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Date : 20160513


Dossier : IMM-2638-15

Référence : 2016 CF 543

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

YONGWEN YANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire repose sur des conclusions d’invraisemblance non fondées. La décision faisant l’objet du présent contrôle est celle de la Section d’appel des réfugiés (SAR) confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) par laquelle elle rejetait une demande d’asile présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi].

II.                Contexte

[2]               La demanderesse serait adepte du Falun Gong en Chine. Le 8 avril 2014, on lui a conseillé de se cacher parce que d’autres adeptes du Falun Gong avaient été arrêtés par le Bureau de la sécurité publique de Chine.

[3]               Les parents de la demanderesse ont organisé sa fuite de la Chine avec l’aide d’un passeur. La manière dont elle a quitté la Chine a son importance. Elle a été capable d’obtenir un passeport et, en compagnie d’un passeur et avec un visa d’étudiant frauduleux, elle a pu passer les formalités relatives à l’immigration et à la sécurité aéroportuaire et s’envoler vers le Canada.

[4]               La SPR a tiré des inférences négatives en raison des incohérences entre les notes d’entrevue de l’agent d’immigration et des visas, l’exposé circonstancié figurant dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) de la demanderesse, les modifications qui y ont été apportées, et son propre témoignage.

La SAR a accepté les conclusions de la SPR sur la crédibilité de la demanderesse et a conclu que les événements rapportés ne s’étaient pas produits.

[5]               La SPR a tiré une inférence négative du fait que la famille de la demanderesse n’a pas été la cible du Bureau de la sécurité publique. La SAR a reconnu que la famille n’est pas toujours ciblée lorsqu’un de ses membres est adepte du Falun Gong, mais a conclu qu’étant donné les circonstances, elle aurait dû être ciblée.

[6]               La SPR a trouvé invraisemblable que la demanderesse ait pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport grâce à la corruption des fonctionnaires garantie par son passeur. La SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le passeur ait été en mesure de payer tous les agents d’immigration, les agents du Bureau de la sécurité publique, les agents des douanes et les représentants des compagnies aériennes nécessaires.

[7]               La SAR a estimé que les conclusions de la SPR étaient raisonnables. Elle a conclu qu’étant donné le profil et les allégations de la demanderesse, il n’était pas vraisemblable qu’elle ait pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport si elle était recherchée par le Bureau de la sécurité publique.

III.             Analyse

[8]               Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la SAR sur la crédibilité de la demanderesse et à son évaluation des éléments de preuve est celle de la décision raisonnable [Khachatourian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182].

[9]               Le dossier de la demanderesse est loin d’être parfait. Son exposé circonstancié contient quelques incohérences importantes. Les incohérences peuvent être à l’origine de conclusions quant à la crédibilité; toutefois, lorsque la décision repose sur l’invraisemblance, il faut tenir compte de ce qui est supposément invraisemblable.

[10]           Dans la décision Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749, 242 ACWS (3d) 909, la Cour a souligné qu’on ne peut tirer de conclusions quant à la vraisemblance que dans les cas les plus évidents. La détermination selon laquelle le Bureau de la sécurité publique aurait fait bien plus que des visites aléatoires à la demeure de la demanderesse si cette dernière était un suspect ne tient pas compte des éléments de preuve selon lesquels le harcèlement et les visites aléatoires de la police constituaient une méthode de châtiment pour le Bureau de la sécurité publique.

[11]           La SAR a omis de bien expliquer pourquoi l’exposé circonstancié de la demanderesse sur ce point est invraisemblable, pourquoi cela n’aurait pu vraisemblablement se produire.

[12]           En outre, la détermination selon laquelle la demanderesse n’aurait pas pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport est une simple spéculation quant à la manière de quitter la Chine. Il n’y avait aucun élément de preuve montrant qu’il faut donner des pots-de-vin à chaque agent dans la « chaîne de départ ». La décision ne tient pas compte de l’élément de preuve fourni par la demanderesse selon lequel l’agent des douanes n’a pas balayé son passeport ni tapé quelque chose dans l’ordinateur, mais a simplement estampillé son passeport.

[13]           Avant de conclure qu’il était invraisemblable de pouvoir quitter la Chine, la SAR (et la SPR) devait se pencher sur l’élément de preuve de la demanderesse. Si elle y croyait, elle aurait dû expliquer pour quelle raison il était invraisemblable que la demanderesse ait pu quitter la Chine; si elle n’y croyait pas, elle aurait dû expliquer pour quelle raison elle en venait à cette conclusion quant à la crédibilité.

[14]           Il y avait suffisamment d’éléments de preuve de la corruption des agents et de l’existence d’un régime de corruption pour que la SAR ait à expliquer pourquoi il n’était pas raisonnable que cette corruption ait eu lieu.

Comme l’a conclu le juge Boswell dans la décision Ren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au paragraphe 16, [traduction] « [...] il n’est pas impossible qu’une personne puisse quitter la Chine en utilisant son propre passeport avec l’aide d’un passeur qui donne des pots-de-vin à la bonne personne ».

IV.             Conclusion

[15]           Par ces motifs, ce contrôle judiciaire sera accordé, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la SAR pour une nouvelle décision.

[16]           Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la requête de contrôle judiciaire, la décision est annulée, et l’affaire doit être renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour une nouvelle décision.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2638-15

 

INTITULÉ :

YONGWEN YANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey Goldman

 

Pour la demanderesse

 

Christopher Crighton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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