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Date : 20161202


Dossier : IMM-566-16

Référence : 2016 CF 1334

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

L.A., C.R., G.H., F.H.

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada dans laquelle la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs et a conclu qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II.                Contexte

[3]               Les quatre demandeurs appartiennent à la même famille et sont originaires de la Colombie. L.A. (le demandeur) était propriétaire d’une ferme prospère en Colombie. En février 2013, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont voulu extorquer de l’argent aux demandeurs. Lorsque les demandeurs ont refusé, C.R. (la demanderesse) a été violée en mars 2013. Bien que le viol et les circonstances l’entourant ne soient pas remis en question, la question est à savoir s’il a été perpétré par des membres des FARC ou d’autres personnes.

[4]               Après les événements de mars 2013, la famille est déménagée à Bogota. En juillet 2013, le demandeur et la demanderesse ont rapporté les deux incidents (la tentative d’extorsion et le viol) à l’Unité pour l’attention et la réparation aux victimes d’un conflit armé (l’Unité) mise sur pied par le gouvernement colombien. L’Unité a reconnu que les demandeurs étaient des victimes du conflit armé et leur a accordé une indemnisation, incluant du financement pour des services psychologiques.

[5]               En janvier 2015, après que les FARC aient déclaré une trêve avec le gouvernement colombien, les demandeurs sont retournés à leur ferme. À ce moment, plusieurs membres des FARC les auraient prétendument détenus et menacés, auraient volé leurs téléphones cellulaires et auraient noté leur adresse à Bogota. Les demandeurs se sont enfuis de la ferme et sont retournés à Bogota. Ils n’ont pas déclaré cet incident à la police avant août 2015, peu avant leur départ de la Colombie. En octobre 2015, ils sont arrivés au Canada en provenance des États-Unis et ont présenté leurs demandes d’asile.

III.             La décision contestée

[6]               La SPR a commencé par examiner la crédibilité de la demanderesse qui a témoigné au nom de la famille. Malgré qu’elle indique dans son témoignage avoir mentionné les FARC dans sa plainte déposée à l’Unité en 2013, la SPR a noté que le rapport de réparation de la victime ne fait pas référence aux FARC comme étant les agents de persécution. En outre, les demandeurs étaient incapables de produire une copie de la plainte formulée à l’Unité, laquelle, selon les documents sur la situation au pays, est facile à obtenir. En tirant sa conclusion en matière de crédibilité, la SPR a également tenu compte du fait que les demandeurs n’ont seulement signalé l’incident de janvier 2015 qu’en août 2015, soit seulement deux mois avant de quitter la Colombie. Elle a conclu que le rapport d’août 2015 a été effectué avec l’intention de justifier la demande d’asile imminente. Par conséquent, la SPR a conclu que la demanderesse manquait de crédibilité et que, selon la prépondérance des probabilités, l’incident de janvier 2015 n’a pas eu lieu.

[7]               Après l’examen des documents sur la situation au pays pour la Colombie, la crédibilité contestée de la demanderesse, et sa conclusion que l’incident de janvier 2015 n’a pas réellement eu lieu, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants (Canada c. Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACS no 74). La SPR a également conclu qu’il y avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Bogota.

[8]               En rendant sa décision, la SPR a fait référence aux Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives). Elle a toutefois conclu que les Directives étaient peu utiles puisque la demanderesse n’a pas allégué avoir été victime de violence en raison de son sexe lors de l’incident présumé de 2015, elle avait rapporté l’incident de 2013 et avait été indemnisée pour l’incident de 2013, et la SPR n’avait pas besoin de son témoignage au sujet de l’incident de 2013. La requête de la demanderesse d’être déclaré « personne vulnérable », ce qui aurait permis à son avocat de l’interroger en premier, a été rejetée.

IV.             Questions en litige

[9]               Les demandeurs prétendent que la décision de la SPR est déraisonnable puisqu’elle a omis de prendre en compte les Directives lors de l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse et a omis de la déclarer « personne vulnérable ». Ils prétendent également que, de façon générale, la décision était déraisonnable à l’égard des questions de protection de l’État et de possibilité de refuge intérieur.

V.                Norme de contrôle

[10]           Lorsqu’on demande à notre Cour d’examiner des questions de fait, incluant des conclusions à l’égard de la crédibilité, il est bien établi que la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC, aux paragraphes 47 et 48; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF)). Notre Cour ne peut intervenir que si la décision ne démontre pas la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité au paragraphe 47).

VI.             Analyse

A.                Crédibilité

(1)               Application des Directives

[11]           Les demandeurs prétendent que la SPR n’a pas pris en compte les Directives lors de la formulation de ses conclusions à l’égard de la crédibilité de la demanderesse, bien qu’elle ait été victime de violence en raison de son sexe en mars 2013. Bien que la SPR ait fait référence aux Directives, elle a exprimé une incertitude relativement à leur application dans les circonstances où la demanderesse a demandé et reçu la protection de l’État pour l’incident sexiste, et que l’incident en question s’est déroulé deux ans avant son départ de la Colombie. Je note que les Directives faisaient spécifiquement référence aux femmes qui craignent la persécution « aux mains de simples citoyens desquels l’État ne voulait pas ou ne pouvait pas protéger les personnes concernées ». Le défendeur prétend que, puisque la demanderesse a demandé et obtenu la protection de l’État pour l’incident sexiste, les Directives sont inutiles pour expliquer le délai à présenter une demande d’asile. Je suis d’accord. Lors de l’audience relative à la demande d’asile, la SPR n’a pas remis en question si les événements de 2013 sont réellement survenus. Elle a accepté les éléments de preuve de la violence fondée sur le sexe et n’a pas interrogé la demanderesse au sujet de ces éléments de preuve. La seule question liée à l’incident de 2013 était de savoir si les FARC étaient les auteurs de la violence fondée sur le sexe.

[12]           Relativement au délai à signaler l’incident de janvier 2015, la demanderesse a témoigné qu’elle avait peur de déposer un rapport auprès de la police. Toutefois, c’est ce qu’elle a fait en août 2015, « tout juste avant de quitter la [Colombie] ». À mon avis, il était loisible à la SPR de conclure que le dépôt tardif de ce rapport était une tentative de justifier la demande d’asile à venir de la demanderesse.

[13]           Je conclurai cette partie de mon analyse en observant qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte des Directives à l’égard du témoignage non lié à la violence fondée sur le sexe. De plus, les Directives ne sont pas contraignantes : Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1494, au paragraphe 34, [2012] ACF no 1598. Je conclus que l’approche de la SPR relativement à l’utilité des Directives à l’égard de la question de la crédibilité de la demanderesse est raisonnable dans les circonstances.

(2)               Déclaration de personne vulnérable

[14]           La commissaire coordonnatrice (la commissaire) de la SPR a conclu que la requête de la demanderesse d’être déclarée « personne vulnérable » n’a pas atteint le degré de « circonstances exceptionnelles ». Elle a donc rejeté la requête. Les demandeurs prétendent que cette décision était déraisonnable dans les circonstances. Je note que la commissaire a consulté un rapport psychologique, auquel elle a accordé peu d’importance, et qu’elle a mentionné que les membres de la SPR ont reçu une formation sur la sensibilité. Un examen du dossier indiquerait également un signalement tardif de l’incident de janvier 2015 qui n’était nullement fondé sur le sexe. À la lumière de ces observations, je conclus que la décision de la SPR au sujet de la vulnérabilité de la demanderesse respecte le critère de la décision raisonnable.

(3)               Conclusion d’invraisemblance

[15]           Les demandeurs prétendent que la conclusion de la SPR au sujet de la motivation à l’origine du signalement des incidents de 2015 est hypothétique et invraisemblable. Ils citent Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CF 776, au paragraphe 7, [2001] ACF no 1131 :

Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

[16]           À mon avis, il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la décision que la SPR a tirée. La SPR a examiné la déclaration précoce de l’incident de 2013 qui s’est traduite par une indemnisation et la déclaration tardive de l’incident de janvier 2015 tout juste avant leur départ de la Colombie. Essentiellement, les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve sur cette question, chose qu’elle n’est pas autorisée à faire : Khosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 83, au paragraphe 37, [2010] ACF no 99. À mon avis, la SPR a été confrontée à des éléments de preuve probants à l’aide desquels elle a tiré sa conclusion relative à la vraisemblance.

VII.          Protection de l’État

[17]           Les demandeurs prétendent que la décision de la SPR au sujet de la protection de l’État était largement fondée sur la conclusion négative à l’égard de la crédibilité de la demanderesse. Je ne suis pas d’accord. La décision de la SPR était fondée sur la preuve documentaire dont elle disposait, de même que sur le fait que les demandeurs n’avaient pas cherché à obtenir rapidement la protection de l’État après l’incident de janvier 2015. La SPR a conclu ce qui suit :

[traduction] Bien qu’il soit évident que le gouvernement de la Colombie n’a pas complètement réussi à vaincre les FARC et l’ELN, ces deux groupes sont considérablement plus faibles qu’avant et au cours de la dernière année, le gouvernement a amorcé des négociations de paix avec ces deux groupes et les avancées présentées régulièrement dans les bulletins de nouvelles montrent que ce processus obtient beaucoup de succès…

[18]           Le fardeau de réfuter la présomption de protection de l’État revient aux demandeurs (Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 42, [2013] ACF no 1099; Canada (AG) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACS no 74). Ils n’ont fourni aucun élément de preuve clair et convaincant à ce sujet à la SPR. J’estime que la conclusion de la SPR relativement à la protection de l’État est raisonnable dans les circonstances.

VIII.       Possibilité de refuge intérieur

[19]           Ces conclusions concernant la crédibilité et la protection de l’État sont suffisantes pour prendre une décision à l’égard de la demande des demandeurs. Il n’est par conséquent pas nécessaire de tenir compte des allégations des demandeurs au sujet de la possibilité de refuge intérieur à Bogota, et je refuse respectueusement de le faire.

IX.             Conclusion

[20]           Pour les motifs précités, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens. Aucune question n’est certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-566-16

 

INTITULÉ :

L.A., C.R., G.H., F.H. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Douglas Lehrer

 

Pour les demandeurs

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas Lehrer

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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