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Date : 20160108


Dossier : IMM‑1049‑15

Référence : 2016 CF 25

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Québec (Québec), le 8 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SHAHLA KHAKPOUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Shahla Khakpour conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], contre la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté sa demande visant à obtenir la réouverture de son appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR, appel que la SAR avait auparavant refusé d’instruire pour défaut de mise en état.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que la présente demande doit être rejetée.

I.                   Le contexte

[3]               La demanderesse affirme être citoyenne et ressortissante de l’Iran. Selon ses dires, elle aurait été harcelée et détenue par les forces de sécurité iraniennes en raison de ses croyances religieuses, et, en juin 2013, elle aurait été détenue, agressée et sommée d’abjurer sa religion. Elle affirme en outre avoir quitté l’Iran en juillet 2013 sous le couvert de faux documents et avoir présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada.

A.                La décision de la SPR

[4]               La SPR a conclu que la demanderesse n’avait qualité ni de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger, les questions décisives étant celles de l’identité et de la crédibilité. La SPR a jugé que la demanderesse manquait de crédibilité à tel point que la totalité de sa preuve était viciée, de sorte qu’elle a rejeté la demande au motif qu’il n’existait aucun fondement crédible. La SPR a exprimé l’avis que la demanderesse avait peut-être été à un moment donné ressortissante iranienne, mais que les diverses pièces d’identité qu’elle avait produites étaient soit fausses, soit obtenues de manière frauduleuse. Elle a conclu que la demanderesse ne s’était pas trouvée en Iran dans un passé récent, notamment pendant la période au cours de laquelle la persécution alléguée aurait eu lieu, elle a reconnu, sur la foi d’une preuve génétique, que la demanderesse pouvait être la mère de deux témoins qui avaient comparu à l’audience.

[5]               La SPR, s’appuyant sur le paragraphe 32 de la décision du juge Michel Shore intitulée Diarra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 123, rappelle que dans le cas où le demandeur n’a pas établi son identité, une conclusion défavorable sur sa crédibilité en sera presque inévitablement tirée et pourra en soit sceller le sort de la demande. La SPR a ensuite entrepris une longue analyse de la crédibilité de la demanderesse, pour en tirer les conclusions suivantes au paragraphe 33 :

[TRADUCTION]

[33]      Les problèmes de crédibilité dans le témoignage de la demandeure d’asile sont d’une gravité telle que le tribunal ne peut croire un mot de ce qu’elle dit. Les pièces d’identité iraniennes qu’elle a produites portent des photographies datant de presque 20 ans. Elle n’a proposé aucune explication raisonnable du fait que toutes ses pièces d’identité iraniennes portent des photographies si anciennes. Le tribunal n’est pas tenu de déterminer ni de conjecturer la raison de cette considérable irrégularité. La demandeure a détruit sa crédibilité par son témoignage relatif à ces pièces. Elle n’est pas un témoin fiable. Elle a obtenu et utilisé trois faux passeports pour venir au Canada, se révélant ainsi capable de se procurer de faux documents. Ce fait, si l’on y ajoute la non‑crédibilité de son témoignage, amène le tribunal à conclure qu’elle a inventé, afin d’étayer sa demande d’asile, les persécutions dont elle prétend avoir été victime en 2013. Le tribunal estime qu’elle n’a pas été persécutée en Iran de la manière ni à l’époque alléguées.

B.                 Le rejet par la SAR de l’appel de la demanderesse

[6]               La demanderesse a présenté à la SAR le 14 juillet 2014 un avis d’appel portant qu’elle avait reçu la décision de la SPR le 30 juin précédent. Le 21 juillet 2014, la SAR a envoyé à la demanderesse une lettre l’avisant qu’elle devait déposer le dossier d’appelant dans les 30 jours suivant la date où elle avait reçu les motifs de la SPR. Or la demanderesse n’a pas présenté de dossier d’appelant.

[7]               Le 10 septembre 2014, la SAR a rejeté au motif du défaut de mise en état l’appel formé par la demanderesse contre la décision de la SPR. La SAR a fait observer que la décision attaquée de la SPR était datée du 17 juin 2014 et réputée avoir été reçue par la demanderesse le 24 du même mois. La SAR a ajouté que l’alinéa 159.91(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, dispose que le délai de mise en état d’un appel est de 30 jours suivant la réception, par la personne en cause ou le ministre, des motifs écrits de la décision. Or la SAR n’avait reçu ni dossier d’appel ni demande de prorogation du délai de mise en état.

C.                 La demande de réouverture

[8]               Le 6 novembre 2014, la demanderesse a présenté à la SAR une demande de réouverture de l’appel rejeté. Cette demande était accompagnée d’un affidavit de la demanderesse, daté du 28 septembre 2014, qui proposait les explications suivantes :

[TRADUCTION] Le présent affidavit est déposé en retard pour des raisons indépendantes de ma volonté. J’avais besoin d’éléments supplémentaires pour prouver mon identité et ma résidence en Iran, étant donné que les documents disponibles au Canada ne suffisaient pas à cette fin. Il a fallu du temps pour joindre en Iran les personnes capables de m’aider, obtenir les documents, les faire traduire en anglais, puis faire en sorte qu’ils me parviennent au Canada. Le retard est aussi attribuable au mal que j’ai eu à convaincre de m’aider les personnes à qui je me suis adressée, étant donné leur crainte des conséquences de toute action contre l’État iranien.

D.                La décision de la SAR faisant l’objet du contrôle

[9]               Dans sa décision rejetant de la demande de réouverture de l’appel formée par la demanderesse, la SAR a constaté que cette dernière n’avait pas établi, comme l’exige le paragraphe 49(6) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles de la SAR], qu’on avait manqué à un principe de justice naturelle en rejetant son appel. La SAR a ajouté dans cette même décision qu’elle a attendu, pour rejeter l’appel, 48 jours après l’expiration du délai de mise en état à compter de la date de réception réputée des motifs de la SPR par la demanderesse, soit le 24 juin 2014, ou 42 jours après cette expiration, en admettant que la demanderesse ait reçu lesdits motifs, comme elle l’affirmait dans son avis d’appel, le 30 juin 2014. Enfin, la SAR a conclu que les circonstances afférentes à la mise en état de l’appel n’étaient pas indépendantes de la volonté de la demanderesse.

II.                Les thèses des parties

A.                La thèse de la demanderesse

[10]           La demanderesse ne propose qu’un minimum d’observations concernant la décision qui fait proprement l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, concentrant plutôt son argumentation sur la décision par laquelle la SPR a rejeté sa demande d’asile au seul motif qu’elle ne résidait pas en Iran au cours de la période visée.

[11]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en fondant ses conclusions relatives à la crédibilité sur ce que la demanderesse définit comme le défaut de plausibilité de la preuve, plutôt que sur les contradictions des témoignages portés devant elle. La demanderesse fait valoir qu’il n’est permis de conclure au défaut de plausibilité que dans les cas les plus manifestes; or, en l’espèce, les conclusions de cette nature se fondaient sur des impressions et non sur la preuve.

[12]           La demanderesse soutient en outre que la SPR a commis une erreur en rejetant sa demande d’asile sans l’avoir examinée au fond, ce qui constitue un déni d’équité fondamentale. Malgré ses doutes sur la résidence et l’identité, rappelle la demanderesse, la SPR a conclu qu’elle était bien ressortissante iranienne. Cette conclusion, selon les observations de la demanderesse, suffisait à obliger la SPR à examiner au fond sa demande d’asile, ce que la SPR n’a pas fait. Par suite, la demanderesse se trouve maintenant menacée d’expulsion vers l’Iran sans qu’aient été évalués les risques qu’elle court ainsi. 

[13]           Enfin, la demanderesse fait valoir que la SPR a manqué à son obligation d’équité envers elle en ne l’informant pas que ses doutes portaient sur la résidence et non sur la nationalité. La demanderesse ajoute que la SPR a commis une irrégularité en omettant de lui accorder le temps nécessaire pour permettre à l’Agence des services frontaliers du Canada d’enquêter sur les questions relatives à la résidence.

B.                 La thèse du défendeur

[14]           Le défendeur rappelle que la décision qui fait l’objet du présent contrôle est celle par laquelle la SAR a refusé de rouvrir l’appel de la demanderesse, plutôt que la décision de la SPR. Il fait valoir que le pouvoir discrétionnaire de la SAR dans l’examen d’une demande de réouverture se limite au cas où elle s’est elle-même rendue coupable d’un manquement à la justice naturelle. En l’espèce, la demanderesse n’a pas établi que la procédure de la SAR fût entachée d’un manquement à la justice naturelle; par conséquent, que l’on applique dans la présente instance la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte, la SAR n’a pas commis d’erreur en refusant de rouvrir l’appel de Mme Khakpour.

III.             Les questions en litige

[15]           À mon sens, la présente instance soulève les questions suivantes :

1)      Quelle est la norme de contrôle applicable à une décision de la SAR portant refus de rouvrir un appel sous le régime de l’article 49 de ses Règles?

2)      La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande de réouverture d’appel formée par la demanderesse?

3)      Les conclusions de la SPR étaient-elles pertinentes à la décision de la SAR?

IV.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[16]           La demanderesse n’a pas présenté d’observations écrites sur la question de la norme de contrôle applicable. Cependant, elle a soutenu en plaidoirie que la décision de la SAR relève de la norme de la décision correcte plutôt que de celle de la décision raisonnable, parce que le fait que la SAR n’a pas pris en considération les circonstances de la procédure de la SPR pour établir s’il y avait eu manquement à la justice naturelle sous le régime du paragraphe 49(6) des Règles de la SAR constitue une entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[17]           Le défendeur, après avoir rappelé l’absence de jurisprudence de la Cour concernant la norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR relatives aux demandes de réouverture d’appel, avance qu’il convient d’adopter à cet égard la norme de la décision raisonnable.

[18]           L’article des Règles de la SAR portant sur les demandes de réouverture d’appel est libellé ainsi :

49. (1) À tout moment avant que la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de l’appel qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, l’appelant peut demander à la Section de rouvrir cet appel.

(2) La demande est faite conformément à la règle 37. Si la demande est faite par la personne en cause, celle-ci transmet à la Section l’original et une copie de la demande et indique dans sa demande ses coordonnées et, si elle est représentée par un conseil, les coordonnées de celui-ci et toute restriction à son mandat.

(3) La Section transmet sans délai au ministre une copie de la demande faite par la personne en cause.

(4) S’il est allégué dans sa demande que son conseil, dans les procédures faisant l’objet de la demande, l’a représentée inadéquatement :

a) la personne en cause transmet une copie de la demande au conseil, puis l’original et une copie à la Section;

b) la demande transmise à la Section est accompagnée d’une preuve de la transmission d’une copie au conseil.

(5) La demande est accompagnée d’une copie de toute demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en instance ou de toute demande de contrôle judiciaire en instance.

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et la justification de tout retard;

b) si l’appelant n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire, les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait.

(8) Si l’appelant a déjà présenté une demande de réouverture d’un appel qui a été refusée, la Section prend en considération les motifs du refus et ne peut accueillir la demande subséquente, sauf en cas de circonstances exceptionnelles fondées sur l’existence de nouveaux éléments de preuve.

(9) Si une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en instance ou une demande de contrôle judiciaire en instance est fondée sur des motifs identiques ou similaires, la Section, dès que possible, soit accueille la demande de réouverture si cela est nécessaire pour traiter avec célérité et efficacité les appels, soit rejette la demande.

49. (1) At any time before the Federal Court has made a final determination in respect of an appeal that has been decided or declared abandoned, the appellant may make an application to the Division to reopen the appeal.

(2) The application must be made in accordance with rule 37. If a person who is the subject of an appeal makes the application, they must provide to the Division the original and a copy of the application and include in the application their contact information and, if represented by counsel, their counsel’s contact information and any limitations on counsel’s retainer

(3) The Division must provide to the Minister, without delay, a copy of an application made by a person who is the subject of an appeal.

(4) If it is alleged in the application that the person who is the subject of the appeal’s counsel in the proceedings that are the subject of the application provided inadequate representation,

(a) the person must first provide a copy of the application to the counsel and then provide the original and a copy of the application to the Division, and

(b) the application provided to the Division must be accompanied by proof that a copy was provided to the counsel.

(5) The application must be accompanied by a copy of any pending application for leave to apply for judicial review or any pending application for judicial review.

(6) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

(7) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay; and

(b) if the appellant did not make an application for leave to apply for judicial review or an application for judicial review, the reasons why an application was not made.

(8) If the appellant made a previous application to reopen an appeal that was denied, the Division must consider the reasons for the denial and must not allow the subsequent application unless there are exceptional circumstances supported by new evidence.

(9) If there is a pending application for leave to apply for judicial review or a pending application for judicial review on the same or similar grounds, the Division must, as soon as is practicable, allow the application to reopen if it is necessary for the timely and efficient processing of appeals, or dismiss the application.

[19]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, s’il n’existe pas de jurisprudence concernant la norme de contrôle applicable aux décisions relevant de l’article 49 des Règles de la SAR, il y en a une touchant celle que la Cour doit appliquer aux décisions relatives à la réouverture rendues par la SPR sous le régime de l’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 [les Règles de la SPR]. Le paragraphe 62(6) des Règles de la SPR contient en effet une disposition identique à celle du paragraphe 49(6) des Règles de la SAR.

[20]           Le juge George Locke a examiné, aux paragraphes 5 à 7 de la décision Djilal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 812, la question de la norme de contrôle applicable sous le régime du paragraphe 62(6) des Règles de la SPR. Je considère son analyse comme pertinente à la détermination de la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision de la SAR contestée dans la présente instance :

[5]        Les demandeurs avancent que, puisque la présente demande porte sur une question de justice naturelle, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Les demandeurs se basent sur la décision en Emani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 520 au para 14.

[6]        Cependant, le défendeur soutient que, dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SPR sur une demande de réouverture d’une demande d’asile, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de faits et de droit. Ceci est le cas malgré que la demande de contrôle judiciaire porte sur une question de justice naturelle. Le défendeur fait référence aux décisions suivantes : Orozco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 270 aux paras 24 à 26; et Gurgus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 9 au para 19.

[7]        Je suis de l’avis que le défendeur ait raison. Plusieurs autres décisions sur ce sujet sont en accord avec la position du défendeur. Alors, j’applique la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[21]           En outre, la jurisprudence établit qu’une présomption de déférence s’applique aux questions afférentes à l’interprétation par le tribunal administratif de sa propre loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat; voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 30; et Smith c Alliance Pipeline Ltd, [2011] 1 RCS 160, au paragraphe 26. Or les Règles de la SAR sont liées on ne peut plus étroitement au mandat de celle‑ci, et aucune des parties ne soutient que l’interprétation du paragraphe 49(6) desdites Règles met en jeu une question d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble; voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2014 CF 1022, aux paragraphes 41 et 42 [Singh]. Je partage donc l’opinion formulée par le juge Locke dans la décision Djilal : malgré le fait que la disposition applicable des Règles de la SAR mette en jeu une question de justice naturelle, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce.

B.                 La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande de réouverture d’appel formée par la demanderesse?

[22]           J’estime que la SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande de Mme Khakpour tendant à obtenir la réouverture de son appel.

[23]           Le paragraphe 49(6) des Règles de la SAR n’autorise celle‑ci à envisager la réouverture d’un appel que dans le cas où est établi un manquement à un principe de justice naturelle. En l’espèce, la demanderesse n’a avancé aucun argument selon lequel la SAR aurait manqué à la justice naturelle dans la procédure relative à son appel. La SAR a notifié à la demanderesse le délai dont elle disposait pour mettre son appel en état selon les Règles de la SAR, et elle ne s’est pas hâtée de rejeter la demande de réouverture dès l’expiration de ce délai, loin de là : la demanderesse reconnaît avoir reçu les motifs écrits de la SPR le 30 juin 2014, de sorte que le délai de 30 jours déterminé en fonction de cette date expirait le 30 juillet 2014; or la SAR a attendu au 10 septembre 2014 pour rejeter l’appel, soit 42 jours après cette expiration.  

[24]           En outre, l’article 6 des Règles de la SAR prévoit un mécanisme par lequel la personne en cause peut demander une prorogation du délai de mise en état de son appel, et l’article 29 permet à la même personne de solliciter l’autorisation de présenter des documents supplémentaires après cette mise en état. Comme la SAR l’a relevé lorsqu’elle a rejeté l’appel pour défaut de mise en état, la demanderesse n’a essayé à aucun moment d’obtenir une prorogation du délai dont elle disposait pour ladite mise en état. Qui plus est, la SAR a agi raisonnablement en rejetant, dans le cadre de son refus de réouverture, l’explication formulée par la demanderesse dans l’affidavit précité, selon laquelle elle avait attendu d’autres éléments de preuve pour déposer un dossier d’appel, alors qu’elle aurait pu mettre son appel en état dans un premier temps, puis demander en vertu de l’article 29 l’autorisation de produire des documents supplémentaires.

[25]           La demanderesse n’a pas établi de manquement à la justice naturelle dans la procédure d’appel suivie par la SAR.

[26]           La demanderesse invoque plutôt un manquement allégué à la justice naturelle dans la procédure de la SPR, afin d’établir qu’était remplie la condition préalable à l’exercice par la SAR de son pouvoir discrétionnaire de rouvrir l’appel. Le manquement allégué est de nature fondamentale en ce que la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en rejetant sa demande d’asile au motif de doutes sur son identité sans examiner cette demande au fond. La SAR, fait valoir la demanderesse, était tenue d’élargir son point de vue sur la justice naturelle en dépassant le cadre de sa propre procédure pour évaluer l’équité ou l’iniquité de la procédure suivie par la SPR. Or la demanderesse, en plaidoirie, s’est montrée incapable de citer une quelconque jurisprudence au soutien de la thèse voulant que la SAR doive prendre en considération les manquements à la justice naturelle extérieurs à sa propre procédure lorsqu’elle examine la question de savoir s’il y a eu ou non manquement à la justice naturelle pour l’application du paragraphe 49(6) de ses Règles.

[27]           Bien que le défendeur ait avancé des arguments forts à l’appui de la thèse que l’article 49 des Règles de la SAR s’applique seulement au réexamen de la propre décision de celle‑ci puisque c’est cette décision qui fait l’objet de la demande de réouverture, je ne suis pas disposé à conclure qu’il ne puisse se trouver de cas où un manquement à la justice naturelle entachant une procédure antérieure se révélerait pertinent dans le contexte de ce même article, étant donné le rôle de la SAR comme organe d’appel chargé de contrôler des décisions de premier palier; voir Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, aux paragraphes 54 et 55, 30 Imm LR (4th) 115; et Singh, aux paragraphes 55 et 57. Cependant, nous n’avons pas ici affaire à un tel cas. En l’espèce, la demanderesse avance un argument de fond à faire valoir dans le cadre d’un appel plutôt qu’elle n’invoque un manquement à la justice naturelle. Citons à ce propos les observations que formulait le juge Luc Martineau dans le contexte de l’article 62 des Règles de la SPR, aux paragraphes 6 à 8 de la décision Ikuzwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 875 :

[6]        Aux termes du paragraphe 62(6) des Règles et selon une jurisprudence constante, une demande de réouverture sera uniquement accueillie si le décideur initial a manqué à un principe de justice naturelle, c’est-à-dire dans des circonstances très limitées (Seyoboka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 488 au para 24). Le nouveau paragraphe 62(7) des Règles oblige, depuis décembre 2012, le Tribunal à considérer tout élément pertinent, notamment les raisons pour lesquelles une partie n’a pas présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire.

[7]        Dans sa demande de réouverture, le demandeur se plaint d’un manquement à un principe de justice naturelle qui découle d’une mauvaise application du droit par le décideur initial […] Le demandeur allègue également qu’il souffrait de schizophrénie paranoïde non diagnostiquée lors de l’audience initiale et que le Tribunal n’a donc pas pu prendre en considération cette condition médicale particulière lors de l’évaluation de sa crédibilité.

[8]        Aucune erreur révisable n’a été commise par le Tribunal. Faut‑il le rappeler, la justice naturelle a trait aux protections procédurales et ne couvre pas les erreurs de droit qui ont pu être commises par le décideur initial. [Non souligné dans l’original.]

[28]           Le juge Shore a conclu dans le même sens aux paragraphes 7 et 8 de la décision Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 735 :

[7]        [L]es demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire. Ils ont aussi déposé une demande de réouverture à la SPR, laquelle fut rejetée le 28 janvier 2014. Les demandeurs demandent maintenant à la Cour d’intervenir à l’égard de cette dernière décision pour les motifs qui suivent :

a) La SPR a violé leur droit à une audience dans la langue de leur choix;

b) La SPR a omis de tenir compte de toute la preuve au dossier;

c) La SPR a erré dans la manière qu’elle a analysé le risque prospectif des demandeurs.

IV. Analyse

[8]        Selon le défendeur, les deux dernières questions ne sont pas pertinentes en l’espèce, car elles n’ont pas rapport à un manquement aux principes de justice naturelle. La Cour est d’accord. Ces allégations n’ont aucunement trait à la justice naturelle; elles sont plutôt liées au caractère raisonnable de la décision. Les demandeurs tentent essentiellement de plaider les mêmes arguments que ceux déjà présentés dans le dossier IMM‑7118‑13 (2014 CF 734) devant cette Cour. Bref, les demandeurs sont en désaccord avec la façon dont la SPR a tenu compte de la preuve et la façon dont elle a analysé leur demande d’asile. La Cour ne peut pas intervenir pour ni un ni l’autre de ces motifs en l’espèce. L’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012 256, indique clairement que la SPR ne peut rouvrir une demande d’asile que si un demandeur démontre qu’il y a eu un manquement aux principes de justice naturelle (Lakhani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 612; Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1153, 228 FTR 226).

[29]           Le même raisonnement s’applique à la présente instance : ce que la demanderesse fait valoir,  c’est le caractère déraisonnable de la décision de la SPR portant rejet de sa demande d’asile au motif de son incapacité à prouver son identité, et non un manquement à la justice naturelle.

[30]           Je suis donc convaincu que la SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande de réouverture d’appel formée par Mme Khakpour.

C.                 Les conclusions de la SPR étaient-elles pertinentes à la décision de la SAR?

[31]           Pour les motifs exposés plus haut et eu égard aux faits en l’espèce, j’estime que les conclusions de fond de la SPR n’étaient pas pertinentes à la décision de la SAR portant rejet de la demande de réouverture d’appel.

V.                Dispositif

[32]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale pour la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑1049‑15

 

INTITULÉ :

SHAHLA KHAKPOUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉCEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Inna Kogan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Inna Kogan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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