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Date: 20160208


Dossier: IMM-3698-15

Référence: 2016 CF 156

Toronto (Ontario), le 8 février 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

FERDINAND GATEGETSE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Le demandeur, M. Ferdinand Gategetse, sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c-27 [la Loi], d’une décision d’examen des risques avant renvoi [ERAR] rendue par un Agent principal d’immigration. L’agent a déterminé que le demandeur ne serait pas sujet à un risque de persécution, de torture, de menace à la vie ou de risque de traitements ou de peines cruelles et inusitées s’ il était renvoyé dans son pays d’origine, le Burundi. La décision est datée du 14 juillet 2015.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen burundais âgé de 67 ans. Sa femme est décédée, mais il a deux filles en Europe, une fille au Canada et une fille au Burundi. Il allègue être séropositif et Tutsi.

[3]               Le 10 juillet 2013, le demandeur a quitté le Burundi pour une conférence internationale aux États-Unis à l’aide d’un visa. Il est arrivé au Canada le 26 juillet 2013 et a fait une demande d’asile le jour même. Dans cette demande, il alléguait craindre d’être persécuté parce qu’il avait contesté une décision du gouvernement qui le forçait à prendre sa retraite prématurément. Le demandeur n’a pas soulevé une crainte d’être persécuté en raison de son ethnicité ou de son statut comme séropositif en ce moment.

[4]               Dans une décision du 12 mai 2014, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande en concluant qu’il n’était pas crédible. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée le 31 octobre 2014.

[5]               Le demandeur a aussi soumis une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire le 5 août 2014, mais à ce jour, il n’a toujours pas reçu de réponse.

[6]               Après le rejet de sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire, une date de renvoi fût fixée au 20 janvier 2015. Le demandeur a fui vers les États-Unis, mais a par la suite été arrêté, ramené au Canada, et placé en détention le 26 mars 2015.

[7]               Une nouvelle date de renvoi fût fixée pour le 2 mai 2015, mais le vol a été annulé après la présentation d’une demande de sursis administratif. Le 15 mai 2015, le demandeur a soumis une demande ERAR. Cette demande, qui fait l’objet de la présente décision, a été rejetée le 13 juillet 2015. Le demandeur demeure toujours en détention.

III.             Décision

[8]               Dans sa demande ERAR, le demandeur a soulevé trois allégations: (1) qu’il est séropositif et qu’il serait victime de discrimination au Burundi pour cette raison; (2) qu’il craint les autorités burundaises qui le cherchent à cause de ses démêlés judiciaires avec le gouvernement, de ses opinions politiques, et de son ethnicité tutsie; et (3) que tous ces risques sont aggravés par la détérioration récente de la situation politique au Burundi. Au soutien de ces allégations, le demandeur a soumis des documents qui décrivaient la situation générale au Burundi.

[9]               Dans la décision, l’agent a mentionné de façon préliminaire que, dans le cadre d’un ERAR, selon l’article 113(a) de la Loi, un demandeur peut seulement fournir de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés devant la SPR au cours de la demande d’asile. Notant que le demandeur avait déjà étayé le risque auquel il ferait face concernant sa lutte contre sa retraite forcée devant la SPR et qu’il n’avait pas soumis de nouveaux développements ni de nouveaux éléments de preuve sur ce risque, l’agent a conclu qu’il ne pouvait pas considérer les allégations additionnelles.

[10]           De plus, l’agent a estimé que l’allégation concernant le risque de persécution à cause de son état séropositif ne pouvait pas être considérée car (1) le demandeur n’avait pas expliqué la raison pour laquelle il n’avait pas soulevé ce risque devant la SPR; et (2) qu’il n’y avait aucune preuve confirmant sa condition médicale.

[11]           L’agent a reconnu que les conditions actuelles dans le pays s’étaient considérablement détériorées depuis la demande d’asile et qu’il s’agissait de nouveaux risques qui méritaient d’être considérés. Toutefois, l’agent a observé que le demandeur avait fourni peu de preuves démontrant que l’État burundais lui avait refusé des services ou qu’il avait participé à la campagne politique contre le parti au pouvoir. Le demandeur a également fourni peu de preuves décrivant ses origines ou son appartenance à un groupe ethnique.

[12]           Par conséquent, l’agent a déterminé que le demandeur n’avait pas établi, selon les exigences du paragraphe 96 de la Loi, qu’il serait visé en raison de son ethnicité ni de ses opinions politiques. Par conséquent, sa demande devait être examinée selon le paragraphe 97 de la Loi comme personne à protéger.

[13]           Sur ce point, l’agent a noté qu’il y avait une longue histoire de troubles civils au Burundi et que, depuis le 26 avril 2015, la situation politique y était devenue très instable : un coup d’État manqué survenu le 13 mai 2015; la fuite du vice-président suite à des menaces de mort; une campagne de peur et d’intimidation par l’Imbonerakure; une branche de jeunes militants armés contre les groupes d’opposition; et des dizaines de milliers de citoyens burundais en quête de sécurité, déplacés dans les pays voisins.

[14]           Toutefois, l’agent a observé qu’on rapportait que les personnes visées par le conflit étaient celles qui participaient aux affaires politiques et qui s’opposaient au gouvernement au pouvoir, et que le demandeur n’avait pas déposé assez de preuves pour établir que ces circonstances correspondaient à l’une de ces deux catégories.

[15]           Outre cela, une des filles adultes du demandeur habite actuellement au Burundi et ce dernier n’a pas démontré que sa fille ou d’autres de ses proches avaient subi des menaces en raison de leur ethnicité, de leur opposition au gouvernement au pouvoir, ou de leurs liens avec le demandeur. De même, il n’a pas déposé assez de preuves pour convaincre l’agent qu’il avait été forcé à quitter le Burundi en raison des conditions actuelles dans son pays d’origine.

[16]           Finalement, l’agent s’est arrêté sur deux avertissements de voyage émis par le gouvernement du Canada concernant le Burundi:

Je reconnais l’avertissement de voyage présentement en vigueur concernant les voyages au Burundi (www.voyages.gc.ca). Outre cela, le gouvernement du Canada tient à imposer des Suspensions temporaires aux renvois (STR) aux pays où des événements catastrophiques ont lieu entraînant l’effondrement important de l’État. En dépit de l’avertissement en l’espèce, depuis le commencement de la crise politique d’avril 2015, le Burundi ne fait pas l’objet d’une suspension temporaire aux renvois du gouvernement du Canada. J’accorde davantage de poids à ce fait.

[17]           Pour toutes ces raisons, l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau selon la loi, et il a refusé la demande.

IV.             Analyse

[18]           Le demandeur soumet qu’il y a trois questions en litige:

  1. L’agent a-t-il erré dans son évaluation des avertissements contre le voyage au Burundi?
  2. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne permettant pas au demandeur de démontrer qu’il est Tutsi?
  3. Si la réponse à la deuxième question est négative, l’agent a-t-il erré en ignorant les conclusions de la SPR sur ce fait?

[19]           Pour les première et troisième questions, qui impliquent des conclusions de fait et des conclusions mixtes de droit et de faits, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 31; Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 361 aux para 9 et 10). Cette Cour ne devrait intervenir que si elle conclut que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité, et qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 SCC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

[20]           Pour la deuxième question, qui implique l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Aboud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1019 au para 34). Sous cette norme de contrôle, cette Cour « n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur » (Dunsmuir au para 50).

A.                L’agent a-t-il erré dans son évaluation de l’avertissement contre le voyage au Burundi?

[21]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur importante dans son analyse des deux annonces publiées par le gouvernement du Canada qui faisaient partie de la preuve documentaire : l’Avertissement à éviter le voyage au Burundi du 14 mai 2015 et l’Avertissement à éviter le voyage au Burundi du 29 mai 2015. Le premier avertissement recommandait « d’éviter tout voyage non essentiel au Burundi » et le deuxième recommandait « d’éviter tout voyage au Burundi ». Malgré ces avertissements, l’agent a conclu qu’il accordait plus de poids au fait que le gouvernement du Canada n’avait pas imposé une suspension temporaire des renvois vers le Burundi.

[22]           Sur cette question, le demandeur soutient que cette analyse est déraisonnable parce qu’il existe de la jurisprudence de cette Cour statuant que les avertissements de voyage du gouvernement canadien s’appliquent également aux citoyens d’autres pays (Sinnasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 67 au para 34; Narany c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 155 au para 14). Selon le demandeur, c’était une erreur d’ignorer ces avertissements, ce qui suggérait qu’ils ne s’appliquaient pas à lui.

[23]           Le problème avec la position du demandeur sur ce point est que l’agent n’a pas exclu les avertissements comme preuve. Il les a considérés et a conclu qu’il accorderait plus de poids au fait que le gouvernement n’avait pas imposé de suspension temporaire. Les deux décisions invoquées par le demandeur disent simplement que les avertissements de voyage peuvent être soumis comme preuve, et non pas qu’ils sont déterminants. L’agent est libre d’évaluer ces avertissements comme il le souhaite. Sa conclusion est raisonnable. Les avertissements ne sont que ce qu’ils prétendent être : ils avertissent les gens que le gouvernement du Canada ne recommande pas les voyages vers ces pays, mais ils n’interdisent pas le voyage.

[24]           Finalement, sur cette première question, il est intéressant de noter qu’après la date de l’ERAR, le gouvernement a ajouté le Burundi à la liste de pays avec une suspension temporaire des renvois. Néanmoins, bien que cela affecte la situation présente du demandeur, cela n’affecte pas la question en litige car la décision du gouvernement a été prise après la décision de l’agent sur la demande ERAR.

B.                 L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne permettant pas au demandeur de démontrer qu’il est Tutsi?

[25]           Le demandeur prétend que l’agent avait le devoir de l’informer qu’il avait des doutes quant à son ethnicité, et que ce dernier ne s’était pas déchargé de cette obligation. Or, il est bien établi que le fardeau de démontrer chaque élément d’une demande ERAR repose toujours sur le demandeur (Mbaraga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580 au para 31). De plus, le demandeur n’a cité aucune décision de cette Cour qui soutient la prétention que l’agent aurait dû contacter le demandeur quand il a décidé qu’il voulait la preuve que le demandeur était Tutsi. Je ne vois aucune suggestion dans la jurisprudence qu’un agent, en évaluant un ERAR, à l’obligation de contacter un demandeur chaque fois qu’il trouve que le demandeur n’a pas produit de preuves satisfaisantes sur un point. L’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale.

[26]           En terminant sur ce point, le demandeur a soumis deux affidavits devant cette Cour afin de démontrer qu’il était impossible de prouver objectivement qu’une personne appartient à l’ethnie tutsie. Dans l’éventualité où cette Cour aurait conclu que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale, le demandeur réclame que ces affidavits soient admis, même s’ils n’avaient pas été soumis devant l’agent. Puisque l’agent n’a pas erré sur ce point, je n’ai pas à évaluer cette requête.

C.                 Si la réponse à la deuxième question est négative, l’agent a-t-il erré en ignorant les conclusions de la SPR sur ce fait?

[27]           Le demandeur soutient que, même si cette Cour ne trouve aucune erreur procédurale dans la décision en cause, l’agent a quand même commis une erreur en ignorant le fait que le demandeur avait prouvé son identité tutsie au niveau de la SPR.

[28]           Le défendeur, toutefois, note que la SPR a accepté l’identité du demandeur, mais que le demandeur n’a pas soulevé son ethnicité devant la SPR comme motif de persécution; sa demande d’asile n’indique rien sur ce point. Selon le défendeur, l’agent n’a pas fait d’erreur parce que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il était Tutsi.

[29]           Je suis d’accord avec le défendeur. Un examen de la décision de la SPR ne révèle aucune mention d’ethnicité. La SPR a accepté l’identité du demandeur grâce aux copies de son passeport et de sa carte d’identité nationale, mais comme il est mentionné dans un des affidavits que le demandeur voulait introduire devant cette Cour:

Depuis le recouvrement de l’indépendance du Burundi en 1962, aucun gouvernement n’a choisi d’identifier l’ethnicité Tutsi ou Hutu sur des cartes d’identité, les attestations de naissance, les passeports Burundais ni sur aucun autre document officiel.

(Dossier du demandeur, onglet 5)

[30]           Si la question de l’ethnicité n’était pas devant la SPR, celle-ci ne pouvait pas l’évaluer. Le demandeur avait l’obligation de prouver ce fait devant l’agent s’il voulait l’utiliser comme motif de sa demande, et il était raisonnable pour l’agent de conclure que ce fait n’eût pas été prouvé.

[31]           Le demandeur a aussi prétendu à l’audition qu’il serait perçu comme membre des FNL, les Forces nationales de libération, ou autrement persécuté à cause de sa demande d’asile au Canada une fois renvoyé au Burundi. Cependant, il est bien établi par la jurisprudence que cette Cour ne devrait pas réévaluer la preuve, et il n’existe aucune indication devant moi que l’agent a erré sur ces points.

V.                Conclusions

[32]           Pour les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur a soumis deux questions pour certification:

  1. Comment les agents d’ERAR devraient-ils considérer les avertissements aux voyageurs ?
  2. Lorsque l’identité du demandeur est acceptée par la SPR, le demandeur doit-il prouver chaque élément de son identité au niveau de l’ERAR ?

[33]            À mon avis, ce ne sont pas des questions ayant des conséquences importantes ou étant de portée générale, car cette Cour s’est déjà prononcée sur ces questions, qui sont de toute façon liées aux faits particuliers de l’espèce. Elles ne satisfont donc pas les conditions pour être certifiées (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 au para 9).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que:

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Il n’y a pas de dépens;

3.      Il n’y a pas de question certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3698-15

INTITULÉ :

FERDINAND GATEGETSE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 8 février 2016

COMPARUTIONS :

Me Kristin Debs

Pour le demandeur

Me Tara DiBenedett

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Debs Law

Avocat(e)s

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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