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Date : 20150617


Dossier : IMM‑3242‑13

Référence : 2015 CF 761

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

B296

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement et jugement rendus le 25 mai 2015)

[1]               La demande d’asile du demandeur a été refusée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Il sollicite à présent le contrôle judiciaire de cette décision en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance infirmant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un autre commissaire de la Commission pour qu’il la réexamine.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un Tamoul né à Jaffna (Sri Lanka) le […]. En 1999, sa famille et lui ont déménagé à Vavuniya pour y vivre.

[4]               Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) modifié, le demandeur allègue qu’en 2008 il a été pris avec d’autres dans une rafle visant à identifier les membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Il a été torturé et interrogé sur ses liens avec les TLET, puis libéré le lendemain grâce à l’intervention de ses parents et avec l’aide du grama sevaka et de son entraîneur de cricket. Cependant, son FRP initial n’indiquait pas qu’il avait été arrêté, interrogé, torturé et photographié, et que ses empreintes digitales avaient été prélevées.

[5]               Toujours d’après son FRP modifié, son ami Rajan aurait été enlevé deux jours plus tard par le Parti démocratique populaire de l’Eelam (l’EPDP) et aurait disparu. Quelques heures plus tard, ses amis et lui ont été arrêtés par les services de renseignement de l’armée, amenés au Camp Joseph et détenus comme partisans des TLET. Il a été torturé et interrogé sur les liens de son ami Rajan avec les TLET, puis relâché après quelques heures. À sa libération, il a été photographié, ses empreintes digitales ont été prélevées, et il a été mis en garde contre toute association avec les TLET. Cependant, encore une fois, le FRP initial du demandeur n’indiquait pas qu’il avait été arrêté, interrogé, torturé et photographié, et que ses empreintes digitales avaient été prélevées.

[6]               En 2010, l’EPDP a réclamé des soutiens et menacé l’organisation étudiante à laquelle le demandeur appartenait. Ses partisans ont agressé des membres de clubs sportifs d’étudiants et battu à mort Krishna, l’ami du demandeur. Plus tard, une fois rentré chez lui, son père l’a avisé que l’EPDP était venu pour le tuer, parce qu’il le soupçonnait de s’être mêlé de leurs affaires.

[7]               Par la suite, son père a envoyé le demandeur habiter chez un ami à Colombo. Durant cette période, ses parents l’ont informé que l’EPDP était venu à sa recherche. Toute sa famille a alors déménagé à Colombo.

[8]               Dans son FRP modifié, le demandeur allègue que les services de renseignement de l’armée à Colombo et un membre de l’EPDP se sont présentés chez lui et ont ordonné à ses parents qu’il se présente à leur camp à Modara. Le demandeur s’y est rendu et il a été interrogé, torturé et forcé de signer une déclaration rédigée en sinhala. Il a été relâché le lendemain après que son père eut versé un pot‑de‑vin de 100 000 roupies, avec le concours d’un commerçant musulman. Cependant, le FRP initial du demandeur n’indiquait pas qu’il avait dû se présenter au camp de l’armée de Modara ni qu’il avait été interrogé ou torturé.

[9]               Le 4 mai 2010, le demandeur s’est arrangé pour quitter le pays à destination de la Thaïlande. Une fois sur place, il a embarqué sur le navire Sun Sea en direction du Canada, où il est arrivé le 13 août 2010.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Dans une décision écrite datée du 9 avril 2013, la Commission a débouté le demandeur et conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96, ni une personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi. La Commission s’est prononcée sur les points suivants : la crédibilité, la crainte de persécution, le risque auquel il faisait face en tant que demandeur d’asile débouté, la demande d’asile sur place et les raisons impérieuses au titre du paragraphe 108(4) de la Loi.

[11]           En ce qui concerne la crédibilité du demandeur, la Commission a tiré des inférences défavorables des omissions et disparités entre les versions initiale et modifiée de son FRP. Elle a estimé que l’article intitulé « Refugee Status Determinations and the Limits of Memory » (Détermination du statut de réfugié et les limites de la mémoire) avait une portée générale et ne concernait pas spécifiquement le demandeur. D’autre part, la Commission n’a accordé aucun poids à son rapport psychologique, jugeant que même si ce document concluait que le demandeur souffrait d’un état de stress post‑traumatique (l’ESPT), il n’établissait aucune constatation convaincante révélant qu’il avait été persécuté. Par ailleurs, la Commission n’a pas souscrit à la conclusion du rapport en matière de crédibilité. Notant que les survivants de guerre civile présentent normalement certaines formes de traumatismes, la Commission n’a accordé que peu de poids au lien entre l’ESPT du demandeur et les causes qu’il alléguait.

[12]           La Commission a estimé que l’explication par laquelle le demandeur a justifié les omissions majeures dans le FRP initial n’était pas convaincante, même au regard des difficultés qu’il avait rencontrées. La Commission a relevé trois omissions. Premièrement, en dehors de l’ordre de se présenter devant un homme masqué, le compte rendu des faits de 2008 dans le FPR initial n’indiquait nullement que le demandeur avait été arrêté puis interrogé et torturé. La Commission a précisé que le FRP modifié ajoutait les nouvelles informations suivantes. Extrait du FRP initial :

[traduction
En 2008, l’armée a rassemblé les hommes de la région où je vivais et nous a ordonné de nous regrouper sur les terrains où nous jouions au cricket. Nous avons été menés un par un devant un homme masqué qui identifiait les partisans des TLET. Plusieurs personnes ont été placées en détention et la plupart de ceux qui ont été arrêtés ont disparu.

Extrait du FRP modifié :

[traduction
[…] Un grand nombre ont été placés en détention, moi y compris.

J’ai été sauvagement agressé et interrogé. Ils voulaient connaître mes liens avec les TLET, le nom de leurs partisans dans ma région, etc. Mes parents, avec l’aide du gramasevaga et de mon entraîneur de cricket, Illankumaran, qui est avocat, ont obtenu ma libération le lendemain.

[13]           La Commission a fait remarquer que les deuxième et troisième omissions étaient semblables à la première. La seconde se rapportait au compte rendu des faits qui ont suivi immédiatement l’enlèvement de son ami, Rajan. Contrairement à la version modifiée, le compte rendu du FRP initial n’indiquait pas que le demandeur avait été arrêté, interrogé, torturé et photographié, et que ses empreintes digitales avaient été prélevées. La troisième omission portait sur ce qui lui était arrivé après son déménagement à Colombo. Contrairement à la version modifiée, le FRP initial indiquait seulement : [traduction« [à] Colombo, alors que j’étais sorti, l’armée ainsi qu’un membre de l’EPDP sont venus me chercher chez moi ». La version initiale ne révélait pas que le demandeur avait dû se présenter au camp de l’armée à Modara, ou qu’il avait été interrogé et torturé.

[14]           Le demandeur a expliqué que ces omissions étaient dues au fait qu’il avait manqué de temps et que son premier avocat l’avait informé qu’il pourrait rajouter d’autres informations plus tard. La Commission n’a pas jugé l’explication satisfaisante, eu égard aux omissions susmentionnées, et elle a donc déterminé que le demandeur n’était pas crédible.

[15]           Pour ce qui est de la crainte de persécution du demandeur, la Commission s’est penchée sur ses liens avec les TLET. Ayant d’abord examiné les Lignes directrices du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR) et les cinq profils de risque potentiels, la Commission a noté que le demandeur avait été libéré après chaque incident et qu’il n’avait jamais été détenu plus d’une journée. Il a pu aisément se déplacer à l’intérieur du pays en utilisant ses propres papiers d’identité, il a obtenu un passeport sans difficulté et a quitté le pays sans être questionné. La Commission a conclu que la preuve fiable permettant de conclure que la crainte de persécution du demandeur était fondée, compte tenu de ses expériences au Sri Lanka, était insuffisante.

[16]           S’agissant du risque auquel il ferait face en tant que demandeur d’asile débouté, la Commission a estimé que celui‑ci n’avait pas établi que des liens avec les TLET lui seraient imputés de telle sorte qu’il s’exposait à un risque accru. Ayant pris note des conclusions d’une mission d’observation effectuée par l’Organisation internationale pour les migrations (l’OIM), d’après lesquelles [traduction« [u]n thème clé chez toutes les personnes interviewées était qu’elles ont toutes déclaré ne plus craindre pour leur sécurité personnelle », la Commission n’était pas convaincue que la fiabilité des rapports était amoindrie parce que le gouvernement sri‑lankais était sûrement au courant de la visite organisée par les délégués internationaux.

[17]           La Commission a cité quelques rapports additionnels allant dans le même sens, mais aussi certains autres qui laissaient entendre que les gens qui revenaient au Sri Lanka risquaient davantage d’être détenus à l’aéroport et d’être torturés s’ils étaient liés aux TLET. La Commission a noté que le demandeur n’avait pas d’historique d’opposition au gouvernement. Eu égard à sa situation particulière et aux profils de risque décrits dans les Lignes directrices du HCNUR, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne passerait pas pour avoir des liens TLET. Elle a donc déterminé qu’il n’avait pas de raison de craindre d’être persécuté à titre de demandeur d’asile débouté.

[18]           Quant au risque lié aux circonstances dans lesquelles le demandeur est arrivé, la Commission a estimé, selon la prépondérance des probabilités, que le gouvernement sri‑lankais ne le prendrait pas pour un membre ou un sympathisant des TLET simplement parce qu’il avait voyagé sur le Sun Sea, compte tenu de son passé au Sri Lanka avant d’arriver au Canada. Dans un premier temps, la Commission a souligné les critères d’évaluation des demandes d’asile sur place et cité l’article 96 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié des Nations Unies. Cependant, elle n’a pas jugé crédible la preuve visant à établir que le gouvernement sri‑lankais soupçonnerait les individus, entrés clandestinement au Canada à bord d’un navire détenu et exploité par les TLET, d’avoir de ce fait des liens avec eux.

[19]           La Commission a ensuite noté que, même si l’arrivée du Sun Sea avait suscité un grand intérêt de la part du public et des autorités gouvernementales, au Sri Lanka comme au Canada, les passagers de ce navire s’étaient vu accorder la qualité de réfugié, avaient bénéficié d’une audience ou allaient en bénéficier dans un avenir rapproché. En l’espèce, le demandeur n’a pas été frappé d’interdiction de territoire pour des motifs criminels en vertu de la section (F)(a) de l’article premier, ce qui signifiait qu’il était réputé ne pas être affilié aux TLET. Plus spécifiquement, pour disposer de la demande d’asile sur place, la Commission a examiné ces faits : (i) le demandeur a maintenu qu’il n’avait aucun lien avec les TLET; (ii) il n’était pas une personne d’intérêt pour les autorités sri‑lankaises; (iii) le demandeur a reçu un passeport et a été autorisé à quitter le pays; (iv) rien n’indiquait qu’il s’était associé à une organisation antigouvernementale durant son séjour au Canada; (v) les autorités canadiennes ont fait enquête pour déterminer s’il avait des liens avec les TLET, mais l’ont relâché sans donner suite aux procédures d’interdiction de territoire. Si les représentants sri‑lankais savent ou soupçonnent que le demandeur se trouvait à bord du Sun Sea, ils constateront aussi que son cas a été minutieusement examiné par les représentants canadiens et qu’il a ensuite été relâché, ce qui pourra le faire paraître sous un jour plus favorable en cas de retour au Sri Lanka.

[20]           S’agissant du paragraphe 108(4) de la Loi, la Commission a estimé, compte tenu des préoccupations en matière de crédibilité, que le demandeur n’avait pas atteint le seuil élevé prescrit par cette disposition sur la base de ses expériences et de son rapport psychologique.

[21]           Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, et elle a rejeté sa demande d’asile.

III.             Questions en litige

[22]           Le demandeur me soumet une question à examiner : la décision de la Commission est‑elle déraisonnable?

[23]           Le défendeur soulève une question en réponse : le demandeur n’a pas soulevé de question sérieuse à soumettre au contrôle judiciaire.

[24]           À mon avis, deux questions se posent :

A.                Quelle est la norme de contrôle?

B.                 La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

IV.             Observations écrites du demandeur

[25]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

[26]           Il prétend tout d’abord que la Commission ne s’est pas rendu compte que certains des renseignements rajoutés au FRP ne se rapportaient pas aux allégations de persécution. Il cite la décision Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, aux paragraphes 18 et 19, [2007] AC  no 135, d’après laquelle la Commission ne devrait pas se préoccuper des omissions mineures ou incidentes dans le FRP d’un demandeur. Il fait valoir que les modifications concernant chacun des incidents que la Commission avait mises en cause venaient simplement étoffer les renseignements fournis dans le FRP initial et n’étaient pas un motif valable pour remettre en question sa crédibilité (voir Puentes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1335, aux paragraphes 18 et 19 [2007] ACF no 1729).

[27]           Le défaut de signaler un fait peut susciter des préoccupations, mais pas toujours, cela dépend des circonstances (voir Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 20, [2003] 4 CF 771). Le demandeur fait remarquer que le FRP initial a été rempli alors qu’il était encore en détention dans un établissement de Vancouver, et que le consultant en immigration l’avait informé qu’il pourrait rajouter des détails ultérieurement.

[28]           Le demandeur conteste également la manière dont la Commission a traité le rapport psychologique. Il affirme que le psychologue a noté qu’il avait de la difficulté à évoquer ses expériences, car les incidents survenus au Sri Lanka restent pour lui des souvenirs douloureux. En l’espèce, la Commission n’a accordé aucun poids aux allégations selon lesquelles le demandeur a été persécuté. Il prétend que le rapport n’a pas été soumis pour étayer son allégation de persécution, mais plutôt pour établir son état d’esprit et expliquer pourquoi le FRP initial ne comportait pas plus de détails. Comme la Commission ne pouvait appuyer sur aucune preuve sa conclusion selon laquelle tous les Tamouls avaient été exposés à la guerre civile et souffraient d’un état de stress post‑traumatique, elle n’était pas en position de contredire les conclusions du psychologue et de n’accorder que peu de poids au rapport.

[29]           Deuxièmement, le demandeur est en désaccord avec les conclusions de la Commission concernant la crainte fondée. Il a résumé ses démêlés avec les autorités sri‑lankaises et fait valoir que la conclusion simpliste de la Commission voulant qu’il n’intéresse pas les autorités parce qu’il a été relâché après sa détention est déraisonnable (voir B027 c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2013 CF 485, au paragraphe 8, [2013] ACF no 571 [B027]). Il soutient en outre que sa capacité de voyager à l’intérieur du pays peut s’expliquer par la rareté des points de contrôle, plutôt que par le manque d’intérêt du gouvernement.

[30]           Troisièmement, le demandeur n’est pas d’accord avec l’évaluation du risque auquel il s’expose en tant que demandeur d’asile débouté, telle qu’effectuée par la Commission. Il affirme qu’elle a ignoré des éléments de preuve pertinents, et note que la preuve documentaire dont elle disposait indiquait que les violations des droits de la personne demeurent endémiques au Sri Lanka, et que le faible nombre de rapatriés interviewés par la délégation étaient loin de représenter les centaines de demandeurs d’asile déboutés. En outre, comme le gouvernement a influencé la conclusion de la délégation, le rapport invoqué par la Commission contient des renseignements peu fiables.

[31]           Il soutient qu’il faut opter pour d’autres rapports et cite des extraits du Country Report on Human Rights Practices in Sri Lanka du département d’État des États‑Unis ainsi que des passages du rapport d’Amnistie Internationale indiquant : [traduction« [l]es demandeurs d’asile déboutés sont torturés et emprisonnés après leur retour forcé au Sri Lanka ». Le demandeur cite en outre plusieurs parties de la preuve documentaire pour étayer davantage sa position. Il affirme que les demandeurs d’asile déboutés s’exposent à un risque accru à leur retour au Sri Lanka s’ils appartiennent à un groupe ethnique (voir Veeravagu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 468, au paragraphe 4, 33 ACWS (3d)  269).

[32]           Quatrièmement, le demandeur conteste l’évaluation par la Commission de la demande d’asile sur place. Il affirme avoir clairement établi le bien‑fondé de cette demande eu égard au fait que le gouvernement sri‑lankais lui prêterait des liens avec les TLET. Il soutient que le gouvernement le soupçonnerait de tels liens parce qu’il a voyagé sur un navire affrété par des agents des TLET. Il invoque les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c B420, 2013 CF 321, [2013] ACF no 396 (B420) et Canada (Citoyenneté et Immigration) c A032, 2013 CF 322, [2013] ACF no 399 (A032), et avance qu’il est établi que même s’il ne pouvait pas réclamer le droit d’asile en tant que membre d’un groupe social, [traduction« les individus qui ont voyagé à bord du navire, qu’ils soient tenus ou non pour avoir subi de mauvais traitements, pourraient être persécutés à leur retour ou exposés à une menace à leur vie, ou à un risque de torture, en raison des opinions politiques qui leur sont prêtées du fait de leur possible association avec les TLET, parce qu’ils ont voyagé sur des navires comme le Sun Sea ».

[33]           En outre, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission d’après laquelle, puisqu’il a été libéré par les autorités canadiennes, il pouvait produire une copie de la décision par laquelle la Commission a déterminé qu’il n’avait pas de liens avec les TLET, si bien que les autorités sri‑lankaises ne le soupçonneraient pas d’une telle chose, est totalement illogique. Il cite la décision B027, au paragraphe 9, et qualifie cette approche de « trop simpliste », les autorités sri‑lankaises n’étant pas assujetties à ces règles‑là. Par conséquent, le demandeur affirme que la Commission n’a pas correctement évalué le lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention.

[34]           Cinquièmement, le demandeur conteste l’analyse de la Commission se rapportant aux raisons impérieuses. Il affirme que cette dernière n’a pas correctement évalué la cause du diagnostic d’ESPT mentionné dans son rapport psychologique, ce qui rend sa conclusion déraisonnable.

[35]           Enfin, le demandeur soutient que les erreurs susmentionnées, prises cumulativement, rendent la décision de la Commission déraisonnable.

V.                Observations écrites du défendeur

[36]           Le défendeur soutient que les conclusions de fait et de fait et de droit de la Commission appellent une certaine déférence. Il convient avec le demandeur que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 53 et 55, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir)).

[37]           Il allègue tout d’abord que les conclusions de la Commission concernant les omissions majeures étaient raisonnables. Pour le ministre, ces omissions relevées par la Commission n’étaient ni mineures ni incidentes : en fait, le demandeur a totalement omis d’inclure dans son FRP initial trois allégations selon lesquelles il avait été détenu, interrogé et torturé en raison de ses liens soupçonnés avec les TLET. La Commission a également examiné les explications qu’il a fournies pour justifier ces omissions, et elle n’a pas été convaincue.

[38]           Deuxièmement, le défendeur fait valoir que la Commission n’était pas tenue de s’en remettre aux rapports psychologiques ou de les citer, ni de conclure que les incohérences importantes dans le récit du demandeur pouvaient s’expliquer par son état psychologique (voir Syed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 597, aux paragraphes 19 et 20, 97 ACWS (3d) 305). Le rapport ne permettait pas d’établir la crédibilité de sa demande d’asile, et n’était pas à même de le faire (voir Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1379, au paragraphe 33, [2014] 2 RCF 3 (Kaur)); il n’indiquait nulle part que le demandeur pouvait tout à fait oublier des incidents cruciaux de persécution (Kaur, aux paragraphes 37 et 38). Le défendeur soutient que le rapport psychologique n’a pas dissipé les préoccupations importantes concernant la crédibilité soulevées par les omissions majeures dans son FRP.

[39]           Troisièmement, le défendeur soutient que la Commission a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour établir que la crainte de persécution était fondée. Il ajoute que la Commission a raisonnablement tenu compte des circonstances ayant entouré la libération du demandeur et de sa capacité à voyager à l’intérieur et hors du pays. En l’espèce, le demandeur cherche à faire réévaluer la preuve afin qu’une décision soit rendue en sa faveur.

[40]           Quatrièmement, le défendeur fait valoir que les conclusions de la Commission relatives au risque auquel s’expose le demandeur en tant que demandeur d’asile débouté étaient raisonnables. En l’espèce, le demandeur réplique aux conclusions de la Commission en remettant en question les documents qu’elle a invoqués, mais il n’a produit aucune preuve établissant que ces conclusions étaient déraisonnables. Il affirme que les organisations non gouvernementales peuvent avoir du mal à remplir leur mission au Sri Lanka, mais cela ne signifie pas qu’il était déraisonnable que la Commission s’appuie sur le rapport.

[41]           De plus, la Commission n’est pas tenue de mentionner toute la preuve documentaire. En l’absence d’éléments établissant des liens avec les TLET, les individus qui retournent au Sri Lanka peuvent être détenus et interrogés, mais ne courent pas un risque réel de persécution ou de torture (voir Suppaiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 429, aux paragraphes 32 à 34, [2013] ACF no 460 (Suppaiah)). En l’espèce, la Commission a raisonnablement conclu, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que le demandeur n’avait pas de motifs valables de craindre la persécution en tant que demandeur d’asile débouté.

[42]           Cinquièmement, le défendeur avance que la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas un réfugié sur place. En l’espèce, la Commission a commencé son analyse par un examen du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié des Nations Unies. Elle a reconnu que l’arrivée du Sun Sea avait grandement intéressé les autorités, mais elle n’était pas convaincue que le demandeur avait établi le bien‑fondé d’une demande d’asile sur place, compte tenu de sa situation et du fait qu’il n’était pas une personne d’intérêt pour les autorités sri‑lankaises.

[43]           Le défendeur a poursuivi en écartant les décisions jurisprudentielles citées par le demandeur (A032 et B420). Dans la décision A032, le juge en chef Edmond Blanchard a estimé que le fait d’être un passager sur l’Ocean Lady ne justifiait pas à lui seul d’accueillir une demande d’asile (A032, au paragraphe 18). De plus, ces deux décisions se rapportaient à des contestations de décisions favorables. Elles n’établissent pas que la conclusion tirée ici par la Commission, à l’égard d’un dossier différent, était déraisonnable. De plus, dans la décision B027, la Cour a estimé que les autorités sri‑lankaises n’étaient pas liées par le fait que les autorités canadiennes dégagent un individu de liens avec les TLET. Cependant, dans la présente affaire, l’absence de liens avec les TLET n’est qu’un des cinq facteurs que la Commission a examinés pour conclure que le demandeur n’avait pas établi le bien‑fondé d’une demande d’asile sur place. Par conséquent, les arguments du demandeur se rapportent encore une fois au poids attribué à la preuve.

[44]           Sixièmement, le défendeur fait valoir que la conclusion de la Commission concernant les raisons impérieuses était raisonnable et que les arguments du demandeur se rapportent au poids attribué à la preuve.

VI.             Analyse et décision

A.                Question 1 – Quelle est la norme de contrôle?

[45]           Quant au caractère raisonnable de la décision de la Commission, le demandeur et le défendeur font valoir que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité. Je suis d’accord.

[46]           En l’espèce, la question en litige en est une de fait et de droit. L’arrêt Dunsmuir a établi, au paragraphe 53, que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique « lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés » (voir aussi Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4, 160 NR 315; et Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 22 à 40, [2012] ACF no 369). Cela signifie que je dois me garder d’intervenir si la décision est transparente, justifiable, intelligible et qu’elle appartient aux issues acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 (Khosa)). Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, la cour qui examine une décision suivant la norme de la décision raisonnable ne peut substituer la solution qui serait à son avis préférable à celle qui a été retenue ni soupeser à nouveau la preuve.

B.                 Question 2 – La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

[47]           Le demandeur conteste chacune des conclusions de la Commission sur les points suivants : crédibilité, traitement du rapport psychologique, crainte fondée de persécution, demandeur d’asile débouté, demande sur place, et raisons impérieuses au titre du paragraphe 108(4) de la Loi. J’estime que la décision de la Commission était raisonnable et que les motifs justifiant ses conclusions étaient transparents et intelligibles. J’examinerai ci‑après tour à tour chacune de ces conclusions.

1)                  Conclusion en matière de crédibilité

[48]           Pour ce qui est de la conclusion défavorable de la Commission relativement à la crédibilité, j’estime que ses inférences négatives étaient raisonnables. Il est bien établi que la Commission ne doit pas se préoccuper des omissions mineures ou incidentes dans le FRP d’un demandeur (Feradov, aux paragraphes 18 et 19). Par conséquent, le caractère raisonnable de ces inférences négatives dépend de la question de savoir si les omissions étaient ou non mineures ou incidentes.

[49]           Le demandeur soutient que les modifications visaient simplement à étoffer les renseignements fournis dans le FRP, et ne sont pas des motifs valables pour remettre en question sa crédibilité (Puentes, aux paragraphes 18 et 19). Le défendeur fait valoir que les inférences négatives sont raisonnables puisque le demandeur a totalement omis d’inclure dans son FRP initial trois allégations selon lesquelles il avait été détenu, interrogé et torturé en raison de ses liens soupçonnés avec les TLET.

[50]           En l’espèce, les trois omissions étaient les suivantes : (i) concernant les incidents de 2008, en dehors de l’ordre de se présenter devant un homme masqué, le FRP initial n’indiquait pas que le demandeur avait été arrêté puis interrogé et torturé; (ii) concernant les incidents qui ont immédiatement suivi l’enlèvement de son ami Rajan, la version initiale de l’incident n’indiquait pas, contrairement à la modification, que le demandeur avait été arrêté, interrogé, torturé et photographié, et que ses empreintes digitales avaient été prélevées; (iii) quant à ce qui est arrivé au demandeur après son déménagement à Colombo, le FRP initial n’indiquait pas, contrairement à la version modifiée, qu’il avait dû se présenter au camp de l’armée à Modara et qu’il avait été interrogé et torturé.

[51]           À mon avis, les renseignements omis étoffaient le FRP initial, mais constituaient des affirmations tout à fait nouvelles par rapport aux allégations du demandeur concernant l’impact spécifique de ces incidents sur sa vie. Même s’il a expliqué qu’il avait été informé qu’il pourrait rajouter plus tard des renseignements additionnels, ces omissions étaient cruciales et touchaient le cœur de sa demande d’asile. Je peux comprendre pourquoi la Commission a jugé déraisonnable que le demandeur n’ait pas du tout évoqué dans son FRP initial son rôle dans ces incidents.

[52]           Quant au traitement du rapport psychologique par la Commission, j’estime que ce document ne remet pas en cause sa conclusion relative à la crédibilité.

[53]           Le demandeur estime que, comme elle n’appuyait sur aucune preuve sa conclusion suivant laquelle tous les Tamouls avaient été exposés à la guerre civile et souffraient d’un état de stress post‑traumatique, il était déraisonnable de la part de la Commission de n’accorder que peu de poids au rapport sur la base de sa présomption. Le demandeur fait valoir que le rapport psychologique a été soumis pour expliquer pourquoi certains détails ne figuraient pas dans le FRP initial. Le défendeur allègue que le rapport psychologique n’a pas dissipé les préoccupations importantes concernant la crédibilité soulevées par les omissions majeures dans le FRP.

[54]           Un rapport psychologique ne peut pas servir à établir la crédibilité de la demande d’asile du demandeur. Dans la décision Kaur, le juge en chef Paul Crampton a conclu qu’un rapport psychologique ne suffisait pas pour justifier l’omission d’un élément important par le demandeur dans le FRP :

37        Par exemple, le fait que le rapport psychologique, comme c’est le cas en l’espèce, établisse un lien de cause à effet entre un trouble de stress post‑traumatique ou un autre état pathologique et la tendance du demandeur d’asile à se montrer vulnérable, désorienté, anxieux, bouleversé ou ému lorsqu’il est interrogé, ou à réagir au stress par la dissociation mentale, ne constitue pas ordinairement une explication raisonnable de ce qu’il ait omis un élément important de sa version des faits dans son FRP, surtout s’il a établi celui‑ci avec l’aide d’un conseil. Compte tenu des passages précités des arrêts Newfoundland Nurses, Alberta Teachers et Halifax, on ne voit pas non plus de prime abord comment de tels troubles psychologiques suffiraient à priver de son fondement rationnel ou de toute assise raisonnable une conclusion défavorable sur la crédibilité motivée par des contradictions flagrantes ou des divergences importantes.

38        À moins que le rapport psychologique n’incline fortement à penser que la Commission a agi déraisonnablement en concluant à l’absence de crédibilité, il serait à mon sens contraire aux enseignements de la Cour suprême d’exiger de ladite Commission qu’elle fasse explicitement référence à ce rapport ou à un quelconque élément de celui‑ci pour expliquer cette conclusion. Autrement dit, cela serait contraire au principe formulé par la Cour suprême selon lequel la cour de révision doit s’abstenir d’intervenir si la preuve offrait une quelconque assise raisonnable à la conclusion de la Commission ou lorsque la décision de cette dernière est pourvue d’un fondement rationnel. Cela serait également incompatible avec la nécessité pour la cour de révision, plusieurs fois réaffirmée par la Cour suprême, de faire preuve de déférence ou de retenue à l’égard des conclusions des tribunaux administratifs. Il en va particulièrement ainsi pour les questions de crédibilité, qui se situent « au cœur même des attributions que le législateur a conférées à la [Commission] » : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, paragraphe 60 (disponible sur CanLII).

[Souligné dans l’original; les caractères gras sont de moi.]

[55]           Même si je conviens avec le demandeur que la Commission n’aurait pas dû présupposer que tous les Tamouls ont été exposés à la guerre civile et souffrent d’un état de stress post‑traumatique sans que la preuve documentaire ne le confirme, cette erreur ne peut remettre en cause sa conclusion regardant la crédibilité. En l’espèce, je ne relève aucun détail important dans le rapport psychologique indiquant clairement que la conclusion défavorable de la Commission en matière de crédibilité était déraisonnable.

[56]           Par conséquent, je suis convaincu qu’il était raisonnable de la part de la Commission de tirer des inférences défavorables et de conclure que le demandeur n’était pas crédible, eu égard au rapport psychologique.

2)                  Crainte de persécution

[57]           Quant à la conclusion de la Commission relative à la crainte de persécution du demandeur, j’estime que sa décision était raisonnable.

[58]           Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission était trop simpliste et il apporte une autre explication au fait qu’il ait pu se déplacer à l’intérieur du pays. Le défendeur estime que la Commission a raisonnablement tenu compte des circonstances entourant la remise en liberté du demandeur et de sa capacité à voyager à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Il fait valoir que les arguments du demandeur reviennent à vouloir faire réévaluer la preuve.

[59]           À mon avis, l’analyse de la Commission est loin d’être simpliste. Elle a d’abord examiné les Lignes directrices du HCNUR et relevé cinq profils de risque potentiels. Ayant ensuite examiné les faits entourant chacune des mises en détention du demandeur, sa capacité à voyager à l’intérieur du pays et les circonstances de son départ, la Commission a conclu que la preuve digne de foi était insuffisante pour conclure que sa crainte de persécution était fondée sur la base de ses expériences au Sri Lanka. J’estime que l’analyse était exhaustive et les motifs me paraissent transparents. Il n’y a donc pas d’erreur.

3)                  Demandeur d’asile débouté

[60]           S’agissant de la conclusion de la Commission concernant le risque auquel le demandeur s’expose en tant que demandeur d’asile débouté, j’estime que sa décision était raisonnable.

[61]           Le demandeur estime que les rapports invoqués par la Commission étaient peu fiables et qu’il aurait fallu s’en remettre aux conclusions d’autres rapports. Le défendeur fait valoir que les arguments du demandeur ne démontrent guère que la conclusion de la Commission était déraisonnable.

[62]           En l’espèce, je conviens avec le défendeur qu’en l’absence de preuve établissant des liens avec les TLET, les individus qui retournent au Sri Lanka ne s’exposent pas à un risque réel de persécution ou de torture, même s’ils peuvent être détenus et interrogés. Le juge Yves de Montigny a exposé cet argument dans la décision Suppaiah, au paragraphe 34 :

Le demandeur a soutenu devant la CISR qu’il courrait encore un risque s’il rentrait au Sri Lanka parce qu’il pourrait être pris pour cible sur le soupçon d’avoir des liens avec les TLET. Cet argument, sans autres précisions, pèche manifestement par insuffisance. Comme l’a écrit la juge Tremblay‑Lamer au paragraphe 20 de Marthandan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 628 :

Pour bénéficier de la protection du Canada en vertu de l’article 97 de la LIPR, le demandeur doit démontrer l’existence probable d’un risque personnalisé et qu’il s’agit d’un risque auquel d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne sont généralement pas exposées : voir Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, [2011] ACF no 222 (QL) et Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, [2009] ACF no 143 (QL). Le simple fait d’être un jeune homme tamoul de l’est du Sri Lanka ne constitue pas un risque personnalisé. Le tribunal a trouvé que les actes de la SLA envers le demandeur semblent toujours avoir été instigués par le groupe Pillaiyan, et qu’il a pu obtenir un passeport sri lankais et sortir du pays, et ce, malgré le fait que les Tamouls du nord et de l’est font l’objet d’une attention accrue de la part des autorités. En tenant compte de cela, et en considérant qu’il n’a jamais été associé au TLET et que le gouvernement sri lankais a libéré des milliers de cadres du TLET, le tribunal a conclu que l’intérêt des autorités sri lankaises envers le demandeur, s’il y en a, est minime et qu’il n’existe qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté à Trincomalee ou dans le reste du pays. Je suis d’avis que la décision du tribunal appartient aux issues possibles acceptables.

[Non souligné dans l’original.]

[63]           Dans le cas présent, comme le demandeur n’a pas établi qu’il passerait pour avoir des liens avec les TLET, la Commission a conclu, sur la foi de la preuve documentaire, qu’il ne s’exposait pas à un risque accru en tant que demandeur d’asile débouté. J’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle à cet égard.

4)                  Demande sur place

[64]           En ce qui a trait à la conclusion de la Commission concernant la demande d’asile sur place présentée par le demandeur, j’estime que sa décision était intelligible et défendable.

[65]           Le demandeur estime avoir clairement établi une demande d’asile sur place au motif que le gouvernement sri‑lankais lui prêterait des liens avec les TLET. Il invoque à cet égard les décisions B420 et A032. Le défendeur soutient que la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas établi une demande d’asile sur place compte tenu de sa situation et du fait qu’il n’intéresse pas les autorités sri‑lankaises. Il affirme qu’il y a lieu de distinguer la présente affaire des décisions B420 et A032.

[66]           Dans la décision B420, la Cour a rejeté la demande du ministre et confirmé la décision favorable de la Commission. Dans cette affaire, la Commission avait conclu que le demandeur d’asile avait établi qu’il appartenait un groupe social en tant que passager du MV Sun Sea, et a expressément conclu qu’il serait persécuté sur la base d’une opinion politique supposée, compte tenu implicitement de son origine ethnique et de sa race.

[67]           Dans la décision A032, le juge en chef Blanchard a conclu que le statut de passager de l’Ocean Lady ne justifiait pas à lui seul d’accorder la qualité de réfugié (A032, au paragraphe 18). Cependant, il a confirmé la décision de la Commission d’accueillir une demande d’asile sur place compte tenu des faits et de la publicité ayant entouré le voyage de l’Ocean Lady, et du fait que ce navire appartient aux TLET, de son histoire et de ses passagers soupçonnés d’être des membres des TLET. En l’occurrence, la Commission a conclu dans l’affaire A032 que les liens du demandeur d’asile avec les TLET avaient été établis.

[68]           À mon avis, ces deux décisions peuvent être écartées en l’espèce. Dans ces deux affaires, la demande de contrôle judiciaire a été déposée par le ministre pour contester une décision favorable de la Commission. Cette dernière avait alors non seulement conclu que le bien‑fondé d’une demande d’asile sur place avait été établi, mais elle avait fondé en partie cette décision sur les liens supposés du demandeur d’asile avec les TLET et d’autres motifs prévus par la Convention. Contrairement à l’affaire qui nous occupe, les demandeurs d’asile dans ces deux décisions avaient établi leurs liens supposés avec les TLET.

[69]           Par ailleurs, la Commission ne s’est pas montrée trop simpliste en effectuant son analyse, comme l’allègue le demandeur. Le défendeur a raison de signaler que les liens avec les TLET n’étaient qu’un des cinq facteurs que la Commission a pris en compte pour conclure que le demandeur n’avait pas établi le bien‑fondé d’une demande d’asile sur place. En l’espèce, compte tenu de la situation du demandeur et du fait qu’il n’intéresse pas les autorités sri‑lankaises, j’estime qu’il était raisonnable que la Commission ne soit pas convaincue que le bien‑fondé de la demande d’asile sur place avait été établi.

5)                  Raisons impérieuses

[70]           Concernant l’analyse de la Commission aux termes du paragraphe 108(4), j’estime que sa conclusion était raisonnable.

[71]           Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission relative au paragraphe 108(4) était déraisonnable, car elle a conjecturé quant à la cause de son ESPT malgré la teneur du rapport psychologique. Le défendeur fait valoir que les arguments du demandeur concernent le poids attribué à la preuve. En l’espèce, la Commission a conclu, compte tenu des expériences du demandeur et de son rapport psychologique, et à la lumière des préoccupations liées à la crédibilité, qu’il n’avait pas atteint le seuil élevé prévu au paragraphe 108(4).

[72]           Aux termes du paragraphe 108(1) de la Loi, il faut rejeter la demande d’asile du demandeur d’asile qui ne satisfait pas aux articles 96 et 97. Le paragraphe 108(4) prévoit une exception dans des circonstances spéciales.

[73]           En l’espèce, les présuppositions de la Commission liées au rapport psychologique n’ont pas amoindri le caractère raisonnable de sa décision globale. Son analyse ne reposait pas seulement sur le poids qu’elle a accordé au rapport psychologique, mais aussi sur les expériences du demandeur et sur ses conclusions relatives à la crédibilité. Compte tenu de la preuve, j’estime que la Commission a raisonnablement déterminé que le demandeur n’avait pas atteint le seuil prévu au paragraphe 108(4).

[74]           Enfin, toutes les conclusions évaluées cumulativement indiquent également que la décision de la Commission était raisonnable. Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans sa décision.

[75]           Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

[76]           Aucune partie n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a wellfounded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à cellesci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3242‑13

 

INTITULÉ :

B296 c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 novembre 2014

 

MOTIFS CONFIDENTIELS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE o’keefe

DATE DES MOTIFS :

LE 25 mai 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Clare Crummey

 

POUR LE demandeur

 

Julie Waldman

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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