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Date : 20161125


Dossier : IMM-1853-16

Référence : 2016 CF 1305

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

OSAS SHARON OKOHUE

JADA OKOHUE (ENFANT D’ÂGE MINEUR)

BELVIS OKOHUE (ENFANT D’ÂGE MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La principale demanderesse, Mme Osas Sharon Okohue, et ses deux enfants Jada et Belvis, sont des citoyens du Nigéria. Mme Okohue a demandé l’asile au Canada pour le motif qu’elle craint son ancien conjoint de fait et sa famille qui se trouvent dans la région de Benin City, au Nigéria.

[2]               La demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). La SPR a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Nigéria. La Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a confirmé la décision de la SPR.

[3]               Mme Okohue dépose la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs que la SPR a commis une erreur en invoquant et appliquant le critère de la possibilité de refuge intérieur et que la décision relative à la possibilité de refuge intérieur est déraisonnable. La présente demande soulève les questions suivantes :

A.             La SAR a-t-elle mal appliqué le critère de la possibilité de refuge intérieur?

B.             La conclusion au sujet de la possibilité de refuge intérieur est-elle déraisonnable?

[4]               Après avoir examiné les observations écrites des parties et tenu compte de leurs arguments oraux, je suis d’avis que la SAR a correctement cerné et appliqué le critère de la possibilité de refuge intérieur. Je suis également d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’il y avait une possibilité de refuge intérieur. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               La SAR a entrepris son analyse en énonçant le critère à deux volets servant à déterminer l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, citant Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu] et Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706. La SAR a reconnu la nécessité de tenir compte des deux volets du critère, ayant conclu qu’il n’y a aucun risque grave de persécution dans la possibilité de refuge intérieur proposée et que la situation dans la possibilité de refuge intérieur est telle qu’il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs s’y établissent.

[6]               La SAR a fait remarquer que la SPR avait désigné Lagos, Ibadan, Port Harcourt et Abuja comme possibilités de refuge intérieur viables. Elle a examiné les éléments de preuve, y compris ceux selon lesquels le conjoint de fait de Mme Okohue avait cherché à la retrouver à Abuja – la plus éloignée des quatre villes de Benin City –, mais a fait remarquer que selon les éléments de preuve, le conjoint de fait avait limité ses recherches à des personnes connues des deux. La SAR a conclu que la totalité des éléments de preuve fournis par les demandeurs n’établissait pas que les agents de persécution auraient l’envergure, l’influence ou la capacité de retracer Mme Okohue et de lui causer des préjudices dans l’une des possibilités de refuge intérieur désignées.

[7]               En tenant compte du deuxième volet du critère de la possibilité de refuge intérieur, la SAR a fait remarquer que la situation particulière et les circonstances de la demanderesse et du pays doivent être prises en compte. La SAR a fait remarquer que les éléments de preuve relatifs à la situation dans la possibilité de refuge intérieur doivent être plus que la situation générale dans le pays et être pertinente aux circonstances précises de la demanderesse. La SAR a fait remarquer que Mme Okohue a seulement terminé sa cinquième année, mais a ensuite souligné le fait qu’elle 1) possède une expérience de travail; 2) est chrétienne (ce qui constitue la plus grande proportion de la population dans les quatre villes suggérées et leurs alentours); et 3) parle la langue locale en plus de parler un peu l’anglais. La SAR a fait observer que Mme Okohue est une jeune femme, qu’elle a parcouru tout ce trajet pour venir au Canada, qu’elle est la chef de son ménage et qu’elle subvient à ses propres besoins. Pour ces motifs, elle a rejeté l’argument selon lequel il serait déraisonnable pour Mme Okohue de chercher refuge dans les possibilités de refuge intérieur désignées en raison de la séparation de la famille. La SAR a souligné que le seuil très élevé pour déterminer une possibilité de refuge intérieur est déraisonnable dans toutes les situations et a conclu que le deuxième volet était respecté.

III.             Norme de contrôle

[8]                Les demandeurs soutiennent que la Cour devrait adopter une norme de la décision correcte en examinant l’interprétation de la SAR et l’application du critère de la possibilité de refuge intérieur. Je ne suis pas d’accord.

[9]               Bien que la détermination du critère juridique applicable soit une question qui serait normalement examinée en fonction d’une norme de la décision correcte, les demandeurs ne soutiennent pas que la SAR a cerné le mauvais critère; au contraire, ils soutiennent que la SAR a commis une erreur en appliquant le critère. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit que j’examinerai en fonction d’une norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53 [Dunsmuir]).

[10]           Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que l’évaluation par la SAR des éléments de preuve et de la situation au moment de déterminer la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur possible justifie la norme de la décision raisonnable (Zaytoun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939, au paragraphe 10 (la juge Mactavish) [Zaytoun], citant Lopez Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 550, au paragraphe 14 et Pedraza Corona c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 508, au paragraphe 5).

IV.             Analyse

A.                 La SAR a-t-elle mal appliqué le critère de la possibilité de refuge intérieur?

[11]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a mal appliqué le critère de la possibilité de refuge intérieur en leur demandant de justifier une possibilité sérieuse de persécution partout dans le pays, plutôt que dans les possibilités de refuge intérieur désignées. Les demandeurs soutiennent qu’en agissant ainsi, la SAR exigeait qu’ils justifient que n’importe quel endroit au Nigéria serait déraisonnable pour démontrer que les possibilités de refuge intérieur proposées étaient déraisonnables. Tel n’est tout simplement pas le cas.

[12]           La SAR a correctement énoncé le critère à deux volets de la possibilité de refuge intérieur. La déclaration de la SAR que la demanderesse conteste est : « …il appartient à ce dernier de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans tout le pays, y compris la partie qui offrait prétendument une possibilité de refuge ». Il s’agit d’une citation directe de la décision Thirunavukkarasu. Elle ne reflète rien d’autre que le fardeau dont les demandeurs d’asile doivent s’acquitter pour établir un risque de persécution dans leur pays de nationalité.

[13]           En l’espèce, la SAR a évalué les éléments de preuve des demandeurs au sujet des risques dans les possibilités de refuge intérieur proposées. Ce faisant, elle a pris en considération les éléments de preuve des demandeurs démontrant que l’ancien conjoint de fait de Mme Okohue avait cherché à la rejoindre au domicile de son amie à Abuja, qu’Abuja est la ville la plus éloignée de Benin City parmi les possibilités de refuge intérieur désignées et que son ancien conjoint de fait et sa famille pouvaient se rendre dans n’importe laquelle des possibilités de refuge intérieur proposées. Ayant pris en considération les éléments de preuve, la SAR a conclu que Mme Okohue n’avait pas démontré que son ancien conjoint de fait ou sa famille avait la capacité de retracer les demandeurs dans les possibilités de refuge intérieur.

[14]           La SAR a tenu compte du risque dans les possibilités de refuge intérieur proposées. Je n’ai pas eu besoin ni examiné d’éléments de preuve quant à un risque géographique plus étendu dans le contexte de l’analyse des possibilités de refuge intérieur. La SAR n’a pas mal appliqué le critère de la possibilité de refuge intérieur.

B.                 La conclusion au sujet de la possibilité de refuge intérieur est-elle déraisonnable?

[15]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion au sujet de la possibilité de refuge intérieur ne peut pas être raisonnablement étayée par les éléments de preuve. Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur : 1) en ne tenant pas compte de façon adéquate de la proximité géographique des possibilités de refuge intérieur de Benin City; 2) en omettant d’aborder les risques que présente le travail de Mme Okohue; 3) en omettant de tenir compte de son statut de mère monoparentale; 4) en ne reconnaissant pas que les demandeurs se cachaient à Abuja lorsque son ancien conjoint de fait n’a pas été en mesure de la retracer à cet endroit; et 5) en omettant de tenir compte de la preuve documentaire objective qui démontre qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs déménagent dans l’une ou l’autre des possibilités de refuge intérieur. La demanderesse soutient également que la SAR a commis une erreur en tenant compte de l’établissement de Mme Okohue au Canada.

[16]           Bien que la proximité géographique entre une possibilité de refuge intérieur et un agent de persécution puisse être un élément pertinent à prendre en compte dans certaines circonstances, elle ne constitue pas à elle seule un fondement pour rejeter une possibilité de refuge intérieur potentielle. En l’espèce, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas réussi à justifier qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution dans les possibilités de refuge intérieur Les seuls éléments de preuve d’une découverte potentielle reposaient sur la capacité des agents de persécution de se déplacer dans le pays. La totalité des éléments de preuve n’a pas établi que l’ancien conjoint de fait ou sa famille serait en mesure de retracer les demandeurs dans les possibilités de refuge intérieur suggérées. Il était raisonnable pour la SAR de tirer cette conclusion.

[17]           La conclusion de la SAR selon laquelle le deuxième volet du critère pour déterminer l’existence d’une possibilité de refuge intérieur est respecté en l’espèce et que la possibilité de refuge intérieur proposée serait raisonnable est une conclusion qui appartient aux issues acceptables. La SAR a tenu compte de la situation personnelle de Mme Okohue et a examiné en détail la preuve documentaire, y compris les documents sur le pays mis en évidence par les demandeurs. La SAR a reconnu les éléments de preuve de discrimination, de chômage ainsi que les défis auxquels sont confrontées les femmes qui sont à la tête de leur propre ménage au Nigéria, et elle en a tenu compte. Elle a reconnu que les femmes qui dirigent un ménage sont confrontées à des défis économiques et elle a souligné la scolarité de Mme Okohue. Cependant, la SAR a mis en contraste ces éléments de preuve avec sa propre expérience de travail, sa capacité de s’intégrer dans la communauté chrétienne, son expérience internationale, sa capacité de parler l’anglais et les éléments de preuve quant à la disponibilité de services limités aux victimes de violence fondée sur le sexe et de violence familiale. La SAR a également abordé la question de la séparation de la famille, mais elle a fait remarquer que la présence des demandeurs au Canada constitue aussi une séparation de la famille sans les avantages de la familiarité culturelle. Les difficultés que les demandeurs ont recensées relativement au déménagement dans les possibilités de refuge intérieur suggérées ne suffisent pas à rendre une possibilité de refuge intérieur déraisonnable.

[18]           Les demandeurs soutiennent que l’omission par la SAR d’aborder le fait qu’ils se cachaient à Abuja mine le caractère raisonnable de la décision. Pour étayer cette position, ils s’appuient sur les décisions de la Cour dans les affaires Zaytoun, Offei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1619 et Zamora Huerta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 586.

[19]           La jurisprudence sur laquelle s’appuient les demandeurs comprend les éléments de preuve liés au fait qu’il faut se cacher avant de fuir le pays. Cependant, dans chaque cas, il y a aussi des éléments de preuve qui démontrent la capacité de l’agent de persécution de retracer les demandeurs dans la possibilité de refuge intérieur. Il n’existe pas de tels éléments de preuve en l’espèce. L’ancien conjoint de fait de Mme Okohue est un chauffeur d’autobus à Benin City et il n’existe aucun élément de preuve voulant que des membres de sa famille se trouvent ailleurs que dans la région de Benin City. Bien qu’il y ait des éléments de preuve selon lesquels l’ancien conjoint de fait ait d’abord cherché à retrouver les demandeurs, ces éléments de preuve indiquent que ses efforts se limitaient à demander à des personnes que les deux connaissaient. Aucun élément de preuve ne laisse entendre que l’ancien conjoint de fait ou les membres de sa famille sont liés à un groupe qui a les moyens et la capacité de retracer les demandeurs. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve relatifs à l’accès à des bases de données ou à des renseignements du gouvernement. Finalement, aucun élément de preuve ne laisse entendre des efforts continus ou même un intérêt à retracer les demandeurs.

[20]           Dans les circonstances, il aurait été préférable que la SAR ait expressément abordé le fait que les demandeurs allèguent qu’ils se cachaient avant de fuir le Nigéria. Toutefois, « [i]l se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision » [caractères gras ajoutés]. [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16]. La conclusion au sujet de la possibilité de refuge intérieur n’est pas déraisonnable.

V.                Conclusion

[21]           La SAR n’a pas commis d’erreur en examinant les éléments de preuve ou en invoquant et appliquant le critère de la possibilité de refuge intérieur. Le caractère raisonnable « tient à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[22]           Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1853-16

 

INTITULÉ :

OSAS SHARON OKOHUE, JADA SHARON OKOHUE, BELVIS OKOHUE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo

 

Pour les demandeurs

 

Prathima Prashad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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