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Date : 20151130


Dossier : T‑455‑15

Référence : 2015 CF 1327

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

TABUSSUM NASIM

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté canadienne de Tabussum Nasim. Il allègue que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans l’application du critère de la présence physique pour établir la résidence au Canada. Madame Nasim n’a pas répondu à la demande du ministre, mais elle s’est présentée à l’audience. Le ministre a accepté qu’elle présente ses observations à l’encontre de la demande, et c’est le mari de Mme Nasim qui s’est exprimé au nom de son épouse.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision du juge de la citoyenneté n’est pas raisonnable, car ses motifs ne me permettent pas de comprendre comment il en est arrivé à la conclusion que Mme Nasim remplissait les conditions de résidence énoncées dans la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), c C‑29. La demande est donc accueillie.

I.                   Contexte

[3]               L’agent de la citoyenneté qui a examiné la demande de citoyenneté canadienne de Mme Nasim a relevé un certain nombre de problèmes concernant le caractère suffisant de la preuve présentée par celle-ci pour établir sa présence physique au Canada au cours de la période examinée.

[4]               Entre autres, l’agent de la citoyenneté a fait remarquer que Mme Nasim a affirmé avoir été employée aux restaurants Subway et Pizza Pizza au cours de la période en cause, mais qu’elle n’a pas fourni de lettres d’emploi de ses employeurs et que, sur les formulaires d’impôt T‑4 qu’elle avait fournis, ses employeurs étaient différentes sociétés à dénomination numérique. Il a également fait remarquer que les relevés bancaires et de cartes de crédits fournis par Mme Nasim étaient incomplets. Certains renseignements versés au dossier donnaient par ailleurs à penser que Mme Nasim avait résidé aux États‑Unis et que son statut d’immigrante dans ce pays n’était pas clair. C’est pourquoi la demande de Mme Nasim a été confiée à un juge de la citoyenneté.

[5]               Après avoir interrogé Mme Nasim, le juge de la citoyenneté a approuvé sa demande de citoyenneté. La décision du juge est exprimée brièvement et son analyse consiste en les deux paragraphes suivants :

[traduction]

[9]        La déclaration de la demanderesse concernant sa présence physique au Canada durant 1 192 jours est confirmée par son passeport et par le rapport du SIED et elle ne peut être contestée d’après la documentation disponible. Après un long interrogatoire approfondi durant l’audience, je peux conclure que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse remplit les exigences de la Loi sur la citoyenneté en matière de résidence.

[10]      Compte tenu de ce qui précède et eu égard au critère relatif à la résidence énoncé par le juge Muldoon dans la décision Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse a démontré qu’elle a résidé au Canada durant le nombre de jours qu’elle affirme y avoir résidé et qu’elle remplit donc les exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[6]               J’estime que ces motifs sont insuffisants.

II.                Analyse

[7]               Il est vrai que le caractère suffisant des motifs n’est plus un fondement « autonome » de contrôle judiciaire : voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 12, [2011] 3 R.C.S. 708. Cela dit, la directive énoncée dans l’arrêt Newfoundland Nurses selon laquelle les tribunaux doivent faire preuve d’une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » ne confère pas le « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’[ils] juge[nt] déraisonnable [leur] propre justification du résultat » : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 54, [2011] 3 R.C.S. 654.

[8]               De fait, comme l’a fait remarquer le juge Rennie dans la décision Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, [2013] A.C.F. no 449, l’arrêt Newfoundland Nurses « ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. »

[9]               Quoi qu’il en soit, les motifs fournis par un juge de la citoyenneté doivent permettre à la cour de révision de comprendre pourquoi celui‑ci a pris telle ou telle décision. Ils doivent également permettre à la Cour de déterminer si la conclusion du juge appartient « aux issues possibles acceptables », comme le prévoit l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190.

[10]           En l’espèce, Mme Nasim et son mari ont déposé des déclarations d’impôt sur le revenu provenant des États‑Unis pour les années comprises dans la période examinée, lesquelles indiquaient une adresse aux États‑Unis pour le couple. Des renseignements indiquaient également que Mme Nasim possédait une « carte verte » américaine lui conférant la résidence permanente aux États‑Unis. Ces renseignements donnent à penser que Mme Nasim résidait peut‑être aux États‑Unis durant la période en question.

[11]           Le juge de la citoyenneté a indiqué dans ses motifs qu’il avait soumis Mme Nasim à un [traduction] « long interrogatoire approfondi », à la suite duquel il était convaincu qu’elle répondait au critère relatif à la présence physique énoncé dans la décision Re Pourghasemi. Il se peut bien que Mme Nasim ait fourni au juge de la citoyenneté d’autres renseignements concernant ses allées et venues au cours de la période examinée qui étaient suffisants pour lever les doutes à cet égard. Malheureusement, nous n’avons aucun moyen de le savoir puisque le juge de la citoyenneté n’en fait aucune mention dans ses motifs, qu’il n’existe pas de transcription ni de notes de ce qui a été dit et que Mme Nasim n’a pas fourni d’affidavit expliquant ce qui a été discuté avec le juge de la citoyenneté durant son interrogatoire.

[12]           Le juge de la citoyenneté a bien mentionné le fait que Mme Nasim possédait une carte verte au moment où elle avait demandé la citoyenneté canadienne, mais qu’elle y avait renoncé depuis. Nous n’avons cependant aucun moyen de savoir, à la lecture des motifs du juge, quand cela s’est produit ni en quoi, d’après lui, cela modifiait le calcul de la durée de résidence.

[13]           On constate des incohérences semblables dans les éléments de preuve fournis par Mme Nasim au sujet de ses antécédents d’emploi au Canada. Les formulaires d’impôt T‑4 qu’elle a fournis ne correspondaient pas aux périodes d’emploi qu’elle avait déclarées dans son questionnaire sur la résidence, et un relevé d’emploi qu’elle avait présenté indiquait qu’elle avait cessé de travailler dans un restaurant Subway en 2007, alors que, dans le questionnaire sur la résidence, elle a indiqué qu’elle travaillait toujours pour Subway en 2011.

[14]           Là encore, il se peut que Mme Nasim ait clarifié la situation au cours de son interrogatoire, mais comme le juge de la citoyenneté n’en dit rien dans ses motifs, je n’ai aucun moyen de savoir si c’est effectivement le cas et je ne suis pas non plus en mesure de déterminer si l’évaluation que le juge a faite des explications de Mme Nasim était raisonnable.

[15]           En l’espèce, les motifs fournis par le juge de la citoyenneté ne permettent pas à la Cour de comprendre comment il est parvenu à la conclusion que Mme Nasim remplissait les conditions prévues par la Loi sur la citoyenneté en matière de résidence. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de déterminer si cette décision est raisonnable : voir D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, 459 N.R. 167.

[16]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que la cause renvoie à des faits particuliers et ne soulève aucune question à certifier.

III.             Mesure de réparation

[17]           Les modifications récemment apportées à la Loi ont un effet sur la mesure de réparation qu’il convient d’accorder dans un cas comme celui qui nous occupe : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vijayan, 2015 CF 289, aux paragraphes 90 à 95, [2015] A.C.F. no 263. J’ordonne donc que l’affaire soit renvoyée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen. Le ministre déterminera si Mme Nasim remplit les exigences de la Loi en matière de résidence. S’il est convaincu que c’est le cas, il lui accordera la citoyenneté. S’il n’en est pas convaincu, il renverra encore une fois l’affaire à un juge de la citoyenneté pour qu’il rende une décision.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire sera renvoyée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen. Conformément à ces motifs, le ministre accordera la citoyenneté à Mme Nasim ou renverra l’affaire à un juge de la citoyenneté pour qu’il rende une décision.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑455‑15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c TABUSSUM NASIM

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NOVEMBRE 2015

 

juGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Mme Nadine Silverman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Tabussum Nasim

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

[EN BLANC]

POUR LA DÉFENDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

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