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Date : 20151023


Dossier : IMM‑1016‑15

Référence : 2015 CF 1199

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LIBERAT NKESHIMANA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Liberat Nkeshimana a demandé l’asile au Canada, soutenant craindre avec raison d’être persécuté au Burundi par les rebelles hutus qui ont tué ses parents et deux de ses frères en 2004. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de M. Nkeshimana pour des raisons de crédibilité. En dépit de la retenue que commandent les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission, j’ai conclu que plusieurs des conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité étaient déraisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

I.                   Contexte

[2]               M. Nkeshimana avait 14 ans lorsque quatre membres de sa famille tutsie ont été tués. Il croit que ces meurtres ont été commis par des rebelles hutus motivés par la haine ethnique et qu’ils sont attribuables au métier de journaliste de son père. L’une des sœurs de M. Nkeshimana a reçu des menaces après avoir insisté pour la tenue d’une enquête sur les meurtres. Elle a obtenu l’asile au Canada en 2009. Un oncle du demandeur a obtenu l’asile au Canada en 2006.

[3]               M. Nkeshimana affirme avoir reçu plusieurs menaces de mort de la part des meurtriers à la fin de 2011 et au début de 2012. Il croit avoir fait l’objet de menaces parce que les meurtriers voulaient l’empêcher de les dénoncer. Il a reçu le premier appel à la fin de 2011. M. Nkeshimana déclare avoir signalé cette menace aux policiers, mais ces derniers auraient écarté ses préoccupations.

[4]               M. Nkeshimana affirme avoir ensuite reçu un deuxième appel. Cette fois, son interlocuteur lui aurait dit qu’il savait qu’il s’était adressé aux policiers et « qu’ils » allaient le trouver et le tuer. Selon les déclarations du demandeur, l’interlocuteur a mentionné le nom de M. Nkeshimana ainsi que celui de son père : c’est pourquoi M. Nkeshimana croit que ces appels sont liés aux meurtres des membres de sa famille.

[5]               M. Nkeshimana soutient avoir été agressé par deux hommes le 5 février 2012. Il dit avoir reçu des soins médicaux en raison des blessures subies lors de l’attaque et avoir signalé l’agression à la police le lendemain. M. Nkeshimana a produit des rapports médicaux et des rapports de police qui corroborent son témoignage.

[6]               D’après M. Nkeshimana, il aurait reçu un troisième appel de menace après cet incident, appel au cours duquel son interlocuteur aurait affirmé être au courant du fait que M. Nkeshimana avait signalé l’agression à la police.

[7]               M. Nkeshimana déclare avoir ensuite décidé de quitter le Burundi parce qu’il craignait pour sa vie. Il affirme avoir été agressé de nouveau juste avant son départ, mais avoir réussi à échapper à ses agresseurs. M. Nkeshimana a quitté le Burundi le 22 août 2012 et est arrivé aux États‑Unis le 23 août 2012. Il s’est ensuite rendu au Canada où il a demandé l’asile le 28 août 2012.

II.                Analyse

[8]               La Commission avait plusieurs raisons de ne pas ajouter foi au récit de M. Nkeshimana. Bien que plusieurs des conclusions soient raisonnables, l’une des principales conclusions relatives au fait que M. Nkeshimana connaissait l’identité des meurtriers n’était pas raisonnable. Une erreur au regard de l’une des nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité ne suffit habituellement pas à rendre une décision déraisonnable. Or, comme l’ont souligné les deux parties, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient cumulatives en l’espèce, et plusieurs d’entre elles étaient fondées, du moins en partie, sur la conclusion de la Commission selon laquelle M. Nkeshimana avait livré un témoignage contradictoire quant au fait qu’il connaissait l’identité des meurtriers. Par conséquent, l’erreur en l’espèce a pour effet de rendre la décision de la Commission déraisonnable.

[9]               La conclusion de la Commission selon laquelle M. Nkeshimana avait livré un témoignage contradictoire quant au fait qu’il connaissait l’identité de ceux qui ont tué les membres de sa famille est au cœur de l’analyse de la Commission. Après avoir examiné attentivement le témoignage de M. Nkeshimana ainsi que les déclarations qu’il a faites dans son Formulaire de renseignements personnels, j’estime qu’il n’y a pas de telles incohérences.    

[10]           M. Nkeshimana a déclaré à maintes reprises qu’il croyait que les meurtriers étaient des rebelles du CNDD‑FDD agissant sous les ordres d’un ancien rebelle ayant combattu sous le nom de « Major Miros ». Toutefois, M. Nkeshimana ne connaissait pas le nom de ceux qui ont tué sa famille. La Commission semble avoir confondu le fait que M. Nkeshimana était en mesure de fournir une description générale des meurtriers avec le fait qu’il était en réalité incapable de les identifier par leur nom. La conclusion de la Commission à cet égard était donc déraisonnable.

[11]           La Commission s’est ensuite fondée sur ses réserves quant à la capacité de M. Nkeshimana d’identifier ceux qui ont tué les membres de sa famille comme motif pour rejeter l’allégation selon laquelle les meurtriers voudraient le tuer de peur qu’il puisse les dénoncer.  Cette conclusion est donc viciée par l’erreur antérieure de la Commission.

[12]           Il ressort aussi clairement du paragraphe 58 des motifs de la Commission que la conclusion relative à la capacité de M. Nkeshimana d’identifier les assassins de sa famille est l’une des principales raisons pour lesquelles la Commission n’a pas ajouté foi à l’allégation du demandeur selon laquelle il aurait reçu des menaces et aurait été agressé en 2011‑2012.

[13]           Enfin, la Commission s’est appuyée sur l’incohérence qui aurait été soulevée dans le témoignage de M. Nkeshimana quant au fait qu’il connaissait l’identité des meurtriers pour remettre en question l’existence même de ces individus. La Commission a toutefois ajouté foi au fait que les membres de la famille de M. Nkeshimana ont été tués. Il est difficile de suivre le raisonnement de la Commission sur ce point : si les membres de la famille ont effectivement été tués, quelqu’un les a nécessairement tués, et l’assassin ou les assassins doivent par le fait même exister. En l’absence du ou des meurtriers, les meurtres n’auraient pu survenir.

[14]           La Commission a également souligné que huit années s’étaient écoulées depuis le meurtre des membres de la famille de M. Nkeshimana, ce qui a poussé la Commission à se demander pourquoi les meurtriers voudraient tout à coup le faire taire. Or, M. Nkeshimana fait valoir que, selon les renseignements sur la situation dans le pays dont disposait la Commission, le gouvernement burundais a pris des mesures en 2011‑2012 en vue d’établir une Commission de vérité et de réconciliation ayant pour mission de se pencher sur les tueries de masse survenues pendant le conflit ethnique qui a sévi dans ce pays. Selon le demandeur, cela a peut‑être suscité un intérêt renouvelé à protéger les meurtriers. Rien dans les motifs de la Commission n’indique toutefois que cette dernière a tenu compte de cette preuve.

III.             Conclusion

[15]           Bien que la Commission ait eu d’autres raisons de rejeter la demande d’asile de M. Nkeshimana, l’effet cumulatif des erreurs susmentionnées fait qu’il est risqué de confirmer la décision de la Commission. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué en vue d’un nouvel examen.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, B.A. en trad


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1016‑15

 

INTITULÉ :

LIBERAT NKESHIMANA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 Octobre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 OctobrE 2015

 

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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