendeur soutient qu'il appartenait au Tribunal d'apprécier la preuve et de tirer ses propres conclusions.
  • [39]            En l'espèce, le défendeur soumet que le Tribunal a considéré les rapports du docteur Gagnon et du docteur Corriveau et qu'il n'était pas déraisonnable pour lui d'accorder peu de valeur à ces opinions. En effet, argumente-t-il, ces derniers n'ont fait état que d'une possibilité et non d'une probabilité quant à l'existence d'un lien de causalité entre les affections dont souffre le demandeur et son service militaire.
  
[40]            Le rapport du docteur Gagnon, daté du 14 juin 2000, mentionne:

[...] La présente est pour certifier qu'il est possible d'établir un lien entre la pathologie de l'adjudant Bernier au niveau des genoux (chondromalacie) et le travail effectué par le patient de même que l'entraînement physique exigé des militaires. [...]

      [nos italiques]      

alors que celui du docteur Corriveau, daté du 5 février 2001, est à l'effet:

[...] Suite à cette rencontre, j'ai expliqué àmonsieur Bernier que ces douleurs pouvaient être attribuées à son travail selon la description des tâches rapportées par le patient.

De plus, monsieur Bernier me rapporte une lettre, du 29 décembre 2000, signée par monsieur Gilles Roy, technicien senior en approvisionnement, qui notait que monsieur Bernier a subi un traumatisme au niveau de ses genoux lors d'un entraînement de course de 13 km en 1993.

[...]

Considérant que le patient ne présente pas de mal alignement au niveau des membres inférieurs, qu'il y a absence de déchirure cartilagineuse au niveau des compartiments interne et externe, mais plutôt ramollissement, considérant qu'il présente une histoire traumatique survenue en 1993, (nous pouvons considérer que les trouvailles arthroscopiques sont en relation avec le travail effectuépar le patient et non d'origine mécanique.)

[...]

[nos italiques]

  • [41]            Le défendeur soulève que ce n'est qu'après l'audition du 27 juillet 2000 devant le comité de révision du Tribunal, soit dans une lettre adressée au Bureau des services juridiques des pensions des anciens combattants datée du 16 mars 2001, que le demandeur a pour la première fois mentionné qu'un traumatisme avait eu lieu.
  • [42]            À l'audition du 27 juillet 2000, le demandeur avait même été jusqu'à témoigner qu'il n'avait « subi aucun traumatisme particulier à ses genoux » . (Décision du comité de révision du Tribunal, page 41, cahier du demandeur)
  
[43]            Dans la lettre du 16 mars 2001, le demandeur affirme:

Ces quelques lignes afin de vous dire que le 27 juillet 2000, lors de ma comparution, j'étais nerveux en plus d'être sous de forts médicaments. ... Je dois vous dire qu'il est possible que je me suis contredit dans mes dires comme les dates ou les années. Je n'[étais] pas tout à moi cette journée [là]. Je n'[étais] pas en état de témoigner. J'ai mentionné que je n'avais jamais eu de traumatisme, mais il en est faux car en 1993 il y a bel et bien eu traumatisme, et cela malgré que je n'ai pas toutes mes idées claires [à] cause de ma présente maladie que j'avais [à] cet instant en 1997, la dépression majeure, pour ce qui est de ce traumatisme, vous en avez une lettre qui en témoigne de la part de l'adjuc Roy. ...


  • [44]            J'ai examiné avec attention la lettre détaillée de l'adjudant-chef Roy, datée du 29 décembre 2000. Cette dernière est éloquente à plusieurs égards. D'abord, elle confirme le témoignage du demandeur à l'effet qu'il s'était blessé au genoux durant la marche de 13 kilomètres en 1993 ou l'année précédente, mais encore et surtout, qu'il l'aurait mentionné dès la prise de fonction de l'adjudant-chef en 1993, et que ce dernier avait même réduit son entraînement sportif hebdomadaire à cause de ce traumatisme.
  • [45]            De plus, l'adjudant-chef confirme que le demandeur a eu de la difficulté à compléter son test de 13 kilomètres, et que les difficultés avec ses genoux se sont poursuivies dans les deux années subséquentes où ils ont travaillé ensemble.
  
  • [46]            La procureure du défendeur accorde peu de foi à ce témoignage élaboré, tout à fait plausible et crédible.
  • [47]            J'ai examiné avec attention la décision du Tribunal et malgré cela, je n'ai pas trouvé la moindre allusion à la présomption légale de l'article 21(3) de la Loi sur les pensions dont doit bénéficier le demandeur quant au fait que la blessure ou l'aggravation de l'état de son genoux « est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours de l'exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui-ci à des risques découlant de l'environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation » . [nos italiques]
  
  • [48]            Le Tribunal mentionne qu'il a accordé le bénéfice du doute au demandeur en vertu des dispositions des articles 3 et 39 de la Loi, sans préciser comment il y a procédé.
  • [49]            Il y a silence total, d'une part, quant à la présomption légale et d'autre part, quant à la preuve relative au traumatisme d'avant 1993 suivant le témoignage non-contredit du demandeur.
  
  • [50]            Pourquoi rejeter ce témoignage?    Non seulement rapporte-t-il les affirmations du demandeur mais également, il explique les événements selon sa connaissance personnelle. Le défendeur aurait pu le contre-interroger ou vérifier le dossier de l'époque mais en l'espèce, rien de tout cela n'a été fait. On questionne la crédibilité du témoin au mépris de la présomption de l'article 21(3) de la Loi sur les pensions et de l'obligation d'accorder le bénéfice du doute établi par les articles 3 et 39 de la Loi en faveur du demandeur.
  • [51]            Quant au rapport du docteur Corriveau, il est vrai qu'il a été considéré par le Tribunal. Cependant, il a été rejeté parce que le Tribunal était d'avis « que l'opinion de celui-ci n'est pas supportée par les documents contenus au dossier » .
  

  • [52]            À quels documents le Tribunal se réfère-t-il? Il avait le devoir, s'il voulait rejeter un document aussi important, d'identifier clairement ses motifs. Il s'agit du seul rapport médical exhaustif de la condition des genoux du demandeur; aucune preuve contradictoire n'a été déposée et malgré cela, le Tribunal rejette du revers de la main ce rapport.
  • [53]            La décision du comité d'appel du Tribunal est manifestement déraisonnable puisque fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire et abusive, sans tenir compte des éléments soumis devant lui.
  
[54]          Le Tribunal a de plus commis une erreur de droit en ne tenant manifestement pas compte de la présomption légale établie par l'article 21(3) de la Loi sur les

pensions.

[55]            Dans Leclerc c. Canada (Procureur général), (1996) 126 F.T.R. 94, [1996] A.C.F. no 1425, le juge Noël précise au paragraphe 36:

Gardant à l'esprit le fait que le Tribunal se devait au surplus de tirer de la preuve les conclusions les plus favorables possible au Requérant et de trancher toute incertitude en sa faveur, le Tribunal ne pouvait pas raisonnablement conclure comme il le fit. À mon point de vue, seul un refus non admis de la part du Tribunal d'accepter de donner effet à la présomption voulant que le Requérant était en bonne santé lors de son enrôlement peut expliquer la décision à laquelle il en est arrivé.

et plus loin, au paragraphe 38:

[...]Le dossier est donc retourné au Tribunal pour qu'il puisse décider de la pension auquelle a droit le Requérant en prenant ce lien de causalité pour acquis.


                                                                     ORDONNANCE

[1]                 En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné à un comité d'appel différemment constitué pour un nouvel examen en tenant compte de la présente décision, à savoir que le lien de causalité a été clairement établi et que la présomption légale prévue à l'article 21(3) de la Loi sur les pensions s'applique.

[2]                 Le tout avec dépens.

      

                  « Pierre Blais »                   

                     J.C.F.C.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-1370-01

INTITULÉ :                                        Mario Bernier c. Le Procureur général du Canada

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :              7-11-2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE     Juge Blais

ET ORDONNANCE

DATE:                                                   Le 16 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Me Stéphane Sigouin

Partie demanderesse

Me Mariève Sirois-Vaillancourt

Partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bernard Brassard

101, boul. Roland-Therrien,

Bureau 200

Longueuil (Québec)

J4H 4B9

Téléphone: (450) 670-7900

Télécopieur: (450)) 670-0673

Partie demanderesse

Ministère de la Justice

Complexe Guy-Favreau

200 ouest, Boul. René-Lévesque

Tour Est, 5e étage

Montréal, Québec

H2Z 1X4

Téléphone:                                              (514) 496-9234

Télécopieur:                                            (514) 283-3856

Partie défenderesse


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