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Date : 20160108


Dossier : IMM-818-15

Référence : 2016 CF 15

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

XUEQI LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               M. Xueqi Li est un citoyen chinois. Il a demandé l’asile au Canada en alléguant sa foi catholique et son appartenance à une « maison église clandestine ». La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Li n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi. M. Li a présenté, en vertu de l’article 72 de la Loi, une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la SPR a inclus de nombreux « extraits stéréotypés » ne correspondant pas à la situation personnelle de M. Li dans sa décision. La SPR a aussi procédé à des formes d’analyse qui avaient précédemment été discréditées par la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.                Le contexte

[3]               M. Li a 22 ans et il était anciennement un résident de la province du Guangdong en Chine. Sa demande d’asile était similaire à celles présentées par nombre d’autres ressortissants chinois qui demandent l’asile au Canada.

[4]               En juillet 2010, M. Li a commencé à fréquenter une église catholique clandestine pour l’aider à régler un problème personnel débilitant – dans son cas, il s’agissait d’une dépendance aux jeux en ligne. Le 8 mai 2011, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente à l’église. M. Li a réussi à se sauver et il s’est alors caché.

[5]               À compter de mai 2011, le BSP a régulièrement effectué des visites à la maison de M. Li et il a laissé une citation à comparaître. M. Li a décidé de fuir la Chine avec l’aide d’un passeur. Le 9 septembre 2011, M. Li est arrivé au Canada par les États‑Unis. Il a présenté sa demande d’asile le 13 septembre 2011.

III.             La décision de la SPR

[6]               À l’instar de la demande d’asile présentée par M. Li, les motifs pour lesquels la SPR a rejeté la demande étaient similaires à ceux donnés dans de nombreuses autres décisions de la SPR se rapportant aux demandeurs d’asile provenant de la Chine.

[7]               La SPR a accepté l’identité catholique de M. Li, mais elle n’a pas souscrit au fait qu’il était recherché par le BSP. La SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le BSP ne délivre pas un mandat d’arrestation après s’être rendu à son domicile à plus de dix reprises. La SPR a aussi fait mention du témoignage de M. Li selon lequel les membres de sa famille vivaient en sécurité en Chine et qu’ils pouvaient effectuer la plupart de leurs activités quotidiennes régulières. La SPR a conclu que l’inactivité du BSP était incompatible avec la croyance conventionnelle selon laquelle il s’agit d’une « force policière impitoyable et redoutable », et qu’il était raisonnable de tenir pour acquis que les agents du BSP seraient devenus « plus insistants afin d’amener ses parents » à convaincre M. Li de se rendre. La SPR a conclu que la documentation produite par M. Li à l’appui de sa demande d’asile était vraisemblablement frauduleuse. De plus, elle a conclu qu’il était invraisemblable que M. Li ait pu quitter la Chine au moyen de son propre passeport sans être repéré par les autorités.

[8]               Malgré ses inférences défavorables en matière de crédibilité, la SPR s’est aussi penchée sur la crainte objective de M. Li d’être persécuté dans l’éventualité où il devait retourner en Chine. La SPR a conclu qu’il pourrait continuer à observer les rites de la religion catholique dans la province du Guangdong. Selon la documentation sur la situation dans le pays, la province du Guangdong a l’une des politiques les plus libérales en matière de liberté de religion de tout le pays.

IV.             Les questions en litige

[9]               M. Li a soulevé plusieurs questions en litige à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Deux de ces questions sont déterminantes, et elles sont étroitement liées. La SPR a‑t‑elle appliqué à tort une analyse constituée « d’extraits stéréotypés » dans son examen de la demande d’asile de M. Li, sans tenir compte de la situation personnelle de ce dernier, et la SPR a‑t‑elle procédé à des formes d’analyse qui avaient précédemment été discréditées par la Cour?

V.                Analyse

[10]           L’avocat de M. Li a pu démontrer que l’analyse effectuée par la SPR relativement à la prétendue tendance du BSP à devenir de plus en plus frustrée et agressive à la suite de tentatives vaines de retracer une personne d’intérêt avait été reprise dans au moins sept autres décisions de la SPR. Une inférence défavorable, exprimée exactement dans les mêmes termes, est inférée de l’incapacité du BSP de délivrer un mandat d’arrêt dans au moins treize autres décisions de la SPR. D’autres parties de la décision contestée ont été employées mot pour mot dans nombre d’autres décisions de la SPR. Ces exemples découlaient d’une recherche des banques de données accessibles au public. L’usage d’extraits stéréotypés dans les décisions de la SPR est vraisemblablement plus répandu.

[11]           Une bonne partie de l’analyse constituée d’extraits stéréotypés qui est employée dans la décision de la SPR en l’espèce se trouve dans d’autres décisions portant sur des demandeurs d’asile affirmant qu’ils craignaient d’être persécutés en raison de leur observance du Falun Gong. M. Li allègue être catholique. Bien que les catholiques puissent aussi faire l’objet de persécution en Chine, la nature de cette persécution et l’ampleur de celle‑ci sont différentes.

[12]           M. Li invoque la décision rendue par la Cour dans l’affaire Velasquez Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1009, au paragraphe 19, à l’appui de la thèse portant que ce « genre de formule type » va à l’encontre de l’objectif de fournir des motifs, puisqu’elle « obscurcit plutôt que ne révèle » la justification de la décision.

[13]           L’emploi d’« extraits stéréotypés » par la SPR ne rend pas automatiquement sa décision déraisonnable. Comme l’a énoncé la juge Snider, « [s]i on suppose que les « extraits stéréotypés » sont basés sur la preuve documentaire et qu’ils traitent de la preuve et de la position particulière du demandeur, la reprise par la Commission de certains extraits d’autres décisions n’est pas en soi une erreur » (Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309, au paragraphe 24).

[14]           Cependant, les extraits stéréotypés employés par la SPR en l’espèce ne tenaient pas compte des renseignements contenus dans les réponses aux demandes d’information (RDI) sur lesquelles se fondent toutes les parties dans les instances devant la SPR. Par exemple, l’exemple de l’assignation, que l’on retrouve dans la RDI datée du 6 juillet 2010 (dossier certifié du tribunal (DCT), à la p. 107; cartable national de documentation (CND) de la Chine, 31 octobre 2014, CHN103401.EF, RDI, objet 9.3) ne contient pas de caractéristiques de sécurité du type de celles décrites au paragraphe 23 de la décision de la SPR, ce qui soulève la question de savoir si la SPR a examiné le document produit par M. Li à l’appui de sa demande d’asile. La version traduite de l’assignation visant M. Li renvoie inexplicablement au Falun Gong, plutôt qu’au catholicisme, mais la SPR ne fait jamais mention de cet écart apparent dans sa décision.

[15]           Dans la décision Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 749, une affaire qui se rapportait à un prétendu pratiquant du Falun Gong plutôt qu’à un catholique, le juge Russell a mentionné ce qui suit à propos des conjectures à laquelle se livre la SPR au sujet du comportement probable du BSP :

[53] […] la conclusion de la Commission selon laquelle « il est raisonnable de croire que les membres de sa famille auraient fait l’objet de représailles quelconques » ne concorde pas avec la preuve. La demanderesse a parlé des visites répétées des agents du BSP chez elle. Les documents sur la situation dans le pays font état d’un certain nombre de traitements réservés aux membres de la famille qui vont du harcèlement, à des visites aléatoires de la police chez eux, à des détentions arbitraires, et à des pertes d’emploi et de l’aide de l’État, à des arrestations des membres de la famille. Il n’y a pas de preuve à l’appui de l’affirmation de la Commission selon laquelle, de façon raisonnable, les agents du BSP auraient fait quoi que ce soit de plus que ce que la demanderesse dit qu’ils ont fait. Encore une fois, la Commission se fonde sur sa propre opinion.

[54] Il s’agit là de conclusions quant à la vraisemblance et, comme la Cour l’a souligné de nombreuses fois, de telles conclusions sont fondamentalement dangereuses et ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents : voir Valtchev, précitée, aux paragraphes 6 à 8; Giron, précitée; Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 774, 81 FTR 303 (TD), au paragraphe 15; Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526, au paragraphe 16; Ansar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1152, au paragraphe 17; Jung v Canada (Citizenship and Immigration), 2014 CF 275, au paragraphe 74. Sur la foi des faits de l’espèce, de telles conclusions étaient déraisonnables.

[16]           De plus, les rapports récents concernant la situation dans le pays font état du fait que peu de gens se conforment aux assignations et que la délivrance de mandats d’arrêt est peu fréquente (RDI datée du 6 juillet 2010, DCT, à la p. 106, CND de la Chine, 31 octobre 2014, CHN103401.EF, objet 9.3). Toutefois, la SPR, comme elle l’avait fait antérieurement, s’est fondée sur l’absence d’un mandat d’arrêt pour contester la crédibilité de M. Li.

[17]           Les motifs donnés par la SPR pour rejeter les documents produits par M. Li en vue de corroborer son récit ont aussi été critiqués par la Cour. Il est bien établi que la possibilité d’obtenir des documents frauduleux en Chine ne constitue pas un motif suffisant pour douter de l’authenticité de tous les documents qui proviennent de ce pays (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, au paragraphe 53). Une fois de plus, la décision de la SPR en l’espèce répète une analyse qui a été discréditée.

[18]           Cela suffit pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire. La demande d’asile de M. Li doit être renvoyée à la SPR pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

[19]           J’éprouve une sympathie considérable envers les commissaires de la SPR qui, lorsqu’ils sont saisis de récits pratiquement identiques de demandeurs d’asile, fournissent des motifs pratiquement identiques à l’appui du rejet des demandes d’asile. On ne peut pas s’attendre des commissaires de la SPR à ce qu’ils « réinventent la roue » constamment. Mais si les commissaires de la SPR souhaitent s’en remettre à une analyse constituée d’« extraits stéréotypés », ils doivent alors tenir compte des situations personnelles propres à chaque demandeur d’asile. L’analyse doit être ajustée de manière à rendre compte de l’évolution des conditions dans le pays et de jurisprudence de la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la SPR pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué;

2.      Aucune question n’est certifiée pour les besoins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-818-15

 

INTITULÉ :

XUEQI LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NovembRe 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Lev Abramovitch

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEVINE ASSOCIATES

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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