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Date : 20161027


Dossier : IMM-1701-16

Référence : 2016 CF 1195

Montréal (Québec), le 27 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

HAYAT HAGE-NASSAR

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Au préalable

[1]  Les dispositions trouvant application en ce qui concerne les enfants majeurs à charge dans les demandes de résidence permanente de la catégorie du regroupement familial sont les articles 2 et 117(1)b) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés [RIPR].

[2]  La preuve démontre que la demanderesse souffre d’un état chronique et grave. Elle n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins à l’extérieur du foyer et demeure dépendante du soutien de ses proches pour être stable, autonome et fonctionnelle. La médication prise indispose la demanderesse pour toute fonction à l’extérieur du foyer sans le soutien de ses proches. En analysant la jurisprudence soumise, la Cour constate que chacun des cas présentés est un cas d’espèce où les faits particuliers tracent un tableau unique, chaque fois. Le tableau unique brossé par le cas de la demanderesse devant la Cour montre le récit d’une personne qui n’est ni stable ni autonome sans l’appui d’un membre de sa famille qui demeure à ses côtés.

II.  Nature de l’affaire

[3]  Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre de la décision d’une agente de visas de l’Ambassade du Canada au Liban, rendue le 3 mars 2016, de ne pas accorder la résidence permanente à la demanderesse dans la catégorie d’enfant à charge selon les articles 2 et 117(1)b) du RIPR.

III.  Faits

[4]  La demanderesse, âgée de 50 ans, est citoyenne du Liban. Elle est célibataire, n’a jamais été mariée et n’a pas d’enfants. Elle a trois frères : M. H.-N. et J. H.-N., qui résident au Canada; G. H.-N., qui réside aux États-Unis. Sa mère, G.B., est âgée de 78 ans et habite encore au Liban. Son père est décédé le 12 juillet 2009.

[5]  La demanderesse souffre de dépression chronique et d’anxiété depuis l’adolescence. Elle mentionne qu’elle souffre de sa condition médicale particulièrement suite au décès de son père. Elle est traitée en psychiatrie depuis 2006. Son état est stable, mais elle ne travaille pas et elle réside toujours avec sa mère.

[6]  Le 12 octobre 2010, le frère de la demanderesse, M. H.-N., a déposé une demande de parrainage auprès de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] pour sa mère G.B. ainsi que pour la demanderesse, en tant qu’enfant majeure à charge de celle-ci.

[7]  Le 28 octobre 2014, M. H.-N. a fourni des documents relatifs à la demande de résidence permanente de G.B. et de la demanderesse à CIC, dont des certificats médicaux, datés du 2 juillet 2010 et du 10 janvier 2011, concernant le suivi psychiatrique de la demanderesse.

[8]  Le 10 mars 2015, la demanderesse a obtenu un Certificat de sélection du Québec.

[9]  Le 3 novembre 2015, un nouveau certificat médical du psychiatre de la demanderesse, daté du 29 septembre 2015, a été transmis à l’Ambassade du Canada à Beyrouth.

[10]  Le 22 février 2016 et le 2 mars 2016 respectivement, G.B. et la demanderesse ont participé à une entrevue avec une agente d’immigration à l’Ambassade du Canada à Beyrouth.

[11]  Le 3 mars 2016, la demande de parrainage pour résidence permanente de G.B. a été acceptée, mais celle de la demanderesse a été rejetée.

IV.  Décision

[12]  Le 3 mars 2016, la demande de parrainage pour résidence permanente de la demanderesse a été rejetée par l’agente d’immigration de l’Ambassade du Canada au Liban parce qu’elle ne correspondait pas aux critères d’enfant à charge tel que définis à l’article 2 du RIPR. L’agente n’a pas été convaincue que la demanderesse pourrait être considérée comme une enfant à charge en raison de son état de santé.

V.  Observations des parties

A.  Prétentions de la partie demanderesse

[13]  La demanderesse plaide que la décision de l’agente est déraisonnable parce qu’elle a commis des erreurs dans l’appréciation de la preuve soumise, en ce qui a trait, d’une part, à la gravité des troubles dépressifs et anxieux dont elle souffre et, d’autre part, à la capacité de la demanderesse de vivre de façon autonome.

[14]  La demanderesse soumet que son état dépressif et anxieux est hautement limitant. Elle dort beaucoup à cause de sa médication, est incapable de travailler ou d’effectuer autre chose que des tâches légères pour aider sa mère. Elle fait de la peinture et vend ses œuvres à l’occasion, lors d’expositions qui ont lieu à l’église trois fois par année. Le prix des peintures vendues varie entre 50 000 et 100 000 livres libanaises (entre 40 et 90 $ CA) et les recettes sont partagées entre la demanderesse et l’église.

[15]  La preuve soumise aurait dû convaincre l’agente qu’elle correspondait à la définition de l’enfant majeure à charge qui n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins en raison de son état mental. Selon la demanderesse, la décision de l’agente serait inintelligible puisqu’incompatible avec les trois rapports médicaux fournis. Le psychiatre traitant de la demanderesse y fait rapport de l’état dépressif et anxieux chronique de la demanderesse depuis l’adolescence; de la nécessité d’un suivi psychiatrique régulier; d’un traitement médical quotidien; de l’état stable de la demanderesse sous médication; de la nécessité du soutien de sa famille.

[16]  La demanderesse argue également que l’agente a erré en concluant que la demanderesse pouvait vivre de la vente de ses toiles à l’église, sans s’appuyer sur une preuve concrète.

B.  Prétentions de la partie défenderesse

[17]  Le défendeur prétend plutôt que la décision de l’agente est raisonnable.

[18]  Le défendeur soumet qu’il appartenait à la demanderesse de prouver qu’elle est une enfant majeure à charge en raison de son état mental et qu’elle est dépendante financièrement de sa mère. Or, la demanderesse n’aurait fourni aucune preuve récente et convaincante de soutien financier continu et permanent depuis l’âge de 19 ans. Par conséquent, elle n’a pas démontré qu’elle appartenait à la catégorie prévue à l’article 2 du RIPR.

VI.  Question en litige

[19]  La question en litige soulevée dans la présente cause est la suivante :

  1. L’agente d’immigration a-t-elle erré en concluant que la demanderesse ne correspondait pas à la définition d’enfant à charge tel que définie par l’article 2 du RIPR?

[20]  Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, soumise à la norme de la décision raisonnable et exigeant une certaine déférence de la Cour quant aux conclusions tirées par l’agente (Nawfal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 464; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

VII.  Dispositions pertinentes

[21]  Les dispositions trouvant application en ce qui concerne les enfants majeurs à charge dans les demandes de résidence permanente de la catégorie du regroupement familial sont les articles 2 et 117(1)b) du RIPR.

VIII.  Analyse

[22]  Après analyse du dossier, la Cour conclut que l’agente d’immigration a erré dans son analyse de la preuve quant à la qualité d’enfant majeure à charge, en ce que ses conclusions sont contraires à la preuve médicale soumise par la demanderesse. La décision rendue est donc déraisonnable.

[23]  En effet, l’agente d’immigration raisonne en ces termes quant à l’état mental de la demanderesse et sa capacité de subvenir seule à ses besoins :

[…] A doctor’s note was submitted at the interview which states that Hayat has suffered from depression for several years and responds to the treatment and is stable. She can look after her own personal hygiene and requires family support to avoid relapse. During the interview Hayat was very coherent and answered all the questions with ease. Hayat stated she works as an artist and sells her paintings for a living. She stated she can manage herself. […] Based on the evidence submitted and the interviews conducted with mother and daughter I am not satisfied that PA meets definition of R2 – that she is unable to become financially self-supporting due to a medical condition. Hayat’s doctor states that she is responding well to treatment and is stable. Hayat states she is financially self sufficient. During the interview with Hayat’s mother, her mother also stated that Hayat can financially support herself. […]

[Notes de l’agente consignées au STIDI/SMGC, à la p 5]

[24]  Or, le 2 juillet 2010, le psychiatre traitant de la demanderesse précise pourtant qu’elle souffre de dépression chronique depuis plusieurs années et qu’elle est en rémission partielle. Il détaille qu’elle nécessite un suivi psychiatrique régulier ainsi que le soutien familial, car elle ne peut rester seule. Il ajoute qu’elle est grandement sensible aux agents psychotropes.

[25]  De plus, le 10 janvier 2010, le psychiatre traitant de la demanderesse réitère qu’elle souffre de dépression chronique et d’anxiété depuis son adolescence. Il répète qu’elle répond bien au traitement et qu’elle est en rémission clinique, mais qu’elle doit être suivie en psychiatrie régulièrement et qu’elle dépend du soutien de sa mère. Le psychiatre souligne qu’elle est incapable de travailler malgré la rémission et qu’elle dépend de sa famille financièrement.

[26]  Finalement, le 29 septembre 2015, le psychiatre confirme à nouveau l’état mental de la demanderesse. Il réitère le fait qu’elle est stable et qu’elle répond bien au traitement par médicaments, qui lui permet d’être autonome et fonctionnelle, malgré qu’elle ait toujours besoin du soutien familial pour demeurer stable.

[27]  Questionnée à l’entrevue, la demanderesse déclare qu’elle dort souvent à cause de sa médication, qu’elle ne travaille pas, ne cuisine pas et ne conduit pas. Elle détient un compte bancaire avec sa mère, avec qui elle habite. Elle peint à l’occasion et réussit à vendre quelques toiles lors d’expositions organisées par l’église, c’est-à-dire trois fois par année, pour une somme ne dépassant pas 100 $ CA par toile, partagée avec l’église. Le témoignage de la demanderesse, si lu dans son ensemble, spécifie qu’elle n’est pas autonome et qu’elle dépend financièrement de sa mère ou de ses frères.

[28]  Après analyse de la présente cause, la Cour conclut que l’agente d’immigration a rendu une décision faisant fi de la preuve médicale présentée. Elle a estimé que la demanderesse n’était pas financièrement dépendante de sa mère depuis sa majorité en raison de son état mental, et ce, malgré trois notes médicales indiquant le contraire.

[29]  La preuve démontre que la demanderesse souffre d’un état chronique et grave. Elle n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins à l’extérieur du foyer et demeure dépendante du soutien de ses proches pour être stable, autonome et fonctionnelle. La médication prise indispose la demanderesse pour toute fonction à l’extérieur de son foyer sans le soutien de ses proches. En analysant la jurisprudence soumise, la Cour constate que chacun des cas présentés est un cas d’espèce où les faits particuliers tracent un tableau unique chaque fois. Le tableau unique brossé par le cas de la demanderesse devant la Cour montre le récit d’une personne qui n’est ni stable ni autonome sans l’appui d’un membre de sa famille qui demeure à ses côtés.

[30]  Par conséquent, l’agente a rendu une décision dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité, et n’appartenant pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au para 47).

IX.  Conclusions

[31]  La demande de contrôle judiciaire est accordée et l’affaire est retournée pour être reconsidérée par un autre agent d’immigration de l’Ambassade du Canada à Beyrouth, au Liban.

[32]  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée et l’affaire est retournée pour être reconsidérée par un autre agent d’immigration de l’Ambassade du Canada à Beyrouth, au Liban.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1701-16

INTITULÉ :

HAYAT HAGE-NASSAR c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 27 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Jacques Beauchemin

pour lA PARTIE demanderESSE

Anne-Renée Touchette

pour lA PARTIe défendeRESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacques Beauchemin

Montréal (Québec)

 

pour lA PARTIE demanderESSE

William F. Pentney

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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