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Date: 20161219


Dossier : IMM-968-16

Référence : 2016 CF 1391

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MOHAMMAD UMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’un parrainage entre époux. La question porte sur la suffisance de la preuve visant à établir non seulement que le mariage est authentique, mais aussi qu’il est monogame.

II.                Nature de l’affaire

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), [LIPR] à l’encontre de la décision, datée du19 février 2016, par laquelle la Section d’appel de l’immigration [SAI] a rejeté l’appel du demandeur concernant le rejet de la demande de résidence permanente de son épouse au titre de la catégorie du regroupement familial en application de la doctrine de la chose jugée.

III.             Faits

[3]               Le demandeur, qui est né au Ghana en 1962, est un citoyen canadien. Il est le répondant dans la demande de résidence permanente de son épouse, une citoyenne du Ghana, née en 1981, présentée au titre du regroupement familial.

[4]               Le demandeur allègue ce qui suit. Il s’est marié une première fois le 4 février 1990. Les époux se sont séparés en 2000 et ils ont divorcé au Ghana le 17 juin 2003. L’avis de divorce a été enregistré le 17 août 2007.

[5]               Le demandeur a rencontré sa deuxième épouse lors d’une conversation téléphonique le 30 novembre 2003. Ils se sont fiancés le 14 février ou le 14 avril 2004. Le couple s’est rencontré pour la première fois le 24 janvier 2005. Ils se sont mariés au Ghana le 27 février 2005.

[6]               Le demandeur a d’abord tenté, en 2008, de parrainer son épouse pour qu’elle obtienne la résidence permanente. Un agent des visas a refusé la demande de parrainage le 28 avril 2009 pour les motifs suivants :

[traduction] À la lumière de l’entrevue qui a eu lieu à nos bureaux et de l’examen de la documentation présentée, je ne suis pas convaincu de l’existence d’une relation authentique entre vous et votre répondant. De plus, je ne suis pas convaincu que votre mariage est valide. Vous avez fourni un certificat de divorce de votre répondant d’avec son épouse précédente, qui a été délivré après le certificat de mariage actuel. Vous avez également présenté des déclarations solennelles à l’appui du divorce de votre répondant et de votre mariage actuel, déclarations que des personnes décédées ont produites et signées. Je ne suis pas convaincu de la validité de ces déclarations solennelles. Vous avez été informée des préoccupations soulevées durant vos entrevues, mais vous avez été incapable de me convaincre qu’elles n’étaient pas fondées. Je ne suis donc pas convaincu que votre relation ne visait pas l’entrée au Canada. De ce fait, au sens du Règlement, vous n’êtes pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial.

[7]               Le demandeur a interjeté appel du refus devant la SAI en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR et l’appel a été entendu le 31 mai 2011. Le 14 juillet 2011, la SAI a rejeté l’appel, et la décision de l’agent des visas a été maintenue. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale.

[8]               Le demandeur a déposé une deuxième demande de parrainage afin que son épouse obtienne la résidence permanente. Un deuxième agent des visas a refusé la demande de parrainage le 24 février 2014 pour les motifs suivants :

[traduction] Après avoir examiné la documentation soumise, je ne suis pas convaincu que votre relation n’a pas été établie afin de vous permettre d’entrer au Canada, et je ne suis pas convaincu que votre relation avec votre répondant est authentique […] Par conséquent, au sens du Règlement, vous n’êtes pas considérée comme faisant partie de la catégorie du regroupement familial.

.

[9]               Le 20 mars 2014, le demandeur a aussi interjeté appel, devant la SAI, du refus de la demande de résidence permanente de son épouse au titre du regroupement familial.

IV.             Décision

[10]           Le 21 juillet 2014, la SAI a fait parvenir aux parties une lettre d’examen en début de processus par laquelle elle leur demandait de présenter leurs observations concernant l’applicabilité de la doctrine de la chose jugée au deuxième appel interjeté par le demandeur.

[11]           Le 11 février 2016, la SAI a rejeté l’appel.

[12]           La SAI a conclu que la doctrine de la chose jugée s’appliquait à l’appel étant donné que les trois conditions préalables avaient été remplies. Le demandeur avait simplement déposé une autre demande de parrainage plutôt que de demander le contrôle judiciaire de la première décision rendue par la SAI en 2011 ou d’obtenir un divorce valide d’avec sa première épouse et de remarier sa seconde épouse. Sa deuxième demande de parrainage n’a pas eu pour effet d’invalider les conclusions auxquelles la SAI était arrivée en 2011 et cette demande a aussi été rejetée par un deuxième agent des visas en 2014.

[13]           La SAI a conclu que le demandeur n’avait produit aucun nouvel élément de preuve pouvant constituer des circonstances spéciales permettant d’échapper à l’application de la doctrine de la chose jugée; le demandeur a fait abstraction de la doctrine de la chose jugée et a plutôt produit une preuve nouvelle visant à démontrer que sa relation était authentique. La SAI a conclu que rien dans les circonstances ne justifiait que le tribunal exerce son pouvoir d’écarter l’application de la doctrine de la chose jugée.

V.                Observations des parties

[14]           Le demandeur soutient que la SAI a refusé de reconnaître la validité de son mariage sans tenir compte des nouveaux éléments de preuve produits. Il affirme que la décision de la SAI est grandement discriminatoire, qu’elle contrevient au droit à une vie familiale et au droit à l’égalité et qu'elle se fonde sur des conclusions de fait erronées qui ne tiennent pas compte des éléments de preuve dont disposait l’agent d’immigration. Enfin, le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en appliquant la doctrine de la chose jugée. Cette doctrine a été appliquée aux dépens de la justice et de façon machinale, puisque la SAI n’a pas tenu compte de l’ensemble des circonstances.

[15]           Le défendeur soutient quant à lui que la décision de la SAI était raisonnable étant donné qu’aucun nouvel élément de preuve déterminant, qui n’aurait pu être présenté dans le cadre de la première procédure en faisant preuve de diligence raisonnable, n’a été présenté. Le demandeur a produit de nouvelles versions de documents déjà présentés à la SAI ainsi qu’un avis juridique, bien qu’il eût été possible de les produire devant le premier tribunal en faisant preuve de diligence raisonnable.

VI.             Questions en litige

[16]           La présente affaire soulève la question suivante : la SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que la doctrine de la chose jugée s’appliquait?

[17]           Il convient d’examiner cette question selon la norme de la décision raisonnable (Chotai c Canada (Citoyenneté et Immigration) CF 1335, par. 16).

VII.          Analyse

[18]           La SAI a conclu que les trois conditions préalables, établies par la Cour suprême du Canada, à l’application de la doctrine de la chose jugée avaient été remplies, celles‑ci étant :

(1)        que la même question ait été décidée;

(2)        que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3)        que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

(Danyluk c Ainsworth Techonologies Inc., [2001] 2 RCS 460, 2001 CSC 44, par. 25)

[19]           Dans son mémoire, le demandeur ne fait pas valoir que ces conditions n’ont pas été remplies. Il soutient plutôt que la doctrine de la chose jugée n’aurait pas dû être appliquée en raison des circonstances de l’espèce.

[20]           Il est bien établi dans la jurisprudence que la doctrine de la chose jugée ne doit pas être appliquée de façon machinale :

Le décideur doit alors appliquer la doctrine de la chose jugée sauf si des circonstances spéciales ou particulières justifient une audition de l'affaire sur le fond. Pour déterminer si de telles circonstances existent, il convient de se demander si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, l'application du principe de la chose jugée entraînerait une injustice (Apotex Inc. c. Merck & Co. (C.A.), Danyluk). [Non souligné dans l’original.]

(Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1442, par. 12)

[21]           En l’espèce aucune circonstance spéciale ou particulière ne justifiait que la SAI entende l’affaire sur le fond.

[22]           En ce qui concerne la première demande de parrainage du demandeur, l’agent des visas et la SAI ont fait mention des irrégularités suivantes que l’agent avait relevées : le certificat de divorce avait été délivré au demandeur et à sa première épouse après la délivrance du certificat relatif à son mariage actuel, et les déclarations solennelles visant à confirmer le divorce de l’appelant et son mariage actuel avaient été souscrites par des personnes décédées.

[23]           Au soutien de sa deuxième demande de parrainage, le demandeur a fourni une nouvelle version des mêmes documents sans corriger les lacunes qui avaient été relevées par le premier agent des visas en 2009 et par le premier tribunal de la SAI en 2011.

[24]           La Cour est d’avis qu’il était raisonnable que la SAI conclue qu'il y avait lieu d'appliquer la doctrine de la chose jugée en l’espèce étant donné que le demandeur a produit de nouveaux éléments de preuve visant à établir que sa relation avec son épouse était authentique et non que leur relation était monogame et parce qu’aucune circonstance spéciale ou particulière ne justifiait que la SAI entende l’affaire sur le fond.

VIII.       Conclusion

[25]           La demande de contrôle judiciaire et rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-968-16

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD UMAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 décembre 2016

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

le juge SHORE

 

DATE :

le 19 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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