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Date : 20141222


Dossier : T-1261-14

Référence : 2014 CF 1250

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

RONY HUSSNI EL CHMOURY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur interjette appel de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté n’a pas approuvé sa demande de citoyenneté. Le demandeur fait valoir que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en appréciant la preuve en fonction du critère de résidence qualitatif, puis en rejetant ensuite la demande en fonction du critère de résidence quantitatif.

[2]               Le critère de résidence quantitatif est exposé dans l’arrêt Re Pourghasemi, [1993] ACF no 232 [Pourghasemi]; ce critère exige d’un demandeur qu’il soit effectivement présent au Canada pendant 1 095 jours au cours de la période pertinente de quatre ans. Les critères de résidence qualitatifs sont exposés dans deux décisions. Dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208, il a été conclu qu’une preuve de l’établissement d’un mode de vie centralisé au Canada est nécessaire pour répondre à ce critère. Dans la décision Re Koo, [1993] 1 CF 286 [Koo], il a été conclu que le mode de vie centralisé, ou l’endroit où le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement », peut être déterminé par l’appréciation d’un certain nombre de facteurs de nature qualitative, notamment : (1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté; (2) la famille proche et les personnes à charge du demandeur (ainsi que la famille étendue) sont‑ils résidents du Canada?; (3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?; (4) les absences physiques d’un demandeur font‑elles en sorte qu’il ne lui manque que quelques journées pour atteindre le seuil de 1 095 jours, ou sont‑elles plus importantes?; (5) l’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, occuper un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?; (6) quelle est la qualité des attaches du demandeur avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[3]               M. El Chmoury est entré au Canada pour étudier en juin 2001. On lui a accordé la résidence permanente le 6 novembre 2008, et il a présenté une demande de citoyenneté le 4 février 2011. Dans sa demande, il a déclaré qu’il a résidé 1 082 jours au Canada au cours de la période pertinente de quatre ans. Par conséquent, il lui manquait 13 jours de résidence effective.

[4]               En mars 2012, M. El Chmoury a reçu un questionnaire sur la résidence qui lui avait été envoyé par Citoyenneté et Immigration Canada. Dans ce questionnaire, on lui demandait de donner des renseignements et de la documentation supplémentaires quant à la résidence. Son audience devant le juge de la citoyenneté était prévue pour le 11 février 2014. À la fin de l’audience, le juge lui a demandé de produire des documents supplémentaires.

[5]               Dans sa lettre de décision datée du 25 mars 2014, le juge de la citoyenneté a rejeté la demande, en invoquant l’obligation de 1 095 jours de résidence, qui découle de l’arrêt Re Pourghasemi. Cependant, il a bel et bien effectué une certaine analyse de la preuve présentée par M. El Chmoury, autant de vive voix que par le truchement de documents.

[6]               Il est reconnu qu’un juge de la citoyenneté peut appliquer n’importe lequel des trois critères établis en matière de résidence, dans la mesure où il applique les exigences du critère retenu. M. El Chmoury fait valoir qu’il a été statué que, lorsqu’un juge de la citoyenneté procède à un examen en fonction d’un critère, mais qu’il rend sa décision en fonction d’un autre critère, cela constitue une erreur susceptible de contrôle : Chueng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 348 [Cheung], Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 709 [Chowdhury], et Rousse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 721 [Rousse].

[7]               Dans la décision Cheung, le juge Phelan a fait remarquer, au paragraphe 15, que « rien ne permet de savoir quel critère a été utilisé pour rejeter la demande de citoyenneté », et il a accueilli l’appel pour ce motif. Dans la même veine, le juge Teitelbaum a accueilli l’appel dans la décision Chowdhury, en faisant remarquer que le juge n’avait pas clairement mentionné le critère qu’il avait retenu. Cependant, on ne peut pas dire que ces deux décisions soient similaires à celle visée par le présent appel, parce qu’en l’espèce, le juge de la citoyenneté a expressément mentionné qu’il utilisait le critère dégagé dans l’arrêt Pourghasemi.

[8]               Dans la décision Rousse, le juge de la citoyenneté a semblé apprécier la demande en fonction des facteurs dégagés dans l’arrêt Koo, avant de la rejeter en se fondant sur le critère dégagé dans l’arrêt Pourghasemi. Le juge Scott a statué que le juge de la citoyenneté a de ce fait commis une erreur :

[30]      En somme la juge procède à une analyse en profondeur selon les critères de Koo. Toutefois et c’est là que le bât blesse; elle rejette la demande en se fondant sur la décision Pourghasemi, soit selon le seul critère de la présence physique.

[31]      Cette confusion dans l’approche et les critères applicables ne saurait être acceptée car elle constitue une erreur de droit. La jurisprudence de cette Cour reconnaît à bon escient que le choix du test applicable appartient au juge de la citoyenneté dans l’état actuel du droit. Mais, une fois que le juge arrête son choix, il doit appliquer le test choisi d’une manière cohérente. Le justiciable doit pouvoir comprendre la décision, ses motifs et son fondement juridique.

[32]      En l’espèce la juge omet de se prononcer après son analyse selon les critères de Koo, si M. Rousse a établi ou pas sa résidence. Elle conclut :

Suite à l’audience, du 14 décembre 2010 et après avoir fait une révision soigneuse de la documentation produite, je constate de nouveau que monsieur Robert ROUSSE ne rencontre pas l’exigence de l’article 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté car il n’a pas séjourné assez longtemps au Canada, pendant la période examinée.

Je me réfère aux critères du Juge Muldoon dans l’arrêt Pourghasemi, (RE) : [1993] F.C.J. No. 232 qui sont clairs, à ce sujet. » (voir notes au dossier de la juge Renée Giroux)

[33]      En conclusion, la Cour fait droit à l’appel puisque la juge a commis une erreur en procédant à une analyse selon les critères de Koo et en concluant selon le critère de présence physique de Pourghasemi. [Non souligné dans l’original.]

[9]               Selon moi, les faits à l’origine de la décision Rousse sont grandement différents de ceux en l’espèce. Dans cette affaire, la juge de la citoyenneté a clairement effectué l’analyse fondée sur l’arrêt Koo, mais n’a pas rendu sa décision en fonction de cette analyse. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, le juge de la citoyenneté a examiné la preuve uniquement au regard de la présence effective de M. El Chmoury au Canada. Cette analyse a conduit le juge de la citoyenneté à tirer une conclusion qui se rapporte uniquement à la présence effective : [traduction] « malheureusement, votre témoignage et votre preuve documentaire donnent lieu à des DOUTES quant au fait que vous résidiez bel et bien au Canada au cours de la période alléguée [majuscules dans l’original]. »

[10]           M. El Chmoury soutient que le juge de la citoyenneté, en entreprenant une telle analyse et en demandant la production de documents supplémentaires, se livrait à une analyse qualitative et qu’il ne pouvait donc pas rejeter la demande en se fondant sur l’analyse quantitative. Ce n’est pas mon interprétation de la décision ou du dossier.

[11]           Tout juge de la citoyenneté sait qu’il a le pouvoir discrétionnaire d’appliquer l’un ou l’autre des trois critères qui ont été élaborés. Il sait aussi qu’un demandeur peut obtenir la citoyenneté, et ce, même s’il n’a pas accumulé le nombre de jours de présence effective requis, si l’un des critères qualitatifs est appliqué. Il s’ensuit, selon moi, qu’on ne peut reprocher à un juge de la citoyenneté de demander des renseignements à un demandeur et de se pencher sur les témoignages et sur la preuve documentaire en vue de déterminer lequel des trois critères il appliquera dans un cas donné. Il est possible que, si le juge de la citoyenneté avait été convaincu que M. El Chmoury avait effectivement accumulé 1 082 jours de présence effective au Canada, comme ce dernier l’alléguait, il puisse s’être posé la question à savoir s’il allait appliquer un critère de résidence qualitatif dans son appréciation de la demande. Agir ainsi ne constitue pas une erreur de droit. La démarche suivie par le juge de la citoyenneté pour décider lequel des critères il appliquerait était raisonnable et opportune.

[12]           Dans la présente affaire, la juge de la citoyenneté a examiné la preuve et il a conclu qu’elle n’étayait même pas l’allégation de M. El Chmoury selon laquelle il avait effectivement été présent au Canada pendant 1 082 jours. Contrairement au précédent sur lequel se fonde M. El Chmoury, aucune analyse fondée sur l’arrêt Koo n’a été effectuée; l’analyse concernait plutôt la preuve par témoignage et la preuve documentaire relativement à la présence effective. Je ne souscris pas à l’observation selon laquelle cette analyse n’était pas pertinente si le juge de la citoyenneté n’entreprenait pas l’analyse fondée sur l’arrêt Koo, compte tenu du fait que le juge était saisi d’une demande dans laquelle le demandeur avait été effectivement présent au Canada pendant moins de 1 095 jours. Il s’agit, et il s’agissait en l’espèce, d’une analyse pertinente quant à la question de savoir s’il allait exercer son pouvoir discrétionnaire d’appliquer un critère qualitatif.

[13]           Pour les motifs susmentionnés, l’appel est rejeté. Les dépens sont fixés à 250 $.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté et que le demandeur doit verser le montant de 250 $ au défendeur à titre de dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1261-14

INTITULÉ :

RONY HUSSNI EL CHMOURY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 DÉCEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 DÉcembRe 2014

 

COMPARUTIONS :

Alexandra Mann

 

POUR LE DEMANDEUR

 

E. Ian Wiebe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Greene

Barristers & Solicitors

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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