Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161214


Dossier : IMM-1111-16

Référence : 2016 CF 1375

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

MOHAMMED ZOHEB NEZERALI SHUKRIYA MOHAMMED SEYFEDIN

IHSAN MOHAMMED ZOHEB

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 24 février 2016, qui concluait que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La SPR a également conclu que la demande d’asile des demandeurs n’était pas fondée au sens du paragraphe 107(2) de la Loi.

I.  Énoncé des faits

[2]  Les faits pertinents en l’espèce se résument comme suit. Les demandeurs sont le mari et sa femme et leur fils mineur, et ils sont des citoyens de l’Éthiopie. Ils sont arrivés au Canada en août 2015 en tant que visiteurs et ont demandé le statut de réfugié peu après, alléguant un risque que le mari, Mohammed Zoheb Nezeralli (M. Nezeralli) soit mis en détention et torturé s’il retournait en Éthiopie.

[3]  Pour appuyer sa demande, M. Nezeralli fait valoir qu’en 2007, il a déménagé à Dubaï pour travailler pour la compagnie aérienne Emirates Airlines à titre de spécialiste des passeports et des visas. En juin 2013, alors qu’il se trouvait toujours à Dubaï, il est devenu membre du Parti Bleu, un parti d’opposition légalement enregistré en Éthiopie. Il affirme que sa participation aux activités de ce parti consistait principalement à imprimer et à expédier des t-shirts du Parti Bleu en Éthiopie, mais qu’il participait également chaque mois aux réunions de la branche du parti à Dubaï, la distribution de brochures et le recrutement de nouveaux membres.

[4]  M. Nezeralli soutient que le 1er septembre 2014, il s’est rendu en Éthiopie pour assister au mariage d’un ami, mais a été arrêté à son arrivée à l’aéroport et a été amené pour subir un interrogatoire, avant d’être mis en détention, abusé et agressé en raison de son engagement politique auprès du Parti Bleu. Il allègue que pendant sa détention, il a perdu deux dents en raison des passages à tabac et que son passeport et son téléphone cellulaire ont été confisqués. Il affirme qu’il a été relâché le 3 septembre 2014 après avoir versé une caution et sous condition de ne pas quitter Addis Ababa sans aviser la police et y être autorisé. Toutefois, il affirme avoir repris l’avion pour Dubaï le lendemain en se servant du nouveau passeport qu’un autre ami, un certain Michael, a obtenu en versant un pot-de-vin afin de lui permettre de fuir le pays. M. Nezeralli affirme qu’il n’est jamais retourné en Éthiopie et a quitté Dubaï pour le Canada au mois d’août 2015, alors que son contrat de travail dans ce pays était sur le point de se terminer.

[5]  À l’appui de sa demande d’asile, M. Nezeralli a soumis des rapports médicaux sur les lésions et le préjudice psychologique subis en détention, quelques documents liés au Parti Bleu (lettre, carte de membre et reçu) ainsi qu’une lettre d’un ami confirmant ses activités politiques à Dubaï. Il a également soumis une lettre de son ami Michael confirmant sa détention à Addis Ababa et son retour à Dubaï après sa libération. Finalement, il a déposé une copie d’une citation à comparaître qui lui a été adressée le 23 septembre 2014 par la police d’Addis Ababa indiquant qu’il était recherché en vue de subir un interrogatoire.

[6]  La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs, en se fondant essentiellement sur le manque de crédibilité des éléments de preuve. Premièrement, elle a conclu que M. Nezeralli avait fourni des éléments de preuve contradictoires concernant ses activités politiques antérieures en Éthiopie et qu’il a omis, dans ses observations, de préciser qu’il distribuait des brochures, recrutait des membres et participait aux réunions du Parti bleu à Dubaï.

[7]  En ce qui concerne l’émission du nouveau passeport, la SPR a soutenu qu’il était invraisemblable que le passeport ait été émis le 4 septembre 2014, comme le prétend M. Nezeralli, puisque la date d’émission est le 2 septembre 2014. La SPR a fait observer qu’il n’y avait aucune preuve documentaire fiable démontrant que les agents d’immigration en Éthiopie modifieraient volontairement la date d’émission d’un passeport ou que cette pratique était habituelle. Étant convaincue que le nouveau passeport a été émis le 2 septembre 2014, la SPR a conclu que cet élément a nui à la crédibilité de la prétention de M. Nezeralli selon laquelle il était en détention ce jour-là. La SPR a également souligné que la lettre de Michael, qui a été déposée comme élément de preuve corroborant la détention de M. Nezeralli, ne faisait pas mention du fait qu’il a aidé M. Nezeralli à obtenir le nouveau passeport. Elle a conclu que les incohérences entre la preuve déposée par M. Nezeralli et la lettre de Michael minaient la crédibilité des deux récits des événements. En bref, en rejetant la preuve de M. Nezeralli concernant le nouveau passeport, la SPR a également rejeté son témoignage concernant sa détention.

[8]  Par la suite, la SPR n’a accordé aucun poids aux autres documents soumis par M. Nezeralli à titre de preuve corroborant sa détention et ses activités politiques. Premièrement, après des tentatives vaines de joindre le parti par les voies officielles, la SPR a soutenu que la carte de membre et la lettre du Parti Bleu n’étaient pas crédibles. La SPR a ensuite souligné que les rapports médicaux obtenus au Canada n’ont pas dissipé ses préoccupations concernant la crédibilité puisqu’ils étaient fondés sur des renseignements relatés par M. Nezeralli lui-même. Quant au certificat médical obtenu à Addis Ababa, la SPR a souligné qu’il n’indiquait pas comment M. Nezeralli a subi ces blessures.

[9]  En ce qui concerne la citation à comparaître de la police, la SPR ne lui a accordé aucun poids, concluant que les allégations de détention et d’engagement politique de M. Nezeralli n’étaient pas crédibles. Finalement, la SPR a souligné que l’épouse de M. Nezeralli, qui est codemanderesse en l’espèce (Mme Seyfedin), s’est rendue en Éthiopie avec leur enfant né le 11 janvier 2015 et qu’elle y est restée jusqu’à la fin de février 2015. La SPR a tiré des conclusions négatives du fait que Mme Seyfedin a pris le risque, pour elle-même et son enfant, de se rendre en Éthiopie sachant que son mari avait supposément été détenu par les autorités quelques mois auparavant. La SPR a conclu que Mme Seyfedin n’était pas un témoin crédible et qu’elle ne craignait pas le risque de préjudice en Éthiopie.

II.  Question en litige et norme de contrôle

[10]  La question à trancher en l’espèce est de savoir si la SPR a commis une erreur susceptible de révision au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, RSC, 1985 c F-7 en rejetant la demande d’asile des demandeurs comme étant non crédible et en allant plus loin en concluant à l’absence de fondement à cette demande au titre du paragraphe 107(2) de la Loi.

[11]  Il est un fait bien établi que la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’examen des conclusions de la SPR concernant la crédibilité et la plausibilité de la preuve est celle de la décision raisonnable, puisque ces affaires soulèvent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui relèvent de la compétence de la SPR (Nouveau-Brunswick (Conseil de direction) c. Dunsmuir, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 53; Nava Flores c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1147, aux paragraphes 25 et 26; Navaratnam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 274, au paragraphe 33). Par conséquent, il faut faire preuve d’une grande déférence envers ces décisions et la Cour n’interviendra que si elles manquent de justification, de transparence et d’intelligibilité ou n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Pour déterminer si elle devrait ou non intervenir dans une telle décision, la Cour doit prendre soin de ne pas réévaluer la preuve déposée devant la SPR pour en arriver à une issue qui lui serait préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

III.  Analyse

A.  Conclusion fondée sur les articles 96 et 97

[12]  Les demandeurs concèdent que les conclusions de la SPR concernant l’engagement politique de M. Nezeralli en Éthiopie avant de quitter pour Dubaï appartiennent aux issues possibles acceptables. Toutefois, ils soutiennent que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité de la détention de M. Nezeralli en septembre 2014 et de son engagement auprès du Parti Bleu à Dubaï sont déraisonnables et devraient être annulées. Plus particulièrement, ils soutiennent que la SPR a été déraisonnable en n’accordant aucun poids aux documents indépendants soumis par M. Nezeralli pour corroborer ce récit.

[13]   Il est bien établi que la SPR peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité en raison d’incohérences dans le témoignage du demandeur et de conclure que le demandeur n’est pas crédible lorsque ces incohérences reposent sur des inférences raisonnables (Toma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 121, au paragraphe 11). J’estime que la SPR disposait de ce recours dans les circonstances en l’espèce.

[14]  Premièrement, les demandeurs n’ont pas contesté un certain nombre des conclusions de la SPR sur la crédibilité de l’engagement politique de M. Nezeralli en Éthiopie et ils n’ont pas été en mesure d’expliquer pourquoi les autres activités politiques de M. Nezeralli au sein du Parti Bleu à Dubaï, essentiellement sa présence aux réunions mensuelles, la distribution de brochures et le recrutement de nouveaux membres, ont été omises du fondement de la demande d’asile (FDA). Je suis d’avis que cela constitue un fondement raisonnable pour amener la SPR à douter de la crédibilité du profil et de l’engagement allégués de M. Nezeralli.

[15]  Deuxièmement, je ne peux affirmer que les préoccupations concernant la crédibilité de la détention de M. Nezeralli étaient déraisonnables puisque la SPR était libre de rejeter le témoignage de M. Nezeralli selon lequel le nouveau passeport, qui portait la date du 2 septembre 2014, aurait été émis le 4 septembre 2014. La SPR a fait observer qu’il n’y avait aucune preuve documentaire objective soutenant l’allégation que les agents d’immigration en Éthiopie modifieraient la date d’émission de passeports. Elle souligne également que la lettre de Michael, qui a supposément versé un pot-de-vin pour modifier la date d’émission du passeport, ne faisait pas mention de l’aide apportée à M. Nezeralli pour obtenir un nouveau passeport. Après avoir constaté que le nouveau passeport ne pouvait avoir été émis que le 2 septembre 2014, la SPR a déduit qu’il était impossible qu’un nouveau passeport ait été émis pour M. Nezeralli ce jour-là s’il était détenu et n’avait aucun moyen de communiquer avec l’extérieur, son téléphone cellulaire ayant été confisqué. Selon la SPR, ces éléments ont miné la crédibilité de l’allégation selon laquelle M. Nezeralli était détenu. Je ne peux pas dire que cette inférence est déraisonnable.

[16]  Les demandeurs soutiennent qu’il n’y avait aucune raison pour M. Nezeralli de se rendre en Éthiopie pour obtenir un nouveau passeport, puisqu’il aurait pu en obtenir un par le biais des services consulaires aux Émirats arabes unis. Toutefois, je suis d’accord avec le défendeur que, nonobstant cette affirmation, les faits demeurent que M. Nezeralli a obtenu un nouveau passeport en Éthiopie dans des circonstances où la détention alléguée de M. Nezeralli a été raisonnablement jugée non crédible.

[17]  Troisièmement, j’estime qu’il était raisonnablement loisible pour la SPR de conclure que le retour de Mme Seyfedin et de son fils en janvier 2015 mine la crédibilité du récit de M. Nezeralli. Je suis d’accord avec le défendeur que l’argument selon lequel le retour en Éthiopie n’avait aucune conséquence, puisque seul M. Nezeralli était recherché par les autorités, est sans fondement. La SPR était libre de rejeter l’allégation de Mme Seyfedin, advenant que le récit de son mari soit véridique, qu’elle n’était pas consciente des risques qu’elle encourait en retournant en Éthiopie, en particulier compte tenu du fait que les preuves documentaires objectives démontrent que les forces de sécurité de l’Éthiopie détiennent les membres de la famille des personnes recherchées par le gouvernement pour subir un interrogatoire. Il n’était pas déraisonnable non plus pour la SPR de conclure que le fait que Mme Seyfedin et son fils n’ont eu aucun problème avec les autorités éthiopiennes pendant leur séjour de six semaines dans ce pays a miné la crédibilité du récit de M. Nezeralli. À mon avis, ces conclusions appartiennent aux issues possibles et acceptables.

[18]  En ce qui concerne les documents à l’appui soumis par les demandeurs, j’estime que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’elle ne devait pas y accorder d’importance, puisque cette conclusion était, à mon avis, raisonnable compte tenu des problèmes de crédibilité du récit des demandeurs dans son ensemble. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Odurukwe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 613, [Odurukwe] :

[37]  Lors du contrôle judiciaire, la Cour ne peut apprécier de nouveau la preuve. Compte tenu des problèmes de crédibilité de la demanderesse, il était raisonnablement loisible à la Commission d’en arriver à la conclusion qu’il ne fallait accorder aucune importance aux nombreux autres documents présentés par celle-ci. Selon la norme de la décision raisonnable, il importe peu que la Cour ait pu leur accorder un poids différent, puisque cette dernière n’est pas autorisée à « élaborer, affirmer et imposer son propre point de vue sur la question » [...] En outre, il est « bien établi que la crédibilité du demandeur en général peut influer sur le poids accordé à la preuve documentaire ». [Renvois omis.]

[19]  En outre, la SPR a souligné que ces documents à l’appui n’ont pas corroboré certains aspects principaux du récit du demandeur, principalement l’aide alléguée apportée par Michael pour aider M. Nezeralli à obtenir un nouveau passeport et les activités alléguées de M. Nezeralli pour le Parti Bleu, à Dubaï, essentiellement distribuer des brochures et recruter des nouveaux membres. Dans ces circonstances, la SPR était en droit de tenir compte de ce que les documents à l’appui ne disaient pas, compte tenu de l’importance de ces omissions, pour évaluer l’importance qu’elle devait leur accorder à la lumière des problèmes de crédibilité posés par le témoignage de M. Nezeralli.

[20]  Les demandeurs affirment que la SPR a mal interprété les éléments de preuve concernant l’authenticité de certains des documents, principalement la lettre du Parti Bleu et la carte de membre du Parti Bleu de M. Nezeralli. Toutefois, même en supposant que les éléments de preuve aient été mal interprétés, il ne s’agit pas du seul motif ayant mené au rejet de la valeur probante de ces documents puisque la SPR avait également des doutes importants concernant leur contenu, puisqu’ils tendent à corroborer un récit que la SPR considérait comme non crédible. Comme l’indique la décision Odurukwe, la SPR était en droit d’émettre cette conclusion. Par conséquent, malgré cette erreur (en supposant qu’il y en ait eu une), il y aurait quand même un fondement raisonnable pour appuyer la décision de la SPR de ne pas accorder de poids à ces documents.

[21]  Finalement, bien que le certificat médical de M. Nezeralli corrobore l’allégation selon laquelle il a subi des blessures au cours de la même période où il a supposément été détenu, la décision de la SPR selon laquelle ce certificat n’établit pas que la détention de M. Nezeralli est consécutive à son identité politique était raisonnable. La présente espèce se distingue des affaires Ismayilov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1013 [Ismayilov] et Talukder c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 658 [Talukder] invoquées par les demandeurs en l’espèce. En effet, même si la SPR mentionne le manque d’information concernant la cause des lésions, contrairement aux décisions Ismayilov et Talukder, la SPR n’a pas rejeté la preuve médicale pour ce motif. La SPR reconnaît que M. Nezeralli aurait pu être blessé le 3 septembre 2014. Toutefois, elle a examiné le certificat médical à la lumière du témoignage de M. Nezeralli et ne lui a accordé aucun poids pour établir la détention et le profil politique de celui-ci. Cette conclusion est raisonnable compte tenu du fait que l’ensemble de la preuve démontre l’invraisemblance du témoignage de M. Nezeralli concernant sa détention.

[22]  La même conclusion s’applique à l’examen par la SPR des rapports médicaux émis au Canada. Comme le souligne le défendeur, la SPR n’a pas fait fi de ces éléments de preuve. Toutefois, ils ont été analysés à la lumière du fait que les professionnels médicaux ont fondé leur opinion sur des faits relatés par M. Nezeralli. Aucune importance n’a été accordée à ces rapports puisque M. Nezeralli a été jugé non crédible. La SPR était libre de conclure, comme elle l’a fait sur ce point (Shah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 280, aux paragraphes 15 et 16). Je ne trouve aucun motif pour modifier cette conclusion.

[23]  En bref, je conclus qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

B.  Conclusion en application du paragraphe 107(2)

[24]  Les demandeurs soulignent à juste titre qu’une conclusion en application du paragraphe 107(2) de la Loi, selon laquelle une demande d’asile n’est pas crédible, a des conséquences graves puisqu’elle prive les personnes concernées d’un appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR) et d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. C’est pourquoi la rigueur dont il faut faire preuve pour tirer ces conclusions doit être élevée puisqu’elle ne peut être atteinte que « s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder » (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, au paragraphe 51 [Rahaman]). En d’autres termes, comme la Cour l’a expliqué dans la décision Levario c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314, [Levario], « C’est donc dire que s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, il n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités » (Levario, au paragraphe 19).

[25]  Cela ne signifie pas, toutefois, que l’existence de certains éléments de preuve crédibles ou fiables empêchera nécessairement une conclusion d’absence de fondement. Il en sera ainsi lorsque les éléments de preuve sont insuffisants pour étayer une décision favorable (Rahaman, au paragraphe 30; Gao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139, aux paragraphes 29 à 31; Naeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1134, au paragraphe 15).

[26]  En l’espèce, je suis convaincu que les documents à l’appui ne fournissent aucun élément de preuve crédible ou digne de foi qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive de la demande d’asile du demandeur ou, supposant qu’il y en aurait une, qu’elle serait suffisante en droit pour soutenir cette conclusion. Comme nous l’avons indiqué précédemment, la SPR a soulevé un certain nombre de préoccupations concernant la crédibilité de la demande des demandeurs, dont certaines n’ont pas été contestées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Elle a soupesé les documents à l’appui à la lumière des conclusions défavorables antérieures et a déterminé que cette preuve n’était pas suffisante pour corroborer certains éléments principaux de la demande. La SPR a également noté l’absence d’éléments de preuve documentaire objectives corroborantes. Comme nous l’avons vu, la SPR était en droit d’élargir sa conclusion négative à d’autres éléments de la demande du demandeur, y compris les documents à l’appui (Odurukwe, au paragraphe 37; Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238, au paragraphe 8 (CA)).

[27]  Toutefois, même en supposant qu’il y ait un élément de preuve crédible ou digne de foi démontrant l’adhésion de M. Nezeralli au Parti Bleu ou l’authenticité des documents à l’appui émanant de ce parti, cela ne serait pas suffisant, à mon avis, pour dissiper le manque de crédibilité de M. Nezeralli relativement aux trois principaux aspects de sa crainte alléguée, à savoir : (i) qu’il a été détenu lorsqu’il est retourné en Éthiopie en septembre 2014, (ii) que sa détention était le résultat de ses activités politiques, et, (iii) que la police a émis une citation à comparaître quelques semaines après sa libération afin de l’interroger sur son affiliation politique et son engagement auprès du Parti Bleu. En outre, cela ne permettrait pas non plus de dissiper l’inférence défavorable qui a été raisonnablement tirée par la SPR relativement au fait que Mme Seyfedin s’est à nouveau réclamé de la protection de son pays lorsqu’elle est revenue en Éthiopie avec son fils en janvier 2015 pour un séjour de six semaines.

[28]  Toutefois, même en supposant l’existence d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi au dossier, cela ne serait pas suffisant en droit, à l’analyse en fonction de la norme de la décision raisonnable, pour étayer une décision favorable à la demande d’asile du demandeur.

[29]  Pour ces motifs, je ne trouve aucun motif pour modifier la conclusion « d’absence de fondement » de la SPR dans les circonstances de l’espèce.

[30]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


ORDONNANCE

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1111-16

 

INTITULÉ :

MOHAMMED ZOHEB NEZERALI, SHUKRIYA MOHAMMED SEYFEDIN, IHSAN MOHAMMED ZOHEB c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Paul VanderVennen

 

Pour les demandeurs

 

Jelena Urosevic

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul VanderVennen

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.