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Date : 20160209


Dossier : IMM-2334-15

Référence : 2016 CF 159

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

TSISKARA KARDAVA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Le défendeur a déposé un dossier de requête le 13 janvier 2016 à l’appui d’une requête présentée par écrit en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales (les Règles) en vue de rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur et d’annuler la date d’audience du 27 janvier 2016.

[2]               La demande sous­jacente du demandeur vise le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 27 avril 2015 ayant indiqué que le demandeur avait abandonné sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) ou de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[3]               La requête a pour motif que la demande est théorique, puisque le demandeur a déposé une demande de réouverture de sa demande auprès de la Section de la protection des réfugiés le 27 juillet 2015, et que la Section de la protection des réfugiés a accueilli cette demande le 30 juillet 2015.

[4]               Le demandeur, qui se représente lui­même, n’a pas déposé de réponse à la requête du défendeur dans le délai prescrit par les Règles. Puisque je ne souhaitais pas statuer sur la requête en l’absence d’observations du demandeur, j’ai rendu une ordonnance en vertu du paragraphe 369(4) le 25 janvier 2016, fixant la tenue d’une audience pour la requête du défendeur au moment de la comparution des parties pour l’audience de la demande de contrôle judiciaire.

[5]               Après avoir entendu les observations orales des parties sur la requête le 27 janvier 2016, j’ai statué séance tenante que la requête était accueillie, que la demande était rejetée et que la date d’audience était annulée, et qu’une ordonnance en présentant les raisons serait soumise ultérieurement. Voici donc cette ordonnance et les raisons.

II.                Question en litige

[6]               La seule question en litige à examiner dans cette requête consiste à déterminer si la demande de contrôle judiciaire du demandeur devrait être rejetée en raison de son caractère théorique.

III.             Thèses des parties

A.                Observations du défendeur

[7]               Le défendeur reconnaît que la Cour est généralement réticente à rejeter des demandes de contrôle judiciaire dans une requête, mais cite un texte officiel indiquant que le caractère théorique représente un motif permettant de conclure à l’absence de possibilité d’obtenir gain de cause et de radier ou de rejeter une demande [voir Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 137, aux paragraphes 8 à 10 (Rahman)].

[8]               Le défendeur renvoie alors aux principes concernant l’analyse du caractère théorique mentionnés dans l’affaire Borowski c. Canada (Procureur général) [1989] 1 RCS 342 [Borowski]. Le défendeur observe aussi que le critère du caractère théorique comporte une analyse en deux temps. En premier temps, la Cour doit déterminer si sa décision aura un effet pratique sur les droits des parties. En deuxième temps, la Cour doit déterminer si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et rendre une décision sur le fond même, bien que la question soit techniquement théorique.

[9]               Le défendeur soutient qu’une décision sur le fond même en l’espèce n’aura pas pour effet de résoudre un litige entre les parties, comme le demandeur s’est déjà vu accorder par la Section de la protection des réfugiés le redressement demandé dans sa demande de contrôle judiciaire. Le défendeur fait valoir en outre que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre cette question et de statuer sur celle­ci, nonobstant le caractère théorique de la question. Sa thèse est que l’économie des ressources judiciaires milite contre cela. Il est préférable de statuer sur des litiges en présence d’un débat contradictoire authentique, à moins que les circonstances n’exposent que le litige prendra toujours fin avant qu’il soit finalement réglé, et qu’il ne s’agit pas d’un cas où il serait dans l’intérêt public de procéder à un examen sur le fond afin de régler la question ou d’éviter certains coûts sociaux.

B.                 Observations du demandeur

[10]           À l’audience de la requête, le demandeur a communiqué avec la Cour au moyen d’un interprète (russe­anglais). J’ai expliqué au demandeur la nature et le fondement de la requête du défendeur, et je lui ai demandé s’il s’opposait à la requête. Selon ses réponses, il semblait que oui. Par conséquent, je lui ai demandé d’expliquer si, à son avis, il y aurait des avantages à ce que j’entende sa demande de contrôle judiciaire et que je statue sur celle­ci, alors que sa demande d’asile avait déjà été rouverte, et s’il souhaitait présenter des observations en réponse à la requête.

[11]           Le demandeur a évoqué des préoccupations comme quoi [traduction] « l’autre cour », une désignation qui semblait correspondre à la Section de la protection des réfugiés, ne l’avait pas cru dans le passé et ne le croirait pas à l’avenir. Il a indiqué avoir avisé la Section de la protection des réfugiés lors de son audience sur le désistement qu’il avait vu les avocats stagiaires présents, et a déclaré que la Section de la protection des réfugiés ne l’avait pas cru et pensait qu’il mentait ou tentait de gagner du temps.

IV.             Analyse

[12]           À titre préliminaire, je prends note de la décision dans l’arrêt Rahman et m’appuie sur celle­ci à titre de texte officiel en ce qui concerne le rejet d’une demande de contrôle judiciaire dans une requête sans entendre la demande en soi lorsque la demande n’a aucune possibilité d’obtenir gain de cause en raison de son caractère théorique.

[13]           Dans la récente décision rendue dans l’affaire Harvan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1026, le juge Diner a succinctement décrit les principes applicables à une analyse du caractère théorique, à partir de l’arrêt Borowski :

 [traduction]

[7]        Le critère du caractère théorique comporte une analyse en deux temps. Dans un premier temps, il faut déterminer si la décision de la Cour aurait un effet pratique qui permettrait de résoudre un litige actuel entre les parties : la Cour se demande si les questions sont devenues purement théoriques et si le différend a disparu, auquel cas le débat est devenu théorique. Dans un deuxième temps, si le critère de la première étape est rempli, la Cour décide si elle doit – malgré le fait que l’affaire est théorique – exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à la seconde étape, la Cour doit être guidée par les trois assises de la doctrine du caractère théorique :

i. l’existence d’un débat contradictoire;

ii. le souci d’économie des ressources judiciaires;

iii. la question de savoir si la Cour empiéterait sur la fonction législative plutôt que d’exercer sa fonction juridictionnelle au sein du gouvernement.

[Voir l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 (C.S.C.), aux paragraphes 15 à 17 et 29 à 40 (Borowski)]

[14]            Ma décision est d’accéder à la requête du défendeur et de rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur, au motif qu’elle est théorique et que les facteurs pertinents ne justifient pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande nonobstant ce caractère théorique.

[15]           La demande a pour but d’infirmer une décision de la Section de la protection des réfugiés indiquant que le demandeur avait abandonné sa demande d’asile. La demande est de nature théorique puisque le demandeur a demandé à la Section de la protection des réfugiés de rouvrir sa demande, et que cette demande a été accueillie le 30 juillet 2015. L’avocate du défendeur a indiqué à l’audience qu’elle avait fait la vérification auprès de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le jour précédent et a confirmé que la demande du demandeur avait été rouverte et que le demandeur aurait la possibilité de présenter sa demande d’asile complète, bien qu’une date n’ait pas encore été fixée. Par conséquent, une décision à l’égard de la demande de contrôle judiciaire n’aurait pas d’effet pratique sur la résolution d’un litige actuel entre les parties.

[16]           En fonction de la deuxième étape de l’analyse de l’arrêt Borowski, j’ai examiné les facteurs pertinents dans le contexte des observations du demandeur. Toute préoccupation du demandeur quant au fait que la Section de la protection des réfugiés a cru ses propos relativement à la réouverture de son dossier de réfugié devra être traitée devant la Section de la protection des réfugiés dans le cadre de cette instance. La présente demande de contrôle judiciaire n’est pas en mesure de se pencher sur ces préoccupations. Par conséquent, je conclus que cette demande ne représente pas un débat contradictoire dans le cadre duquel ses préoccupations peuvent être traitées. Pour ces mêmes raisons, je ne vois aucune raison impérieuse justifiant de consacrer des ressources judiciaires à l’audition de cette demande pour statuer sur celle­ci.

[17]           En ce qui concerne le troisième facteur de l’arrêt Borowski, je ne considère pas que le fait de statuer sur la demande soulèverait des préoccupations à savoir si la Cour empiéterait sur la fonction législative plutôt que d’exercer sa fonction juridictionnelle. Toutefois, je note également l’analyse menée dans l’arrêt Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 108, qui examine, au sein du troisième facteur, si l’exercice de la fonction législative en vue de statuer sur une question qui est autrement de nature théorique pourrait donner lieu à de la nouvelle jurisprudence dont la Cour a besoin. Je ne vois pas de possibilité d’éventuelle retombée de la sorte pour le cas en l’espèce.

[18]           Par conséquent, après avoir pris en considération les facteurs de l’arrêt Borowski, je n’ai pas relevé de motif justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande nonobstant son caractère théorique.

[19]           Mon ordonnance accède par conséquent à la requête du défendeur de rejeter la demande et d’annuler la date d’audience de la demande. Le défendeur n’a pas demandé de dépens et aucuns dépens ne sont accordés.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.      La requête du défendeur est accueillie.

2.      La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée, et la date d’audience de cette demande fixée au 27 janvier 2016 est annulée.

3.      Aucuns dépens ne sont accordés.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2334-15

INTITULÉ :

TSISKARA KARDAVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 janvier 2016

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2016

COMPARUTIONS :

Tsiskara Kardava

POUR LE DEMANDEUR

(Demandeur qui se représente lui­même)

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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