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Date : 20161206


Dossier : IMM-1856-16

Référence : 2016 CF 1345

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

JINETH MONTERO CARDONA

CARLOS LANDAZURI CANO

MARIAN LANDAZURI MONTERO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, Jineth Montero Cardona, Carlos Landazuri Cano et Mariana Landazuri Montero (les demandeurs), contestent la décision d’un agent principal d’immigration (l’agent), datée du 24 mars 2016, portant qu’une dispense accordée pour des considérations d’ordre humanitaire (CH) n’était pas justifiée.

I.                   Le contexte

[2]               Les demandeurs sont des citoyens colombiens qui sont arrivés au Canada en septembre 2013. Leur demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 19 août 2014. La SPR a conclu que les demandeurs étaient crédibles, mais que la question déterminante qu’elle devait trancher était la disponibilité de la protection de l’État de la part de la Colombie.

[3]               La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas signalé aux autorités les menaces dont ils avaient fait l’objet et qu’ils n’avaient pas démontré que l’État n’était pas en mesure de les protéger. La SPR a commis une erreur mineure sur le plan de l’équité procédurale, mais sa décision a été confirmée par la Cour fédérale le 2 juillet 2015.

[4]               La demande d’examen des risques avant renvoi présentée par les demandeurs a été rejetée le 24 mars 2016. Ils ont appris le même jour le rejet de leur demande CH, ce rejet étant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                La question en litige

[5]               Il s’agit de décider si l’agent a, de façon raisonnable, mis en balance les facteurs appropriés dans son appréciation de la demande CH?

III.             La norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle applicable aux demandes CH est la décision raisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62 (Baker)).

IV.             Analyse

[7]               Je fais droit à la présente demande pour les motifs qui suivent.

[8]               La SPR a conclu que la demanderesse avait été agressée sexuellement en 2010. Son agresseur a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de 11 ans et 4 mois. Un psychologue a diagnostiqué par la suite chez elle un trouble de stress post-traumatique (TSPT) ainsi que d’autres problèmes de santé mentale, dont des tendances suicidaires. L’agent a conclu que les prétentions de la demanderesse concernant ses problèmes de santé mentale causés par les événements traumatiques qu’elle avait vécus en Colombie étaient crédibles. Les demandeurs ont déposé plusieurs rapports médicaux qui faisaient état de son diagnostic et d’éléments de preuve établissant comment sa santé mentale en souffrirait si elle était renvoyée en Colombie.

[9]               Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), la Cour suprême du Canada (la CSC) a fourni des indications sur la façon d’apprécier une demande CH. Dans cette affaire, le demandeur était un Tamoul de 17 ans, originaire du Sri Lanka. Le demandeur avait été jugé crédible, mais ne correspondait pas à un profil de risque et sa demande CH avait donc été rejetée. L’agente avait conclu que le demandeur ne l’avait pas « convaincue que le retour au Sri Lanka causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ».

[10]           Dans Kanthasamy, précité, la CSC a confirmé, au paragraphe 23, des décisions antérieures de la Cour : « L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25 (1) (voir Rizvi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, par. 13 (CanLII); Irmie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (C.F. 1re inst.), par. 12). »

[11]           La cour a déclaré que le critère relatif aux difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » qui se trouve dans les Lignes directrices (Citoyenneté et Immigration Canada, Traitement des demandes au Canada, « IP 5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » (en ligne) section 5.10) vise seulement à offrir des repères et ne constitue pas une règle stricte qui limiterait le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’immigration. C’est la raison d’être équitable de la dispense prévue à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui a amené la cour à déclarer que ces trois mots avaient une vocation descriptive et ne créaient pas de nouveaux seuils. Les agents doivent prendre en considération l’ensemble des éléments de preuve.

[12]           Dans Kanthasamy, il avait été fait déraisonnablement abstraction des rapports médicaux, alors qu’il existait une preuve claire et non contredite de discrimination; l’agente a donc omis de se demander si, étant donné la nature humanitaire de l’article 25, « la preuve considérée dans son ensemble justifie une dispense », ce qui a amené l’agente à limiter son pouvoir discrétionnaire et a rendu la décision déraisonnable.

[13]           Les demandeurs ont fait valoir que, tout comme dans Kanthasamy, l’agent a commis une erreur dans son traitement des problèmes de santé de la demanderesse. De même, les demandeurs font valoir que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (l’ISE) a été superficielle et que cet intérêt n’a pas fait l’objet d’un examen sérieux. Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas apprécié, pour ce qui est de l’ISE, comment, en cas de renvoi en Colombie, les problèmes de santé mentale de la demanderesse toucheraient son enfant de trois ans et demi ainsi que sa capacité de prendre soin de cet enfant, compte tenu de la preuve non contredite selon laquelle son TSPT s’aggraverait si elle était renvoyée en Colombie, le pays où elle a vécu un traumatisme violent.

[14]           Les demandeurs invoquent l’arrêt Kanthasamy, et font valoir que, tout comme cela s’est produit dans Kanthasamy, l’agent a fait déraisonnablement abstraction des rapports médicaux et psychologiques qui contenaient des éléments de preuve non contestés du préjudice que subirait la demanderesse en cas de renvoi en Colombie.

[15]           Le défendeur invoque également l’arrêt Kanthasamy pour appuyer la proposition selon laquelle il est inévitable que le renvoi des personnes du Canada leur cause certaines difficultés. Il fait valoir que l’agent a soupesé tous les facteurs, qu’il a notamment accordé une force probante importante à l’ISE et qu’il a ainsi rendu une décision raisonnable.

[16]           Les demandeurs ont soutenu que l’agent aurait pu utiliser l’approche à plusieurs étapes exposée dans Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 (Williams). Le défendeur s’est appuyé sur l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 (Legault), pour soutenir qu’il n’existe pas de formule magique permettant de traiter les demandes CH. D’après le défendeur, il suffit que l’agent soit réceptif, attentif et sensible à l’ISE et qu’il lui accorde un poids considérable. Les deux reconnaissent que l’intérêt supérieur de l’enfant ne l’emporte pas sur toutes les autres considérations.

[17]           L’arrêt Kanthasamy n’a pas confirmé l’approche par étapes préconisée dans la décision Williams, précitée. J’admets avec le défendeur qu’il n’existe pas de formule magique, mais que l’agent doit être réceptif, attentif et sensible à l’ISE, et qu’il doit lui accorder un poids considérable, mais pas d’une façon telle qu’il l’emporte toujours sur les autres facteurs.

[18]           Les demandeurs font valoir que la preuve médicale concernant la demanderesse a été écartée sans examen adéquat. Le défendeur rétorque que l’agent a admis qu’il était possible que son état de santé se détériore, mais qu’elle pourrait obtenir une protection et des traitements en Colombie, dans les foyers pour femmes et dans les hôpitaux.

A.                La mère

[19]           Les rapports médicaux dont disposait l’agent étaient les suivants : M. Devins, psychologue clinicien, 17 juillet 2014 et 7 septembre 2015; Dr K. Asayesh, psychiatre, 7 septembre 2015, 21 septembre 2015 et 7 octobre 2015; Mme Sarah Kipp, infirmière praticienne, datés du 31 août 2015 et du 17 novembre 2015. Il y avait également le rapport préparé par Karla Velis, infirmière praticienne, daté du 16 septembre 2015, qui n’est pas mentionné du tout dans la décision.

[20]           Voici un résumé des conclusions médicales contenues dans les rapports déposés qui concernent cette question. M. Gerald M. Devins a produit un rapport détaillé de cinq pages qui conclut que son impression clinique est que la demanderesse [traduction« exhibe les critères diagnostiques associés à un important trouble dépressif de gravité modérée (296.22 [F32.1], trouble de stress post-traumatique (309.81 [F43.10]), et à un trouble acquis, relié à la pénétration et à des douleurs génito-pelviennes avec souffrance modérée (302.76 [F52.6] dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders de l’American Psychiatric Association) ». Selon le rapport, la demanderesse a besoin d’être traitée pour ses problèmes de santé mentale, ce qui peut comprendre une formation à la gestion du stress, une activation comportementale, une thérapie cognitivo-comportementale ainsi que d’autres traitements. M. Devins a conclu que, si elle ne reste pas au Canada, [traduction] « son état va empirer et le risque qu’elle se suicide va augmenter ».

[21]           Le rapport du psychiatre (Dr K. Asayesh) transmis au médecin référent mentionne que c’est l’époux de la demanderesse qui lui a décrit son état de santé au cours de leur rencontre, mais qu’elle n’avait pas exprimé ce qu’elle ressentait. Le psychiatre a donc mentionné qu’il avait dû faire passer une entrevue approfondie à la demanderesse avec l’aide d’un interprète espagnol. Après cette deuxième entrevue, le psychiatre a conclu que sa version des faits était authentique, qu’il voulait la revoir avec l’interprète et qu’il lui a ensuite présenté un plan de traitement. Dans son rapport final, après avoir eu une autre séance avec la demanderesse, il mentionne que celle-ci a toujours [traduction] « des cauchemars associés pour la plupart au fait que sa fille pourrait être menacée, blessée ou tuée, ainsi qu’à son propre viol » avec des retours en arrière [flashbacks] au moins une fois par semaine, en particulier la nuit, quand son époux travaille par quarts. Le psychiatre conclut que [traduction] « [c]ette femme a subi un traumatisme émotif et sexuel grave et souffre toujours de troubles de stress post-traumatique. Elle craint que, si elle retourne avec sa famille dans son pays d’origine, ils seront probablement la cible de harcèlement et de violence de la part des mêmes personnes “à cause des renseignements que nous possédons à leur sujet”. Malheureusement, elle a probablement raison. »

[22]           Dans le rapport de Mme Karla Velis daté du 16 septembre 2015, il est mentionné que la demanderesse est suivie pour des symptômes de dépression, d’angoisse et de TSPT. Le rapport mentionne que la demanderesse affirme avoir peur, qu’elle craint pour sa sécurité, mais [traduction] « surtout pour la sécurité de sa fille ». Le rapport mentionne également que la demanderesse [traduction] « consulte un psychiatre en raison de son état de santé mentale actuel, pour la poursuite de l’évaluation et du traitement ». Le 17 novembre 2015, Mme Sarah Kipp mentionne que [traduction] « sa capacité à gérer ses symptômes est fortement touchée par l’angoisse associée à sa crainte d’être renvoyée dans son pays d’origine où elle ne se sent pas en sécurité ». Le rapport indique que la demanderesse suit un traitement pharmacothérapeutique et qu’elle continue à connaître de graves crises d’angoisse.

[23]           L’évaluation fournie par les médecins du risque de harcèlement et de violence auquel feraient face les demandeurs n’a aucune valeur probante, puisque cela ne relève pas de leur domaine d’expertise ni de leur rôle. Par contre, leur évaluation des risques psychologiques relève tout à fait de leur domaine d’expertise, tout comme de celui des infirmières praticiennes, et doit être prise en compte.

[24]           Dans Kanthasamy, l’agente a admis que le demandeur souffrait de TSPT, mais avait demandé une preuve additionnelle sur la question de savoir si l’adolescent avait essayé de se faire traiter ou si ce genre de traitement était offert au Sri Lanka. La CSC a déclaré que cette demande rendait le facteur conditionnel plutôt qu’important. L’agente n’a pas tenu compte de l’effet que le renvoi au Sri Lanka aurait sur la santé mentale du demandeur. La CSC a conclu que l’aggravation de la santé mentale du demandeur en cas de renvoi au Sri Lanka était une considération que l’agente aurait dû soupeser, qu’un traitement ait été offert ou non.

[25]           En l’espèce, l’agent admet effectivement que l’état de santé de la demanderesse avait peut-être empiré en novembre 2015, mais il rejette l’absence de détails précis concernant le plan de traitement, la médication et le pronostic. L’agent a reconnu que, si la demanderesse était renvoyée en Colombie, le risque que celle-ci se suicide augmenterait. L’agent a déclaré qu’il en avait tenu compte, mais qu’il existait en Colombie des solutions à ces problèmes. Il est par contre difficile de comprendre pourquoi l’agent a demandé une preuve additionnelle au sujet des traitements offerts ou non en Colombie. L’agent ayant admis que la demanderesse souffrait de TSPT et qu’elle risquait de se suicider en raison de ce qu’elle avait vécu en Colombie, le fait de demander une preuve supplémentaire au sujet des traitements offerts, au Canada ou en Colombie, a compromis son évaluation. La santé mentale de la demanderesse est devenue ainsi un facteur conditionnel plutôt qu’important.

[26]           En outre, l’agent s’est interrogé sur la disponibilité d’un traitement en Colombie, mais il n’a pas tenu compte de l’effet que le renvoi du Canada pourrait avoir sur sa santé mentale. Qu’un traitement soit offert ou non en Colombie, le seul fait que la santé mentale de la demanderesse risque probablement de s’aggraver en cas de renvoi en Colombie est une considération pertinente qui devait être retenue puis soupesée.

[27]           La CSC a déclaré qu’il n’était pas raisonnable de s’intéresser à la disponibilité d’un traitement, cela ayant pour effet de faire de ce facteur un préalable au lieu d’être un facteur parmi les nombreux autres qu’il convient de soupeser.

[28]           En conclusion, l’agent a minimisé les risques que le renvoi de la demanderesse en Colombie faisait courir à sa santé, pour le motif qu’elle aurait accès aux services offerts aux victimes. L’agent analyse bel et bien la preuve documentaire objective, mais, compte tenu de la preuve non contestée de plusieurs experts médicaux qualifiés, il était déraisonnable que l’agent s’appuie uniquement sur l’existence d’un traitement.

B.                 L’intérêt supérieur de l’enfant

[29]           La Cour d’appel fédérale (la CAF) a jugé qu’il ne suffisait pas d’affirmer simplement que l’ISE avait été pris en compte (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 32 (Hawthorne)). Citant l’arrêt Legault, précité, la CAF a déclaré que l’agent devait examiner l’ISE avec beaucoup d’attention et en tenant compte de l’ensemble de la preuve; cela devrait être considéré comme un facteur important. La notion de difficultés inhabituelles ou injustifiées ne s’applique pas à l’appréciation de l’intérêt de l’enfant, puisque les enfants méritent rarement, sinon jamais, d'être exposés à des difficultés. Une décision est déraisonnable si elle ne tient pas suffisamment compte de l’intérêt de l’enfant touché (Baker, précité, au paragraphe 75).

[30]           Voici les motifs complets que l’agent a fournis au sujet de l’ISE :

[traduction]


J’ai également été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant dans la présente demande, et je conclus que l’intérêt de Mariana serait mieux servi si elle demeurait avec ses donneurs de soins principaux, et qu’elle préservait des relations étroites et positives avec sa tante, son oncle et ses cousins qui résident au Canada. De la même façon, j’estime que les intérêts de Paul et David LANDAZURI seraient mieux servis s’ils préservaient les liens étroits qu’ils ont avec les demandeurs. J’ai accordé une certaine importance à cette considération. Cependant, pour parvenir à cette fin, je conclus que, bien que cela ne soit pas parfait, il serait quand même possible de préserver des relations étroites en utilisant d’autres moyens comme les courriels, Skype et les communications téléphoniques.

 

[Non souligné dans l’original.]

[31]           Le seul fait de mentionner que l’agent est réceptif, attentif et sensible à l’ISE est insuffisant (Hawthorne, précité, au paragraphe 32). En l’espèce, l’agent a effectivement analysé l’ISE, mais ne lui a pas accordé « l’importance et […] la considération » exigées (Baker, au paragraphe 65). Cela accorde [traduction] « une certaine importance » à l’ISE, mais pas l’importance considérable qu’il mérite.

[32]           Dans Kanthasamy, la CSC a jugé que l’agente avait effectué un examen trop restrictif et n’avait pas pris en considération la situation globale du demandeur. La CSC a déclaré qu’il fallait tenir compte de la preuve dans son ensemble et de l’examiner dans sa totalité lorsqu’on effectue un examen de l’ISE.

[33]           D’après les faits de l’espèce, l’agent n’a pas examiné la question de savoir comment la très jeune fille serait touchée, compte tenu de la preuve médicale selon laquelle la santé mentale de sa mère se détériorerait si elle était renvoyée en Colombie. L’agent n’a pas non plus mentionné comment les menaces de mort prononcées contre l’enfant pouvaient avoir des répercussions sur la santé mentale de l’enfant ou de la mère.

[34]           Je sais qu’il incombe aux demandeurs de fournir les éléments de preuve et qu’il n’appartient pas à l’agent d’extrapoler la preuve. Il existait toutefois dans la demande CH des éléments de preuve établissant que la fille avait été menacée. Ces éléments comprenaient une carte de condoléances de juillet 2013 concernant le décès de la fille. L’enfant avait également fait l’objet d’une menace directe de la part des FARC au moment de sa naissance. Le rapport médial de Mme Karla Velis, daté du 15 septembre 2016, n’a pas été mentionné par l’agent, bien qu’il traite directement de la crainte éprouvée par la demanderesse au sujet de la sécurité de son enfant. Les rapports de Mme Sarah Kipp mentionnent également la crainte que ressentait la demanderesse au sujet du bien-être et de la sécurité de sa fille. La sécurité de la fille est mentionnée dans plusieurs rapports médicaux à titre de déclencheur du TSPT de la demanderesse ou certainement à titre de facteur associé. Les rapports médicaux indiquent que l’exacerbation des symptômes manifestés par la mère aurait des répercussions sur les soins qu’elle pourrait donner à sa très jeune enfant.

[35]           Les observations écrites ne portaient pas expressément sur l’effet de la détérioration de la santé mentale de la mère, en cas de renvoi du Canada, sur l’enfant de trois ans et demi, mais l’agent disposait de la preuve. Les rapports médicaux indiquent que la mère éprouve de vives craintes à l’égard de la sécurité de sa fille en Colombie et que les symptômes manifestés par la mère auraient une influence sur les soins donnés à sa très jeune enfant. Cet aspect de l’ISE n’apparaît aucunement dans l’analyse qu’a effectuée l’agent, et cette preuve n’a pas été prise en compte dans l’appréciation de l’agent.

[36]           Je conclus que l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’ISE. Il convient d’apprécier à la lumière des facteurs contraires l’importance à accorder à l’ISE, pour ensuite rendre une décision définitive. La façon dont l’agent a examiné l’ISE était déraisonnable.

[37]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

[38]           La façon dont la preuve médicale concernant la mère ou l’ISE ont été traités dans la décision n’était pas raisonnable. Par conséquent, je fais droit à la demande.

[39]           Leur demande étant accueillie, les demandeurs pourront présenter des documents additionnels s’ils le souhaitent pour compléter le dossier qui fera l’objet d’un nouvel examen.

[40]           Aucune question à certifier n’a été présentée et aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  Il est fait droit à la demande, et le dossier est renvoyé à un agent différent pour nouvelle décision.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1856-16

INTITULÉ :

JINETH MONTERO CARDONA ET AUTRES

c MCI ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

 

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

 

LE 10 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

 

la juge MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

 

le 6 décembre 2016

COMPARUTIONS :

Jack Martin

pour les demandeurs

Margherita Braccio

pour leS défendeurS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack C. Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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