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Date : 20161125


Dossier : IMM-540-16

Référence : 2016 CF 1306

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MUHAMMAD ANJUM BOKHARI

RUBAB FATIMA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs, M. Muhammad Anjum Bokhari et Mme Rubab Fatima sont frère et sœur. Ils sont des citoyens du Pakistan. Ils sont entrés au Canada à partir des États-Unis en septembre 2015 et ils ont demandé le statut de réfugié.

[2]               Au Pakistan, les demandeurs étaient des membres actifs du Imamia Student Organization (ISO), une organisation engagée dans le développement des jeunes étudiants conformément aux enseignements chiites. Leur père était le chef des constables de la force policière pakistanaise à Sialkot, dans la province du Punjab.

[3]               En janvier 2015, leur père a arrêté M. Arshad Muawia, un membre du Sipah-e-Sahaba (SSP), un groupe de militants musulmans sunnites. L’arrestation a donné lieu à des menaces proférées contre le père et sa famille. M. Bokhari a été battu et sa famille a été menacée de mort. Mme Fatima a été avertie d’arrêter de fréquenter l’ISO et elle a ensuite été battue elle aussi.

[4]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a rejeté leur demande en tenant compte du fait qu’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable existait pour les demandeurs à Islamabad. Ils cherchent maintenant à obtenir un contrôle judiciaire de cette décision en alléguant que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse qu’ils soient victimes de persécution ou que, selon la prépondérance des probabilités, ils soient exposés à une menace à leur vie, à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités ou d’un risque de torture dans la grande ville urbaine d’Islamabad.

[5]               La question que je dois trancher dans le cadre de l’examen de la présente demande est à savoir s’il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur viable à Islamabad, au Pakistan. Après avoir examiné les observations écrites des parties et tenu compte de leurs arguments oraux, je ne suis pas convaincu que l’agent a commis une erreur susceptible de révision. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               La SPR a commencé son analyse en établissant le critère à deux volets touchant la possibilité de refuge intérieur et défini par la Cour d’appel fédérale dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF).

A.                Premier volet du critère touchant la possibilité de refuge intérieur

[7]               En examinant le premier volet du critère, la SPR a pris en compte la preuve documentaire au sujet de la situation au Pakistan, reconnaissant que des attaques contre la communauté chiite sont perpétrées à l’échelle du pays. Toutefois, la SPR a également mentionné que la preuve documentaire liée à la situation des Chiites à Islamabad faisait état de quelques problèmes dans cette ville. La SPR cite le United Kingdom’s Country Information and Guidance Report on Internal Relocation for Pakistan (en anglais uniquement) qui mentionne que la situation actuelle à Islamabad est relativement exempte de violence à motivation politique, terroriste et sectaire.

[8]               La SPR a ensuite examiné le profil des personnes ciblées dans la communauté chiite, indiquant que [TRADUCTION] « … les professionnels et fonctionnaires chiites – médecins, avocats, juges, enseignants, journalistes, banquiers, religieux, PDG d’entreprise, policiers, politiciens, gens d’affaires importants et commerçants locaux » sont ciblés.

[9]               La SPR a tenu compte de la preuve documentaire présentée par les demandeurs et, notamment, leurs observations indiquant qu’il y a une tendance grandissante de violence sectaire contre les Chiites à Islamabad. La SPR a ensuite conclu que les articles présentés à l’appui des arguments des demandeurs étaient ambigus et n’ont pas réussi à établir que les attaques contre des membres de la communauté chiite par des militants sunnites dans la région de la capitale d’Islamabad étaient devenues systémiques et répandues.

[10]           La SPR a également examiné le témoignage des demandeurs dans lequel ils ont mentionné que le SSP les retrouverait à Islamabad. Elle a toutefois conclu qu’ils n’avaient pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le SSP a accès à un réseau terroriste vaste et à l’échelle du pays qui permettrait à M. Muawia ou au SSP de rechercher, suivre et localiser les demandeurs à Islamabad.

[11]           La SPR a ensuite examiné le profil des demandeurs et conclu qu’ils ne faisaient pas partie des catégories de professionnels ciblés. La SPR a également tenu compte des activités des demandeurs avec l’ISO. La SPR a reconnu les activités de M. Bokhari à titre d’administrateur, de gestionnaire, de comptable bénévole et d’enseignant, de même que les activités de Mme Fatima qui enseigne les fondements de la religion chiite à de jeunes étudiants. La SPR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve que M. Bokhari ou Mme Fatima étaient des membres influents de l’ISO dans leur communauté locale ou au-delà.

[12]           La SPR a conclu qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que les demandeurs soient victimes de persécution pour des motifs religieux ou politiques ni qu’ils soient confrontés, selon la prépondérance des probabilités, à une menace pour leurs vies aux mains du SSP ou de tout autre groupe extrémiste ou terroriste anti-chiite à Islamabad.

B.                 Deuxième volet du critère touchant la possibilité de refuge intérieur

[13]           La SPR a examiné le deuxième volet du critère touchant la possibilité de refuge intérieur et a conclu qu’il ne serait pas difficile pour les demandeurs de trouver un emploi à Islamabad. La SPR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs soient en mesure de s’intégrer à la grande communauté chiite d’Islamabad, de trouver un emploi rémunérateur et d’y établir leur résidence. Ce faisant, ils ne seraient pas confrontés à des difficultés ou des obstacles importants.

III.             Norme de contrôle

[14]           Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’égard de la question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire (Gandarilla Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1464, au paragraphe 17 et Lebedeva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1165, au paragraphe 32).

IV.             Analyse

A.                Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur viable?

[15]           Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il y avait une PRI viable à Islamabad. Ils vont valoir que la SPR s’est appuyée de façon sélective sur la preuve documentaire et soulignent qu’Islamabad se trouve à proximité de la ville de Sialkot, où les demandeurs ont été victimes de violence et d’abus. Ils soutiennent qu’en raison de la proximité géographique, il ne serait pas difficile pour le SSP d’y retrouver les demandeurs. Ils prétendent également qu’Islamabad est situé dans le Punjab, une zone que la SPR reconnaît comme étant un foyer de terrorisme sunnite et de militantisme anti-chiite.

[16]           Les demandeurs soutiennent également que l’analyse de la SPR manquait de cohérence. La SPR a reconnu que Mme Fatima avait travaillé avec l’ISO à titre d’enseignante pour les jeunes filles et que M. Bokhari avait travaillé dans le domaine de la comptabilité, mais la SPR a ensuite conclu qu’ils ne possédaient pas le profil des professionnels ciblés, un profil qui inclut pourtant les enseignants et les banquiers. Les demandeurs soutiennent que cela mine la justification et l’intelligibilité de la décision. Finalement, ils soutiennent qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs habitent dans une ville où il y a des attaques sectaires contre les musulmans chiites, et cela même s’il [traduction] « … y a eu moins d’attaques à Islamabad comparativement à d’autres villes du Pakistan … ».

[17]           Les arguments des demandeurs ne m’ont pas convaincu. Bien que les demandeurs puissent être en désaccord avec les constatations et les conclusions tirées, je suis d’avis que ces constatations étaient raisonnablement disponibles pour la SPR en fonction des éléments de preuve et de la loi. Notre Cour n’interviendra pas uniquement dans le cadre d’un désaccord.

[18]           Bien que la proximité géographique entre une possibilité de refuge intérieur et un agent de persécution puisse être un élément pertinent à prendre en compte dans certaines circonstances, elle n’est pas, de façon isolée, une raison valable pour rejeter une possibilité de refuge intérieur potentielle. En l’espèce, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer l’existence d’une sérieuse possibilité de persécution à Islamabad. En tirant cette conclusion, la SPR a examiné de façon minutieuse la preuve documentaire et mis en évidence les risques auxquels la communauté chiite est confrontée dans différentes régions du pays, incluant Islamabad. La SPR a tenu compte et soupesé cette preuve documentaire mixte et remarqué que les rapports des gouvernements du Royaume-Uni et de l’Australie indiquaient que les grands centres urbains, incluant Islamabad, sont des endroits relativement sûrs où les minorités religieuses et ethniques peuvent déménager. La SPR n’a commis aucune erreur en s’appuyant de façon sélective sur certains éléments de preuve. Au contraire, elle a reconnu les éléments de preuve mixtes, incluant les éléments de preuve présentés par les demandeurs, et les circonstances difficiles auxquelles doivent faire face les minorités religieuses et les groupes ethniques au Pakistan. Toutefois, elle a conclu que les demandeurs pouvaient vivre en sécurité à Islamabad. Cette conclusion a été raisonnablement mise à la disposition de la SPR.

[19]           La SPR a également examiné les éléments de preuve liés au risque posé par le SSP ou M. Muawia à Islamabad, précisément le risque que les demandeurs soient recherchés, suivis ou localisés par le SSP. La SPR a conclu que les éléments de preuve ne démontraient tout simplement pas, selon la prépondérance des probabilités, que le SPP ou M. Muawia avait accès à un réseau ou à tout autre moyen qui démontrait une capacité de rechercher ou de trouver les demandeurs à Islamabad. De nouveau, il était raisonnablement loisible à la SPR de parvenir à cette conclusion.

[20]           En ce qui concerne les profils respectifs des demandeurs, la SPR a mentionné que les banquiers et les enseignants n’étaient pas susceptibles d’être ciblés. Toutefois, les demandeurs n’étaient pas des banquiers professionnels ni des enseignants. M. Bokhari a travaillé à titre de comptable et enseigné au sein de l’organisation ISO. Mme Fatima a également enseigné au sein de l’organisation ISO. La SPR a conclu que ni l’un ni l’autre des demandeurs n’étaient des membres haut placés ou exerçant une influence dans l’organisation ou qu’ils étaient bien connus dans leur communauté et au-delà. Selon les éléments de preuve, il était raisonnable pour la SPR de conclure que leurs profils n’établissaient pas qu’ils étaient à risque d’être ciblés à titre de professionnels au sein de la communauté chiite.

V.                Conclusion

[21]           La SPR a fait un examen raisonnable des éléments de preuve. La décision est justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). La décision est raisonnable et les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer qu’il existe un fondement pour que la Cour intervienne.

[22]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-540-16

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD ANJUM BOKHARI, RUBAB FATIMA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

Pour les demandeurs

 

Norah Dorcine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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