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Date : 20161208


Dossier : IMM-2334-16

Référence : 2016 CF 1360

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

EVANGELINE AMAN SANTOS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Evangeline Aman Santos, la demanderesse, sollicite le contrôle judiciaire du refus par un agent des visas de lui accorder un permis de travail. Mme Santos a trouvé un emploi de gouvernante (CNP : 6474) dans la région de Vancouver. La demande de contrôle judiciaire est fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001 c 27).

I.                   Les faits

[2]               La demanderesse a 39 ans, elle est citoyenne des Philippines et n’est pas mariée.

[3]               Elle a reçu une formation commerciale et elle ne semble pas avoir beaucoup d’expérience en tant que gouvernante professionnelle, si ce n’est qu’elle a donné des soins à temps partiel à une femme âgée en Angleterre entre août 2012 et décembre 2013 (quatre heures par semaine en moyenne), et à deux enfants de février 2011 à décembre 2013 (entre deux et six heures par jour). Cet emploi comprenait également des tâches ménagères.

[4]               Le travail effectué en Angleterre est étayé par deux lettres de recommandation, toutes deux datées du 26 novembre 2015.

[5]               Il semble qu’à son retour aux Philippines, après son séjour au Royaume-Uni, la demanderesse a aidé sa sœur et sa belle-sœur à s’occuper de leurs enfants. Là encore, deux lettres, toutes les deux datées du 11 novembre 2015, attestent de la qualité de l’aide fournie.

[6]               Le CNP 6474 énumère les conditions d’accès à la profession suivantes :

•           un diplôme d’études secondaires peut être exigé;

•          un programme de formation en soins des enfants ou dans un domaine connexe peut être exigé des gouvernants et des aides à la famille en résidence;

•          de l’expérience en soins des enfants ou en économie domestique peut être exigée;

•           une aptitude manifeste à exécuter le travail est habituellement exigée;

•           un certificat en secourisme et une formation en RCR peuvent être exigés.

[7]               Mme Santos a également présenté des preuves établissant qu’elle possède des économies d’environ 12 000 $ ainsi qu’un terrain aux Philippines. Elle a déjà voyagé à l’étranger et elle est retournée à au moins cinq reprises aux Philippines. Elle n’a pas de famille au Canada.

[8]               D’après les preuves présentées à la Cour, Mme Santos a exprimé le désir de retourner aux Philippines lorsqu’elle aura terminé son emploi au Canada. Son employeur actuel indique qu’elle pourra reprendre son poste de caissière à temps partiel à son retour.

[9]               Enfin, son futur employeur a obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) le 5 juin 2015, valide pour deux ans, aux fins d’embaucher un travailleur à titre « d’aide en résidence familiale ». L’auteur de la lettre prend soin de souligner que c’est Citoyenneté et Immigration Canada qui accorde les permis de travail. Le contrat conclu avec la demanderesse précise ses tâches et ses attributions : [traduction] « Nourrir les enfants, les coucher, les habiller, leur changer les couches, surveiller les enfants, les transporter, les accompagner à leurs activités et rendez-vous, exécuter de légers travaux ménagers, comme préparer des repas, faire la lessive, épousseter et passer l’aspirateur ». Il s’agit d’un emploi à temps plein pour une période de deux ans.

II.                La décision

[10]           La lettre de refus du 4 avril 2016 semble être la lettre modèle qui est envoyée dans ce genre de situation. Le Système mondial de gestion des cas (SMGC) de Citoyenneté et Immigration Canada contient davantage de détails au sujet du refus d’accorder le permis de travail. La décision est fondée sur deux aspects. Premièrement, la demanderesse n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle répondait aux exigences de travail du futur employeur. Deuxièmement, l’agent n’est pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada une fois expirée la période de séjour autorisé. Les deux facteurs qui ont été examinés dans les circonstances sont les perspectives d’emploi dans le pays de résidence, les Philippines, et la situation professionnelle actuelle.

[11]           Les notes du SMGC indiquent que l’emploi à Vancouver exige une expérience d’un an dans la fourniture de soins aux enfants à domicile. Il a été précisé au cours de l’audition de la présente affaire que, en fait, l’employeur exigeait une expérience d’aide familial résidant. En outre, l’agent s’est interrogé sur la question de savoir si l’expérience qu’affirme posséder la demanderesse à titre d’aide familiale est confirmée par ses antécédents professionnels. L’essentiel de la décision semble être le passage suivant :

[traduction]
La seule expérience connexe dans ce domaine venait d’un travail à temps partiel; les seuls documents fournis pour étayer l’emploi à temps partiel en question sont des lettres provenant d’anciens employeurs. Pas d’autres documents concernant un emploi à temps partiel déclaré. Selon l’information et les documents au dossier, je ne suis pas convaincu que la DP est bien établie dans son pays d’origine; pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à l’expiration de son séjour autorisé.

III.             La norme de contrôle

[12]           Les parties conviennent, et la Cour souscrit à cette opinion, que la norme de contrôle applicable dans une affaire de ce genre est celle de la raisonnabilité [Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484]. Il s’ensuit qu’il incombe à la demanderesse de convaincre la Cour que la décision rendue n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En outre, la Cour, dans son analyse, doit s’attacher à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

IV.             L’analyse

[13]           À mon avis, la demanderesse n’a pas établi que la décision rendue par l’agent des visas n’était pas raisonnable. Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) établit le cadre juridique général applicable aux permis de travail. L’article 200 qui s’applique directement à la présente affaire énonce en partie :

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) – and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act – An officer shall issue a work permit to a foreign national if, falling an examination, it is established that

[…]

...

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of part 9;

c) il se trouve dans l’une des situations suivantes :

(c) the foreign national

[…]

...

(iii) il a reçu une offre d’emploi et l’agent a rendu une décision positive conformément aux alinéas 203(1)a) à e);

(iii) has been offered employment, and an officer has made a positive determination under paragraphs 203(1)(a) to (e); and

[…]

...

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

[14]           Il ne semble pas que la condition énoncée à l’alinéa 200(1)c) soit contestée en l’espèce puisqu’une lettre d’EIMT a été fournie (5 juin 2015). Le problème vient du fait que l’agent n’est pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à l’expiration de son permis de travail et qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé. À mon avis, il est significatif que le règlement parle de l’existence de motifs raisonnables de croire lorsqu’il traite de la capacité d’exercer l’emploi visé par la demande. L’agent des visas est donc tenu de refuser de délivrer un permis de travail lorsqu’il estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire.

[15]           La Cour a déclaré (Chiau c MCI, [2001] 2 RCF 297, CAF, [Chiau]) que cette norme se situe sur un continuum qui va de simples soupçons jusqu’à la norme habituellement applicable en matière civile, à savoir la prépondérance des probabilités (F.H. c McDougall, 2008 CSC 53; [2008] 3 RCS 41). Comme cela a été reconnu dans Chiau, cette norme est associée à une croyance de bonne foi qui étaye une possibilité sérieuse. Cette croyance doit se fonder sur des preuves crédibles. Il incombe donc au demandeur de convaincre la Cour qu’il n’était pas raisonnable que l’agent des visas ait des motifs raisonnables de croire, de bonne foi, en une possibilité sérieuse fondée sur des preuves crédibles. Il ne suffit pas de conclure que l’affirmation selon laquelle le demandeur est incapable d’exercer l’emploi en question n’est pas raisonnable. Il n’est pas nécessaire que l’agent conclue que, selon la prépondérance des probabilités, le travail ne sera pas exécuté. En l’espèce, contrairement à l’obligation d’établir que le demandeur quittera le Canada, le droit exige uniquement qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le travail ne sera pas exécuté, ce qui est une norme moins exigeante. Le demandeur a donc le lourd fardeau d’établir qu’il n’était pas raisonnable d’avoir des motifs raisonnables de croire à une telle situation. En d’autres termes, la décision de l’agent doit faire l’objet d’une retenue encore plus importante.

[16]           En l’espèce, je suis incapable d’en arriver à pareille conclusion. Le poste exige une expérience en matière de « soins aux enfants à domicile ». Il n’y a, d’une part, aucune preuve établissant que la demanderesse possède une expérience d’une année complète, mais les éléments de preuve présentés indiquent fortement, d’autre part, que la demanderesse ne travaillait qu’à temps partiel, quelques heures par jour, étant donné que son occupation à temps plein était d’étudier en Grande-Bretagne. Elle n’était pas une aide familiale résidante. L’expérience du travail à domicile est exigée et la demanderesse n’a pas démontré qu’elle possédait une telle expérience. Le contrat de travail prévoit expressément que la gouvernante sera logée sur place. Rien n’indique que la demanderesse possède cette expérience. L’expérience acquise auprès de la femme âgée ne peut être pertinente, puisqu’il est précisé que l’expérience exigée au Canada est celle des soins aux enfants. En fait, l’expérience acquise auprès des enfants en Grande-Bretagne, dans le cadre d’un travail à temps partiel, comprenait le gardiennage d’enfants. À mon avis, l’agent des visas, en raison de l’insuffisance des preuves présentées par la demanderesse, pouvait avoir des motifs raisonnables de croire que la demanderesse était incapable de faire le travail pour lequel le permis est demandé.

[17]           En fait, une des caractéristiques surprenantes de la présente affaire est que la demanderesse a présenté très peu d’éléments de preuve. Si on examine l’ensemble des éléments de preuve, il n’est pas possible de reprocher à l’agent des visas d’avoir entretenu des réserves au sujet de la présente demande. Il était loisible à l’agent des visas d’avoir des motifs raisonnables de croire, sans qu’il soit tenu d’en arriver à la conclusion qu’il était probable que la demanderesse serait incapable de faire le travail. De toute façon, il incombe à la demanderesse d’établir qu’il n’était pas raisonnable dans les circonstances de conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire. Elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Avoir des motifs raisonnables de croire que la demanderesse sera incapable de faire le travail demandé est, compte tenu des éléments de preuve présentés, une issue possible acceptable. D’autres peuvent avoir une opinion contraire. Ce n’est toutefois pas là le critère applicable; il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’agent.

[18]           La demanderesse soutient que le futur employeur est mieux placé que quiconque pour décider si une gouvernante à domicile lui convient puisqu’il choisit normalement avec beaucoup de soin la personne à qui il va confier ses enfants. Je ne conteste pas que les parents sont très prudents lorsqu’ils embauchent une personne pour qu’elle prenne soin de leurs enfants. La loi exige toutefois que l’agent des visas refuse de délivrer un permis de travail lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’étranger « est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ». C’est à l’agent des visas de prendre cette décision.

[19]           Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner en détail le deuxième motif pour lequel la demande de permis de travail a été refusée. Quoi qu’il en soit, je doute qu’il ait été établi que la demanderesse ne quitterait pas le pays à l’expiration de son permis de travail. Il me semble que l’agent des visas n’a pas tenu compte des éléments de preuve présentés, avant de tirer cette conclusion. Comme seul motif, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que la DP est bien établie dans son pays d’origine ». Il est très difficile de savoir sur quoi repose cette affirmation. La demanderesse n’a pas de famille au Canada qui pourrait l’aider si elle souhaitait rester après l’expiration de son permis de travail, mais il ressort du dossier qu’elle possède une famille étendue aux Philippines. En outre, elle y possède un petit bien immobilier. Enfin et surtout, chaque fois qu’elle s’est rendue à l’étranger, la demanderesse est toujours revenue aux Philippines. Le seul fait qu’elle ait trouvé un emploi au Canada au lieu d’un travail à temps partiel et irrégulier aux Philippines ne permet pas, à mon avis, de conclure qu’elle ne quittera pas le Canada, une fois son permis de travail expiré (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872). En l’absence d’explication fondée sur des éléments de preuve, il est difficile de conclure que la décision en cause est justifiée et issue d’un processus décisionnel transparent et intelligible.

[20]           Il y a donc lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Il n’a pas été établi que la conclusion de l’agent des visas selon laquelle la demanderesse ne répondait pas aux exigences de l’emploi n’était pas raisonnable.

[21]           Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2334-16

INTITULÉ :

EVANGELINE AMAN SANTOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-bRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

LE 9 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Robert Y.C. Leong

POUR La demanderesse

Alison Brown

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lowe & Company

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR La demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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