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Date : 20160208

Dossier : T-1808-14

Référence : 2016 CF 148

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ POUR LA NATURE ET LES PARCS DU CANADA ET LA JASPER ENVIRONMENTAL ASSOCIATION

demanderesses

et

MALIGNE TOURS LTD. ET L’AGENCE PARCS CANADA

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 [la Loi], de contrôle judiciaire de la décision du directeur du parc national Jasper [le directeur], en date du 25 juillet 2014, qui a approuvé, à des fins d’examen ultérieur dans le cadre du processus d’examen de l’aménagement, la proposition conceptuelle de Maligne Tours Ltd. [Maligne Tours] pour concevoir 10 à 15 tentes chalets aux termes d’un nouveau permis d’occupation au lac Maligne du parc national Jasper, en Alberta, sous réserve d’une modification du plan de gestion du parc [la décision].

II.                CONTEXTE

[2]               Les deux demanderesses sont des sociétés à but non lucratif ayant des intérêts de longue date dans l’entretien et la restauration de l’intégrité écologique du parc national Jasper, ainsi que des parcs nationaux du Canada en général. La Société pour la nature et les parcs du Canada est enregistrée en vertu de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23, tandis que la Jasper Environmental Association [JEA] est enregistrée en vertu de la Societies Act de la province de l’Alberta, RSA 2000, ch. S-14.

[3]               La défenderesse, Maligne Tours, est une société privée enregistrée en Alberta en vertu de la Business Corporations Act, RSA 2000, ch. B-9 et exerce ses activités depuis 1953. La défenderesse, l’Agence Parcs Canada [Parcs Canada], est une personne morale responsable de la mise en œuvre des politiques du gouvernement du Canada et des directives du ministre de l’Environnement [le ministre] qui ont trait aux parcs nationaux du Canada, en vertu de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31 [la Loi sur l’Agence].

[4]               Maligne Tours loue des terres de Parcs Canada à l’extrémité nord du lac Maligne, un lac alimenté par des glaciers du parc national Jasper et exploite un pavillon de jour et des installations de soutien, y compris des boutiques de cadeaux, une cafétéria et un service de visites en bateau de Spirit Island. Maligne Tours est devenue le seul fournisseur de ces services au début des années 1970. Le bail de Maligne Tours se situe dans une zone à l’étude pour une désignation comme habitat essentiel en vertu de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29 [LEP] du Canada.

[5]               Le lac Maligne est une attraction populaire tout au long de l’année. Sa saison touristique principale est l’été quand le lac et ses sentiers environnants sont fréquentés par environ 300 000 visiteurs. Étant donné qu’il s’agit d’un lac de haute altitude, il est généralement bloqué par les glaces du début novembre au début juin. Parcs Canada a décidé à la fin des années 1960 et au début des années 1970 qu’il n’y aurait pas d’hébergement de visiteurs commerciaux au lac Maligne et que les installations situées à l’extrémité nord du lac seraient réaménagées de façon à favoriser des activités de jour seulement. Cette intention a été renforcée par des plans ultérieurs de gestion du parc et n’a pas été sérieusement réexaminée. Maligne Tours a néanmoins fait des demandes répétées au cours des années pour avoir la possibilité de fournir des logements commerciaux.

[6]               En 2012, Maligne Tours s’est adressée à Parcs Canada pour lui présenter des idées concernant le renouvellement et le réaménagement de ses installations touristiques au lac Maligne, y compris le logement de nuit des visiteurs. En janvier 2013, Parcs Canada a informé Maligne Tours qu’il était prêt à examiner une proposition de réaménagement, sous réserve de certaines conditions, y compris la présentation d’une proposition conceptuelle plus détaillée à inclure dans la Stratégie de mise en œuvre pour la vallée de la Maligne [stratégie de mise en œuvre], que Parcs Canada avait l’intention de présenter aux fins d’un examen public, plus tard cette année-là. Le but de la Stratégie de mise en œuvre était de faire progresser les priorités de la vallée de la Maligne comme indiqué dans le Plan de gestion du Parc national Jasper de 2010 [le plan de gestion], y compris l’amélioration de la capacité des visiteurs de rester dans la région et la mise à jour des infrastructures, tout en assurant le maintien de valeurs élevées en matière de conservation – particulièrement en ce qui concerne la préservation du caribou et l’amélioration de l’espace et de la sécurité de la faune, comme les ours grizzlis et les canards arlequins. En mai 2013, Parcs Canada a confié un mandat à Maligne Tours pour orienter sa proposition de réaménagement.

[7]               Un projet d’analyse de la situation de la vallée de la Maligne [analyse de la situation] a été fourni aux demanderesses, le 29 octobre 2013. Ce document visait à éclairer la stratégie de mise en œuvre et son processus, et Parcs Canada a établi une période de consultation publique qui a pris fin le 22 novembre 2013. Les résultats de la procédure de consultation ont été diffusés le 7 mars 2014.

[8]               Les deux demanderesses ont fourni des commentaires sur les questions qu’elles ont relevées dans l’analyse de la situation. Le 19 novembre 2013, dans une lettre envoyée au directeur, JEA a exprimé sa préoccupation en ce qui concerne l’incidence potentielle que le projet de réaménagement pourrait avoir sur le caribou et l’ours grizzli dans la région du lac Maligne. Le 22 novembre 2013, la Société pour la nature et les parcs du Canada a écrit à Parcs Canada pour lui faire part de ses préoccupations au sujet du manque de renseignements de l’analyse de la situation et de ses propositions de réaménagement en général.

[9]               La proposition Concept Proposal for Responsible Experiential Enhancement at Maligne Lake de Maligne Tours [proposition conceptuelle] a été reçue par les deux demanderesses, le 14 novembre 2013. La proposition conceptuelle comportait trois initiatives importantes :

a)      Le réaménagement du pavillon de jour de Maligne Tours en un hôtel de 66 unités [proposition d’hôtel];

b)      L’aménagement d’un nouveau site de nuit de 10 à 15 tentes chalets, ce qui nécessiterait une nouvelle zone à bail [proposition de tentes chalets];

c)      le lancement de 12 activités différentes d’enrichissement de l’expérience des visiteurs.

[10]           Parcs Canada a reçu les commentaires du public sur la proposition conceptuelle jusqu’au 15 décembre 2013. Le conseiller juridique des demanderesses a répondu à la proposition conceptuelle dans une lettre envoyée au directeur, le 9 décembre 2013, faisant valoir que le ministre ne pouvait pas et ne devait pas approuver le projet de réaménagement pour les motifs suivants :

a)      l’aménagement proposé allait à l’encontre du plan de gestion;

b)      l’aménagement proposé allait à l’encontre des principes directeurs et des directives sur le logement commercial périphérique [les directives LCP];

c)      l’aménagement proposé allait à l’encontre des conditions énoncées dans le renouvellement en 2003 du bail et des permis d’occupation pour les aménagements du lac Maligne;

d)     le projet d’aménagement pourrait compromettre la survie et le rétablissement du troupeau de caribous des montagnes du Sud de la Maligne;

e)      l’aménagement proposé nuirait à l’utilisation par les grizzlis et les canards arlequins de l’habitat adjacent à l’aire de fréquentation diurne du lac Maligne;

f)       il n’y avait aucune preuve sur le plan social permettant d’appuyer la nécessité de l’hébergement de nuit au lac Maligne.

[11]           Le processus décisionnel de Parcs Canada à l’égard de la proposition conceptuelle du lac Maligne comporte plusieurs étapes. Tandis que la première étape touchait la préparation de la proposition conceptuelle à un niveau de détail de préconception, la deuxième étape comprendra la préparation d’une proposition de projet plus détaillé qui intègre les éléments du renouvellement expérientiel acceptés par Parcs Canada pour un examen plus approfondi ainsi qu’une analyse détaillée des répercussions environnementales. Les approbations à ce stade, seront accordées sous la forme de permis et de bail et de négociations de l’accord de licence.

[12]           D’octobre 2013 à janvier 2014, Parcs Canada a reçu environ 1 842 présentations de commentaires, y compris les réponses écrites des trois collectivités autochtones, relativement à la proposition conceptuelle. Le soutien apporté à Maligne Tours tendait à accueillir une proposition durable qui permettrait d’améliorer le tourisme de Jasper, ainsi que la nécessité d’une mise à jour des installations de jour actuelles pour tenir compte de l’évolution des besoins et des intérêts des visiteurs. Les objections étaient axées sur les préoccupations liées aux logements de nuit proposés, qui étaient plus controversés (le pavillon et les tentes chalets).

[13]           Les demanderesses ont reçu le compte rendu de décision du directeur, le 30 juillet 2014.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[14]           Dans une lettre envoyée à Maligne Tours qui accompagnait une copie du compte rendu de décision, le directeur a indiqué que, bien que le processus de la stratégie de mise en œuvre et un plan de rétablissement du caribou demeurent à l’ordre du jour, Parcs Canada a été en mesure de déterminer les éléments de la proposition conceptuelle qui passeraient à la deuxième étape de l’examen de l’aménagement. Après avoir déterminé la portée, les avantages et les préoccupations respectifs de chacun des 14 éléments de la proposition conceptuelle, le compte rendu de décision acceptait tout sauf la proposition du gîte de 66 chambres.

[15]           Le compte rendu de décision indique que pour parvenir à ses décisions sur la proposition conceptuelle, une attention particulière a été accordée aux orientations en matière d’aménagement du territoire du plan de gestion ainsi que du document de 2007 de Parcs Canada : Lignes directrices en matière de réaménagement pour les logements commerciaux périphériques et les établissements hôteliers dans les parcs nationaux des Rocheuses. Ces politiques, ainsi que le mandat de Parcs Canada, servent de cadre pour assurer le maintien des valeurs pour lesquelles l’UNESCO a désigné les parcs canadiens des Rocheuses comme sites du patrimoine mondial. En outre, les évaluations et les commentaires reçus par Parcs Canada et Maligne Tours ont été pris en considération dans le cadre du processus décisionnel du directeur et permettront de mieux formuler les présentations plus détaillées que produira Maligne Tours à la deuxième étape, si elles décident de poursuivre les éléments de la proposition conceptuelle qui ont été acceptés.

[16]           En 2013, le point de vue initial de Parcs Canada sur l’intégration de logements de visiteurs saisonniers dans une vallée de la Maligne réaménagée était qu’une proposition d’hôtel devait être examinée, même si elle est incompatible avec la politique actuelle. La politique doit évoluer avec le temps et prendre en compte le potentiel des projets proposés pour contribuer à l’enrichissement de l’expérience des visiteurs du lac Maligne. L’approbation préliminaire a laissé entendre que Parcs Canada était ouverte à un examen de la proposition d’hébergement commercial, mais aucune garantie de futures approbations de l’aménagement n’a été fournie.

[17]           Le compte rendu de décision indique que l’intégrité écologique constitue la première priorité de Parcs Canada dans le cadre du processus décisionnel. Les éléments de la proposition conceptuelle à qui on a accordé un examen plus approfondi au cours de la deuxième étape seront soumis à l’analyse de l’incidence environnementale de Parcs Canada. Cette analyse permet d’examiner comment les composantes de la proposition interagissent avec l’intégrité écologique et ses résultats serviront à appuyer la prise de décision ultérieure relativement à la proposition. L’expérience des visiteurs constitue un autre facteur politique.

[18]           On a également examiné les conditions du bail actuel de Maligne Tours, ainsi que les orientations de plusieurs politiques de Parcs Canada, y compris celles-ci : Principes directeurs et politiques de gestion de Parcs Canada (2004); cadre stratégique des limites établies pour la croissance et l’aménagement de Parcs Canada; lignes directrices en matière de réaménagement pour les logements commerciaux périphériques et les établissements hôteliers dans les parcs nationaux des Rocheuses (2007) de Parcs Canada; directive de gestion 4.4.6 de Parcs Canada – Logements commerciaux périphériques. Dans les parcs nationaux, la préférence est accordée aux installations d’hébergement de base comme les terrains de camping, les auberges et les refuges. Le secteur commercial peut être invité à fournir des installations couvertes en raison des conditions climatiques sévères et du manque d’installations existantes ou adjacentes, mais ces installations ne doivent pas nuire à l’expérience de la nature des autres et seront évaluées dans le cadre du plan de gestion. Elles doivent aussi se conformer rigoureusement au plan de zonage.

[19]           Le Plan de gestion – qui fournit le cadre stratégique pour la réalisation du mandat de Parcs Canada visant l’enrichissement de l’expérience et les possibilités d’apprentissage des visiteurs, l’amélioration de la protection des ressources écologiques et culturelles, le renforcement des relations avec les peuples autochtones et la promotion de l’intendance du parc – a également guidé la décision. Ses stratégies et concepts clés de la région contribuent à faire en sorte que l’utilisation des visiteurs ne porte pas atteinte à l’intégrité écologique. Cela se fait en accordant une attention particulière à la protection des populations de l’ours grizzli et du caribou, des corridors fauniques, des valeurs esthétiques, des attributs de la nature sauvage et de l’expérience des autres visiteurs. Le compte rendu de décision fait remarquer que le plan de gestion, contrairement à sa version précédente, ne fait aucune déclaration directe sur le sujet de l’hébergement commercial de nuit au lac Maligne.

[20]           Les facteurs clés pris en compte en ce qui concerne la proposition conceptuelle comprenaient ce qui suit :

         la cohérence avec les politiques foncières et d’utilisation des terres : leurs mérites et leurs effets potentiels positifs et négatifs à l’égard de l’intégrité écologique; l’expérience du visiteur; les ressources culturelles; le plaisir du public; les possibilités d’apprentissage;

         le poids, l’envergure, la masse et le traitement architectural des bâtiments;

         les capacités des infrastructures de la région et des milieux naturels à soutenir les propositions;

         l’influence potentielle sur les visites et les circonstances économiques;

         les réactions du public et des collectivités autochtones qui s’intéressent au parc national Jasper.

[21]           La proposition des tentes chalets a été acceptée pour un examen plus approfondi dans le cadre du processus d’examen de l’aménagement, sous réserve d’une modification réussie du plan de gestion pour permettre l’examen de la cession de nouvelles terres. La décision (figurant dans le compte rendu de décision) décrit la portée de la proposition comme étant une activité hors-bail, destinée aux jeunes couples urbains, aux nouveaux couples canadiens, aux visiteurs internationaux et à d’autres vacanciers indépendants, qui exigera la cession de nouvelles terres sous licence d’occupation pour accueillir 10 à 15 tentes chalets qui peuvent loger deux personnes chacune. Les tentes chalets utiliseront l’énergie électrique et le propane pour le chauffage, mais ne fournira pas de foyer ou de feu pour cuisiner, car le petit déjeuner et le dîner seront servis au chalet du lac Maligne. Les mérites du projet comprennent la diversification accrue des logements du parc – une priorité de Parcs Canada – et l’occasion de célébrer les récits des premières traditions touristiques du lac Maligne, tout en aidant à respecter les directives du plan de gestion visant à renouveler l’expérience et les possibilités d’apprentissage des visiteurs et à mettre à jour les infrastructures du lac Maligne.

[22]           La décision a cerné des préoccupations au sujet de la proposition de pavillon à toit fixe (une entorse aux valeurs pittoresques, un échec au soutien des objectifs et des politiques écologiques, etc.), mais a constaté que ces préoccupations s’appliquent, dans une moindre mesure, à la proposition relative aux tentes chalets pour laquelle l’aménagement nécessaire est de moindre envergure, moins intense et facilement réversible, ce qui permet d’adopter une approche de gestion adaptative. Parmi d’autres préoccupations, notons celle-ci : la nécessité d’une gestion active (y compris l’application des règlements relatifs aux attractifs de la faune) et la conception intelligente afin d’éviter les conflits faune-humains et d’y répondre; la cession requise de nouvelles terres (qui contredit l’article 4.7.1 du Plan de gestion); le risque de voir la qualité de l’expérience des visiteurs réduite par le manque d’intimité pour les occupants des cabanes; l’emplacement du site des cabanes qui est ancré dans une zone diurne très fréquentée.

[23]           La décision indique que Parcs Canada est disposée à examiner la proposition relative aux tentes chalets, sous réserve d’une modification en bonne et due forme du Plan de gestion. Cela, aux côtés des autres décisions figurant dans le compte rendu de décision, permet d’élaborer une proposition de projet global qui sera examinée par Parcs Canada en même temps qu’une analyse détaillée des incidences environnementales, dont l’examen offrira des possibilités supplémentaires pour les commentaires du public.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Les demanderesses ont soulevé les questions suivantes qui sont distinctes, mais étroitement liées à cette demande :

1.      La décision contrevient-elle illégalement au plan de gestion?

2.      Le directeur a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en rendant la décision subordonnée à une modification future du plan de gestion?

3.      La décision est-elle déraisonnable compte tenu de son incapacité à favoriser le maintien et la restauration de l’intégrité écologique?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[25]           La Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans tous les cas. En revanche, lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie en jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, paragraphe 48.

[26]           Dans l’arrêt Canada (Attorney General) v Banff (Development Appeal Board), 2013 ABCA 127 [Banff], la Cour d’appel de l’Alberta a jugé que la norme de la décision correcte doit s’appliquer aux décisions d’une commission d’appel de l’aménagement « [traduction] sur l’interprétation des lois, des règlements et d’autres instruments de planification semblables ». Toutefois, étant donné que la première question à trancher dans le présent contrôle judiciaire engage l’expertise du directeur et repose principalement sur l’interprétation du plan de gestion dans le cadre d’un ensemble de faits, la déférence devrait s’y appliquer et la norme de contrôle sera le caractère raisonnable : Dunsmuir, précité, aux paragraphes 53 et 54.

[27]           En ce qui concerne la deuxième question, une véritable question de compétence est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, dans ce cas, le directeur agit dans une juridiction territoriale qui lui a été accordée par la loi en permettant à la proposition relative aux tentes chalets d’avancer dans le cadre du processus d’examen de l’aménagement vers la prochaine étape de l’étude. Étant donné la nature discrétionnaire ainsi que l’expertise et l’expérience que cela nécessite, la décision du directeur, rendue en vertu de son pouvoir de gérer un parc national, est susceptible de contrôle selon la norme du caractère raisonnable : Burley c. Canada (Procureur général), 2008 CF 588; Sunshine Village Corporation c. Agence Parcs Canada et al, 2014 CF 604, paragraphe 30 [Sunshine Village].

[28]           La troisième question sera également examinée en toute clarté, selon la norme du caractère raisonnable.

[29]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse porte sur « la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 et Khosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[30]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’Agence Parcs Canada s’appliquent en l’espèce :

Ministre Responsable

Minister Responsible

4. (1) Le ministre est responsable de l’Agence et, à ce titre, ses attributions s’étendent de façon générale à tous les domaines de compétence fédérale non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes et liés :

4. (1) The Minister is responsible for the Agency and the powers, duties and functions of the Minister, in that capacity, extend to and include all matters over which Parliament has jurisdiction, not by law assigned to any other department, board or agency of the Government of Canada, relating to

a) aux lieux naturels ou historiques d’importance pour la nation, notamment les parcs nationaux, les aires marines nationales de conservation, les lieux historiques nationaux, les canaux historiques, les musées historiques créés en vertu de la Loi sur les lieux et monuments historiques, le parc marin du Saguenay — Saint-Laurent et le parc urbain national de la Rouge;

(a) areas of natural or historical significance to the nation, including national parks, national marine conservation areas, national historic sites, historic canals, historic muse ums established under the Historic Sites and Monuments Act, Saguenay-St. Lawrence Marine Park and Rouge National Urban Park;

b) aux gares ferroviaires patrimoniales, aux phares patrimoniaux, aux édifices fédéraux patrimoniaux, aux lieux patrimoniaux au Canada, à l’archéologie fédérale et aux rivières du patrimoine canadien;

(b) heritage railway stations, heritage lighthouses, federal heritage buildings, historic places in Canada, federal archaeology and Canadian heritage rivers; and

c) à la mise sur pied et la mise en œuvre de programmes visant principalement le patrimoine bâti.

(c) the design and implementation of programs that relate primarily to built heritage.

Instruction du Ministre

Ministerial Direction

(2) Le ministre fixe les grandes orientations à suivre par l’Agence, à qui il incombe de se conformer aux instructions générales ou particulières qu’il lui donne en ce qui a trait à la réalisation de sa mission.

(2) The Minister has the overall direction of the Agency, which shall comply with any general or special direction given by the Minister with reference to the carrying out of its responsibilities.

[31]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32 [Loi sur les parcs]  s’appliquent en l’espèce :

2. (1) « intégrité écologique » L’état d’un parc jugé caractéristique de la région naturelle dont il fait partie et qui sera vraisemblablement maintenu, notamment les éléments abiotiques, la composition et l’abondance des espèces indigènes et des communautés biologiques ainsi que le rythme des changements et le maintien des processus écologiques.

2. (1) “ecological integrity” means, with respect to a park, a condition that is determined to be characteristic of its natural region and likely to persist, including abiotic components and the composition and abundance of native species and biological communities, rates of change and supporting processes.

Usage public des parcs

Parks dedicated to public

4. (1) Les parcs sont créés à l’intention du peuple canadien pour son bienfait, son agrément et l’enrichissement de ses connaissances, sous réserve de la présente loi et des règlements; ils doivent être entretenus et utilisés de façon à rester intacts pour les générations futures.

4.(1) The national parks of Canada are hereby dedicated to the people of Canada for their benefit, education and enjoyment, subject to this Act and the regulations, and the parks shall be maintained and made use of so as to leave them unimpaired for the enjoyment of future generations.

Autorité Compétente

Management by Minister

8. (1) Les parcs, y compris les terres domaniales qui y sont situées, sont placés sous l’autorité du ministre; celui-ci peut, dans l’exercice de cette autorité, utiliser et occuper les terres domaniales situées dans les parcs.

8. (1) The Minister is responsible for the administration, management and control of parks, including the administration of public lands in parks and, for that purpose, the Minister may use and occupy those lands

Intégrité Écologique

Ecological Integrity

(2) La préservation ou le rétablissement de l’intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques sont la première priorité du ministre pour tous les aspects de la gestion des parcs.

(2) Maintenance or restoration of ecological integrity, through the protection of natural resources and natural processes, shall be the first priority of the Minister when considering all aspects of the management of parks.

Plan directeur

Management Plans

11. (1) Dans les cinq ans suivant la création d’un parc, le ministre établit un plan directeur de celui-ci qui présente des vues à long terme sur l’écologie du parc et prévoit un ensemble d’objectifs et d’indicateurs relatifs à l’intégrité écologique, et des dispositions visant la protection et le rétablissement des ressources, les modalités d’utilisation du parc par les visiteurs, le zonage, la sensibilisation du public et l’évaluation du rendement; il le fait déposer devant chaque chambre du Parlement.

11. (1) The Minister shall, within five years after a park is established, prepare a management plan for the park containing a long-term ecological vision for the park, a set of ecological integrity objectives and indicators and provisions for resource protection and restoration, zoning, visitor use, public awareness and performance evaluation, which shall be tabled in each House of Parliament.

Examen du plan directeur par le ministre

Review of Management Plans by Minister

(2) Le ministre procède à l’examen du plan au moins tous les dix ans par la suite et, le cas échéant, fait déposer ses modifications devant chacune de ces chambres.

(2) The Minister shall review the management plan for each park at least every 10 years and shall cause any amendments to the plan to be tabled in each House of Parliament.

Pouvoirs du directeur

Powers of superintendents

16. (3) Les règlements pris sous le régime du présent article peuvent habiliter le directeur d’un parc, dans les circonstances et sous réserve des limites qu’ils prévoient, à :

16. (3) Regulations made under this section may authorize the superintendent of a park, in the circumstances and subject to the limits that may be specified in the regulations,

(a) en modifier les exigences à l’égard du parc en vue de la protection du public ou de la préservation de ses ressources naturelles;

(a) to vary any requirement of the regulations for purposes of public safety or the conservation of natural resources in the park;

(b) délivrer, modifier, suspendre ou révoquer des licences, permis ou autres autorisations relativement à ces matières et en fixer les conditions;

(b) to issue, amend, suspend and revoke permits, licences and other authorizations in relation to any matter that is the subject of regulations and to set their terms and conditions; and

(c) ordonner la prise de mesures afin de parer aux menaces pour la santé publique ou de remédier aux conséquences des contraventions aux règlements dans le parc.

(c) to order the taking of any action to counter any threat to public health or to remedy the consequences of any breach of the regulations in the park.

VII.          ARGUMENT

A.                Demanderesses

(1)               Atteinte au plan de gestion

[32]           L’article 4.7.1 du plan de gestion interdit, dans la « directive sur les installations périphériques et le bassin du ruisseau Marmot », toute cession de nouvelles terres pour le logement commercial de nuit à l’extérieur de la collectivité de Jasper [disposition prohibitive]. Le compte rendu de décision reconnaît que la proposition relative aux tentes chalets exigera la cession de nouvelles terres et qu’elle est donc en contradiction évidente avec l’article 4.7.1 du Plan de gestion.

[33]           La disposition prohibitive est contraignante, soit en tant que directive ministérielle aux termes de l’article 4 de la Loi sur l’Agence ou en tant que mesure législative subordonnée, ou les deux. Les demanderesses soutiennent que la disposition prohibitive constitue une « directive générale ou particulière » du ministre et qu’elle est soutenue par le plan de gestion et sa politique d’appui qui s’y réfère constamment en tant que « directive ». La Cour d’appel fédérale a déclaré que les dispositions de cette directive sont susceptibles d’être contraignantes pour Parcs Canada : Peter G White Management Ltd c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2006 CAF 190 [Peter G White].

[34]           Les demanderesses affirment que le Plan de gestion est de nature législative, car il aborde l’orientation générale du parc national Jasper pour les 10 à 15 prochaines années, s’applique à la gouvernance générale au fil du temps et sert de cadre pour la planification et la prise de décision touchant l’ensemble du parc. Il est donc compatible avec les critères énoncés dans la décision Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, 2009 CSC 31, de la Cour suprême du Canada; il a une portée générale, est accessible au public et établit les droits et obligations des autres sur une certaine période de temps.

[35]           Afin de déterminer si le plan de gestion est une mesure législative subordonnée ayant force de loi, les demanderesses appliquent une analyse en deux étapes, scrutant d’abord le régime législatif pour déterminer si la loi habilitante est en mesure de prendre en charge le pouvoir de prendre une mesure législative subordonnée, puis l’instrument lui-même afin de déterminer si elle est obligatoire. Voir Guelph (City) v Wellington-Dufferin-Guelph Health Unit, [2011] OJ n6396, paragraphe 102; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] SCJ no 1, paragraphes 33 à 37. Les demanderesses affirment que, conformément au paragraphe 4(2) de la Loi sur l’Agence, l’intention du législateur du plan de gestion est en partie de permettre au ministre de lier Parcs Canada par la directive ministérielle. En outre, le plan de gestion a été promulgué et déposé au Parlement par le ministre en vertu de la Loi sur les parcs et de la Loi sur l’Agence. Ce sont des exercices d’autorité qui, selon la Cour d’appel fédérale, peuvent donner force de loi à un plan de gestion : Peter G White, précité.

[36]           Les demanderesses disent que l’emploi de termes obligatoires et sans ambiguïté comme « devra » et « doit » démontre que le plan de gestion est obligatoire : Peter G White, précité, paragraphes  30 et 70; Banff, précité. On le précise, en outre, dans l’explication figurant dans le compte rendu de décision relativement au retrait d’une disposition dans une version antérieure du document, indiquant qu’elle a été éliminée [traduction] « en partie parce qu’elle restreint la flexibilité d’envisager de nouvelles idées au fort potentiel ». Étant donné que le compte rendu de décision indique que Parcs Canada devra procéder à un examen du plan de gestion pour permettre l’examen de la cession de terres supplémentaires, le directeur a réalisé clairement que l’interdiction de la cession de nouvelles terres est obligatoire, car une modification ne serait autrement pas nécessaire.

[37]           Les demanderesses soutiennent, en outre, que le directeur n’a pas appliqué les directives LCP tel que requis par le plan de gestion. L’article 2.6 des directives LCP interdit tout nouveau LCP à l’extérieur du site de la ville de Jasper. Lorsque les directives LCP définissent un LCP comme étant [traduction] « tout hébergement des visiteurs du parc national des Rocheuses accessible par la route et exploité par une entreprise privée », le compte rendu de décision définit le LCP comme un [traduction] « hébergement à toit fixe permanent, à faible densité d’accueil, exploité par le secteur privé... sur un terrain loué dans un parc national et accessible par la route ». Cette dépendance à l’égard d’une définition non étayée traduit un défaut de tenir compte des directives LCP dans le cadre de la proposition relative aux tentes chalets, quelque chose que le directeur a été, selon les demanderesses, obligé de faire.

[38]           En prenant une décision qui transgresse la disposition prohibitive figurant dans le plan de gestion, et en omettant d’appliquer les directives LCP, le directeur a commis une erreur en droit ou, à titre subsidiaire, a agi de façon déraisonnable.

(2)               La future modification conditionnelle du plan de gestion

[39]           En subordonnant son approbation de la proposition relative aux tentes chalets à une modification future du plan de gestion, les demanderesses soutiennent que le directeur a commis une erreur de droit ou de compétence ou, à titre subsidiaire, pris une décision déraisonnable. Sur le plan du premier argument, le pouvoir d’examiner et de décider des modifications au plan de gestion relève de la compétence du ministre; le directeur n’est pas autorisé par le régime législatif et politique à envisager une modification future et a donc ignoré ou mal compris les paramètres de son pouvoir de décision. La Cour ne devrait pas sanctionner un comportement ultra vires, car le faire porterait atteinte à la nature hiérarchique des pouvoirs délégués.

[40]           Le deuxième argument de rechange est que le directeur a mal exercé son pouvoir discrétionnaire, notamment en tenant compte de motifs non pertinents et en prenant la décision dans un but illégitime : Chernipeski v Lacombe (Town) (1996), 45 Alta LR (3d) 207 [Chernipeski]. Le directeur était tenu de ne tenir compte que du plan de gestion actuel et du régime législatif qui autorise son activité, et non pas des répercussions spéculatives comme une éventuelle modification : R v Fortune, 2012 BCSC 2031.

[41]           Les demanderesses soutiennent en outre qu’une éventuelle modification a été envisagée dans un but illégitime, quelque chose qui, selon la Cour suprême du Canada, se traduira par une décision ultra vires : Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 RCS 231 [Shell Canada]. Le but de l’examen d’une modification du plan de gestion n’est pas indiqué dans le compte rendu de décision. Toutefois, aucun examen n’a été effectué pour déterminer le « changement de circonstances » et on n’a déterminé aucun « changement de circonstances » qui justifierait une modification. L’aménagement commercial ne constitue pas un « changement de circonstances ». On peut donc supposer que l’examen d’une future modification a été fait uniquement pour autoriser les logements commerciaux proposés. Ce but est contraire à la législation applicable. Dans l’arrêt International Union of Operating Engineers, Local 904 v Newfoundland (Labour Relations Board), 135 Nfld & PEIR 350 (SCTD) [Operating Engineers], la Cour suprême de Terre-Neuve (Division de première instance) a jugé que la Commission ne devrait pas demander une modification législative pour éliminer l’effet escompté d’une décision qu’elle avait prise sous réserve. Les demanderesses font valoir de même qu’en l’espèce, le directeur ne doit pas demander une modification du Plan de gestion et compter dessus pour éliminer l’effet prévu d’une décision prise sur la foi du plan de gestion existant. Il s’agit d’un but illégitime.

[42]           Les demanderesses affirment que le processus de modification vise clairement à faire distinguer les décisions en matière d’aménagement des décisions à long terme du plan de gestion. La modification fragmentaire du plan de gestion pour la promotion de l’aménagement serait contraire à son objectif principal de maintenir l’intégrité écologique pour les générations futures.

(3)               L’incapacité de favoriser l’intégrité écologique

[43]           Les demanderesses soutiennent, en outre, que le directeur n’a pas respecté les obligations juridiques énoncées dans la Loi sur les parcs, le plan de gestion, les directives LCP et la LEP pour accorder la priorité à l’intégrité écologique. Le compte rendu de décision indique que les « préoccupations écologiques relevées à l’égard du volet du logement à toit fixe/hôtel s’appliquent, dans une moindre mesure, aux tentes chalets... » et cerne ensuite un autre problème lié au potentiel de conflits entre la faune et les êtres humains (créés par le site des tentes chalets). La preuve des répercussions sur l’intégrité écologique liées à la proposition relative aux tentes chalets rend la décision déraisonnable, en particulier compte tenu de l’invocation par le directeur des mêmes préoccupations écologiques pour justifier le rejet de la proposition relative à un hôtel.

[44]           Aucune preuve n’a été fournie pour appuyer l’affirmation selon laquelle les préoccupations à l’égard de la proposition relative aux tentes chalets seront nettement moindres que celles qui touchent la proposition relative à un hôtel. Les demanderesses font valoir que, puisque la proposition relative aux tentes chalets exige la cession de terres supplémentaires et augmente le risque de conflits entre la faune et les êtres humains, on peut soutenir que certaines répercussions seraient encore plus importantes. En outre, l’hypothèse de la réversibilité est discutable, car même dans le cas d’une construction moins permanente, un gîte créera une empreinte écologique caractérisée par des répercussions semblables.

[45]           Parcs Canada a défini l’état du caribou comme étant l’un des défis les plus pressants qui se posent au parc national Jasper et a déterminé que l’aménagement commercial est l’une des menaces à sa survie. La plus grande partie de la vallée de la Maligne a été définie par Parcs Canada comme étant un habitat important du caribou et ses propres documents indiquent les répercussions sur la viabilité du troupeau même si un seul caribou est perdu. La sous-catégorie du troupeau de la Maligne a diminué, passant de 68 animaux en 1998 à 4 en 2014. Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada [COSEPAC] a évalué les caribous des montagnes du Sud comme étant une espèce en péril en mai 2014, ce qui signifie qu’ils sont confrontés à une disparition ou extinction imminente.

[46]           Parcs Canada a la responsabilité de mettre en œuvre la LEP dans les parcs nationaux; cela inclut l’obligation de protéger les espèces en péril et leurs habitats. Le ministre a publié le « Programme de rétablissement de la population des montagnes du Sud du caribou des bois (Rangifer tarandus caribou) au Canada », comme l’exige la LEP – dont le but, font valoir les demanderesses, n’est manifestement pas atteint. Compte tenu de l’état actuel du troupeau et du fait que l’aménagement commercial a été déterminé comme étant une menace, il est clair que le fait de laisser l’aménagement se poursuivre et de céder de nouvelles terres dans la région serait contraire au programme de rétablissement et aux exigences de la LEP.

[47]           Les demanderesses affirment que la protection de l’intégrité écologique dans la vallée de la Maligne nécessite également la protection et le rétablissement des grizzlis et de leur habitat, une priorité déterminée par Parcs Canada dans le plan de gestion. Le COSEPAC a recommandé en 2002 et en 2012 que les ours grizzlis soient inscrits comme une espèce préoccupante en vertu de la LEP.

[48]           Un aménagement supplémentaire dans la vallée de la Maligne n’est pas compatible avec le rétablissement du troupeau de caribous et la protection des grizzlis de la Maligne, et la proposition relative aux tentes chalets pose un nouveau risque pour la sécurité de leur habitat. La perte d’un écosystème est contraire aux obligations du ministre en vertu du paragraphe 8(2) de la Loi sur les parcs : ZooCheck Canada c. Agence Parcs Canada, 2008 CF 540. Les demanderesses font valoir en l’espèce que le fait de permettre un aménagement qui contribue à la perte d’une espèce est également contraire à ces mêmes obligations.

[49]           Le compte rendu de décision est contradictoire et déraisonnable parce qu’il rejette la proposition relative à un hôtel pour son non-respect des documents de Parcs Canada (le plan de gestion et les directives LCP invoqués lors du refus de son approbation), mais ignore le fait que cette proposition ne se conforme pas à ces mêmes documents.

[50]           Les demanderesses soutiennent que la nature publique nationale de la question à l’étude et l’importance de maintenir l’intégrité écologique rendent d’autant plus vital le fait que la Cour prononce le jugement déclaratoire demandé : Nagalingam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 362, au paragraphe 18. Les interdictions demandées sont appropriées : le directeur a agi au-delà de son pouvoir et on doit empêcher Parcs Canada de prendre des mesures futures avant que la Cour rende sa décision sur la légalité de la décision. L’examen par voie de certiorari est également adéquat et la décision doit être annulée.

B.                 Défenderesses – Parcs Canada

[51]           Parcs Canada est fondamentalement en désaccord avec la caractérisation de la décision par les demanderesses. C’était une première étape, la décision au niveau conceptuel, qui a tout simplement permis à la proposition relative aux tentes chalets de passer à la deuxième étape du processus d’examen de l’aménagement. À ce moment-là, un examen détaillé de l’interaction de la proposition relative aux tentes chalets avec l’intégrité écologique se produira et Maligne Tours devra soumettre au directeur une proposition plus robuste ainsi qu’une analyse des répercussions environnementales pour examen.

(1)               La décision est légitime

[52]           Parcs Canada estime que la décision est légitime pour les motifs suivants : le directeur avait le pouvoir juridique de le faire; elle ne contrevient pas au plan de gestion; les plans de gestion sont des lignes directrices, pas des mesures législatives non subordonnées ou des directives contraignantes.

[53]           Conformément à la Loi sur l’Agence, les pouvoirs, devoirs et fonctions du ministre s’étendent à toutes les questions relatives aux parcs nationaux sur lesquels le Parlement a compétence et qui ne sont autrement pas affectés. Dans l’affaire Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Canada, 2003 CAF 197 [Société pour la nature et les parcs du Canada c. Canada], la Cour d’appel fédérale a constaté que le pouvoir du ministre d’autoriser la construction d’une route à travers un parc national est né de la responsabilité du ministre d’administrer et de gérer les parcs nationaux conformément au paragraphe 8(1) de la Loi sur les parcs. La Cour a souligné que la responsabilité, sans pouvoir, serait peu utile en pratique (paragraphe 41). En outre, la Cour a fait remarquer que, comme il est indiqué dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 RCS 2, au paragraphe 7, l’approche judiciaire à l’égard de l’interprétation des lois devrait être d’éviter une étroite construction technique et de donner effet à l’intention du législateur telle qu’elle est appliquée au régime administratif en question.

[54]           La Cour a, à plusieurs reprises, reconnu l’autorité législative et la responsabilité des directeurs de gérer les parcs nationaux : Sunshine Village, précité, paragraphe 30. Le directeur du parc national Jasper a un vaste pouvoir de gérer les affaires quotidiennes du parc et délivrer une multitude de permis. Il peut exiger de plus amples renseignements de la part des demanderesses afin de le faire : Règlement sur les bâtiments des parcs nationaux, CRC, ch. 1114, articles 5 à 8 [Règlement sur les bâtiments]; Règlement général sur les parcs nationaux, DORS/78-213, articles 6 à 14 [Règlement général]. Comme la décision du directeur dans l’arrêt Sunshine Village, précité, la décision du directeur en l’espèce [traduction] « était pleinement de son ressort » (paragraphe 37).

[55]           La décision ne contrevient pas au plan de gestion, car il a seulement été décidé que la proposition relative aux tentes chalets peut être acceptée pour un examen plus approfondi dans le processus d’examen de l’aménagement, sous réserve d’une modification du plan de gestion pour permettre la cession de nouvelles terres pour les tentes chalets proposées. La proposition au niveau de la conception n’a pas encore été fournie et l’analyse détaillée des répercussions environnementales n’a pas encore été effectuée. Ainsi, on ne peut pas encore dire si le directeur va même approuver la proposition à la deuxième étape.

[56]           En outre, Parcs Canada fait valoir que les plans de gestion sont des lignes directrices, et non pas des directives contraignantes ou des mesures législatives subordonnées. Ils sont de nature administrative, ne confèrent pas de droits exécutoires et ne prévoient aucune pénalité s’ils sont enfreints. Il convient de noter que l’exigence de plans de gestion à l’article 11 de la Loi sur les parcs est incluse avec les autres dispositions qui concernent l’administration des parcs, tandis que les pouvoirs de réglementation se trouvent ailleurs. En outre, même si la Loi sur les parcs prévoit qu’un plan communautaire pour une collectivité du parc doit être compatible avec le plan de gestion du parc, elle n’exige pas que les décisions relatives à la gestion (des directeurs ou d’autres gestionnaires) soient compatibles avec les plans de gestion. Ce n’est également pas requis par le Règlement sur les bâtiments ou le Règlement général.

[57]           L’incohérence entre un projet proposé dans un parc national et un plan de gestion est prévue dans le cadre des évaluations environnementales. L’article 1 de l’annexe du Règlement sur la liste d’étude approfondie, en vertu de l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, exigeait une étude approfondie d’un ouvrage qui est contraire au plan de gestion d’un parc.

[58]           Parcs Canada estime que le plan de gestion fait partie d’un cycle continu de consultations et de prise de décisions. Il n’est pas juridiquement contraignant. Le « Guide de planification pour l’élaboration des plans directeurs à Parcs Canada » de Parcs Canada, invoqué par les demanderesses, envisage la flexibilité et les modifications du plan, ce qui laisse entendre que l’on devrait se demander si de nouvelles stratégies ou initiatives importantes peuvent nécessiter une révision des objectifs du plan et offre « une occasion intéressante de répondre à une nouvelle orientation de l’Agence ». Les modifications aux plans sont des questions de jugement à appliquer au cas par cas. Le Plan de gestion lui-même fait référence à l’approche stratégique de Parcs Canada à l’égard de la planification de la gestion, ce qui indique qu’il doit servir de cadre et qu’il sera révisé dans cinq ans. Il fournit une orientation stratégique par opposition à certaines mesures normatives.

[59]           La Cour a jugé que les plans de gestion ne constituent pas des mesures législatives subordonnées; ce sont des lignes directrices pour des décisions particulières à prendre à l’avenir, selon les circonstances, telles qu’elles peuvent évoluer : Brewster Mountain Pack Trains Ltd. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 66 FTR 18, paragraphe 27 [Brewster].

[60]           Parcs Canada affirme que les arrêts Peter G White et Banff, précités, invoqués par les demanderesses n’appuient pas la suggestion selon laquelle les plans de gestion constituent une directive contraignante pour le ministre. Le fait d’en conclure autrement entraverait la capacité du ministre, conférée par le paragraphe 8(1) de la Loi sur les parcs, de déléguer au directeur la responsabilité de gérer le parc national Jasper.

(2)               Directives sur le logement commercial périphérique

[61]           Le directeur a utilisé la définition détaillée de « logement commercial périphérique » stipulée dans la Directive de gestion 4.6.6 de Parcs Canada, qui fait expressément mention de logement « à toit fixe permanent ». La définition citée par les demanderesses est une définition plus brève, qui doit être lue dans son contexte. La citation complète, dans les Directives LCP de 2007, est la suivante :

[traduction]… les personnes qui cherchent un logement dans un cadre plus naturel ont accès à une variété d’auberges, de gîtes et de chalets situés à l’extérieur des collectivités du parc national. Les gîtes et les chalets sont connus sous le nom de logements commerciaux périphériques (LCP). Les LCP sont définis comme tout hébergement des visiteurs du parc national des Rocheuses accessible par la route et exploité par une entreprise privée à l’extérieur des collectivités de Banff, Lake Louis, Field, Jasper et Waterton.

[62]           Parcs Canada estime que les directives LCP ne constituent pas un obstacle à l’examen des propositions relatives aux tentes chalets, car elles mettent l’accent sur des structures permanentes qui ne sont pas en toile et ne traitent pas d’autres formes d’hébergement (comme les yourtes, les tentes quatre saisons ou les « tentes prêtes au campement ») et ne s’appliquent pas aux terrains de camping ou au pavillon de jour du lac Maligne. De toute façon, les directives LCP sont tout simplement des lignes directrices et le ministre ainsi que Parcs Canada peuvent répondre à toutes les incohérences entre eux et la proposition relative aux tentes chalets dans le cadre du processus d’examen et de modification du plan de gestion.

(3)               La décision est-elle raisonnable?

[63]           Parcs Canada soutient que la décision se situe dans une gamme de résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Une déférence considérable devrait être accordée au point de vue des responsables du parc selon lequel une mesure particulière n’est pas incompatible avec la bonne exécution des grandes obligations légales : Société pour la nature et les parcs du Canada c. Canada, précité, paragraphe 45. La décision a tenu compte, à juste titre, des facteurs stratégiques clés, des directives LCP et du plan de gestion, tout en reconnaissant la nécessité qu’une politique évolue avec le temps. En outre, le directeur a reconnu que la proposition relative aux tentes chalets appuierait les orientations figurant dans le plan de gestion en renouvelant l’expérience des visiteurs, tout en mettant à jour et en diversifiant les infrastructures du lac Maligne.

[64]           Le fait que le directeur accorde la première priorité à l’examen de l’intégrité écologique signifie qu’il y a d’autres priorités à prendre en compte dans le cadre de l’administration et de la gestion des parcs nationaux : Société pour la nature et les parcs du Canada c. Canada, précité, paragraphe 68. La Loi sur les parcs énonce certaines de ces autres priorités. Par exemple, le paragraphe 4(1) stipule que les parcs nationaux du Canada sont créés à l’intention du peuple canadien pour « son bienfait, son agrément et l’enrichissement de ses connaissances ». Le compte rendu de décision détermine également les priorités de l’amélioration de l’expérience des visiteurs et des possibilités éducatives et révèle que, même si d’autres points étaient évalués, l’intégrité écologique a eu la priorité de deux façons. Cela s’est produit, en premier lieu, à un niveau conceptuel de façon à ce que les répercussions possibles des tentes chalets soient examinées. Le point de vue préliminaire du directeur était que l’autorisation d’un aménagement très limité dans une zone diurne intensément utilisée ne devrait pas entraver les efforts de conservation du caribou ou nuire à la sécurité de l’habitat des grizzlis. Deuxièmement, la priorité de l’intégrité écologique est également visible dans le compte rendu de décision qui reconnaît qu’une analyse détaillée des répercussions environnementales aurait lieu à la deuxième étape, si la proposition relative aux tentes chalets passe au processus d’examen de l’aménagement.

[65]           Parcs Canada fait valoir à titre subsidiaire que l’affirmation des demanderesses, selon laquelle la priorité de l’intégrité écologique n’a pas été dûment établie, est prématurée. Les renseignements qui découleront d’une analyse des répercussions environnementales éclaireront la décision de la deuxième étape. La Cour ne devrait pas accepter la suggestion selon laquelle aucun autre examen ne devrait se produire. La Cour d’appel fédérale a déclaré que la cour de révision ne doit pas réévaluer les facteurs pris en considération, qu’ils soient écologiques, sociaux ou économiques : Société pour la nature et les parcs du Canada c. Canada, précité, paragraphe 99.

(4)               But illégitime

[66]           Parcs Canada estime, en outre, que la preuve n’appuie pas une affirmation selon laquelle la décision a été prise dans un but illégitime ou était fondée sur un facteur non pertinent. Ce que la preuve révèle effectivement, c’est que le directeur poursuivait un but légitime de promouvoir les politiques et les objectifs de la Loi sur les parcs, en établissant comme il se doit la priorité de l’intégrité écologique et en tenant compte du potentiel de la proposition relative aux tentes chalets d’améliorer l’expérience des visiteurs et la connexion avec le lac Maligne.

[67]           Parcs Canada fait valoir que la présente instance n’est pas comparable à une situation où un conseil municipal a utilisé ses pouvoirs de planification pour faciliter la vente de terrains de la ville afin de récupérer les coûts d’aménagement : Chernipeski, précité. Ni est-elle semblable à celle où une ville a usé de ses pouvoirs pour exercer une influence à l’extérieur de ses limites alors qu’elle interdisait de faire des affaires avec une entreprise en raison de la présence commerciale de cette société en Afrique du Sud : Shell Canada, précité. Ni est-elle analogue à celle où un conseil d’administration a porté atteinte à l’obligation d’équité en demandant une modification législative avec effet rétroactif pour éliminer l’effet escompté d’une décision prise sous réserve : Operating Engineers, précité.

[68]           Il n’y a rien de mal dans la décision envisageant un examen futur et une modification possible du plan de gestion. Le ministre est responsable de l’administration et de la gestion du parc et doit approuver les modifications à apporter au plan de gestion. La thèse des demanderesses selon laquelle Parcs Canada ne peut pas examiner une proposition qui est incompatible avec un plan de gestion est contraire à la Loi sur les parcs, aux politiques et à la jurisprudence.

C.                 Défenderesses – Maligne Tours Ltd.

[69]           Maligne Tours souligne le fait que le directeur n’a pas décidé que la proposition relative aux tentes chalets soit approuvée sous réserve de modification du plan de gestion. Au contraire, la proposition conceptuelle a été [traduction] « acceptée pour un examen plus approfondi dans le cadre du processus d’examen de la deuxième étape » et Parcs Canada est [traduction] « prête à l’examiner sous réserve d’une modification en bonne et due forme du plan de gestion du parc ». Le directeur n’a également pas dit à Maligne Tours qu’il avait le pouvoir d’apporter unilatéralement la modification au plan de gestion requis pour la proposition relative aux tentes chalets qui doit faire l’objet d’un examen plus approfondi.

(1)               Le pouvoir du directeur

[70]           Maligne Tours soutient qu’il est clair que le directeur a le pouvoir, en vertu de la Loi sur les parcs, d’autoriser l’aménagement d’un site de tentes chalets et d’autoriser diverses activités connexes dans le parc national Jasper. L’alinéa 16(3)b) de la Loi sur les parcs habilite le directeur à « délivrer, modifier, suspendre ou révoquer des licences, permis ou autres autorisations relativement à ces matières et en fixer les conditions ». En outre, le Règlement général stipule que le directeur « peut, pour les besoins de l’administration du parc, désigner les activités, autres que celles visées à l’article 7, dont l’exercice est assujetti à l’obtention d’une autorisation ». Grâce à ce pouvoir discrétionnaire, le directeur peut « délivrer une autorisation et, le cas échéant, l’assortir de conditions » en tenant compte, entre autres, « de la protection, de la surveillance et de l’administration du parc ». En outre, la proposition relative aux tentes chalets relève de la compétence législative du directeur comme il est indiqué dans la Loi sur les parcs, le Règlement général et le Règlement sur les bâtiments.

(2)               La future modification conditionnelle du plan de gestion

[71]           Maligne Tours fait valoir que le pouvoir discrétionnaire du directeur pour décider des questions qui relèvent de son autorité législative englobe le pouvoir de prendre des décisions fondées sur un événement déclencheur – une condition préalable. En outre, la jurisprudence soutient l’idée que les décideurs administratifs ont un pouvoir implicite de prendre des décisions discrétionnaires subordonnées. Dans l’affaire EC Argue Holdings Ltd v Edwold No 158 (Rural Municipality), 2000 SKCA 34, la Cour d’appel de la Saskatchewan a implicitement approuvé ce principe en ne contestant pas l’approche adoptée par le conseil municipal en approuvant une demande de rezonage sous réserve d’une modification du Règlement. Les tribunaux de la Colombie-Britannique ont eux aussi adopté le principe selon lequel les décideurs peuvent décider des questions sous réserve d’une condition préalable. Par exemple, dans l’arrêt Harrison v Vancouver (City), [1983] BCJ no 539, la Cour a approuvé une décision sous réserve d’une condition préalable et a jugé que le décideur avait [traduction] « le droit de trancher la question par étapes ». La Cour a qualifié cette approche, qui permet une application préliminaire, de solution [traduction] « à la fois intelligente et réaliste ». Le directeur a suivi ce même type d’approche réaliste et le compte rendu de décision indiquait tout simplement que la proposition relative aux tentes chalets n’était pas rejetée.

[72]           En outre, le pouvoir discrétionnaire accordé au directeur en vertu de l’article 7.1 du Règlement général et du Règlement sur les bâtiments prévoit l’autorité légitime de prendre des décisions qui sont soumises à une condition préalable.

(3)               Le plan de gestion n’a pas été enfreint

[73]           Le directeur n’a pas, en fait ou en droit, enfreint la disposition prohibitive du plan de gestion parce qu’il n’a pas approuvé ou ordonné la cession de tout nouveau terrain pour l’aménagement de logements commerciaux de nuit. De même, le directeur n’a pas commis d’erreur de droit ou de compétence en approuvant la proposition relative aux tentes chalets aux fins d’un examen approfondi, car il a le plein pouvoir de prendre des décisions, qui sont de son ressort, sous réserve d’une condition préalable.

VIII.       ANALYSE

[74]           L’argument central des demanderesses dans le cadre de cette demande est que la décision du directeur d’examiner de manière plus approfondie le volet des tentes chalets de la proposition conceptuelle de Maligne Tours était illégale ou en dehors (ultra vires) du pouvoir juridictionnel du directeur.

[75]           Elles disent qu’il en est ainsi parce que le volet des tentes chalets de la proposition conceptuelle n’est pas admissible en vertu de l’article 4.7.1 du plan de gestion, qui interdit la cession de nouvelles terres pour le logement commercial de nuit à l’extérieur de la collectivité de Jasper, et parce que cet article est une directive ministérielle contraignante en vertu de la Loi sur l’Agence ou des mesures législatives subordonnées. En outre, ils disent que la décision ne respecte pas les directives LCP tel que requis par le plan de gestion.

[76]           Comme la décision le précise, le directeur n’a pas approuvé le volet des tentes chalets de la proposition conceptuelle et a reconnu que la modification du plan de gestion serait nécessaire avant que [traduction] « Parcs Canada soit disposée à accepter le volet des tentes chalets pour un examen plus approfondi dans le cadre du processus d’examen de l’aménagement... ». Il n’est pas tout à fait clair si cela signifie qu’ [traduction] « une modification du plan de gestion pour permettre l’examen de la cession de nouvelles terres » sera nécessaire avant que la deuxième étape du processus d’examen de l’aménagement puisse commencer, ou si la deuxième étape peut aller de l’avant sans la modification, mais aucune décision d’approbation définitive ne peut être prise jusqu’à ce qu’une modification soit assurée.

[77]           Ce qui est clair, toutefois, c’est que la proposition relative aux tentes chalets est loin d’être approuvée et peut ne jamais être approuvée, soit parce qu’elle est rejetée sur le fond ou parce qu’aucune modification du plan de gestion pour céder de nouvelles terres aux fins de l’hébergement de nuit ne sera effectuée. La décision n’est rien de plus que le consentement de Parcs Canada de procéder à la deuxième étape du processus d’examen, sous réserve de la prise en considération primordiale d’une modification du plan de gestion.

[78]           Donc, à des fins d’examen, la Cour ne se penche pas sur une approbation de la proposition relative aux tentes chalets. Elle examine tout simplement la décision de permettre un examen plus approfondi de cette proposition, sous réserve de la condition préalable globale d’une modification du plan de gestion.

[79]           Les demanderesses affirment, cependant, que même un examen plus approfondi d’une proposition conceptuelle qui n’est pas, au moment de la décision, conforme au plan de gestion, est illégal ou ultra vires aux termes du plan de gestion, de la Loi sur l’Agence et des directives LCP.

[80]           Les demanderesses conviennent qu’il n’est pas illégal ou ultra vires que le directeur examine les propositions conceptuelles en soi. Cependant, elles affirment que ce qu’il ne peut pas faire est d’examiner une proposition conceptuelle qui nécessite une modification du plan de gestion, et il doit appliquer l’interdiction du plan de gestion actuel à toute proposition conceptuelle qui est présentée. Elles disent que cela est nécessaire, non seulement comme une question de droit, mais également comme une question de principe, car cela porterait atteinte à l’ensemble du régime législatif visant la protection et la gestion des parcs nationaux si des modifications au Plan de gestion sont [traduction] « incitées en tant que réponse réactive à une proposition d’aménagement qui est incompatible avec le plan de gestion ».

[81]           Les répercussions de ce point de vue sont assez graves. Si l’aménagement des parcs et l’évolution du plan de gestion sont totalement déconnectés de cette façon, cela voudrait dire qu’aucune proposition conceptuelle visant l’aménagement ne pourrait être envisagée (et ne serait finalement même pas faite) si elle nécessite l’examen d’une modification au plan de gestion. En outre, si des modifications au plan de gestion ne peuvent être envisagées à un niveau macro et sans tenir compte des propositions d’aménagement, Parcs Canada et le public canadien seront alors privés d’observations précieuses et, à mon avis, nécessaires. La question dont je suis saisi, cependant, est de savoir si le cadre législatif et réglementaire actuel ainsi que les lignes directrices touchant Jasper exigent le genre de séparation de l’examen de la proposition conceptuelle et de la modification du plan de gestion que la position des demanderesses entraîne.

[82]           La position des demanderesses est fortement tributaire du fait que la Cour accepte le plan de gestion comme étant contraignant, soit en tant que directive ministérielle en vertu de la Loi sur l’Agence ou en tant que mesure législative subordonnée. Ce qu’elles semblent dire par là est que si le directeur reçoit une proposition conceptuelle, elle ne peut être examinée que sur la foi de ce qui figure dans un plan de gestion actuel et, si elle ne l’est pas, elle doit être rejetée d’emblée. Il en serait ainsi si l’argument des demanderesses est accepté, même si le directeur considérait la proposition comme étant hautement souhaitable pour la gestion et la durabilité future du parc, et en tant que protection du parc et de son habitat et sa faune.

[83]           Dans le cas présent, l’article  4.7.1.2 du plan de gestion se lit comme suit : [traduction]

Appliquer les lignes directrices pour l’aménagement et l’utilisation du territoire de la station de ski Marmot Basin (2008) et les lignes directrices pour la gestion des stations de ski de Parcs Canada. Examiner les propositions qui sont compatibles avec les limites de croissance et les paramètres définis dans les lignes directrices du site.

[84]           Il est entièrement reconnu par le directeur (compte rendu de décision, 8.2.3) que la proposition relative aux tentes chalets [traduction] « nécessite la cession de nouvelles terres pour l’hébergement de nuit à l’extérieur de la collectivité de Jasper, ce qui contredit le plan de gestion (article 4.7.1.2 – page 41) ».

[85]           Cependant, nulle part dans le plan de gestion, soit explicitement ou implicitement, n’est-il dit que le directeur ne peut pas « examiner » une proposition conceptuelle qui, avant l’approbation, exige une modification du plan de gestion. Et c’est cette conduite que les demanderesses disent être illégale et ultra vires. Je pense qu’il est clair qu’une proposition conceptuelle qui est contraire au plan de gestion ne pouvait pas être approuvée, mais ce n’est pas ce qui est en cause en l’espèce. La conduite que les demanderesses cherchent à interdire est la « prise en considération ».

[86]           Les demanderesses sont clairement d’avis – et selon le dossier dont je dispose, il semblerait que la plupart des personnes qui ont fourni des réponses au directeur à propos de la proposition conceptuelle de Maligne Tours partage ce point de vue – qu’aucun hébergement de nuit ne devrait être autorisé au lac Maligne. Cependant, il n’y a rien devant moi qui laisse entendre que l’hébergement de nuit ne soit jamais autorisé ou que toute modification du plan de gestion pour le permettre ait une chance de se réaliser. Naturellement, les demanderesses souhaitent étouffer cette proposition conceptuelle dans l’œuf. Pour ce faire, elles demandent à la Cour d’empêcher le directeur et Parcs Canada de même l’envisager. Cela exigerait que la Cour constate que, comme une question de droit, chaque fois que Parcs Canada reçoit une proposition conceptuelle qui nécessite une modification du plan de gestion avant qu’elle ne puisse être approuvée, cette proposition doit être rejetée purement et simplement sans aucun examen de ses mérites et des avantages possibles qu’elle pourrait apporter au parc. Certes, les demanderesses ne veulent pas que la Cour adopte une position qui pourrait empêcher l’examen des propositions d’amélioration de l’habitat et de la faune si jamais elles exigent une modification du plan de gestion actuel?

[87]           L’article 4.7.1 du plan de gestion indique [traduction] qu’« aucune nouvelle terre ne sera cédée pour le logement commercial de nuit à l’extérieur de la collectivité ». Les demanderesses soulignent que cette sémantique est obligatoire et lie le directeur. Comme la décision l’indique clairement, le directeur l’a considéré comme étant contraignant, ce qui explique pourquoi il a dit que la proposition relative aux tentes chalets était soumise à une modification du plan de gestion. Mais cette disposition n’impose pas au directeur de ne pas examiner les propositions conceptuelles qui nécessitent une modification du plan de gestion. Ce n’est pas du tout la même question. Le plan de gestion n’est pas obligatoire en matière de propositions conceptuelles. En effet, il serait très étrange si c’était le cas parce qu’une telle disposition pourrait empêcher l’examen de propositions conceptuelles souhaitables qui visent à améliorer le parc, et ce, au seul motif qu’elles exigent une modification du Règlement. Les demanderesses ont accusé le directeur, dans cette demande, de faire remuer la queue du chien pour le faire frétiller, laissant entendre par là qu’il a utilisé la proposition relative aux tentes chalets comme une incitation à modifier le plan de gestion. À mon avis, cependant, le chien n’est pas le plan de gestion. Le chien, c’est le parc national Jasper et son bien-être futur, et si le plan de gestion peut servir à empêcher l’examen des propositions conceptuelles qui nécessitent une modification du Règlement, les demanderesses utilisent le plan de gestion actuel pour faire frétiller le chien.

[88]           À mon avis, alors, même si je devais considérer le plan de gestion comme une directive ministérielle ou une sorte de mesure législative subordonnée, je ne vois pas comment le régime actuel impose au directeur de ne pas examiner les propositions conceptuelles qui nécessitent des modifications au plan de gestion avant qu’elles puissent être pleinement examinées ou approuvées. Mais il me semble aussi que le point de vue des demanderesses sur le statut juridique d’un plan de gestion est en contradiction avec la jurisprudence sur ce point. Par exemple, dans l’arrêt Brewster, précité, le juge MacKay avait ceci à dire au sujet de la nature des plans de gestion en général :

[traduction]

[27]      Quel est alors le statut et la nature du plan de gestion? J’accepte l’argument, au nom de l’intimé, que dès son approbation par le ministre en novembre 1988, le plan de gestion du parc est entré en vigueur. Le dépôt à la Chambre des communes, en l’espèce fait en décembre 1989, constitue une obligation juridique en vertu de la Loi, mais le ministre a l’entière responsabilité de la gestion et de l’administration du parc, et de l’élaboration d’un plan de gestion dans le cadre de cette responsabilité. Il lui incombe également d’examiner le plan périodiquement et de déposer des modifications à la Chambre. Il a été suggéré par l’avocat de l’intimé qu’une fois approuvé, le plan de gestion devenait obligatoire de la même façon que le règlement d’application de la Loi le serait, mais je ne suis pas convaincu qu’il en soit ainsi. Les exigences relatives à un plan sont incluses avec d’autres dispositions de l’article 5 pour l’administration des parcs, qui relève de l’autorité du ministre, pas de l’article 7, qui fournit un large éventail de questions sur lesquelles le gouverneur en conseil, et non le ministre, peut adopter des règlements. En outre, la nature d’un plan de gestion est généralement de fournir un cadre de principes, de normes ou d’objectifs qui doivent être suivis comme des lignes directrices pour des décisions particulières à prendre à l’avenir. Plus les dispositions d’un plan sont détaillées, par exemple sur le plan de la désignation de ceux qui seront reconnus comme fournisseurs des services, plus il est probable que le plan devra être modifié, car les conditions, y compris les principaux acteurs, changent. Ainsi, à mon avis, le fait que le plan approuvé stipule que les pourvoiries résidantes seront limitées à deux ne peut pas légalement être plus que des conseils destinés au ministre et à ceux qui agissent en son nom dans le cadre du plan. Le ministre demeure responsable de l’administration et de la gestion du parc de manière continue à la lumière des conditions telles qu’elles peuvent évoluer, indépendamment de ce que le plan de gestion qu’il a préalablement approuvé peut fournir.

[36]      On pourrait faire valoir qu’après l’approbation du plan de gestion par le ministre, le directeur et le ministre avait seulement le pouvoir d’accorder un droit immobilier à deux autres entités nommées dans le plan, mais cet argument suppose un statut juridique pour le plan qui, comme je l’ai déjà indiqué, n’est pas justifié. Il ne correspond pas à un règlement. Bien qu’il fournisse des directives concernant l’administration du parc, ses dispositions doivent être suivies d’une manière compatible avec les obligations du ministre en vertu de la Loi pour servir les objectifs qui y sont précisés et en vertu des principes du droit administratif de le faire d’une manière compatible avec le principe d’équité envers ceux qui sont touchés par les décisions de l’administrateur. Si des dispositions particulières du plan approuvé s’avèrent être en conflit avec les obligations du ministre en vertu de la Loi ou les obligations en vertu de la loi d’agir équitablement sur le plan des décisions touchant les autres, les dispositions du plan doivent céder le pas. Une décision prise en se fondant sur les dispositions du plan peut être annulée par voie de certiorari dans des circonstances où il est conclu que le processus par lequel la décision a été prise manque au principe d’équité.

Les demanderesses invoquent les arrêts Peter G. White, et Banff, précités, pour appuyer leur point de vue selon lequel le plan de gestion était, dans ce cas, contraignant pour le directeur dans le sens où il ne pouvait pas examiner la proposition relative aux tentes chalets en raison de l’article 4.7.1. Cependant, comme Parcs Canada le souligne, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Peter G. White n’a pas jugé que le plan de gestion était, dans ce cas, juridiquement contraignant et encore moins dans le sens particulier mis en avant par les demanderesses dans la présente affaire. Et dans l’affaire Banff, c’était l’accord du rattachement de la Ville de Banff qui prescrivait le règlement relatif à l’utilisation des terres, et les mesures et les décisions prises en vertu de ce règlement devaient se conformer au plan de gestion. Il ne s’agit pas d’un cas analogue à la situation vécue dans la présente affaire où il n’y a pas un tel instrument comme l’accord du rattachement et où le Plan de gestion lui-même utilise un langage qui traduit l’état général des plans de gestion visés par le juge MacKay dans l’arrêt Brewster, précité. Le but du plan de gestion du parc national Jasper est de [traduction] « servir de cadre de planification et de prise de décision ». Le plan de gestion est destiné à [traduction] « guider la direction générale des parcs... » et [traduction] « devrait fournir une orientation stratégique contrairement à des mesures normatives précises ». La directive de Parcs Canada sur la planification de la gestion et des rapports a ceci à dire à propos de l’objet des plans de gestion :[traduction]

4          Contexte

Les plans de gestion sont produits pour les lieux patrimoniaux administrés par Parcs Canada en fonction des exigences juridiques et des politiques de l’Agence sur la planification de la gestion et des rapports. Bien que ce ne soit pas un document juridiquement contraignant, un plan de gestion est un document de responsabilisation clé et représente un instrument clé pour la mobilisation des peuples autochtones (Premières nations, Inuits et Métis) et des Canadiens dans le cadre de la gestion des lieux patrimoniaux de Parcs Canada.

Un plan de gestion détermine la direction stratégique à long terme d’un lieu patrimonial et la façon dont il sera géré, conformément au mandat et à la vision de Parcs Canada. L’orientation et les objectifs stratégiques à long terme définis dans les plans de gestion guident les mesures à prendre dans les lieux patrimoniaux qui contribuent à la réalisation des résultats stratégiques de l’Agence et de ses priorités. Un plan de gestion assure la prestation intégrée du mandat de Parcs Canada : protéger les ressources patrimoniales, promouvoir la compréhension et l’appréciation du public et faciliter l’expérience des visiteurs.

Cette directive, ainsi que ses lignes directrices et outils connexes, vise à guider le processus de planification de la gestion et de production des rapports en facilitant la conformité aux lois en vigueur, en mettant l’accent sur l’utilisation des ressources, en améliorant la cohérence et de la rapidité de l’information et en améliorant l’utilisation de l’information afin de favoriser une prise de décision axée sur les résultats qui est financièrement viable.

[89]           Dans cette demande, les demanderesses cherchent à faire du plan de gestion un « document juridiquement contraignant » dans un sens très strict et précis qui est en contradiction avec son but de servir de guide général qui fournit une orientation stratégique à long terme. Elles essaient d’utiliser l’article 4.7.1 comme une « mesure normative précise » qui empêche le directeur de même envisager des propositions conceptuelles qui nécessitent des modifications au plan de gestion. À mon avis, cela ne concorde pas avec les lignes directrices fournies par le plan de gestion lui-même ou avec toute jurisprudence qui a été citée.

[90]           Je ne trouve rien dans le plan de gestion, la Loi sur les parcs, la Loi sur l’Agence, tout règlement ou toute jurisprudence qui appuie la suggestion selon laquelle le directeur ne peut pas examiner une proposition conceptuelle qui ne se conforme pas à un plan de gestion actuel.

[91]           Les demanderesses ne soutiennent pas que le directeur n’a pas, en vertu des pouvoirs que lui confère la Loi sur les parcs pour gérer les affaires du parc, le pouvoir d’examiner et de décider des propositions conceptuelles. Elles disent tout simplement que cela ne peut pas se faire avec des propositions conceptuelles qui ne sont pas conformes au Plan de gestion actuel.

[92]           Pour l’instant, il est évident qu’aucune décision prise ne contrevient au plan de gestion. En fait, le directeur a clairement fait savoir que la proposition conceptuelle de Maligne Tours ne peut pas être mise en œuvre en tout temps sauf si le plan de gestion est modifié d’une manière qui permette la mise en œuvre de la proposition. En d’autres termes, il ressort de la décision que la proposition de Maligne Tours ne sera jamais approuvée si elle contrevient au plan de gestion, que ce soit dans sa forme actuelle ou future.

[93]           Les modifications au plan de gestion ont leur propre processus et, pour l’instant, il n’y a aucune raison de penser que les modifications proposées ne seront pas légitimes et réalisées conformément à ce processus. Le cas échéant, les demanderesses devront saisir la Cour. Par conséquent, le fait que des modifications surviennent avant ou après qu’une proposition conceptuelle est soumise ne peut pas rendre illégitime toute modification dûment adoptée.

[94]           Les demanderesses font valoir qu’en plus d’être illégale, la décision du directeur est également indue pour les motifs suivants :

a)      il a pris en compte les modifications futures du plan de gestion qui ne sont pas pertinentes à la décision qu’il doit prendre et à l’égard de laquelle il ne peut s’en tenir qu’au plan de gestion actuel;

b)      il n’a pas exercé son pouvoir dans un but légitime parce qu’il usait de [traduction] « son pouvoir discrétionnaire pour faciliter l’approbation de l’aménagement qui est contraire au » plan de gestion et à la Loi sur les parcs, et [traduction] « une modification a été étudiée comme une réponse réactive à une proposition d’aménagement qui est incompatible avec le plan de gestion » et [traduction] « on peut supposer qu’une modification du plan de gestion a été envisagée dans le seul but d’autoriser cet établissement commercial dans le parc national Jasper, un but contraire à l’esprit de la loi en vigueur ».

[95]           Il n’y a tout simplement aucune preuve devant moi pour appuyer les accusations selon lesquelles le directeur cherche à apporter des modifications au plan de gestion pour accommoder Maligne Tours. Les motifs qui justifient le passage de Maligne Tours à la deuxième étape du processus d’examen de la proposition conceptuelle sont clairement énoncés dans la décision. En soulignant le fait que la proposition de Maligne Tours exigera une modification du plan de gestion, le directeur ne dit pas que cette modification sera souhaitable ou possible. À ce stade, la Cour n’a aucune raison de croire que de futures modifications seront faites de manière illégale; la Cour ne peut pas préjuger des démarches qui peuvent même ne pas avoir lieu.

[96]           La question dont je suis saisi consiste à savoir s’il était illégal ou ultra vires pour le directeur d’autoriser la proposition conceptuelle de Maligne Tours de passer à la deuxième étape du processus d’examen. Les demanderesses affirment que, ce faisant, le directeur a tenu compte d’éventuelles modifications au plan de gestion qui n’étaient pas pertinentes. Je ne vois pas comment elles peuvent être considérées comme étant non pertinentes alors que la mise en œuvre de la proposition de Maligne Tours ne peut pas se poursuivre sans modifications adéquates. Le directeur permet au processus d’examen de passer à la deuxième étape, mais explique très clairement que l’autorisation n’a pas été accordée. Il dit que [traduction] « Parcs Canada est disposée à l’examiner sous réserve d’une modification en bonne et due forme du plan de gestion du parc... ».

[97]           Les demanderesses demandent à la Cour de dire que Parcs Canada ne peut même pas examiner la proposition en tout temps si une [traduction] « une proposition de projet détaillée et complète, intégrant les éléments de la proposition de renouvellement expérientiel [sic] qui ont été acceptés par Parcs Canada pour un examen plus approfondi, ainsi qu’une analyse détaillée des répercussions environnementales » n’ont pas été réalisées.

[98]           À mon avis, Parcs Canada ne peut être empêchée d’examiner les propositions de projet. En outre, les propositions de projet ne peuvent pas être acceptées ou mises en œuvre sauf si elles se conforment à un plan de gestion promulgué ou modifié en bonne et due forme.

[99]           Les demanderesses souhaitent clairement faire en sorte qu’il n’y ait aucune modification du plan de gestion qui permettrait de donner suite à la proposition de Maligne Tours. Mais la Cour n’a aucune raison de croire que cette modification ne sera pas, ou ne pourra pas être, légalement promulguée. Par conséquent, je ne vois aucune raison sur le plan du droit ou de la logique pour laquelle Parcs Canada ne peut pas inviter Maligne Tours à passer à la deuxième étape de l’examen de la proposition conceptuelle, de façon provisoire, tel qu’il est énoncé dans la décision du directeur.

A.                Déraisonnable

[100]       Comme autre motif d’erreur susceptible de révision, les demanderesses affirment que la décision est déraisonnable parce qu’elle ne favorise pas l’entretien et la restauration de l’intégrité écologique. Les demanderesses vont jusqu’à souligner leur point de vue sur les répercussions négatives qu’aurait la proposition de Maligne Tours, si elle est mise en œuvre, sur l’intégrité écologique de la région.

[101]       Ce sont les questions mêmes que Parcs Canada veut maintenant examiner de près au cours de la deuxième étape du processus d’examen. Jusqu’à présent, aucune décision n’a été prise quant à l’opportunité de la proposition relative aux tentes chalets. La seule décision qui a été prise est de permettre d’autres observations détaillées sur toutes les questions d’intérêt afin qu’une décision sur l’opportunité et la légalité de la proposition puisse être prise à l’avenir, en supposant que Maligne Tours souhaite continuer.

[102]       Si jamais cette décision future est prise et que les demanderesses la contestent d’une façon ou d’une autre, elles disposeront de tous les recours nécessaires auprès de la Cour. En ce qui concerne la question qui nous occupe, les demanderesses cherchent à empêcher qu’une telle décision ne soit jamais prise. Cependant, la Cour ne peut qu’examiner le caractère raisonnable du point de vue de la décision qui a été prise et cette décision consiste tout simplement à permettre à Maligne Tours de passer à la deuxième étape et de faire part d’autres observations qui seront examinées, puis une décision sera prise.

[103]       Les motifs du passage à la deuxième étape de la proposition relative aux tentes chalets, ainsi que du rejet pur et simple de la proposition de logement à toit fixe sont énoncés dans la décision. Les demanderesses peuvent contester ces motifs, mais la Cour ne peut pas dire qu’ils se situent en dehors du cadre des issues possibles acceptables et pouvant se justifier au regard des faits et de la loi.

[104]       Avant de décider de passer à la deuxième étape du processus d’examen, le directeur renvoie aux principales considérations politiques – y compris l’intégrité écologique – ainsi qu’aux directives LCP et au plan de gestion. Il prend note des préoccupations sur le plan écologique et dit pourquoi – dans le cadre d’une évaluation préliminaire – l’aménagement limité envisagé par la proposition relative aux tentes chalets dans une zone intensément utilisée ne doit pas entraver les efforts de conservation du caribou ou modifier l’habitat du grizzli, et souligne également la nécessité d’une analyse détaillée des répercussions environnementales avant que toute décision d’approbation puisse être prise en considération.

[105]       Il ne s’agit pas d’une décision d’approbation. Les préoccupations des demanderesses seront pleinement abordées dans le cadre de la deuxième étape – en supposant même que la deuxième étape aura lieu. Afin de simplement décider qu’il conviendrait d’examiner la proposition plus en détail, la décision est raisonnable et il n’y a aucun motif pour lequel la Cour peut s’interférer.

B.                 Dépens

[106]       Les parties ont convenu qu’elles prendront en charge leurs propres dépens relativement à la présente demande et ne demanderont pas de dépens à l’une ou à l’autre.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1808-14

 

INTITULÉ :

LA SOCIÉTÉ POUR LA NATURE ET LES PARCS DU CANADA ET LA JASPER ENVIRONMENTAL ASSOCIATION c. MALIGNE TOURS LTD. ET L’AGENCE PARCS CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Melissa Gorrie

Fraser Thomson

 

Pour les demanderesses

Christine Ashcroft

Maia McEachern

 

Pour la défenderesse

AGENCE PARCS CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ecojustice Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour la défenderesse

AGENCE PARCS CANADA

 

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