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Date : 20151026

Dossier : T-456-15

Référence : 2015 CF 1207

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

BANQUE NATIONALE DU CANADA

demanderesse

et

DONALD BURNS ROGERS,

JANICE MARILYN ROGERS, ET

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « KICK AFT »

défendeurs

STEVEN CRATE

tierce partie

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Banque Nationale a présenté une requête en jugement sommaire en matière réelle contre le yacht Kick Aft et en matière personnelle contre ses propriétaires, Donald et Janice Rogers. Elle fait valoir à l’appui de son action qu’après cinq années de versements mensuels, M. et Mme Rogers ont fait défaut dans le paiement d’un prêt qui a servi à l’achat du Kick Aft. Ce prêt était garanti par la première et seule hypothèque enregistrée à l’égard de ce navire.

[2]               Dans le cadre de l’action réelle, le Kick Aft a été saisi et une ordonnance de vente a été rendue. Le prévôt en amirauté par intérim n’a toujours présenté aucune offre à la Cour.

[3]               M. et Mme Rogers nient toute responsabilité, et font plus particulièrement valoir relativement à la requête que le différend ne peut être réglé sans un procès complet. L’essentiel de leur défense est qu’ils ne sont pas responsables du défaut de paiement car la Banque, en tant que cessionnaire du contrat de vente, est responsable des nombreuses défaillances du Kick Aft, et est liée par les gestes de l’entreprise qui leur a vendu le navire, Crate Marine Sales Limited, ou de son directeur, Steven Crate, qui étaient tous deux des représentants de la Banque. Il s’agit de questions de crédibilité cruciales qui ne peuvent être tranchées que par un juge des faits. Ils allèguent ne rien devoir sur le prêt. Ils soutiennent en outre que, même s’ils se trompent sur ces points, la requête est prématurée dans la mesure où le Kick Aft devrait être vendu avant qu’on ne puisse conclure à une telle responsabilité personnelle.

[4]               Bien que la situation des Rogers soit affligeante et qu’ils pourraient avoir droit à une certaine compensation ou indemnité de la part de Steven Crate (Crate Marine est en faillite), ni M. Crate ni son entreprise ne disposaient d’un pouvoir exprès ou apparent de lier la banque. Le prêt est en défaut. Les Rogers ne disposent d’aucune défense viable. Ils tentent de retarder l’inévitable. La Banque est en droit d’obtenir un jugement immédiatement.

I.                   Jugement sommaire

[5]               Les règles relatives aux jugements sommaires se trouvent aux articles 413 et suivants des Règles des Cours fédérales. Il s’agit de déterminer si le succès de la cause est douteux au point où celle-ci ne mérite pas d’être examinée par un juge des faits dans le cadre d’un futur procès (Canada (MCI) c Houchaine, 2014 CF 342). Les deux parties doivent déposer la preuve à laquelle elles peuvent avoir raisonnablement accès et qui est susceptible d’aider la Cour à déterminer s’il existe une véritable question litigieuse. Il n’est pas suffisant de se baser sur les actes de procédure (Kanematsu GmbH c Acadia Shipbrokers Ltd, (2000), 259 NR 201, [2000] ACF n978 (QL).

[6]               Le jugement sommaire n’est qu’un des multiples moyens dont dispose la Cour pour contrôler sa propre procédure et ménager avec soin une ressource non renouvelable : le temps passé en salle d’audience. La décision Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd S/A, [1996] 2 CF 853, [1996] ACF no 481 (QL) de la juge Tremblay-Lamer est régulièrement citée. Le succès de la présente cause est-il douteux au point où celle‑ci ne mérite pas d’être examinée? S’il existe des questions de fait contestées pertinentes en matière de crédibilité, il convient de laisser l’affaire suivre son cours. Bien que les Rogers fassent valoir qu’il existe des questions de crédibilité, ces questions ne sont pas, à mon avis, pertinentes.

[7]               Comme la présente affaire ne présente aucune ambiguïté, il n’est pas nécessaire de déterminer la ligne de démarcation qui sépare les affaires qui doivent poursuivre leur cours et celles qui doivent être tranchées sommairement. La preuve au dossier me permet d’arriver aux conclusions de fait nécessaires. Les principes juridiques ne sont pas contestés (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87).

II.                Les faits

[8]               Les documents suivants sont pertinents en l’espèce :

a.                   l’accord sur le programme de financement marchand, entre la Banque et Crate Marine Sales Ltd.;

b.                  le contrat de vente sous condition entre Crate Marine Sales Ltd, en tant que venderesse, et M. et Mme Rogers, en tant qu’acheteurs;

c.                   l’engagement de crédit maritime lié à une hypothèque maritime entre les Rogers et la Banque;

d.                  l’accord maritime de crédit et de propriété entre les Rogers et la Banque.

En outre, même on faisait foi à certains faits connus des Rogers, mais dont la Banque n’avait pas connaissance, la Cour est d’avis que M. Rogers a tiré des conclusions erronées de ces faits.

[9]               La preuve de la Banque consiste en les affidavits de Linda Walker, Raymond Hébert et Jean-Guy Sabourin. Seule Mme Walker a été contre-interrogée.

[10]           Mme Walker est la gestionnaire de la succursale bancaire d’Oshawa. Elle ne s’y trouvait pas lorsque le prêt a été accordé. Même si elle avait accès aux dossiers de la Banque, elle n’est pas intervenue personnellement dans l’affaire avant le renouvellement du prêt, en janvier de la présente année, et le défaut de paiement le mois suivant.

[11]           Raymond Hébert est un consultant maritime dont la Banque retient de temps en temps les services, comme dans la présente affaire, pour s’occuper de l’immatriculation des navires et de l’enregistrement de leurs hypothèques.

[12]           Jean-Guy Sabourin est enquêteur en matière de sécurité à la Banque. Il a interrogé le défendeur Donald Rogers le 24 février 2015, après le défaut dans le paiement du prêt.

[13]           La preuve des défendeurs consiste en l’affidavit de Donald Rogers et en son contre‑interrogatoire.

[14]           La plupart des faits ne sont pas en litige ou, du moins, ne peuvent être contredits. Commençons par M. Rogers.

A.                M. et Mme Rogers

[15]           M. et Mme Rogers souhaitaient acquérir un nouveau yacht. Ils ont ainsi pris contact avec Crate Marine Sales Ltd., de qui ils avaient déjà acheté ce type de bateau. Le président de la compagnie, Steven Crate, les a emmenés au salon nautique de Toronto en janvier 2010.

[16]           Ils ont accepté d’acheter un yacht fabriqué aux États-Unis par Cruisers Yachts, division de KCS International. Il n’est pas clair s’ils ont acheté le yacht en démonstration. Quoi qu’il en soit, le yacht n’était pas entièrement équipé et inspecté.

[17]           Le prix d’achat s’élevait à 924 914,97 $. Les Rogers ont échangé le yacht dont ils étaient alors propriétaires, pour lequel on leur a donné un crédit de 149 734,58 $, et effectué un paiement additionnel de 100 000 $ en argent comptant. Il leur restait donc un solde de 675 180,20 $ à financer. La vente a été attestée par un contrat de vente sous condition auquel la Banque n’était pas partie et dont elle ignorait apparemment l’existence. Ce contrat n’est pas pertinent, étant donné qu’un autre contrat de vente sous condition, sur le propre formulaire de la Banque Nationale, l’a remplacé peu après.

[18]           Pour financer le solde du prix d’achat, les Rogers ont bénéficié d’une ligne de crédit que Crate Marine avait avec la Banque, et dont les détails ne leur ont jamais été communiqués. Quoi qu’il en soit, le directeur de Crate Marine, Steven Crate, avait recueilli des informations financières sur le couple, lesquelles ont été transmises à la Banque. Le prêt a été approuvé. Le 22 janvier 2010, le contrat de vente sous condition a été signé sur le formulaire de la Banque Nationale. Le document indique que Crate Marine est la venderesse et que M. et Mme Rogers sont les acheteurs. Le contrat comportait toutefois une erreur : il y était indiqué que le fabricant était Carver plutôt que Cruisers. Le contrat a par conséquent été signé de nouveau le 1er février 2010.

[19]           Nous reviendrons sur ce contrat de vente sous condition, conclu sur le formulaire même de la Banque Nationale. Le taux d’intérêt annuel était de 5,99 %, pour une période renouvelable de cinq ans. Des paiements confondus du principal et des intérêts de 4 834,54 $ devaient être effectués tous les mois. Crate Marine a cédé ce contrat à la Banque, ce qui a mené les Rogers à affirmer qu’ils peuvent opposer à la Banque les multiples défaillances du Kick Aft.

[20]           Vers le 23 février 2010, la Banque a versé le solde du prix à Crate Marine.

[21]           La Banque a reçu sans défaut des paiements mensuels sur le prêt jusqu’en février 2015, par l’entremise du compte des Rogers.

[22]           En mai 2010, les Rogers ont pris possession du Kick Aft. La seule preuve dont je dispose au sujet de ce navire est qu’il était en très mauvais état. Les Rogers se sont plaints amèrement auprès de Crate Marine, mais n’ont rien dit à la Banque.

[23]           Le 31 août 2010, M. Crate a écrit aux Rogers pour les informer que Crate Marine et KCS International remplaceraient le Kick Aft sans frais additionnels et que la livraison aurait lieu au plus tard le 15 avril 2011.

[24]           Au mois d’octobre 2010, les Rogers ont rapporté le Kick Aft à Crate Marine. M. Rogers affirme qu’il s’agissait d’une restitution, et non d’un désarmement hivernal.

[25]           En novembre 2010, le navire a finalement été immatriculé et l’hypothèque, enregistrée à Toronto. Pour ce faire, plusieurs photos ont dû être fournies au registraire. Le 12 novembre 2010, M. Rogers a remis la dernière photo à l’entreprise de M. Hébert. Ce n’est qu’à ce moment que M. Rogers a décidé que le yacht porterait le nom de Kick Aft.

[26]           Le Kick Aft a été immatriculé et l’hypothèque, enregistrée, le 16 novembre 2010.

[27]           Le 26 octobre 2011, Crate Marine était censée vendre le Kick Aft à Ivan Dailey pour 520 000 $. Or, cette vente n’a jamais été enregistrée et l’hypothèque est demeurée aux dossiers de la Banque Nationale. La Banque n’a pas eu connaissance de ce projet de vente.

[28]           La relation entre les Rogers et Crate Marine n’a par la suite fait que s’empirer. M. Rogers a insisté pour que Crate Marine fasse les paiements mensuels sur le prêt. La preuve indique que les paiements étaient faits à la Banque à partir du compte de banque des Rogers dans lequel ces derniers déposaient l’argent donné soit par Crate Marine soit par Steven Crate. La Banque n’était pas informée du fait que l’argent provenait soit Crate Marine soit de M. Crate.

[29]           Je me contenterai de dire que les Rogers n’ont jamais reçu le yacht de remplacement ni aucune portion du produit de la vente conclue avec M. Dailey, à l’exception des paiements mensuels sur le prêt. Crate Marine a fait faillite l’année dernière.

[30]           La Banque, par l’entremise de Mme Walker, a téléphoné à M. Rogers en janvier de la présente année pour lui rappeler que le prêt devait être renouvelé en février. M. Rogers n’a pas mentionné que l’argent des paiements de l’hypothèque provenait en fait de Crate Marine, que le navire était défectueux et qu’il avait été vendu. Le paiement mensuel dû le 2 février 2015 n’a pas été fait. M. Rogers a téléphoné à Mme Walker le jour suivant puis s’est présenté en personne pour raconter sa regrettable histoire.

III.             Analyse

[31]           La thèse des défendeurs, selon laquelle la requête en jugement sommaire est de toute façon prématurée puisque la Banque n’a pas encore vendu le Kick Aft, est erronée en droit. Les défendeurs font valoir que le créancier hypothécaire en possession du bien grevé est obligé de vendre celui‑ci au meilleur prix possible, invoquant à l’appui l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Manufacturers Life Insurance Company c Granada Investments Ltd, [2001] OJ No 3932, 150 OAC 253.

[32]           La Banque n’était pas tenue d’intenter une action réelle. Elle aurait pu simplement intenter une action personnelle. Si la créance avait été payée intégralement, elle aurait eu à donner mainlevée de l’hypothèque.

[33]           La décision d’intenter une action réelle, action qui s’est concrétisée par la signification de la déclaration, n’entraînait aucune obligation de saisir le Kick Aft. Bien que la signification s’accompagne généralement d’un mandat de saisie, il n’était pas nécessaire de saisir le Kick Aft en l’espèce. La saisie n’a par ailleurs pas conféré possession du navire à la Banque (article 483 des Règles des Cours fédérales). Les Rogers auraient pu obtenir la mainlevée de la saisie du Kick Aft en fournissant une garantie d’exécution (article 485 et suivants des Règles des Cours fédérales).

[34]           C’est la Cour qui vend le navire, et non le créancier hypothécaire. Cette vente ne représente pas simplement le droit des défendeurs dans la chose, mais consiste en la vente même du navire, ce qui reflète les racines civiles du droit maritime. L’acheteur obtient de la vente un titre libre de tous privilèges et charges. Le prix d’achat est déposé en cour et est par la suite distribué aux requérants suivant leur rang de priorité, le cas échéant. En l’espèce, seulement deux réclamants ont déposé des réclamations, la Banque et M. Dailey.

[35]           Pour en venir à présent au fond de la défense, Crate Marine et M. Crate n’étaient expressément pas habilités à agir en tant que mandataires de la Banque et aucune personne raisonnable n’aurait cru qu’ils avaient une habilitation apparente.

[36]           En ce qui concerne l’habilitation expresse, l’entente entre Crate Marine et la Banque n’a jamais été communiquée aux Rogers. Il est donc tout à fait clair qu’aucune relation mandant-mandataire n’a été créée.

[37]           L’argument selon lequel Crate Marine et M. Crate avaient une habilitation apparente repose sur le fait que M. Crate a recueilli des renseignements financiers sur les Rogers, qui ont été transmis à la Banque et ont finalement mené à l’obtention du prêt.

[38]           Indépendamment du fait que M. Rogers est lui-même un banquier à la retraite, la Cour ne peut pas conclure du fait qu’il y a eu collecte de renseignements financiers, même par l’entremise d’un courtier hypothécaire, qu’il existait une relation de mandant-mandataire, et encore moins déterminer l’étendue d’une telle relation (Xceed Mortgage Corporation c Wood, [2007] OJ No 3703, 160 ACWS (3d) 623 (ONSC)).

[39]           La cession du contrat entre Crate Marine et les Rogers m’apparaît comme une prise de risque de la part de la Banque. Le fait qu’elle ait pris le risque que le navire Kick Aft ne convienne pas à l’utilisation à laquelle il était destiné pourrait être retenu contre elle. Selon un principe général, le défendeur peut présenter, contre le cessionnaire, tous les moyens de défense qui auraient pu être soulevés contre le cédant (NOV Downhole Eurasia Ltd c TLL Oil Field Consulting, 2014 CF 889, conf. par 2015 CAF 106 sur une autre question; Springfield Fire & Marine Insurance Co c Maxim, [1946] RCS 604).

[40]           La Banque a toutefois éliminé ce risque du contrat. La clause 12 prévoit que l’acheteur accepte que la propriété lui soit vendue sans aucune garantie, à l’exception, le cas échéant, de celle offerte par le vendeur ou le fabricant. Les Rogers ont reconnu que la Banque n’avait donné aucune garantie et ne serait pas responsable des défectuosités du navire ni des manquements à la garantie ou aux obligations du vendeur ou du fabricant.

[41]           Le contrat était régi par la loi de la province dans laquelle la vente a eu lieu, à savoir la loi ontarienne en l’espèce.

[42]           Les articles 51 et 53 de la Loi sur la vente d’objets, LRO 1990, c S.1, prévoient que l’acheteur peut intenter un recours contre le vendeur ou lui opposer la violation de la garantie pour diminuer ou annuler le prix. Les droits, les obligations ou la responsabilité peuvent toutefois être écartés ou modifiés par convention expresse.

[43]           Le droit maritime canadien comprend le droit appliqué par les tribunaux d’amirauté en Angleterre jusqu’en 1934, qui a évolué au gré de la jurisprudence et des lois canadiennes (ITO-International Terminal Operators c Miida Electronic Ltd, [1986] 1 RCS 752). Le (UK) Sales of Goods Act  faisait partie de ce droit (Ultramar Canada Inc c Mutual Marine Office Inc, [1995] 1 CF 341 (le Pointe Levy)). Cela dit, le droit maritime canadien comprend des règles de conflit de lois qui permettent aux parties de choisir le droit applicable. C’est le droit ontarien qui a été choisi en l’espèce (Tropwood A.G. c Sivaco Wire and Nail Co, [1979] 2 RCS 157).

[44]           L’engagement de crédit maritime lié à l’hypothèque maritime n’est pas daté, mais selon les dires de M. Rogers, il a été signé le 1er février 2010. Aux termes de cet engagement, les Rogers devaient fournir à la Banque tous les documents nécessaires pour l’immatriculation du bateau et l’enregistrement de l’hypothèque. L’engagement était régi par les lois canadiennes et les lois de la province dans laquelle il est réputé avoir été signé, lorsqu’elles s’appliquaient. Les hypothèques maritimes sont régies par le droit maritime canadien.

[45]           D’après M. Rogers, l’accord maritime de crédit maritime et de propriété a aussi été signé le 1er février 2010. Toutefois, il a été postdaté au 16 novembre 2010, afin que sa conclusion coïncide avec la date de l’immatriculation du navire. Cette différence de date est sans conséquence, hormis le risque qu’elle a fait courir à la Banque pendant plusieurs mois, puisque cette dernière détenait une hypothèque non enregistrée sur un navire non immatriculé.

[46]           La défense des Rogers ne résiste tout simplement pas à l’analyse. Les contrats qu’ils ont signés sont parfaitement clairs. Par ailleurs, M. Rogers affirme qu’il a restitué le Kick Aft à Crate Marine en octobre 2010, après avoir accepté de l’échanger contre un autre yacht, mais il n’y aurait strictement aucun sens que la Banque ait pu prélever des paiements mensuels pour l’hypothèque jusqu’au mois de janvier 2015 inclusivement si les choses s’étaient passées comme il le dit. Il aurait été complètement insensé de la part des Rogers d’accepter, et de déposer dans leur compte, des chèques mensuels de Crate Marine et M. Crate afin que les paiements hypothécaires puissent être effectués à temps s’ils croyaient que ces derniers étaient mandataires de la Banque. S’ils avaient cru avoir un droit d’action contre la Banque, ils auraient arrêté les paiements.

[47]           Si M. Rogers avait vraiment cru que la remise du Kick Aft à Crate Marine, en octobre 2010, mettait un terme à leurs obligations, il n’aurait pas coopéré avec la Banque dans les mois qui ont suivi en fournissant la dernière photo requise pour l’immatriculation du yacht et l’enregistrement de l’hypothèque et n’aurait pas nommé le yacht Kick Aft. La seule conclusion possible est que M. Rogers savait très bien qu’il transigeait avec Crate Marine, qui agissait en tant que venderesse et non en tant que mandataire de la Banque. En fait, la Banque a été gardée dans l’ignorance.

[48]           M. Crate a assuré aux Rogers par écrit que le fabricant et Crate Marine remplaceraient le yacht. Il n’a jamais été fait mention de la Banque, comme il ressort du courriel que M. Rogers a envoyé à M. Crate le 14 avril 2014 :

[traduction]

Steven
Comme tu l’as remarqué, la question du paiement du prêt nous bouleverse.
Bientôt, cette affaire échappera à mon contrôle et je serai forcé d’informer la BMO que le bateau a été vendu par Crates et que le prêt n’est pas remboursé. Notre avocat nous a confirmé que l’hypothèque maritime est toujours valide et en vigueur. Ainsi, la BMO cherchera à récupérer le bateau et à nous poursuivre, Jan et moi, pour le paiement.
Cette confusion détruit complètement ma vie.
Je te demande de ne pas m’acculer pas au pied du mur, où je devrai agir pour me protéger.

[49]           Dans son affidavit, M. Rogers affirme qu’il faisait référence à la Banque Nationale et que la mention de « BMO » était manifestement une erreur d’écriture. La Banque de Montréal avait financé leur yacht précédent.

[50]           Au procès, j’ai demandé qu’on me mette à jour au sujet du prêt. Selon l’affidavit déposé par Christine Rettie, directrice de succursale de la Banque Nationale, le solde dû sur le capital était de 575 363,52 $ en date du dernier paiement effectué sur l’hypothèque, soit le 2 janvier 2015. À partir de ce moment, les intérêts ont couru au taux de 5,99 % par année, ce qui s’élève à 94,42 $ par jour. En conséquence, le montant dû en capital et intérêts, en date du présent jugement, soit le 26 octobre 2015, est de 603 406,26 $. La Banque a droit à un jugement qui lui accorde ce montant.

[51]           La Cour a le pouvoir discrétionnaire de décider des intérêts après jugement (art. 36(7) de la Loi sur les Cours fédérales), peu importe le taux stipulé par contrat. Étant donné que le seul autre créancier qui s’est manifesté est M. Dailey qui peut tout au plus faire valoir qu’il a acheté un yacht sur lequel une hypothèque était enregistrée, rien ne justifie que les intérêts après jugement ne demeurent pas au taux annuel de 5,99 %.

IV.             Dépens

[52]           Les documents contractuels traitent des dépens, mais cette question relève toutefois du pouvoir discrétionnaire de la Cour. La Banque aura 15 jours à partir d’aujourd’hui soit pour informer la Cour que les dépens ont été acceptés soit pour présenter une requête en vue d’obtenir des directives.

V.                Intitulé

[53]           L’intitulé doit être modifié afin d’y ajouter Steven Crate comme tierce partie, afin de donner suite aux directives orales du protonotaire Aalto, en date du 29 mai 2015, autorisant les Rogers à déposer une réclamation contre une tierce partie.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR ORDONNE :

1.                  L’action de la demanderesse est accueillie.

2.                  La Cour accorde à la demanderesse un jugement personnel contre Donald Burns Rogers et Janice Marilyn Rogers et réel contre le navire Kick Aft aux termes duquel elle a droit à un montant de 603 406,26 $ ainsi qu’aux intérêts après jugement sur ce montant, du 27 octobre 2015 à la date du paiement, calculés selon un taux annuel de 5,99 %.

3.                  L’ordonnance de vente du Kick Aft, rendue par le protonotaire Aalto le 22 mai 2015, est maintenue.

4.                  Des observations pourront être présentées au sujet des dépens, conformément aux motifs exposés.

5.                  L’intitulé est modifié par l’ajout de Steven Crate comme tierce partie.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-456-15

INTITULÉ :

BANQUE NATIONALE DU CANADA c. DONALD BURNS ROGERS ET AUTRES

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 septembRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

LE 26 octobrE 2015

COMPARUTIONS :

Michael S. Myers

Michael Hackl

pour la demanderesse

Christopher J. Cosgriffe

pour les défendeurs

Aucune comparution

POUR LA TIERCE PARTIE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Papazian Heisey Myers

Avocats

Toronto (Ontario)

pour la demanderesse

Woolgar Van Wiechen

Ketcheson Ducoffe LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les défendeurs

 

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