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Date : 20160118


Dossier : T-579-15

Référence : 2016 CF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 18 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Shore

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI SUR LA SÛRETÉ DU TRANSPORT MARITIME

ENTRE :

SANDEEP SINGH KAILLEY

demandeur

et

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Le demandeur, M. Sandeep Singh Kailley, est un citoyen canadien âgé de 27 ans. Le demandeur est un débardeur ayant déposé une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime pour son emploi au port de Vancouver Fraser [le port]. Sa demande d’habilitation de sécurité a été rejetée par Transports Canada dans une décision rendue le 6 mars 2015. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]               Le demandeur est un bon travailleur et s’entend bien avec ses collègues et les membres de la direction du port. En plus d’être un débardeur, le demandeur a commencé sa formation d’apprentissage en vue d’exercer la profession d’électricien en 2011, et a obtenu sa certification professionnelle en 2014. Dans le but de potentiellement accroître son revenu et de multiplier ses possibilités d’emploi, le demandeur a présenté une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime [HSTM] en février 2013 à l’aide du formulaire de demande d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime [formulaire HSTM] auprès de Transports Canada.

[3]               En réponse au formulaire HSTM du demandeur, Transports Canada a demandé et obtenu un rapport limité de vérification des antécédents criminels [VAC] auprès de la Gendarmerie royale du Canada [GRC] le 25 février 2013, puis, le 23 juin 2014, le ministère a obtenu un rapport complet de vérification des antécédents criminels [rapport de VAC] de la part de la GRC.

[4]               Le rapport de VAC indique que le demandeur avait un casier judiciaire vierge et qu’il ne faisait l’objet d’aucune accusation au criminel au moment de la préparation du rapport. Toutefois, le rapport de VAC renfermait des allégations voulant que le demandeur ait peut-être eu des contacts avec des narcotrafiquants. De plus, le rapport de VAC indique que le demandeur avait été accusé d’agression à coups de couteau par son voisin, la victime de l’agression. Le demandeur a subséquemment été accusé de voies de fait graves et de port d’arme dans un dessein dangereux.

[5]               Le rapport de VAC contient également des allégations voulant que, en novembre 2013, le demandeur ait menacé de poignarder la victime avec un couteau si elle témoignait devant la Cour. Le procureur de la Couronne a été mis au courant de la menace par la victime, et a en ensuite informé la GRC. Finalement, les accusations de voies de fait et de port d’arme ont été suspendues, et les accusations de formulation de menaces ne sont pas allées plus loin.

[6]               À la lumière de ces allégations, Transports Canada a envoyé, le 8 juillet 2014, une lettre au demandeur pour l’informer desdites allégations présentées dans le rapport de VAC et l’inviter à fournir des renseignements et des éclaircissements en ce qui concerne ces allégations [lettre de préoccupations de Transports Canada].

[7]               Le 22 juillet 2014, le demandeur a déposé une demande de divulgation à Transports Canada en vue d’obtenir des précisions quant aux allégations présentées par le ministère ainsi que tous les documents et renseignements en sa possession qui étaient à l’origine de ses préoccupations par rapport à son aptitude à recevoir son habilitation de sécurité. Transports Canada a répondu à cette demande en septembre 2013 au moyen d’une divulgation qui comprenait le rapport de VAC.

[8]               Le demandeur, par l’entremise de son avocate, a répondu à Transports Canada avec une lettre datée du 20 octobre 2014 (lettre de réponse du demandeur). Dans cette lettre, l’avocate du demandeur fournit une explication des allégations et conclut qu’un examen des circonstances du demandeur conformément à l’article 509 du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144 (Règlement), devrait permettre à Transports Canada d’établir que le demandeur ne représente aucun risque pour la sûreté du transport maritime et, par conséquent, qu’il devrait recevoir son HSTM. Cette lettre n’était pas accompagnée d’une déclaration sous serment soussignée par le demandeur pour attester la véracité du contenu de la lettre.

[9]               Le 5 novembre 2014, Transports Canada a obtenu un rapport du Centre d’information de la police canadienne confirmant les renseignements que renferment le rapport de VAC, en particulier le fait qu’en date de novembre 2013, le demandeur ne faisait l’objet d’aucune condamnation, mais aussi qu’il avait été accusé de voies de fait graves, de port d’arme dans un dessein dangereux et de formulation de menaces, mais que ces accusations ont été frappées d’un arrêt des procédures.

II.                Décision contestée

[10]           Le 9 décembre 2014, l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (OCEHSMT) de Transports Canada a recommandé que la demande d’HSTM du demandeur soit rejetée. Le 4 mars 2015, un représentant du ministre des Transports, après avoir examiné la lettre de préoccupations de Transports Canada, les demandes du demandeur, les recommandations de l’OCEHSMT et le Règlement, a refusé d’accorder une HSTM au demandeur :

[traduction]

L’information se rapportant aux liens soupçonnés du demandeur avec des narcotrafiquants et les récentes accusations d’actes de violence graves et de formulation de menaces portées à l’encontre du demandeur ont soulevé des inquiétudes quant à son jugement, à sa loyauté et à sa fiabilité. […] Un examen des renseignements dans le dossier a révélé des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d’être suborné afin de commettre un acte ou d’aider ou d’encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. J’ai également des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur a participé ou contribué, ou participe ou contribue, à des actes de violence graves contre des personnes ou des biens. J’ai examiné la déclaration fournie par le demandeur, mais les renseignements fournis ne suffisent pas à dissiper mes inquiétudes.

(Dossier du demandeur, page 65)

[11]           Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre des Transports.

III.             Questions en litige

[12]           La Cour estime que les questions ci-dessous sont essentielles à la présente demande de contrôle judiciaire.

1.      La décision du ministre de rejeter la demande d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime était-elle raisonnable?

2.      Le ministre a-t-il manqué aux exigences en matière d’équité procédurale?

IV.             Dispositions législatives

Décision du ministre

Minister’s Decision

509 Le ministre peut accorder une habilitation de sécurité en matière de transport si, de l’avis du ministre, les renseignements fournis par le demandeur et ceux obtenus par les vérifications sont vérifiables et fiables et s’ils sont suffisants pour lui permettre d’établir, par une évaluation des facteurs ci-après, dans quelle mesure le demandeur pose un risque pour la sûreté du transport maritime :

509 The Minister may grant a transportation security clearance if, in the opinion of the Minister, the information provided by the applicant and that resulting from the checks and verifications is verifiable and reliable and is sufficient for the Minister to determine, by an evaluation of the following factors, to what extent the applicant poses a risk to the security of marine transportation:

[…]

b) s’il est connu ou qu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur :

(b) whether it is known or there are reasonable grounds to suspect that the applicant

            (i) participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, à des activités visant ou soutenant une utilisation malveillante de l’infrastructure de transport afin de commettre des crimes ou l’exécution d’actes de violence contre des personnes ou des biens et la pertinence de ces activités, compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime,

            (i) is or has been involved in, or contributes or has contributed to, activities directed toward or in support of the misuse of the transportation infrastructure to commit criminal offences or the use of acts of violence against persons or property, taking into account the relevance of those activities to the security of marine transportation,

            (ii) est ou a été membre d’un groupe terroriste au sens du paragraphe 83.01(1) du Code criminel, ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, à des activités d’un tel groupe,

            (ii) is or has been a member of a terrorist group within the meaning of subsection 83.01(1) of the Criminal Code, or is or has been involved in, or contributes or has contributed to, the activities of such a group,

            (iii) est ou a été membre d’une organisation criminelle au sens du paragraphe 467.1(1) du Code criminel ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, aux activités d’un tel groupe tel qu’il est mentionné au paragraphe 467.11(1) du Code criminel, compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime,

            (iii) is or has been a member of a criminal organization as defined in subsection 467.1(1) of the Criminal Code, or participates or has participated in, or contributes or has contributed to, the activities of such a group as referred to in subsection 467.11(1) of the Criminal Code taking into account the relevance of these factors to the security of marine transportation,

            (iv) est ou a été un membre d’une organisation qui est connue pour sa participation ou sa contribution — ou à l’égard de laquelle il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution — à des activités qui visent ou favorisent la menace ou l’exécution d’actes de violence contre des personnes ou des biens, ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, aux activités d’une telle organisation, compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime,

            (iv) is or has been a member of an organization that is known to be involved in or to contribute to — or in respect of which there are reasonable grounds to suspect involvement in or contribution to — activities directed toward or in support of the threat of or the use of, acts of violence against persons or property, or is or has been involved in, or is contributing to or has contributed to, the activities of such a group, taking into account the relevance of those factors to the security of marine transportation, or

            (v) est ou a été associé à un individu qui est connu pour sa participation ou sa contribution — ou à l’égard duquel il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution — à des activités visées au sous-alinéa (i), ou est membre d’un groupe ou d’une organisation visés à l’un des sous-alinéas (ii) à (iv), compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime;

            (v) is or has been associated with an individual who is known to be involved in or to contribute to — or in respect of whom there are reasonable grounds to suspect involvement in or contribution to — activities referred to in subparagraph (i), or is a member of an organization or group referred to in any of subparagraphs (ii) to (iv), taking into account the relevance of those factors to the security of marine transportation;

c) s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d’être suborné afin de commettre un acte ou d’aider ou d’encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime;

(c) whether there are reasonable grounds to suspect that the applicant is in a position in which there is a risk that they be suborned to commit an act or to assist or abet any person to commit an act that might constitute a risk to marine transportation security;

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

V.                Thèses des parties

[13]           Le demandeur soutient que la décision du ministre n’est pas raisonnable, puisque les inquiétudes du ministre ne sont pas suffisantes pour qu’il y ait des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur pose un risque pour la sûreté du transport maritime. Le ministre aurait dû accorder une plus grande importance aux éléments de preuve non contestés soumis par le demandeur concernant le rapport de police, lequel contient des éléments de preuve invérifiables et peu fiables admis sous forme de preuve par ouï-dire.

[14]           En outre, le demandeur fait valoir que le ministre n’a pas satisfait aux exigences en matière d’équité procédurale parce que le ministre n’a pas pris en compte les observations du demandeur et qu’il n’a pas fourni une copie du rapport du Centre d’information de la police canadienne au demandeur après que le demandeur lui a envoyé sa lettre de réponse. Le demandeur n’a pas eu la possibilité de présenter des observations au sujet du rapport du Centre d’information de la police canadienne. De plus, le ministre a appliqué à tort des critères plus larges du programme de transport aérien lorsqu’il a examiné la demande d’HSTM du demandeur au lieu de se limiter aux critères plus précis du programme de transport maritime, lequel est régi par l’article 509 du Règlement.

[15]           À l’inverse, le défendeur soutient que la décision du ministre de rejeter la demande d’habilitation de sécurité est raisonnable compte tenu des documents dont disposait le ministre. Contrairement au demandeur, le défendeur soutient que le ministre devrait avoir un vaste pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande d’habilitation de sécurité puisque le ministre n’a pas besoin d’être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne commettra un acte préjudiciable, mais seulement qu’une personne peut commettre un acte préjudiciable. Compte tenu des détails en l’espèce, il est raisonnable pour le ministre de conclure que le demandeur, selon la prépondérance des probabilités, pose un risque pour la sûreté du transport maritime.

[16]           Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale, car il savait parfaitement quelles allégations ont servi de fondement à la décision du ministre et il a eu la possibilité d’y répondre.

VI.             Norme de contrôle

[17]           La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique lorsque le ministre doit trancher des questions mixtes de fait et de droit ainsi que tirer des conclusions de faits quant à la décision d’accorder une habilitation de sécurité (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, aux paragraphes 80 à 87 [Farwaha]).

[18]           La norme de contrôle de la décision correcte s’applique à un prétendu manquement à l’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 RCS 339, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

VII.          Analyse

A.                Remarques préliminaires

[19]           Le demandeur soutient que le ministre peut seulement rejeter la demande d’HSTM s’il conclut qu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne pose un risque conformément aux critères énoncés à l’article 509 du Règlement. Par conséquent, le ministre doit avoir un motif raisonnable de soupçonner, d’après un ensemble de faits objectivement discernables, que le demandeur participe à des actes de violence ou est associé à un individu qui est connu pour sa participation à de tels actes, ou que le demandeur répond à d’autres critères énoncés à l’article 509 du Règlement, et que cette association ou cette participation est en rapport avec la sûreté du transport maritime.

[20]           Tel qu’il est expliqué ci-dessous, le demandeur recommande un critère qui va manifestement à l’encontre du programme d’habilitation de sécurité et du Règlement, de même que des décisions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour, en ce qui concerne la sûreté du transport maritime. Contrairement à l’argument du demandeur, il incombe au demandeur, et non au ministre, de prouver qu’il ne pose aucun risque pour la sûreté du transport maritime.

[21]           Dans la décision Renvoi relatif au Règlement sur la sûreté du transport maritime (CA), 2009 CAF 234 [Renvoi relatif au Règlement], le juge John M. Evans résume ainsi l’objet du programme d’habilitation de sécurité du Canada en ce qui concerne le transport maritime :

[66]      […] Les longs littoraux du Canada et ses nombreux ports, sa dépendance économique importante à l’égard du commerce international de marchandises transportées par la voie maritime à l’intérieur et à l’extérieur du Canada et, à un degré moindre, à l’égard des activités des croisiéristes, sa capacité de financer des mesures de sécurité et sa proximité des États-Unis, constituent des facteurs qui permettent d’expliquer rationnellement la mise sur pied par le Canada de l’actuel système d’habilitations de sécurité.

[67]      Ces considérations font ressortir également le caractère important et la nature pressante de l’intérêt public que le Règlement vise à favoriser : la protection contre les menaces pour la sécurité publique et l’économie provenant des activités des groupes terroristes et du crime organisé. [Non souligné dans l’original.]

[22]           Dans son évaluation de la décision du ministre de rejeter la demande d’HSTM du demandeur, la Cour doit tenir compte de la nature pressante de l’intérêt public de l’économie canadienne et de la sécurité de la population canadienne.

B.                 La décision du ministre de refuser la demande d’HSTM était-elle raisonnable?

[23]           Le ministre est investi d’un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d’octroi ou d’annulation d’habilitations de sécurité (Rossi c. Canada (Procureur général), 2015 CF 961 [Rossi], au paragraphe 31). Ni la version anglaise ni la version française de l’article 509 du Règlement n’imposent au ministre une obligation d’accorder une habilitation de sécurité; en fait, les deux versions de l’article stipulent que le ministre peut accorder une habilitation de sécurité.

Décision du ministre

Minister’s Decision

509 Le ministre peut accorder une habilitation de sécurité en matière de transport si, de l’avis du ministre, les renseignements fournis par le demandeur et ceux obtenus par les vérifications sont vérifiables et fiables et s’ils sont suffisants pour lui permettre d’établir, par une évaluation des facteurs ci-après, dans quelle mesure le demandeur pose un risque pour la sûreté du transport maritime :

509 The Minister may grant a transportation security clearance if, in the opinion of the Minister, the information provided by the applicant and that resulting from the checks and verifications is verifiable and reliable and is sufficient for the Minister to determine, by an evaluation of the following factors, to what extent the applicant poses a risk to the security of marine transportation:

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[24]           Le ministre peut seulement accorder une HSTM s’il estime que : i) les renseignements fournis par le demandeur et ceux obtenus par les vérifications sont vérifiables et fiables et ii) il existe suffisamment de renseignements vérifiables et fiables pour permettre au ministre de décider, d’après les facteurs énoncés à l’article 509 du Règlement, que le demandeur ne pose pas un risque pour la sûreté du transport maritime.

[25]           Si le ministre est convaincu qu’il n’existe pas suffisamment de renseignements de qualité, fournis par le demandeur ou obtenus par les vérifications, il n’est pas tenu de passer à la prochaine étape de l’examen (Farwaha, précitée, aux paragraphes 67 et 68).

[26]           Par conséquent, afin de décider s’il était raisonnable pour le ministre de rejeter la demande d’HSTM du demandeur, la Cour doit d’abord déterminer s’il existait suffisamment de renseignements de qualité. Dans l’affirmative, la Cour doit ensuite établir si la décision du ministre est conforme aux facteurs énoncés à l’article 509 du Règlement.

(1)               Est-ce qu’il y avait suffisamment de renseignements de qualité?

[27]           L’OCEHSMT (et, par conséquent, le ministre) s’est basé principalement sur le rapport de VAC et le casier judiciaire du demandeur pour déterminer s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d’être suborné afin de commettre un acte ou d’aider ou d’encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime, et pour déterminer s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur a participé ou contribué, ou participe ou contribue, à des actes de violence graves contre des personnes ou des biens.

[28]           Le demandeur soutient que la Cour devrait accorder une importance moindre au rapport de VAC, comme ce rapport ne fait état que d’allégations admises sous forme de preuve par ouï-dire. En conséquence, le demandeur recommande que la Cour accorde une plus grande importance aux explications fournies par le demandeur dans sa lettre de réponse en ce qui concerne le rapport de VAC, compte tenu des problèmes inhérents de preuve par ouï-dire et de la nature sommaire dudit rapport.

[29]           Cet argument doit être rejeté. La Cour a conclu que les renseignements fournis par la GRC sont suffisants pour les besoins du processus de vérification d’une habilitation de sécurité (Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160 [Fontaine], au paragraphe 75). En outre, la Cour soutient que le ministre peut s’appuyer uniquement sur un rapport de VAC ou un rapport de la GRC pour déterminer si un demandeur devrait recevoir une habilitation de sécurité (Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 65; Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, au paragraphe 40).

[30]           Le ministre a reçu un rapport de VAC qui renferme des allégations voulant que le demandeur ait peut-être eu des contacts avec des narcotrafiquants et qu’il ait peut-être commis un acte de violence contre une personne. De plus, le ministre a reçu une lettre de réponse du demandeur en lien avec les allégations dont il est question dans le rapport de VAC. Compte tenu de ce qui précède, le ministre disposait de suffisamment de renseignements vérifiables et fiables pour décider si le demandeur peut poser un risque pour la sûreté du transport maritime par une évaluation des facteurs énoncés à l’article 509 du Règlement.

(2)               Le demandeur pose-t-il un risque pour la sûreté du transport maritime?

[31]           Tel qu’il a été indiqué précédemment, la demande d’HSTM a été rejetée pour les deux raisons suivantes. D’après un examen du Règlement, la lettre de réponse du demandeur et le rapport de VAC, le ministre soutient ce qui suit :

1)      Il existe des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d’être suborné afin de commettre un acte ou d’aider ou d’encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime.

2)      Il existe des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur a participé ou contribué, ou participe ou contribue, à des actes de violence graves contre des personnes ou des biens.

[32]           Le ministre a conclu que les renseignements présentés dans la lettre du demandeur n’étaient pas suffisants pour dissiper ses inquiétudes à l’égard du risque que pourrait poser le demandeur pour la sûreté du transport maritime.

[33]           Le demandeur soutient que la décision du ministre était déraisonnable, car les allégations portées à son encontre concernant un acte de violence grave contre une personne ne constituent pas un motif suffisant pour soupçonner qu’il pose un risque pour la sûreté du transport maritime ou qu’il risque d’être suborné. D’autre part, le demandeur fait valoir que son lien avec des narcotrafiquants n’est pas un facteur que le ministre peut prendre en compte aux termes de l’article 509 du Règlement, car les narcotrafiquants ne constituent pas une « organisation » à l’égard de laquelle on peut raisonnablement présumer qu’il y a un recours à la violence. Il n’existe aucun lien entre un prétendu lien avec des narcotrafiquants et le Règlement. D’ailleurs, un examen de l’aptitude d’une personne à détenir une HSTM n’est pas un examen de la moralité générale, mais des facteurs énoncés à l’article 509 du Règlement; par conséquent, dans son évaluation, le ministre n’aurait pas dû tenir compte du jugement, de la loyauté et de la fiabilité du demandeur. De plus, il n’y avait aucune preuve que le demandeur risque d’être suborné. Qui plus est, le ministre aurait dû prendre tous les éléments de preuve en considération, et n’a pas accordé suffisamment d’importance aux éléments de preuve présentés par le demandeur.

[34]           Le rapport de VAC fait état d’allégations voulant que le demandeur ait eu des contacts avec des narcotrafiquants, d’accusations au criminel pour un acte de violence (lesquelles ont par la suite été suspendues) ainsi que d’allégations voulant qu’il ait menacé de poignarder la victime avec un couteau si elle témoignait devant la Cour.

[35]           La Cour a conclu, dans la décision Fontaine précitée, au paragraphe 83, que le fait qu’un demandeur d’une habilitation de sécurité soit associé avec des individus qui pourraient avoir une influence négative sur le demandeur peut constituer des motifs suffisants pour rejeter une demande d’habilitation de sécurité. Il est implicite qu’en décidant qu’une personne risque ou non d’être subornée afin de commettre un acte ou d’aider ou d’encourager autrui à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime, le ministre doit examiner la moralité ou les propensions de cette personne.

[36]           En ce qui concerne les allégations voulant que le demandeur ait prêté sa voiture à des individus liés au trafic de stupéfiants, le demandeur soutient qu’il n’est au courant d’aucun lien entre le trafic de stupéfiants et toute personne à qui il a prêté sa voiture, et qu’il était déraisonnable pour le ministre de conclure que le demandeur a des liens avec des personnes impliquées dans le commerce de la drogue. Le ministre n’était pas tenu de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait un lien avec des narcotrafiquants, mais seulement de démontrer qu’il avait un motif raisonnable de soupçonner que le demandeur pose un risque pour la sûreté du transport maritime. Ainsi, le ministre n’a pas besoin de présenter des éléments de preuve fiables et vérifiables établissant un lien entre une personne et un incident – il suffit qu’il existe des faits objectivement discernables (Farwaha, précitée, aux paragraphes 96 et 97).

[37]           Le demandeur soutient que les narcotrafiquants ne sont pas des organisations à l’égard desquelles on peut raisonnablement présumer qu’il y a un recours à la violence, et qu’il n’existe aucun lien entre un prétendu lien avec des narcotrafiquants et le Règlement. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve pour appuyer son affirmation selon laquelle les narcotrafiquants ne sont pas des organisations à l’égard desquelles on peut raisonnablement présumer qu’il y a un risque de recours à la violence. De plus, la Cour a reconnu qu’il existe un lien entre des narcotrafiquants et un risque éventuel de subornation pouvant nuire à la sûreté du transport maritime (Russo c. Canada (Transport, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2011 CF 764, au paragraphe 84 [Russo]).

[38]           Le demandeur soutient également que le ministre n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve, notamment que le ministre n’a pas accordé suffisamment d’importance à la lettre de réponse du demandeur. La Cour estime que le ministre a tenu compte de la lettre de réponse du demandeur, mais que cette lettre n’était pas suffisante pour dissiper ses inquiétudes. Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer des éléments de preuve et de substituer sa propre opinion à celle du ministre; en effet, le rôle de la Cour consiste plutôt à établir si la décision du ministre est raisonnable (Lorenzen c. Canada (Transport), 2014 CF 273, au paragraphe 52).

[39]           Enfin, le demandeur fait valoir qu’il n’y a eu aucune réévaluation de l’intérêt public, et il ajoute que la décision du ministre revêt une grande importance à ses yeux et à sa capacité de gagner sa vie. La réalité est tout à fait à l’opposé. Le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, en vertu du Règlement, aborde d’importantes questions d’intérêt public :

[13]      Le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime a été créé en vertu du Règlement. Le Programme vise les menaces à la sécurité dans les ports maritimes internationaux canadiens. Le terrorisme et le crime organisé font partie des éventuelles menaces à la sécurité : Renvoi relatif au Règlement sur la sûreté du transport maritime, 2009 CAF 234, au paragraphe 64. Inutile de dire que ces menaces peuvent avoir des conséquences désastreuses tant sur le plan économique que sur le plan humain.

(Farwaha, précitée, au paragraphe 13)

[67]      Ces considérations font ressortir également le caractère important et la nature pressante de l’intérêt public que le Règlement vise à favoriser : la protection contre les menaces pour la sécurité publique et l’économie provenant des activités des groupes terroristes et du crime organisé.

(Renvoi relatif au Règlement, précitée, au paragraphe 67)

[40]           En ce qui concerne la portée de la décision pour le demandeur, elle n’est que faible; en effet, le demandeur ne sera ni emprisonné ni congédié, et il continuera de travailler pour le même employeur (voir la décision Rossi, précitée, au paragraphe 32).

[41]           La sûreté du transport maritime canadien est une question sérieuse qui exige une norme élevée en vue de garantir qu’une habilitation de sécurité soit accordée à une personne qui ne pose aucun risque pour la sûreté du transport maritime.

[69]      Cela est logique. L’article 509 prévoit essentiellement qu’une habilitation de sécurité ne peut être accordée à une personne que lorsque, sur la foi de renseignements fiables et vérifiables, le ministre a la certitude que cet individu ne pose aucun risque pour la sûreté du transport maritime. Pour dire les choses plus familièrement, il ne doit exister aucun doute. Cette norme exigeante est nécessaire pour éviter les graves conséquences qui pourraient donner lieu à des actes préjudiciables ou destructeurs que l’intéressé pourrait commettre dans certains secteurs névralgiques du port. [Non souligné dans l’original.]

(Farwaha, précitée, au paragraphe 69)

[42]           Le ministre, en se fondant sur le rapport de VAC, entretenait des doutes quant à savoir si le demandeur ne posait aucun risque pour la sûreté du transport maritime; par conséquent, et compte tenu de ce qui précède, il est raisonnable pour le ministre de refuser d’accorder l’habilitation de sécurité demandée.

C.                 Le ministre a-t-il manqué aux exigences en matière d’équité procédurale?

[43]           Le demandeur prétend que le ministre a manqué aux principes de l’équité procédurale lorsqu’il a omis de tenir compte de la lettre de réponse du demandeur, et il ajoute qu’il n’a pas eu la possibilité de présenter des observations au sujet du rapport du Centre d’information de la police canadienne demandé après qu’il ait envoyé sa lettre de réponse.

[44]           Le degré d’équité procédurale exigé à l’égard du rejet d’une demande d’habilitation de sécurité initiale est minime, surtout lorsque le demandeur ne perdra pas son emploi si cette demande est rejetée (Russo, précitée, aux paragraphes 59 à 69).

[45]           Le premier argument doit être rejeté. Le ministre a indiqué avoir tenu compte des observations du demandeur, mais que celles-ci n’étaient pas suffisantes pour dissiper ses inquiétudes. Le demandeur peut déplorer la justification avancée par le ministre, mais l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union]). La Cour estime que les motifs fournis par le ministre sont suffisants pour permettre à la Cour de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, au paragraphe 16; les paragraphes 103, 104 et 105 de la décision Farwaha, précitée, sont également pertinents à cet égard).

[46]           Le deuxième argument doit également être rejeté. Dans son examen d’une demande d’habilitation de sécurité, aux termes de l’article 508 du Règlement, le ministre est tenu d’effectuer certaines vérifications :

Vérifications

Checks and Verifications

508 Sur réception d’une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport dûment remplie, le ministre effectue les vérifications ci-après pour établir si le demandeur ne pose pas de risque pour la sûreté du transport maritime :

508 On receipt of a fully completed application for a transportation security clearance, the Minister shall conduct the following checks and verifications for the purpose of assessing whether an applicant poses a risk to the security of marine transportation:

a) une vérification pour savoir s’il a un casier judiciaire;

(a) a criminal record check;

b) une vérification des dossiers pertinents des organismes chargés de faire respecter la Loi, y compris les renseignements recueillis dans le cadre de l’application de la Loi;

(b) a check of the relevant files of law enforcement agencies, including intelligence gathered for law enforcement purposes;

c) une vérification des fichiers du Service canadien du renseignement de sécurité et, au besoin, une évaluation de sécurité effectuée par le Service;

(c) a Canadian Security Intelligence Service indices check and, if necessary, a Canadian Security Intelligence Service security assessment; and

d) une vérification de son statut d’immigrant et de citoyen.

(d) a check of the applicant’s immigration and citizenship status.

[47]           Le demandeur était pleinement conscient des éléments invoqués contre lui, puisqu’il a été informé des diverses allégations qui pesaient contre lui dans la lettre de préoccupations de Transports Canada. Le rapport du Centre d’information de la police canadienne ne fait état d’aucune allégation ni d’aucun fait dont le demandeur n’a pas été mis au courant dans la lettre de préoccupations de Transports Canada. Dans Russo, précitée, au paragraphe 56, le juge James Russell a rejeté un argument très semblable et a conclu que le ministre n’avait pas manqué à obligation d’équité procédurale :

[56]      À mon avis, le dossier montre que le demandeur était parfaitement au courant du fait que son casier judiciaire soulevait des préoccupations quant à la question de savoir s’il posait un risque pour la sécurité. On lui a donné amplement l’occasion d’expliquer pourquoi son casier judiciaire ne devait pas être considéré comme une menace pour la sûreté du transport maritime. Il n’y a pas eu omission de divulguer des documents, étant donné que les seuls documents sur lesquels l’auteur de la décision s’est fondé étaient ceux qui se rapportaient au casier judiciaire du demandeur, que ce dernier connaissait très bien. Le demandeur semble laisser entendre qu’il aurait dû être avisé à l’avance des préoccupations en question à l’étape de l’enquête pour être en mesure de réfuter des conclusions qui n’ont été tirées qu’après la tenue de cette enquête et l’examen de l’ensemble des renseignements. Il ne s’agit pas à mon avis d’une question d’équité procédurale.

[48]           Le demandeur était pleinement conscient des allégations portées contre lui dans le rapport de VAC, et il a eu l’occasion d’aborder ces inquiétudes – une occasion qu’il a saisie en envoyant sa lettre de réponse. Étant donné que le rapport du Centre d’information de la police canadienne n’a fourni aucun fait ni aucune allégation supplémentaire à l’encontre du défendeur, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

VIII.       Conclusion

[49]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée avec dépens fixés à 2 000 $, tel qu’en ont convenu les deux parties.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens fixés à 2 000 $, tel qu’en ont convenu les deux parties.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-579-15

INTITULÉ :

SANDEEP SINGH KAILLEY c. CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

Le 18 janvier 2016

COMPARUTIONS :

Allison Tremblay

Pour le demandeur

Oliver Pulleyblank

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Victory Square Law Office

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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