Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160104


Dossier : T‑259‑15

Référence : 2016 CF 2

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JOSEPH SOHMER

demandeur

et

LE SYNDICAT UNIFOR ET BELL CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire du refus de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] de statuer sur les plaintes distinctes déposées par Joseph Sohmer [le demandeur] contre Bell Canada [Bell] et Le Syndicat Unifor [Unifor] (les défendeurs), au motif que les plaintes sont vexatoires au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Canadian Human Rights Act, LRC 1985, c H‑6 [la Loi].

[2]               Le demandeur, qui se représente seul dans la présente instance, sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant à la Commission de statuer sur les plaintes qu’il a déposées, ainsi qu’une ordonnance portant qu’il soit réintégré dans son poste et qu’il soit dédommagé pour la perte d’avantages et de revenu. Les défendeurs contestent la présente demande. La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de la Commission de ne pas statuer sur les plaintes du demandeur est raisonnable.

[3]               Les faits pertinents ne sont pas véritablement contestés et peuvent être résumés comme suit.

[4]               Le 23 septembre 2013, Bell a signifié un avis de négociation à Unifor ainsi que sa décision de mettre fin à son service de téléphonistes. Le 29 octobre 2013, Bell a informé Unifor de sa décision de fermer le service le 31 décembre 2013.

[5]               Le 28 novembre 2013, Unifor a tenu une assemblée générale avec ses membres pour traiter toutes les questions concernant les négociations avec Bell relatives à la fermeture de son service de téléphonistes.

[6]               Le 3 décembre 2013, Bell et Unifor ont signé le Protocole d’entente entre Bell Canada et Unifor, représentant les employés du service de téléphonistes (Memorandum of Agreement between Bell Canada and Unifor Representing the Employees of the Telephone Operator Service) [le protocole d’entente], qui prévoit que les parties ont accepté de reporter la fermeture complète de service de téléphonistes au 31 décembre 2016, pour [traduction] « permettre à un plus grand nombre d’employés de quitter la société lorsqu’ils sont admissibles à la retraite ». Le protocole d’entente comprenait une disposition précisant que les employés qui étaient admissibles à la retraite le 31 décembre 2013 ou avant cette date devaient prendre leur retraite et obtenir une allocation de cessation d’emploi sous forme de paiement forfaitaire. Pour obtenir le paiement forfaitaire, les employés devaient signer une renonciation dans laquelle ils convenaient de ne pas intenter des poursuites contre Bell.

[7]               Le 19 décembre 2013, le demandeur a déposé à la Commission des plaintes distinctes contre Bell et Unifor, dans lesquelles il alléguait que Bell avait adopté une politique discriminatoire et avait mis fin à son emploi en raison de son âge, ce qui constituait un motif de distinction illicite et contrevenait aux articles 7 et 10 de la Loi, alors que Unifor l’avait traité de manière différente et préjudiciable et avait commis des actes discriminatoires fondés également sur son âge, ce qui contrevenait aux articles 9 et 10 de la Loi. Lorsque les événements pertinents se sont produits, le demandeur était à l’emploi de Bell depuis 39 ans et travaillait au sein du service de téléphonistes depuis 1999.

[8]               Le 20 décembre 2013, le demandeur a signé le formulaire de renonciation, acceptant l’offre de Bell relative à l’allocation de cessation d’emploi. Cette offre comprenait le versement d’une allocation de cessation d’emploi de 12 mois en contrepartie de la retraite volontaire du demandeur au 31 décembre 2013, ainsi qu’une renonciation complète et définitive en faveur de Bell à l’égard de toute plainte ou de tout droit de porter plainte au titre de la Loi, relativement à son emploi ou à la cessation de son emploi.

[9]               Le 31 décembre 2013, le demandeur a pris sa retraite. De 2014 à 2015, Bell a respecté son offre relative à l’allocation de cessation d’emploi en lui versant ladite allocation.

[10]           Le 17 octobre 2014, la Commission a envoyé aux parties les rapports fondés sur les articles 40 et 41 et a invité celles‑ci à présenter des observations en réponse aux conclusions de ces rapports, observations que les parties ont déposées entre octobre 2014 et décembre 2014.

[11]           Le 21 janvier 2015, la Commission a conclu que les plaintes présentées par le demandeur étaient vexatoires et a refusé de statuer sur celles‑ci, conformément à l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Les parties en ont été informées le 5 février 2015. Les décisions de la Commission reposaient toutes deux sur les rapports fondés sur les articles 40 et 41 rédigés par la Division des services de règlement qui avait recommandé que la Commission ne statue pas sur les plaintes du demandeur en raison de leur caractère vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

[12]           Le demandeur réaffirme qu’il a été congédié illégalement et obligé de prendre sa retraite. Il estime que le protocole d’entente entre Bell et Unifor n’est pas valide et qu’il constituait la raison pour laquelle il avait dû prendre sa retraite. Selon le demandeur, Unifor a porté atteinte à son droit de déposer un grief concernant la suspension de la modalité prévue dans la convention collective voulant que la mise en disponibilité soit effectuée par ordre inverse d’ancienneté. En outre, certaines modalités dont faisait état l’offre relative à l’allocation de cessation d’emploi ont été modifiées unilatéralement sans que les parties concernées en prennent d’abord connaissance, alors que Unifor n’a pas représenté adéquatement les droits du demandeur durant les négociations avec Bell. Le demandeur ajoute qu’il n’a pas quitté volontairement son emploi chez Bell et que la renonciation qu’il avait signée le 20 décembre 2013 n’est pas valide, notamment en raison de la pression exercée, le 19 décembre 2013, sur les employés admissibles qui refusaient de prendre leur retraite. Il était donc déraisonnable pour la Commission de refuser de statuer sur ses plaintes. Lors de l’audience relative à la présente demande, le demandeur a aussi indiqué ne pas avoir réussi à démontrer à la Commission qu’il avait fait l’objet d’intimidation, ni à présenter de preuve documentaire à cet égard (par exemple, le courriel de Steve Desgagnés du 19 décembre 2013).

[13]           Bell soutient que la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte du demandeur est raisonnable et que les faits allégués n’étaient pas étayés par la preuve. La décision de la Commission reposait sur les éléments de preuve, notamment le rapport fondé sur les articles 40 et 41 et les observations additionnelles du demandeur et du défendeur. Dans le rapport fondé sur les articles 40 et 41, la Commission a pris en compte les facteurs pertinents et a tiré des conclusions à la lumière de la preuve et des faits dont elle disposait.

[14]           Unifor soutient également que la décision de la Commission est raisonnable et que cette dernière a correctement établi les facteurs pertinents, qui ont été appliqués aux faits dont elle disposait. À titre subsidiaire, Unifor affirme que, si la demande est tranchée en faveur du demandeur, il ne saurait être tenu de dédommager le demandeur pour la perte de revenu et d’avantages sociaux (Progistix‑Solutions inc c Commission des normes du travail, 2009 QCCA 2054; Commission des normes du travail c Ville de Sherbrooke, 2011 QCCA 325).

[15]           La présente demande doit être rejetée. Il semble que le demandeur ne saisit pas bien la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire des décisions de la Commission de ne pas statuer sur ses plaintes en raison de leur caractère vexatoire. Je crois comprendre que la preuve du demandeur repose essentiellement sur sa prétention voulant qu’il ait été obligé de prendre sa retraite, et que la Commission ait donc mal interprété les faits en concluant que son départ à la retraite était volontaire. Or, il convient également de mentionner la distinction fondamentale entre le Tribunal canadien des droits de la personne, à titre d’organisme décisionnel, et la Commission, qui fait office d’organisme d’examen préalable.

[16]           Les décisions de la Commission sont raisonnables. Les motifs fournis sont transparents et intelligibles. Quant à son refus de statuer sur les plaintes du demandeur, la Commission a tenu dûment compte des éléments suivants :

         un règlement a été négocié;

         le demandeur a signé une renonciation au regard des questions formulées dans la plainte déposée auprès de la Commission;

         le demandeur a bénéficié des services et des conseils juridiques d’un représentant syndical;

         la preuve relative à la capacité du demandeur de comprendre l’incidence de la renonciation sur ses droits;

         le demandeur a consenti de son plein gré à la négociation du règlement et à la signature de la renonciation.

[17]           Plus particulièrement, en ce qui concerne la conduite de Bell, la Commission a conclu qu’un règlement a été négocié et qu’en contrepartie d’une allocation de cessation d’emploi de 12 mois, le demandeur a signé une renonciation concernant toute question relative aux droits de la personne, notamment au regard de l’âge. La Commission a également conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui des prétentions du demandeur selon lesquelles il était confus, il avait mal compris les modalités de la renonciation, ou il avait fait l’objet d’intimidation ou de pressions et il éprouvait de l’anxiété, ce qui invalidait son consentement. La Commission a fait remarquer que les modalités de la renonciation étaient clairement énoncées et que le demandeur avait reçu un avis juridique indépendant avant de signer la renonciation. En ce qui concerne la mauvaise fois, la Commission a conclu que rien dans la preuve n’indiquait que le demandeur avait agi de mauvaise foi lorsqu’il a déposé ses plaintes.

[18]           En ce qui concerne la conduite de Unifor, la Commission a estimé que ce dernier n’était pas partie à la renonciation signée par le demandeur et que la plainte à son égard pourrait encore être considérée comme vexatoire si les questions relatives aux droits de la personne soulevées étaient tranchées dans une autre instance. La Commission a ajouté que le règlement conclu avec Bell avait pour effet de régler les questions relatives aux droits de la personne que le demandeur soulevait et que la plainte contre Unifor était donc vexatoire. Par ailleurs, la Commission a conclu, tout comme dans le rapport concernant Bell, qu’aucun élément de preuve n’étayait la prétention du demandeur portant sur l’invalidité de son consentement au moment où il avait signé la renonciation.

[19]           De plus, la preuve au dossier n’étaye pas l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été obligé de prendre sa retraite. Le demandeur n’a fourni à la Commission aucune preuve corroborante à l’appui de sa prétention. La Commission disposait du courriel du 19 décembre 2013, mais il ne s’agissait pas d’un élément déterminant en soi. Compte tenu de la preuve au dossier, rien n’indique que le demandeur n’a pas signé la renonciation de son plein gré ou qu’il n’a pas bien compris les modalités de l’offre relative à l’allocation de cessation d’emploi. Pour ce qui est des autres observations du demandeur, ces questions excèdent la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire. Les faits de l’espèce sont semblables à ceux de l’affaire O’Grady c Bell Canada, 2012 CF 1448, où il a été souligné qu’il n’appartient pas à la Cour de trancher des questions relatives aux négociations avec l’employeur du demandeur, et à la reprise du versement des prestations d’invalidité de longue durée et d’autres indemnités (O’Grady, aux par. 5 et 6). Par conséquent, la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la légalité du protocole d’entente, sur le droit du demandeur de déposer un grief en vertu de la convention collective, sur la question de savoir si les modalités de l’offre relative à l’allocation de cessation d’emploi ont été modifiées unilatéralement et si Unifor a représenté adéquatement le demandeur lors des négociations avec Bell. Je tiens à ajouter que le demandeur a volontairement choisi de ne pas déposer de grief, et que, de toute façon, il n’a pas présenté une plainte de représentation injuste contre son agent négociateur – question qui relève de la compétence du Conseil canadien des relations industrielles et non de la Commission canadienne des droits de la personne.

[20]           En conclusion, la décision de la Commission est raisonnable. Le raisonnement adopté est bien fondé et repose sur la preuve au dossier. La Commission a énoncé tous les facteurs pertinents applicables à une décision fondée sur l’alinéa 41(1)d) de la Loi et a respecté ses lignes directrices en évaluant la preuve au regard des facteurs pertinents. Compte tenu de la preuve dont elle était saisie, la Commission est arrivée à une conclusion qui appartient aux issues possibles acceptables. Enfin, je rejette toute allégation du demandeur portant que l’enquête menée par la Commission était inéquitable, qu’il n’a pas eu la possibilité de présenter des éléments de preuve, ou que la Commission a autrement porté atteinte aux règles de justice naturelle.

[21]           Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est rejetée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑259‑15

 

INTITULÉ :

JOSEPH SOHMER c LE SYNDICAT UNIFOR ET BELL CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉCEMBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JANVIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Joseph Sohmer

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Maxime Lazure‑Bérubé

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE SYNDICAT UNIFOR

Me Yan Bissonneault

 

POUR LA DÉFENDERESSE

BELL CANADA

AVOCATS INSCRITS AUDOSSIER :

Joseph Sohmer

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Unifor

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE SYNDICAT UNIFOR

 

Bell Canada

Services juridiques

Verdun (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

BELL CANADA

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.