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Date : 20151022

Dossier : IMM-7844-14

Référence : 2015 CF 1188

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MAHO SIMANZONDO MAZINGA

DJODJO BINTI MOUSSA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR ou la Commission] voulant que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Les demandeurs sollicitent de la Cour une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire pour nouvel examen avec droit de présenter des observations à jour.

[2]               Pour les motifs ci‑dessous exposés, la demande est rejetée.

II.                Contexte de l’affaire

[3]               Le demandeur principal, M. Maho Simanzondo Mazinga [le demandeur] et son épouse, Mme Djodjo Binti Moussa [la codemanderesse], sont citoyens de la République démocratique du Congo [le Congo].

[4]               Le demandeur affirme avoir été le chauffeur d’Eugène Diomi Ndongala, président de la Démocratie Chrétienne [D.C.], un parti d’opposition. Eugène Diomi Ndongala était proche d’Étienne Tshisekedi, porte‑parole officiel de la Majorité Présidentielle Populaire [M.P.P.] lors des élections de novembre 2011.

[5]               Selon le demandeur, le 24 juin 2012, Eugène Diomi Ndongala a été accusé de viol et le 25 juin 2012, M. Ndongala et le demandeur ont tous deux été arrêtés et emmenés séparément.

[6]               Le demandeur affirme avoir été conduit en un lieu inconnu et enfermé dans une cellule. Il affirme qu’on lui a dit que, pour retrouver la liberté, il lui faudrait témoigner contre M. Ndongala au procès de celui‑ci pour viol d’une personne mineure. Le demandeur affirme avoir été déplacé d’un endroit à un autre et enfermé jusqu’à ce qu’il accepte de témoigner.

[7]               L’épouse de M. Ndongala avait, selon lui, organisé une conférence de presse à laquelle a assisté la codemanderesse. Il affirme que celle‑ci a répondu aux questions que des journalistes lui ont posées au sujet de la disparition du demandeur.

[8]               Le demandeur affirme que, le soir même de la conférence de presse, l’Agence nationale de renseignement [ANR] a arrêté la codemanderesse ainsi que la fille adoptive des demandeurs. Selon lui, la codemanderesse et leur fille ont été enfermées, torturées et violées par des agents de l’ANR. Le 30 juin 2012, la codemanderesse a été retrouvée à Matadi, abandonnée la nuit sur la route. Des passants l’ont conduite à l’hôpital, où elle est restée jusqu’au 20 octobre 2012. Leur fille adoptive n’a, elle, jamais été retrouvée.

[9]               Le 7 octobre 2012, à la veille du Sommet de la francophonie, le demandeur a été relâché. Le 11 octobre 2012, M. Ndongala a été, dit‑il, retrouvé dans la rue, abandonné.

[10]           Après sa libération, le demandeur a reçu des appels lui conseillant de tenir sa promesse et de témoigner contre M. Ndongala.

[11]           Étant donné les menaces proférées contre les demandeurs, un membre du parti, qui a souhaité conserver l’anonymat, s’est servi de ses relations pour aider les demandeurs à s’enfuir du Congo.

[12]           Les demandeurs se sont déguisés pour se rendre de chez eux à l’ambassade des États‑Unis, où on leur a délivré un visa.

[13]           Les demandeurs ont quitté Kinshasa le 3 novembre 2012 et sont arrivés aux É.‑U. le 4 novembre 2012. De là ils se sont rendus, le 5 décembre 2012, à la frontière canadienne et ont demandé asile.

III.             La décision contestée

[14]           Le 30 octobre 2014, leur demande d’asile a été rejetée, la Commission jugeant les demandeurs non crédibles et estimant que leur retour au Congo ne les exposerait pas à une menace à leur vie ou au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités autres que ceux auxquels sont habituellement exposés l’ensemble des Congolais.

[15]           La Commission a conclu au manque de crédibilité des demandeurs en raison d’une suite de contradictions entre les témoignages qu’ils ont livrés et les preuves documentaires.

IV.             Les questions à trancher

[16]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      Les conclusions auxquelles la Commission est parvenue quant à la crédibilité des demandeurs sont‑elles raisonnables?

2.      La Commission a‑t‑elle eu tort de ne pas évaluer leur demande au regard de l’article 97?

3.      La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale?

V.                Norme de contrôle applicable

[17]           La première question touchant les conclusions de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs doit en l’espèce être examinée au regard de la norme de la décision raisonnable, ainsi que l’a énoncé l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Il s’agit, en deuxième lieu, de dire si le commissaire a tranché un point de fait qui aurait dû être évalué au regard de l’article 97, question qui doit, elle aussi, être examinée selon la norme de la décision raisonnable. La troisième question concerne la manière dont le commissaire a employé les renseignements que lui ont procurés les recherches menées par lui lors de l’audience. Il s’agit là d’une question relevant de la norme de la décision correcte, son examen devant être mené avec égards envers la manière dont le tribunal a fixé sa procédure, et compte tenu du contexte, conformément à l’arrêt Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, aux paragraphes 34 à 42.

VI.             Analyse

A.                La crédibilité de la Commission

[18]           Les demandeurs n’entendent pas contester les nombreuses conclusions défavorables concernant leur crédibilité auxquelles la Commission est parvenue en raison des contradictions et invraisemblances de leur témoignage par rapport aux preuves documentaires. Cela concerne notamment des faits essentiels tels que la date des enlèvements allégués, l’identité des personnes se trouvant avec le demandeur et M. Ndongala lors de leur enlèvement, le point de savoir si la codemanderesse a effectivement été enlevée et, si oui, parmi d’autres faits allégués, les dates auxquelles elle a été détenue et le point de savoir si elle l’a effectivement été.

[19]           Les demandeurs insistent plutôt sur le rejet par la Commission des lettres envoyées par leur avocat et par leur oncle ainsi que des rapports médicaux et, en particulier, des cartes d’adhérent des demandeurs. Ce qu’ils reprochent à la décision de la Commission semble s’accorder avec leur argument voulant que le commissaire n’ait pas explicitement conclu qu’ils n’étaient pas membres de la D.C., argument avancé à l’appui de la thèse selon laquelle leur demande aurait dû être évaluée au regard de l’article 97.

[20]           Selon la Cour, au vu des éléments versés au dossier, la Commission pouvait à juste titre conclure à l’inauthenticité des documents produits par les demandeurs. De nombreuses contradictions ont été relevées dans leurs témoignages, en ce qui concerne, par exemple, la date de l’enlèvement, que ne vient confirmer aucune preuve documentaire objective. Les lettres en question reprennent en effet la même erreur de date. Le témoignage concernant la lettre de l’avocat fait ressortir des contradictions quant à la date à laquelle a débuté la relation avocat‑client, quant au point de savoir si l’avocat faisait ou non partie d’un cabinet, et puis si, en fin de compte, la lettre avait été écrite à titre personnel ou non. Comme la lettre écrite par l’oncle, pourtant censé être professeur d’université, elle contient de grossières erreurs de grammaire et d’orthographe, ce qui a porté à s’interroger sur le niveau d’instruction de ceux qui les ont écrites. On relève en outre dans la lettre écrite par l’oncle une contradiction, car il affirme être celui qui aurait obtenu la libération du demandeur. Or, dans une autre lettre, le frère du demandeur soutient que c’est lui, le frère, qui l’a fait libérer. Cela va à l’encontre à la fois du témoignage livré par le demandeur et de renseignements consignés dans son formulaire de renseignements personnels.

[21]           La Commission n’a en outre guère accordé de poids aux lettres des médecins, estimant qu’il s’agissait vraisemblablement de faux. On a par ailleurs relevé des contradictions par rapport aux lettres concernant les dates de détention de la codemanderesse. La première lettre était incompréhensible et a exigé une seconde lettre pour expliquer le traitement médical dont il était fait état. L’audience s’étant déroulée à trois dates différentes, la Commission, après avoir souligné ces problèmes, a demandé qu’on lui présente d’autres documents provenant de l’hôpital afin de certifier ce qui était affirmé, notamment au sujet de la codemanderesse, qui était censée avoir effectué un long séjour à l’hôpital. Or, aucun document en ce sens n’a été produit. Le médecin du demandeur s’est refusé à confirmer certaines des conséquences médicales dont faisaient état les médecins congolais.

[22]           La Commission a également conclu que la carte d’adhérent à la D.C. du demandeur était, elle aussi fausse. La Cour retient l’argument des demandeurs qui font valoir qu’il ne devrait pas être tenu compte de la seconde carte d’adhérent, versée par erreur au dossier de la demande et comportant de légères différences par rapport à la carte d’adhérent produite en preuve à l’audience. Mais, pour refuser d’admettre l’authenticité de ces cartes, la Commission a pris en compte un certain nombre de facteurs, dont les contradictions quant aux dates auxquelles le demandeur aurait été employé comme chauffeur par le parti et les différences constatées entre le cachet apposé sur les photos figurant sur les cartes et celui apposé sur les cartes authentifiées.

[23]           La Cour estime que les conclusions auxquelles est parvenue la Commission quant à la crédibilité des demandeurs sont raisonnables et confirmées par les preuves versées au dossier, y compris par divers passages de la transcription. Ceci démontre qu’à de nombreuses reprises le demandeur a changé son récit lorsqu’on lui a présenté des faits contradictoires. Cela vaut pour les conclusions de la Commission, qui a jugé que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une sérieuse possibilité qu’ils seraient, s’ils rentraient au Congo, persécutés ou exposés à une menace à leur vie ou au risque de torture ou de traitements inhumains.

B.                 L’exigence d’un examen au regard de l’article 97

[24]           Selon les demandeurs, c’est à tort que la Commission n’a pas examiné leur demande au regard de l’article 97. Ils citent les conclusions par lesquelles la Commission a écarté le risque de persécution dont ils font état au paragraphe 36 de leur mémoire des faits et du droit. La Commission a pourtant expressément conclu que les demandeurs n’avaient pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’ils seraient exposés à une menace à leur vie, ou au risque de torture ou de traitements cruels et inusités auxquels les Congolais ne sont pas dans l’ensemble exposés.

[25]           La Cour estime que le paragraphe ci‑dessus est suffisamment précis quant à la conclusion voulant que les éléments de preuve versés au dossier ne confirment pas que le demandeur faisait partie de la D.C., ce qui écarte toute exigence de procéder à une évaluation distincte au regard de l’article 97.

C.                 Manquement à l’équité procédurale

[26]           Les demandeurs reprochent au commissaire d’avoir mené sur leur demande d’asile des recherches indépendantes et d’en avoir présenté les résultats au demandeur sans lui donner la possibilité d’y répondre dans de bonnes conditions. Le commissaire a produit une coupure de journal expliquant que M. Ndongala, le président de la D.C., a subi un procès et a été condamné à dix ans de prison pour le viol de deux mineures. Après avoir remis cet article à l’avocat des demandeurs, la Commission a posé la question de savoir pourquoi, puisque M. Ndongala était incarcéré, les autorités s’intéresseraient toujours aux demandeurs.

[27]           Précisons, pour répondre de manière complète à cet argument, que la Commission n’évoque pas cet article dans sa décision, dans laquelle sont exposées des raisons qui suffisent amplement à justifier les conclusions défavorables auxquelles elle est parvenue quant à la crédibilité des demandeurs. Le défendeur fait en outre remarquer que l’alinéa 170a) de la Loi confère expressément à la SPR le pouvoir de procéder « à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien‑fondé de la demande ». Il est par ailleurs bien établi que la procédure de la SPR revêt un caractère inquisitoire et que la recherche des faits se situe au cœur même de son domaine d’expertise : Benitez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 199, aux paragraphes 15, 16 et 28.

[28]           L’élément de preuve complémentaire en question a été évoqué à l’audience du 1er octobre 2014. Il y avait donc amplement le temps de faire des recherches et, au besoin, de contester le document à la reprise de l’audience le 16 octobre 2014. Les demandeurs n’ont pas indiqué ne pas avoir été au courant de cela. Je rejette l’argument voulant que la procédure n’ait pas été conforme aux principes de justice naturelle.

VII.          Conclusion

[29]           Pour les motifs exposés, la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-7844-14

 

INTITULÉ :

MAHO SIMANZONDO MAZINGA, DJODJO MOUSSA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE annis.

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LE DEMANDEUR

 

Amina Riaz

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Wazana Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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