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Date : 20151209


Dossier : IMM-656-15

Référence : 2015 CF 1365

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

CORDILIA GIFT MOMODU

IKECHUKWU BASSEY (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Gift Momodu (la demanderesse principale) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR ou la Loi), à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) confirmant la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Contexte

[3]               Les demandeurs sont originaires du Nigeria. La demanderesse principale allègue qu’elle craint de retourner au Nigeria parce qu’une femme appelée Mercy John (MJ) l’a soumise à la traite à des fins de prostitution en Italie et, à son retour au Nigeria, a menacé de la tuer, ainsi que son enfant, et de faire du mal à sa famille si elle ne redonnait pas les produits de la prostitution. La demanderesse principale affirme que les « fiers-à-bras » de MJ au Nigeria la trouveraient si elle y retournait.

[4]               Les demandes d’asile des demandeurs ont été rejetées par la SPR, qui a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (une PRI) viable pour les demandeurs à Port Harcourt, grande ville du Nigeria. Aucune preuve nouvelle n’a été soumise à l’appui des appels. La conclusion de la SPR a été confirmée par la SAR.

II.                Question en litige

[5]               La seule question soulevée dans le cadre de la présente demande est celle de savoir si la SAR a commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve au dossier appuyant la conclusion selon laquelle il n’existait aucune PRI raisonnable pour les demandeurs.

III.             Norme de contrôle

[6]               Il est admis que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable et que le critère juridique pour évaluer une PRI repose sur une analyse en deux volets exposée dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 : la première exigence est le droit de ne pas être soumis à la persécution et, la deuxième, le caractère raisonnable du refuge. Il appartient à la demanderesse principale d’« apporter la preuve réelle et concrète des conditions qui pourraient mettre sa vie en danger » (Amit c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 381, par. 3).

IV.             Analyse

[7]               Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve essentiels au dossier appuyant la conclusion selon laquelle il n’existait aucune PRI raisonnable pour eux. Le défendeur soutient que les demandeurs prient essentiellement la Cour de réévaluer la preuve.

A.                Droit de ne pas être soumis à la persécution

[8]               La SAR a conclu que la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle les fiers-à-bras de MJ pourraient retrouver les demandeurs à Port Harcourt. En réponse aux questions de la SPR, la demanderesse principale a témoigné que lorsqu’elle se trouvait à Delta, avant son départ pour le Canada, les fiers-à-bras ne l’ont pas retrouvée. Dans son témoignage, elle a mentionné que la fois où les fiers-à-bras l’ont retrouvée à Lagos, c’était parce qu’elle avait été vue par un proche de MJ alors qu’elle allait présenter son bébé à ses parents à Uromi. La SAR a signalé qu’une plus grande prudence dans le maintien de relations avec ses parents permettrait d’éviter que ses déplacements soient divulgués par inadvertance.

[9]               La conclusion de la SPR et de la SAR selon laquelle cette preuve ne donne pas à penser que les fiers-à-bras de MJ pourraient retrouver les demandeurs à Port Harcourt est raisonnable.

[10]           Les demandeurs ont soutenu que la SPR a commis une erreur en concluant que la preuve objective démontrait que le gouvernement du Nigeria prend au sérieux la traite des personnes. Cette conclusion faisait suite au témoignage de la demanderesse principale selon lequel elle pensait qu’elle ne pourrait obtenir la protection de la police à Port Harcourt en raison de ses expériences à Lagos. La SPR a fait remarquer que la demanderesse principale n’a pas porté plainte auprès des autorités relativement à ses expériences à Lagos.

[11]           Les demandeurs soutiennent que la SPR s’est fondée de façon sélective sur le rapport de 2014 du département d’État des États-Unis (le DÉÉU) sur la traite des personnes (le rapport de 2014 du DÉÉU). Ils ont cité des extraits du rapport selon lesquels le [traduction] « gouvernement n’a pas démontré suffisamment de progrès en ce qui a trait aux mesures d’application de la loi relatives à la lutte contre la traite des personnes » qui ont été ignorés. [Non souligné dans l’original.]

[12]           Le passage cité par les demandeurs dans leur mémoire (rédigé par un avocat différent de celui présent à l’audience) ne semble pas correspondre aux conclusions du rapport de 2014 du DÉÉU, qui énonce ce qui suit :

[traduction]

Le gouvernement du Nigeria ne se conforme pas entièrement aux normes minimales en vue de l’élimination de la traite des personnes; toutefois, il fait des efforts importants pour y arriver. Au cours de la période visée par le rapport, le gouvernement a intensifié les mesures d’application de la loi visant à lutter contre la traite des personnes en augmentant le nombre d’enquêtes, de poursuites et de déclarations de culpabilité en matière de traite de personnes et en fournissant une formation spécialisée approfondie sur la lutte contre la traite des personnes à des représentants de différents ministères et organismes gouvernementaux. L’organisme National Agency for the Prohibition of Trafficking in Persons and Other Related Matters (NAPTIP) a accru ses mesures de protection en mettant au point un mécanisme de renvoi officiel pour la protection des victimes, en augmentant la capacité de ses refuges de même qu’en identifiant les victimes et en fournissant des services à un grand nombre de celles-ci. Malgré ces efforts, le gouvernement n’a pas encore adopté de projet de loi qui aurait pour effet de limiter la capacité des juges d’infliger des amendes plutôt que des peines d’emprisonnement au moment de la détermination de la peine et, à part le fait d’avoir reçu de la formation de l’organisme NAPTIP, le ministre du travail n’a pas pris de nouvelles mesures pour lutter contre la traite de la main-d’œuvre au cours de la période visée par le rapport. De plus, malgré le nombre croissant de victimes nigériennes de la traite des personnes identifiées à l’étranger, le gouvernement n’a pas encore mis en œuvre des procédures officielles pour le retour et la réintégration de celles-ci.

[Non souligné dans l’original.]

[13]           Le rapport de 2014 du DÉÉU contenait d’autres éléments de preuve de mesures visant à mettre en œuvre des lois suffisantes pour démontrer que le Nigeria prend au sérieux la traite des personnes et donnerait suite à une plainte des demandeurs. De toute façon, je ne vois pas en quoi cette preuve est pertinente pour ce qui est de la question de la PRI, qui est fondée sur la capacité de la demanderesse principale de ne pas être retrouvée par les fiers-à-bras de MJ à Port Harcourt.

[14]           Je suis d’avis que la conclusion de la SAR est raisonnable étant donné que les demandeurs n’ont pas démontré au moyen d’éléments de preuve réels et concrets qu’il est plus que probable qu’on les retrouvera s’ils déménagent à Port Harcourt.

B.                 Le caractère raisonnable de la PRI

[15]           Pour ce qui est du caractère raisonnable du fait que les demandeurs vivraient à Port Harcourt, la demanderesse principale a déclaré précisément dans son témoignage devant la SPR qu’elle serait en mesure de vivre à Port Harcourt si elle ne risquait pas d’être retrouvée par MJ. La SPR a estimé que ce témoignage était important en concluant qu’il n’est pas objectivement déraisonnable pour les demandeurs de chercher refuge à Port Harcourt.

[16]           En réponse aux questions complémentaires posées par son avocat, la demanderesse principale a témoigné qu’elle ne parlait pas la langue utilisée à Port Harcourt, qu’elle n’y avait pas de famille, qu’elle ne connaissait personne y vivant et qu’elle n’aurait pas d’emploi.

[17]           Les demandeurs ont également fait référence à des rapports indiquant que les femmes qui déménagent dans une autre région du Nigeria sans moyens économiques ou réseaux familiaux étaient vulnérables à la violence, au harcèlement et à la traite des personnes. En particulier, on y décrivait en détail certains des facteurs qui représentent des contraintes pour les femmes qui envisagent de déménager au Nigeria. Parmi ceux-ci, mentionnons l’ignorance de la part des femmes elles-mêmes, leur niveau d’autonomie, le manque de logement, les possibilités d’emploi et la pauvreté.

[18]           La SAR a adopté la conclusion de la SPR selon laquelle la preuve ne justifiait pas de conclure que la demanderesse principale présentait les caractéristiques d’une femme déplacée à risque. Elle a souligné que la demanderesse principale s’est avérée être une femme débrouillarde ayant voyagé seule aux États-Unis et au Canada, en plus d’avoir vécu en Italie. Sa ville natale se trouve à environ une heure de Port Harcourt. La SPR a également signalé qu’elle a de l’expérience dans le soin des enfants et qu’elle a travaillé comme colportrice, emploi qu’elle pourrait occuper à Port Harcourt.

[19]           Je ne souscris pas non plus aux observations des demandeurs selon lesquelles la SPR et la SAR n’ont pas fait preuve de vigilance dans l’application des directives concernant la persécution fondée sur le sexe lors de l’examen de ces demandes. Les directives ne sont pas des éléments de preuve et ne sauraient pallier des carences ou des déficiences dans la preuve. Les deux sections ont conclu que la situation de la demanderesse principale ne correspondait pas au profil décrit dans la preuve objective relative à la situation dans le pays, de sorte qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de vivre en sécurité à Port Harcourt.

[20]           Je conclus également que les décisions sur lesquelles les demandeurs se sont fondés en ce qui a trait à l’omission d’appliquer les directives concernant la persécution fondée sur le sexe diffèrent. Dans la décision Idrees c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1194, même s’il était question du second volet du critère relatif à la PRI, la Cour a conclu que la Commission avait omis de prendre en considération la violence ethnique en ce qui a trait à la PRI. Aucune question semblable n’a été soulevée en l’espèce. Cette question semble être plus pertinente au regard du premier volet du critère.

[21]           De même, la décision rendue dans l’affaire Utoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 399, est différente. Le juge Rennie a conclu avec justesse que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle a fait référence à la capacité de la demanderesse d’établir un nouveau foyer au Canada comme preuve de sa capacité de s’adapter. La façon dont une personne s’intègre à la société canadienne a peu à voir avec le déménagement dans le pays d’origine de l’étranger. La capacité d’adaptation de la demanderesse principale en l’espèce a trait à sa capacité de veiller à sa propre sécurité et de voyager seule à l’étranger, de même qu’à ses expériences en matière de soin des enfants et d’emploi.

[22]           Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la SAR appartient aux issues raisonnables et acceptables et qu’elle est justifiée, transparente et intelligible en fonction des faits et du droit.

V.                Conclusion

[23]           La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu, B.A. trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-656-15

 

INTITULÉ :

CORDILIA GIFT MOMODU ET IKECHUKWU BASSEY (MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NOVEMBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Crighton

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnson Babalola

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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