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Date : 20170103


Dossier : IMM‑2041‑16

Référence : 2017 CF 7

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

FREDY’S WELDING INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable rendue le 3 mai 2016 par une agente (l’agente) du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) de Service Canada à l’égard d’une demande d’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT).

Contexte

[2]               Le 7 avril 2016, la demanderesse a présenté une demande d’EIMT afin d’embaucher un travailleur étranger temporaire (TET) pour pourvoir un poste de soudeur, un métier spécialisé inscrit dans la Classification nationale des professions (CNP) sous le code 7237 – Soudeurs/soudeuses et opérateurs/opératrices de machines à souder et à braser (le code CNP 7237). Dans sa demande, la demanderesse a indiqué être à la recherche d’un soudeur possédant une expérience en matière de soudage à l’électrode de tungstène (soudage TIG), de même qu’une à deux années d’expérience dans l’entretien et la réparation de l’équipement utilisé pour le soudage, notamment des génératrices à moteur diesel. La demanderesse a également soumis des documents à l’appui de sa demande. Elle a déclaré qu’en dépit des efforts de recrutement considérables qu’elle avait déployés, elle n’était pas parvenue à trouver un candidat qui soit à la fois Canadien ou résident permanent du Canada et doté des compétences et de l’expérience nécessaires pour occuper le poste. L’agente a discuté à diverses reprises avec la demanderesse et son représentant. Elle leur a demandé des renseignements supplémentaires — lesquels lui ont été fournis —, en plus de communiquer avec de tierces parties pour leur poser des questions. Mais, en définitive, elle a rejeté la demande.

Décision attaquée

[3]               Dans sa lettre de refus, l’agente a indiqué que sa décision négative concernant la demande d’EIMT se fondait sur sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas suffisamment démontré qu’il y avait un besoin légitime en main-d’œuvre pour le poste en question au sein de son entreprise. L’obligation de détenir une expérience d’une à deux années en mécanique n’était pas considérée comme une qualification professionnelle justifiée en ce qui a trait au poste de soudeur (code CNP 7265), pas plus qu’elle n’était une exigence essentielle pour le poste.

[4]               Dans ses notes au dossier (les notes), l’agente précise les dates auxquelles elle s’est entretenue avec la demanderesse, une tierce personne (qui était apparemment le représentant de la demanderesse) et l’avocat de la demanderesse (lequel, aux dires de celle-ci, était en fait son consultant en immigration). Elle résume le contenu de ces conversations et mentionne avoir demandé et obtenu des renseignements supplémentaires de la part de la demanderesse. Les notes font également état des efforts de cette dernière pour embaucher un citoyen canadien ou un résident permanent du Canada. L’agente indique qu’après examen d’autres codes CNP, et en se fondant sur l’exigence relative à une [traduction] « expérience non certifiée en mécanique », le code CNP 7265 lui avait paru approprié. Elle ajoute toutefois que les exigences de la demanderesse étaient excessives, et que le salaire offert ne reflétait pas les exigences supplémentaires mentionnées (ici, l’agente fait référence au code CNP 7265 plutôt qu’au code CNP 7237, soit celui employé par la demanderesse dans sa demande. Dans ses notes, l’agente précise avoir expliqué à la demanderesse qu’elle utilisait le lien du site Web de Service Canada menant à la CNP 2006, et non à la CNP 2011 utilisée par la demanderesse, mais que cela n’avait eu aucune incidence sur la décision).

[5]               Citant certaines sources, l’agente a relevé qu’en ce qui a trait à ce code CNP, le taux de chômage était très élevé au Manitoba, dans le nord de la province et à Winnipeg. Elle a également précisé avoir communiqué avec un représentant du syndicat des soudeurs de Winnipeg qui, lorsque interrogé à ce sujet, a déclaré qu’il n’y avait pas de pénurie de soudeurs au Manitoba.

[6]               L’agente a énuméré ses différentes conclusions au sujet des facteurs liés au marché du travail, dont les suivantes : (i) il n’existait pas de corrélation directe entre l’embauche du TET et la création ou le maintien d’emplois pour des citoyens canadiens ou des résidents permanents; (ii) en ce qui a trait au développement ou au transfert de compétences ou de connaissances, des renseignements contradictoires avaient été fournis au cours de l’évaluation de la demande; (iii) quant au facteur concernant la résorption d’une pénurie de main-d’œuvre, il n’avait pas été possible d’en juger, puisque le taux de rémunération offert ne reflétait pas les compétences additionnelles exigées. Par conséquent, il était impossible de déterminer si un taux de rémunération plus élevé tenant compte de l’exigence accrue en matière de compétences aurait pu attirer des candidats qualifiés; et (iv) le salaire et les conditions de travail offerts n’étaient pas acceptables, au regard du caractère excessif des exigences du poste.

[7]               Dans le cadre de ses recherches portant sur les emplois, l’agente a contacté l’Association canadienne de soudage, de même que le président d’une entreprise assurant la réparation et l’entretien de génératrices à moteur diesel. Elle a avisé la demanderesse du fait que les exigences supplémentaires relatives à l’expérience en mécanique paraissaient excessives.

Questions en litige

[8]               Les observations écrites présentées par la demanderesse se limitaient à celles qu’elle avait exprimées au moment de soumettre sa demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Dans ces observations, la demanderesse a défini deux questions à trancher : celle de la norme de contrôle à appliquer, et celle de savoir si l’agente a commis une erreur en rejetant sa demande. Or, une question d’équité procédurale y est également abordée. Quant aux observations écrites du défendeur, elles ne précisent aucune question en litige; néanmoins, elles traitent de la question de savoir si les conclusions de l’agente étaient raisonnables, ainsi que de celle de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité.

[9]               J’estime que les questions à trancher sont les suivantes :

                         i.              Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

                       ii.              La décision de l’agente était-elle raisonnable?

Norme de contrôle

[10]           La question de savoir si un agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale est une question de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 79 et 87 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Ahmed c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 197, au paragraphe 8 [Ahmed]).

[11]           La norme de contrôle qui s’applique à la décision relative à une demande d’EIMT prise par un agent est la norme de la décision raisonnable (Charger Logistics Ltd. c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 286, au paragraphe 9; Frankie’s Burgers Lougheed Inc. c Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 27, au paragraphe 22 [Frankie’s Burgers]). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, de même qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59). La Cour a également déjà établi, par le passé, qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation d’un code CNP faite par un agent (Gulati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 451, au paragraphe 19; Shetty c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1321, au paragraphe 14).

Contexte législatif

[12]           Le défendeur a déposé l’affidavit de Jeff Scott, directeur du PTET, Services aux citoyens et des programmes - Région de l’Ouest et des Territoires au sein de Service Canada, qui relève du ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada, afin de fournir des renseignements généraux au sujet du PTET, y compris en ce qui concerne le traitement des demandes d’EIMT présentées par les employeurs. La demanderesse n’a pas contesté le contenu de cet affidavit, et les parties sont tombées d’accord au sujet du régime législatif applicable.

[13]           En résumé, le PTET a été créé en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement); ces deux textes de loi constituent le régime législatif qui établit qui peut entrer et travailler temporairement au Canada.

[14]           L’agent d’immigration ne délivre un permis de travail à un étranger que si certaines conditions sont respectées. Ainsi, l’agente était tenue, en l’espèce, de rendre une décision sur la demande en se fondant sur les exigences énoncées au paragraphe 203(1) du Règlement, notamment en ce qui a trait à la question de savoir si l’offre d’emploi est authentique, et si le travail de l’étranger est susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien. Le paragraphe 203(1) dispose en effet que l’agent doit rendre cette décision en fonction des résultats d’une évaluation, laquelle est communément appelée « EIMT ». Les paragraphes 203(1.01), 203(3) et 200(5) du Règlement énoncent les facteurs que l’agent doit prendre en considération dans l’évaluation d’une demande d’EIMT. Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

Permis de travail — demande préalable à l’entrée au Canada

Work Permits

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

[…]

[…]

c) il se trouve dans l’une des situations suivantes :

(c) the foreign national

[…]

[…]

(ii.1) il entend exercer un travail visé aux articles 204 ou 205 pour lequel une offre d’emploi lui a été présentée ou il est visé à l’article 207 et une offre d’emploi lui a été présentée, et l’agent a conclu, en se fondant sur tout renseignement fourni, à la demande de l’agent, par l’employeur qui présente l’offre d’emploi et tout autre renseignement pertinent, que :

(ii.1) intends to perform work described in section 204 or 205 and has an offer of employment to perform that work or is described in section 207 and has an offer of employment, and an officer has determined, on the basis of any information provided on the officer’s request by the employer making the offer and any other relevant information,

(A) l’offre était authentique conformément au paragraphe (5),

(A) that the offer is genuine under subsection (5), and

[…]

[…]

(iii) il a reçu une offre d’emploi et l’agent a rendu une décision positive conformément aux alinéas 203(1)a) à e);

(iii) has been offered employment, and an officer has made a positive determination under paragraphs 203(1)(a) to (e); and

Fondement de l’évaluation

Basis of assessment

(2.1) Dans l’évaluation qu’il fournit au sujet des éléments prévus aux alinéas (1)a) à e), le ministère de l’Emploi et du Développement social se fonde sur tout renseignement fourni par l’employeur qui présente l’offre d’emploi et sur tout autre renseignement pertinent, mais, pour l’application du présent paragraphe, la période visée au sous-alinéa (1)e)(i) se termine à la date où la demande d’évaluation est reçue par ce ministère.

(2.1) The assessment provided by the Department of Employment and Social Development on the matters set out in paragraphs (1)(a) to (e) must be based on any information provided by the employer making the offer and any other relevant information, but, for the purposes of this subsection, the period referred to in subparagraph (1)(e)(i) ends on the day on which the request for the assessment is received by that Department.

Authenticité de l’offre d’emploi

Genuineness of job offer

(5) L’évaluation de l’authenticité de l’offre d’emploi est fondée sur les facteurs suivants :

(5) A determination of whether an offer of employment is genuine shall be based on the following factors:

a) l’offre est présentée par un employeur véritablement actif dans l’entreprise à l’égard de laquelle elle est faite, sauf si elle vise un emploi d’aide familial;

(a) whether the offer is made by an employer that is actively engaged in the business in respect of which the offer is made, unless the offer is made for employment as a live-in caregiver;

b) l’offre correspond aux besoins légitimes en main-d’œuvre de l’employeur;

(b) whether the offer is consistent with the reasonable employment needs of the employer;

c) l’employeur peut raisonnablement respecter les conditions de l’offre;

(c) whether the terms of the offer are terms that the employer is reasonably able to fulfil; and

d) l’employeur – ou la personne qui recrute des travailleurs étrangers en son nom – s’est conformé aux lois et aux règlements fédéraux et provinciaux régissant le travail ou le recrutement de main-d’œuvre dans la province où il est prévu que l’étranger travaillera.

(d) the past compliance of the employer, or any person who recruited the foreign national for the employer, with the federal or provincial laws that regulate employment, or the recruiting of employees, in the province in which it is intended that the foreign national work.

Appréciation de l’emploi offert

Assessment of employment offered

203 (1) Sur présentation d’une demande de permis de travail conformément à la section 2 par tout étranger, autre que celui visé à l’un des sous-alinéas 200(1)c)(i) à (ii.1), l’agent décide, en se fondant sur l’évaluation du ministère de l’Emploi et du Développement social, sur tout renseignement fourni, à la demande de l’agent, par l’employeur qui présente l’offre d’emploi et sur tout autre renseignement pertinent, si, à la fois :

203 (1) On application under Division 2 for a work permit made by a foreign national other than a foreign national referred to in subparagraphs 200(1)(c)(i) to (ii.1), an officer must determine, on the basis of an assessment provided by the Department of Employment and Social Development, of any information provided on the officer’s request by the employer making the offer and of any other relevant information, if

a) l’offre d’emploi est authentique conformément au paragraphe 200(5);

(a) the job offer is genuine under subsection 200(5);

b) le travail de l’étranger est susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien;

(b) the employment of the foreign national is likely to have a neutral or positive effect on the labour market in Canada;

[…]

[…]

Facteurs – effets sur le marché du travail

Factors – effect on labour market

(3) Le ministère de l’Emploi et du Développement social fonde son évaluation relative aux éléments visés à l’alinéa (1)b) sur les facteurs ci-après, sauf dans les cas où le travail de l’étranger n’est pas susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien en raison de l’application du paragraphe (1.01) :

(3) An assessment provided by the Department of Employment and Social Development with respect to the matters referred to in paragraph (1)(b) shall, unless the employment of the foreign national is unlikely to have a positive or neutral effect on the labour market in Canada as a result of the application of subsection (1.01), be based on the following factors:

a) le travail de l’étranger entraînera ou est susceptible d’entraîner la création directe ou le maintien d’emplois pour des citoyens canadiens ou des résidents permanents;

(a) whether the employment of the foreign national will or is likely to result in direct job creation or job retention for Canadian citizens or permanent residents;

b) le travail de l’étranger entraînera ou est susceptible d’entraîner le développement ou le transfert de compétences ou de connaissances au profit des citoyens canadiens ou des résidents permanents;

(b) whether the employment of the foreign national will or is likely to result in the development or transfer of skills and knowledge for the benefit of Canadian citizens or permanent residents;

c) le travail de l’étranger est susceptible de résorber une pénurie de main-d’œuvre;

(c) whether the employment of the foreign national is likely to fill a labour shortage;

d) le salaire offert à l’étranger correspond aux taux de salaires courants pour cette profession et les conditions de travail qui lui sont offertes satisfont aux normes canadiennes généralement acceptées;

(d) whether the wages offered to the foreign national are consistent with the prevailing wage rate for the occupation and whether the working conditions meet generally accepted Canadian standards;

e) l’employeur embauchera ou formera des citoyens canadiens ou des résidents permanents, ou a fait ou accepté de faire des efforts raisonnables à cet effet;

(e) whether the employer will hire or train Canadian citizens or permanent residents or has made, or has agreed to make, reasonable efforts to do so;

f) le travail de l’étranger est susceptible de nuire au règlement d’un conflit de travail en cours ou à l’emploi de toute personne touchée par ce conflit;

(f) whether the employment of the foreign national is likely to adversely affect the settlement of any labour dispute in progress or the employment of any person involved in the dispute; and

g) l’employeur a respecté ou a fait des efforts raisonnables pour respecter tout engagement pris dans le cadre d’une évaluation précédemment fournie en application du paragraphe (2) relativement aux facteurs visés aux alinéas a), b) et e).

(g) whether the employer has fulfilled or has made reasonable efforts to fulfill any commitments made, in the context of any assessment that was previously provided under subsection (2), with respect to the matters referred to in paragraphs (a), (b) and (e).

Première question en litige : Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

Observations de la demanderesse

[15]           La demanderesse fait valoir que l’agente a décidé, selon sa propre opinion et en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques, que la mention [traduction] « soudeur détenant une expérience en soudage TIG et en mécanique » constituait une exigence excessive. À cet égard, l’agente a commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques, c’est-à-dire les conversations avec des représentants syndicaux, lesquelles contredisaient les documents publiés par Service Canada. La demanderesse ne pouvait prévoir que Service Canada passerait outre à ses propres exigences professionnelles en se fondant sur des conversations imprévues tenues avec de tierces parties que non seulement elle ne connaissait pas, mais avec lesquelles on ne lui avait pas donné l’occasion de correspondre ni de s’entretenir.

Observations du défendeur

[16]           Pour sa part, le défendeur soutient qu’aucune question relative à l’équité procédurale n’est soulevée, que ce soit par les consultations menées par l’agente auprès d’associations professionnelles de soudage ou par autre chose. L’agente a informé la demanderesse et son représentant que ces consultations auraient lieu, et elle a donné à la demanderesse la possibilité de répondre. Aucune jurisprudence n’étaye l’affirmation de la demanderesse selon laquelle il aurait fallu lui offrir de jouer un rôle de participante dans ces consultations.

Analyse

[17]           Je suis d’avis qu’aucun manquement à l’équité procédurale ne découle de la décision de l’agente de consulter de tierces parties.

[18]           Ainsi que le juge Shore l’a fait observer dans la décision Ahmed, lors de l’évaluation d’une demande d’EIMT, le degré d’équité procédurale auquel a droit le demandeur est relativement peu élevé (au paragraphe 10) (voir également : Frankie’s Burgers, au paragraphe 73; Euro Railing Ltd c Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 507 au paragraphe 12; Kozul c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 1316, au paragraphe 9 [Kozul]).

[19]           Cela dit, dans la décision Kozul, aux paragraphes 9 et 10, le juge Boswell renvoie à l’affaire Frankie’s Burgers, et conclut que, bien que l’obligation d’équité procédurale soit minime, elle n’est pas pour autant inexistante :

[traduction]

[9]     Le degré d’équité procédurale applicable dans le contexte des demandes d’EIMT est relativement peu élevé. Ainsi que la Cour l’a fait observer dans la décision Frankie’s Burgers :

[73]      Les exigences en matière d’équité procédurale varient selon les circonstances propres à chaque cas (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 21 [Baker]). Dans le contexte des demandes d’AMT présentées par les employeurs, un examen des facteurs à évaluer au moment de déterminer ces exigences indique que ces dernières sont relativement faibles. Cela s’explique par le fait que (i) la structure du processus d’évaluation aux fins des AMT est loin d’être de caractère judiciaire, (ii) les demandeurs qui essuient un refus peuvent simplement soumettre une autre demande (Maysch c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2010] CF 1253, au paragraphe 30; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2012] CF 484, au paragraphe 31 [Li]), et (iii) les refus à l’égard des demandes d’AMT sont sans répercussions négatives marquées sur les employeurs, au sens qu’elles n’ont pas de « conséquences graves et permanentes » ou un « effet [...] important » (Baker, précité, aux paragraphes 23 à 25).

[10]      Bien qu’en l’espèce, l’obligation d’équité procédurale soit minime, elle n’est pas pour autant inexistante. Il existe une obligation de communiquer des éléments de preuve extrinsèques si ceux-ci sont susceptibles d’influer sur la décision. Comme l’a souligné la Cour dans la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 20, au paragraphe 17, [2013] ACF no 25 : « La question est de savoir si des faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision ont été utilisés à l’appui d’une décision, sans que la partie visée ait eu la possibilité de répondre à ces faits ou de les commenter ».

[20]           Ainsi, le juge Boswell a statué que, eu égard aux circonstances de l’affaire dont il était saisi, il était injuste que les renseignements obtenus par l’agente au cours d’un appel téléphonique avec une tierce partie n’aient pas été communiqués ni autrement divulgués aux demanderesses avant que l’agente ne rende une décision défavorable en matière d’EIMT. Les renseignements concernés mettaient directement en cause le point de vue des demanderesses quant à l’existence d’une pénurie de chaudronniers sur cuivre expérimentés. En conséquence, le fait de priver les demandeurs de la possibilité de faire des commentaires sur les renseignements non divulgués ou de soumettre des éléments de preuve pour les contredire était injuste.

[21]           Toutefois, à mon avis, les faits de l’affaire Kozul ne correspondent pas à ceux de l’espèce et, pour cette raison, il y a lieu de distinguer les deux affaires.

[22]           Dans ses notes, l’agente a déclaré que le taux de chômage était très élevé au Manitoba, dans le nord de la province, et que c’était également le cas à Winnipeg pour le poste de soudeur décrit dans le code CNP ici en cause. Le 21 avril 2016, l’agente a échangé avec un représentant du syndicat des soudeurs de Winnipeg. Lorsque interrogé à ce sujet, celui-ci a déclaré qu’il n’y avait pas de pénurie de soudeurs au Manitoba. Plus loin dans ses notes, l’agente cite un rapport sur les perspectives d’emploi tiré du Guichet-Emplois, ainsi que des données en pourcentage concernant l’assurance‑emploi; ces deux éléments ont confirmé qu’on observait un très haut taux de chômage dans cette profession. Le 25 avril 2016, dans un appel téléphonique à la demanderesse et à son avocat, l’agente a expliqué que, d’après ses recherches sur le marché du travail, il n’y avait aucune pénurie de soudeurs dans plusieurs provinces, notamment dans le nord du Manitoba et à Winnipeg. Au cours d’un autre appel téléphonique ayant eu lieu le lendemain, on a encore une fois abordé la question du taux de chômage élevé, situation que l’on a attribuée au manque de travail dans les champs de pétrole. Ainsi, s’il est vrai que l’agente ne semble pas avoir mentionné son appel au syndicat, les renseignements provenant de cette source concordaient avec l’information sur le marché du travail dont l’agente avait discuté à deux reprises avec la demanderesse et son représentant. Et, contrairement à l’affaire Kozul, la demanderesse, en l’espèce, n’a pas présenté d’observations sur la question d’une pénurie générale de soudeurs. Par conséquent, les renseignements fournis par le syndicat concordaient avec ceux ayant été portés à la connaissance de la demanderesse, et ils ne contredisaient pas directement la position de celle-ci quant à l’existence d’une pénurie de main-d’œuvre.

Selon ce qu’indiquent les notes, le 26 avril 2016, l’agente a également communiqué avec l’Association canadienne de soudage. À la question suivante : [traduction] « un soudeur possède-t-il les techniques de soudage mécanique nécessaires à l’entretien d’une génératrice diesel? », on lui a répondu par la négative, en indiquant qu’un tel travail nécessiterait de faire appel soit à un mécanicien de machinerie lourde au diesel, soit à un mécanicien industriel possédant des compétences en soudage à titre secondaire. Dans ses notes au sujet de l’entrevue qu’elle a eue le même jour au téléphone avec la demanderesse et son avocat, l’agente a inscrit que la discussion avait porté sur la confirmation, par des associations de soudeurs de partout au Canada, que ces compétences additionnelles étaient propres au métier de mécanicien ou de mécanicien industriel. En réponse à cette affirmation, l’avocat de la demanderesse a souligné que celle-ci ne demandait pas d’accréditation, ce dont il a été convenu. Plus loin, l’agente a écrit : [traduction] « EXPLIQUÉ QUE – JE LES CONSULTERAIS, MAIS QUE CES EXIGENCES PARAISSAIENT EXCESSIVES, CE QU’ONT ÉGALEMENT CONFIRMÉ LES ASSOCIATIONS DE SOUDEURS DE PARTOUT AU CANADA QUE J’AI CONTACTÉES ».

[23]           Ainsi donc, en l’espèce, l’agente a informé la demanderesse de ses conversations avec les associations de soudage au sujet des compétences supplémentaires incluses par la demanderesse dans sa demande relative au poste de soudeur, lesquelles conversations lui avaient permis de confirmer que ces compétences étaient associées au métier de mécanicien ou de mécanicien industriel. Au cours de cette discussion, la demanderesse s’est vu offrir la possibilité de réagir à cette question, et elle l’a fait.

[24]           Bien que l’on puisse se demander si l’agente a bel et bien consulté d’autres associations de soudeurs de partout au Canada, ou si cette consultation s’est limitée au contact établi le 26 avril 2016 avec l’Association canadienne de soudage, comme il en est fait mention dans les notes, il reste que la réponse attribuée à l’Association a été transmise à la demanderesse.

[25]           Une note subséquente datée du 2 mai 2016 indique que l’agente a également parlé au président d’une entreprise décrite comme « assur[ant] la réparation et l’entretien de génératrices à moteur diesel ». Le président a confirmé qu’il n’avait aucune expérience en soudage, que son entreprise assurait l’entretien et la réparation de génératrices à moteur diesel, et qu’elle exigeait plutôt une expérience en réparation mécanique. L’agente n’a pas mentionné cet appel téléphonique à la demanderesse, et elle a rendu sa décision aussitôt après. Toutefois, si je tiens compte du contexte de la question que l’agente devait trancher, soit celle de savoir si les tâches rattachées à un emploi de soudeur comprenaient habituellement la réparation et l’entretien de moteurs diesel — une question qui a été soumise à la demanderesse, laquelle a présenté des observations additionnelles à ce sujet —, je ne suis pas en mesure de conclure que l’omission de lui révéler le contenu de la conversation téléphonique a pu causer un préjudice à la demanderesse, étant donné qu’aucun nouveau fait essentiel n’en est ressorti.

[26]           Ainsi que je l’expose ci-après, il n’y a pas davantage de fondement à l’argument de la demanderesse selon lequel elle aurait dû être informée des conversations téléphoniques tenues avec de tierces parties pour être en mesure de s’assurer que l’agente leur avait communiqué les bons renseignements en sollicitant leur avis. Je ne suis pas non plus convaincue que l’obligation d’équité procédurale qui s’applique en cas de recours à des éléments de preuve extrinsèques de cette nature dans le contexte d’une décision administrative suppose une telle participation directe (voir Kozul, au paragraphe 10 à 13; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 20, au paragraphe 17; Frankie’s Burgers, au paragraphe 73).

[27]           En conclusion, je ne suis pas persuadée que, dans les circonstances, il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse du fait de l’omission, par l’agente, de communiquer les éléments de preuve extrinsèques découlant de ses appels téléphoniques au syndicat des soudeurs de Winnipeg et au président d’une entreprise de réparation et d’entretien de génératrices à moteur diesel.

Deuxième question en litige : la décision de l’agente était-elle raisonnable?

Observations de la demanderesse

[28]           La demanderesse affirme que la décision de l’agente est entachée de nombreuses erreurs susceptibles de révision.

[29]           D’abord, l’agente a déterminé, en se basant sur sa propre opinion et sur des éléments de preuve extrinsèques, que la mention « soudeur détenant une expérience en soudage TIG et en mécanique » constituait une exigence excessive, et ce, en dépit du fait que, sous le code CNP 7237, parmi les tâches principales énumérées dans la description du poste de soudeur, on précise que celui-ci « particip[e] à l’entretien et à la réparation des machines à souder et à braser », et que, sur le site Guichet‑Emplois de Service Canada, au moment de publier une annonce pour un tel emploi, on peut sélectionner une option de menu déroulant permettant d’indiquer que les candidats doivent « participer à l’entretien et à la réparation des machines à souder et à braser ». La principale raison invoquée par l’agente pour justifier son rejet de la demande allait donc à l’encontre des documents publiés par Service Canada, et l’exigence imposée par la demanderesse n’était pas excessive, mais normale et prévisible.

[30]           La demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques. J’ai déjà examiné cette question précédemment. Cependant, celle-ci est liée à la question d’une déformation, par l’agente, des propos tenus par le représentant de la demanderesse dans son témoignage. En effet, au cours de l’une des entrevues avec l’agente, le représentant a déclaré que les candidats du PTET devaient posséder une expérience dans l’entretien de l’équipement de soudage TIG, qui comprend un générateur diesel. L’agente a cité incorrectement cette déclaration, en affirmant que les candidats [traduction] « d[evaient] être en mesure de travailler sur de l’équipement diesel ». Or l’équipement diesel en question correspond à l’équipement de soudage TIG à entretenir. Il est donc possible que l’agente ait mal qualifié les exigences de la demanderesse lors de la conversation qu’elle a eue avec le représentant syndical, conversation dont la demanderesse n’était pas au courant, et au sujet de laquelle elle n’a pas pu présenter des observations.

[31]           La demanderesse fait également valoir que l’agente s’est trompée en déclarant, au cours d’une entrevue téléphonique, que s’il était envoyé sur le lieu de travail par ses propres moyens, le travailleur agirait alors en tant qu’entrepreneur indépendant. Or le fait de croire qu’un soudeur ne peut être considéré comme l’employé d’une société s’il se rend jusqu’au lieu de travail sans être accompagné d’un superviseur est une erreur susceptible de contrôle. C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter la réponse de la demanderesse à ce genre de questions.

[32]           Enfin, à plusieurs reprises, l’agente a fait allusion au représentant de la demanderesse en tant qu’avocat de celle-ci, alors qu’il était consultant en immigration.

Observations du défendeur

[33]           Le défendeur fait valoir que, bien que la demanderesse prétende que l’entretien et la réparation de génératrices diesel devraient s’entendre comme faisant partie des tâches liées à l’« équipement de soudage et de brasage » dont le soudeur doit s’acquitter, comme le prévoit le code CNP de ce poste, les conclusions contraires tirées par l’agente sont étayées par le dossier :

[traduction]

a)                  Aucun des 97 soudeurs ayant postulé pour l’emploi proposé par la demanderesse ne détenait l’expérience exigée quant à l’entretien et à la réparation de génératrices diesel, ce qui donne à penser que cette exigence était excessive;

b)                  les associations professionnelles de soudeurs ont confirmé que la capacité d’entretenir et de réparer des génératrices diesel n’était pas une compétence pour laquelle les soudeurs étaient formés, ou qu’ils étaient censés avoir;

c)                  l’employé actuel de la demanderesse, un compagnon accrédité dont les qualifications dépassaient celles demandées pour le poste de soudeur proposé et dont le salaire était supérieur de près de 50 % à celui offert pour ce poste, ne détenait pas les compétences nécessaires pour entretenir ou réparer des génératrices au diesel;

d)                 la demanderesse elle-même établissait une distinction entre une expérience en soudure et la nature de l’expérience requise pour pouvoir assurer l’entretien et la réparation de génératrices diesel. En particulier, dans les annonces d’emploi de la demanderesse, cette dernière qualification était présentée comme tenant davantage, par sa nature, de la « mécanique automobile » que du soudage, comme en faisaient foi les exigences suivantes y figurant :

                                              i.            « une expérience en soudage, et au moins une à deux années d’expérience de base en mécanique automobile relativement à l’entretien des machines de soudage TIG et des génératrices diesel utilisées pour les faire fonctionner;

                                          ii.               des compétences de base en réparation mécanique pour pouvoir assurer le bon fonctionnement du moteur de la génératrice diesel — dans la mesure où cela est nécessaire à l’exécution des fonctions liées aux services de soudage — de la même manière que pour un moteur d’automobile »;

e)                  la formulation du code CNP en soi va dans le sens de cette conclusion. On n’y mentionne pas expressément l’entretien et la réparation de génératrices diesel en tant que tâches rattachées au poste de soudeur, mais il y est indiqué que l’entretien et la réparation de ces machines font partie des tâches principales associées à d’autres professions, notamment celle de mécanicien d’équipement lourd.

[34]           À la lumière de ces éléments de preuve, l’interprétation faite par l’agente des tâches d’un soudeur, telles qu’énoncées dans le code CNP, était raisonnable. La demanderesse demande à la Cour d’apprécier la preuve de nouveau, mais tel n’est pas le rôle de la Cour.

[35]           Le défendeur nie également le fait que l’agente ait pu déformer le contenu de ses conversations avec la demanderesse ou son représentant au sujet de l’expérience en soudage TIG. En même temps que ces conversations se déroulaient, l’agente prenait des notes, lesquelles ont été consignées au dossier. La demanderesse n’a pas allégué que son dirigeant ou son représentant avait enregistré ces conversations, et elle n’a fourni aucun motif pouvant justifier que la Cour accorde sa préférence au souvenir de cette conversation tel que consigné par écrit dans l’affidavit du dirigeant, lequel document a été établi deux mois et demi plus tard. De plus, même si les notes de l’agente ne rendaient pas parfaitement compte de la nature de l’exigence liée à la génératrice diesel, il ne s’agit pas là d’une erreur susceptible de contrôle. Les motifs de l’agente doivent être interprétés dans leur ensemble et en fonction du dossier, qui démontre qu’elle a une compréhension juste et entière de l’exigence relative à la réparation et à l’entretien des génératrices diesel. Quant à la note particulière dont il est fait grief, le représentant de la demanderesse a fourni subséquemment une explication dont l’agente a tenu compte. Par conséquent, lorsqu’on le lit dans son ensemble, le dossier confirme que la décision de l’agente s’appuyait sur une bonne compréhension des faits de l’espèce.

[36]           Le défendeur avance qu’aucun élément de preuve ne corrobore l’hypothèse de la demanderesse selon laquelle l’agente aurait fait un compte rendu erroné de la preuve au représentant syndical, et que cette hypothèse est insuffisante pour établir qu’une erreur a été commise.

[37]           Le défendeur est en désaccord avec l’interprétation faite par la demanderesse des remarques de l’agente au sujet de la nature de la relation employeur–employé envisagée. Cela dit, la nature de cette relation ne constitue pas le fondement du rejet de la demande. Et de toute manière, la question de savoir si une déclaration de l’agente était juridiquement valide ne suffit pas à elle seule à prouver qu’une erreur susceptible de révision a été commise, puisque cette révision doit se faire en fonction de l’ensemble du dossier.

[38]           Le défendeur admet que l’agente s’est trompée en parlant du consultant en immigration comme d’un avocat, mais il fait valoir que cette erreur était sans conséquence pour la décision faisant l’objet du contrôle.

Analyse

[39]           La demanderesse soutient que les propos tenus par son représentant ont été déformés par l’agente. Plus précisément, ce dernier aurait déclaré que le candidat devait posséder une expérience dans l’entretien de l’équipement de soudage TIG, lequel comprend une génératrice diesel. Or, l’agente aurait rendu compte erronément de ces propos en disant que le candidat devait pouvoir travailler sur de l’équipement diesel; par conséquent, elle aurait mal décrit les exigences de la demanderesse lorsqu’elle a discuté de la question avec le syndicat, ce qui a pu donner lieu à une réponse inexacte.

[40]           Je remarque que, dans la lettre de présentation de sa demande, la demanderesse a déclaré : [traduction] « […] le candidat doit posséder une expérience en matière de soudage à l’électrode de tungstène (soudage TIG), de même qu’une expérience dans l’entretien et la réparation de l’équipement utilisé pour le soudage, notamment les génératrices à moteur diesel ». Dans l’annexe A jointe à la demande, il est précisé que la demanderesse recherche un [traduction] « soudeur possédant une expérience en matière de soudage TIG et d’entretien de génératrices diesel, en particulier le modèle Lincoln Ranger 305D, que les soudeurs utilisent pour leurs travaux de soudure ». Plus loin dans les observations, on ajoute que bon nombre des contrats acceptés par la demanderesse sont dans des régions éloignées, où il est pratiquement impossible de trouver quelqu’un qui sache comment entretenir et réparer les génératrices diesel utilisées par les soudeurs pour effectuer leur travail, et que, par conséquent, il fallait posséder de telles connaissances pour pouvoir travailler de façon autonome dans ces endroits isolés. À l’heure actuelle, seul le dirigeant de la demanderesse est en mesure de réparer des génératrices diesel. Par conséquent, si un candidat n’a pas les connaissances voulues, et que la génératrice tombe en panne, le dirigeant sera obligé de se rendre là-bas en avion pour régler le problème. Ainsi, il m’apparaît évident, à en juger par la demande, que la demanderesse recherchait des compétences non seulement dans l’entretien de génératrices diesel, mais aussi en réparation.

[41]           Selon ce qu’indique le dirigeant de la demanderesse dans son affidavit, l’agente, dans ses motifs, affirme que le représentant de la demanderesse a déclaré : [traduction] « eh bien, il ne s’agit pas exactement d’un mécanicien », et que l’employé « d[evait] être capable de travailler sur de l’équipement diesel », mais que ces affirmations ne reflétaient pas fidèlement ce qui s’était dit au cours des conversations, puisque le représentant avait alors tenté d’expliquer que le soudeur devait avoir une expérience dans l’entretien de l’équipement de soudage TIG, y compris une génératrice diesel.

[42]           Bien que la demanderesse présente des souvenirs différents de ceux notés par l’agente au moment où l’entretien téléphonique se déroulait, j’estime, après lecture de ce passage de l’affidavit, que l’agente n’a pas manifestement mal interprété ce point. Dans sa demande, la demanderesse a décrit l’emploi offert en tant que poste de soudeur détenant une expérience en soudage TIG et en mécanique. Le 21 avril 2016, l’agente a fait savoir à la demanderesse qu’une explication écrite de la signification du terme « mécanique » était requise, et qu’il était difficile de trouver cette exigence sous la définition de l’emploi concerné. C’est à cette occasion que l’agente a noté la déclaration du représentant selon laquelle il ne s’agissait pas tout à fait d’un poste de mécanicien. En réponse à cette déclaration, l’agente a fait référence à la conversation ayant eu lieu le jour précédent, au cours de laquelle le terme « mécanicien » avait été employé pour justifier la disqualification des personnes ayant posé leur candidature pour cet emploi. Selon ce qu’a inscrit l’agente, le représentant a alors répondu que les candidats devaient être capables de travailler sur de l’équipement diesel.

[43]           En outre, le 25 avril 2016, la demanderesse a fourni une explication écrite où elle précisait notamment ce qui suit :

[Traduction]
Les génératrices diesel utilisées par les soudeurs pour le soudage TIG nécessitent des travaux d’entretien prévus à intervalles réguliers. Les soudeurs doivent donc savoir quand et comment changer l’huile, le filtre à air, le filtre à huile et le filtre à carburant de la génératrice diesel. Ils doivent également connaître les types de lubrifiant ou de carburant nécessaires au fonctionnement de la machine. Qui plus est, la personne doit savoir quelle est la contenance du réservoir à carburant de la génératrice pour pouvoir éviter tout mauvais fonctionnement, et comment s’y prendre pour purger les conduites d’alimentation en carburant (en évacuant l’air qui s’y trouve), si un problème devait survenir.

En raison du type de contrats que l’entreprise Fredy’s Welding Inc. accepte, un soudeur TIG embauché par l’entreprise doit être capable d’exécuter des tâches d’entretien d’une génératrice diesel. Cette exigence s’explique par le fait que l’entreprise a un grand nombre de contrats dans des régions éloignées du Manitoba, de même qu’ailleurs dans les Prairies et dans le nord de l’Ontario. Le fait de se trouver dans ces régions éloignées est susceptible de retarder l’achèvement d’un contrat en cas de défaillance de la génératrice diesel, ou si un entretien s’avérait nécessaire.

En cas de mauvais fonctionnement de la génératrice diesel, il est essentiel que le soudeur TIG soit capable de diagnostiquer correctement la défaillance de l’équipement et de la résoudre. Cela permettra au(x) soudeur(s) de continuer de s’acquitter du contrat en toute sécurité, et sans délai.

[44]           On traite ensuite de l’« expérience en soudage TIG et en mécanique » en ces termes :

[TRADUCTION]
Pour les soudeurs TIG désireux de se spécialiser dans la fabrication de pièces mécanosoudées de petite et de moyenne taille, il est essentiel d’avoir une connaissance des techniques de soudage mécanique. Les procédés de soudage mécanique sont utilisés pour la fabrication de carrosseries d’automobiles; on s’en sert également pour les travaux de structure, les réservoirs et les réparations de machines en général. Il n’est pas question, ici, d’un « mécanicien », mais d’un soudeur qui recourt à des procédés mécaniques. L’utilisation de l’énoncé « soudeur détenant une expérience en soudage TIG et en mécanique » dans l’annonce de ce poste a pour objet d’attirer des soudeurs qui ont déjà effectué du soudage TIG pour le brasage de pièces automobiles, ou qui recourent à la soudure pour des réparations de machines en général. Le candidat ayant une expérience dans ce type de soudage possède de ce fait les connaissances voulues, ou connaît les bases de l’entretien et de la réparation de l’équipement de soudage et de brasage. Dans ce cas‑ci, cela signifierait d’entretenir l’équipement de soudage TIG ainsi que la génératrice utilisée pour le faire fonctionner.

[45]           D’après ses notes, le 26 avril 2016, l’agente a interrogé l’Association canadienne de soudage à savoir si un soudeur possédait les « techniques de soudage mécanique nécessaires à l’entretien d’une génératrice diesel ». On lui a répondu par la négative. Si on la considère de façon isolée, la manière dont cette question a été posée pourrait vouloir dire, ainsi que l’avance la demanderesse, que l’agente n’a pas bien saisi en quoi consistent les tâches d’entretien et de réparation de génératrices diesel. Toutefois, si on la place dans le contexte de la réponse fournie par la demanderesse au sujet de l’expérience en soudage TIG et en mécanique, il semble que cette question ait eu pour objectif de mettre à l’épreuve la réponse donnée. Dès lors, elle ne permet nullement de croire à une mauvaise compréhension des compétences mentionnées par la demanderesse. En qui concerne les arguments de la demanderesse, je ferai également observer qu’il est difficile de saisir comment une expérience dans l’utilisation de la soudure pour la réparation de machines en général peut se traduire par une connaissance des méthodes d’entretien et de réparation des génératrices diesel qui servent au fonctionnement de l’équipement de soudage.

[46]           Quoi qu’il en soit, même en supposant que l’agente ait commis une erreur — ce qui, à mon avis, n’est pas le cas — en saisissant mal dans quel contexte une expérience en mécanique pouvait être requise relativement à une génératrice diesel, sa conclusion quant au caractère excessif de cette exigence est raisonnable, compte tenu de la preuve au dossier dont elle disposait.

[47]           La description de la profession de soudeur figurant dans la CNP indique effectivement que, parmi les tâches des opérateurs de machines à souder et à braser, on trouve celle consistant à « participer à l’entretien et à la réparation des machines à souder et à braser ». On n’y précise pas qu’utiliser une génératrice diesel, l’entretenir et la réparer fait partie de cette tâche. Par ailleurs, certains éléments de preuve figurant au dossier étayent la conclusion de l’agente relativement au caractère excessif de cette exigence.

[48]           D’abord, l’agente a fait observer que la demanderesse recherchait des candidats, mais que, sur les 97 personnes ayant posé leur candidature, aucune ne satisfaisait à l’exigence relative à l’entretien et à la réparation de génératrices diesel. L’agente a relevé que la nature excessive de ces compétences supplémentaires pouvait expliquer pourquoi un si grand nombre de candidats ne s’étaient pas qualifiés. À mon sens, il ne s’agissait pas là d’une conclusion déraisonnable, car, si ces compétences relevaient effectivement de la tâche principale énoncée dans la CNP, on aurait raisonnablement pu s’attendre à ce qu’au moins quelques-uns des soudeurs candidats possèdent une telle qualification.

[49]           Par ailleurs, la demanderesse a fait valoir que son dirigeant est la seule personne de l’entreprise qui soit capable de réparer des génératrices diesel. Et malgré le fait qu’il détienne un certificat de qualification Sceau rouge en soudure, et qu’il soit rémunéré au taux horaire de 38,03 $, l’autre employé de la demanderesse ne semble pas posséder de telles compétences. La demanderesse était à la recherche de candidats capables d’entretenir et de réparer des génératrices diesel, à un taux horaire de 23 $ et sans détenir une certification en mécanique. L’agente a noté qu’elle avait discuté avec la demanderesse du fait que [traduction] « ces compétences ont un caractère si unique qu’aucun des postulants, non plus que l’employé syndiqué ni l’ER [employeur], ne les détenait ». Il était raisonnable de la part de l’agente de tenir compte du fait qu’un soudeur certifié recevant un salaire presque deux fois supérieur ne détienne pas les compétences supplémentaires en question. Ce fait n’est pas de nature à soutenir la position défendue par la demanderesse quant au fait que ces compétences relèvent des tâches mentionnées dans le code de la CNP pour le poste.

[50]           Dans son offre d’emploi affichée, la demanderesse mentionnait aussi bien une expérience en soudage TIG qu’une expérience de base en mécanique automobile. Cette dernière exigence était liée à l’entretien de l’équipement de soudage TIG et des génératrices diesel utilisées pour faire fonctionner l’équipement connexe; il s’agissait également d’avoir les compétences nécessaires pour assurer l’entretien du moteur de la génératrice diesel, de la même manière que pour un moteur d’automobile. L’agente n’y a pas fait référence, mais je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette annonce laisse croire à la nécessité de posséder des compétences dans deux domaines, à savoir la soudure et la réparation mécanique. La description du code CNP concerné indique effectivement que, parmi les tâches que les opérateurs de machines à souder et à braser peuvent être appelés à exécuter, on trouve notamment la participation à l’entretien et à la réparation des machines à souder et à braser; cette description n’exclut pas expressément l’entretien des génératrices diesel. Néanmoins, il était possible de conclure raisonnablement que les compétences de base en réparation mécanique exigées aux fins de l’entretien du moteur de la génératrice diesel outrepassaient la tâche figurant dans la description.

[51]           Qui plus est, les notes indiquent que l’agente a [traduction] « effectué des recherches afin de se renseigner sur les emplois et d’obtenir des détails concernant l’entretien des génératrices diesel ». Elle a également communiqué avec l’Association canadienne de soudage, et peut-être avec d’autres associations de soudeurs d’un peu partout au Canada : aucun de ces regroupements n’a corroboré la prétention de la demanderesse voulant que la capacité d’entretenir ou de réparer des génératrices diesel soit une compétence que les soudeurs détenaient ou étaient censés détenir, et que le fait d’avoir une expérience des techniques de soudage mécanique était un gage de connaissance des compétences supplémentaires exigées. À mon avis, l’interprétation du code CNP faite par l’agente était raisonnable.

[52]           Quant aux allégations de la demanderesse voulant que l’agente se soit trompée en parlant de son consultant en immigration comme de son avocat, cette erreur n’a pas eu d’incidence déterminante sur la décision. Je n’admets pas non plus l’interprétation que la demanderesse a faite des remarques de l’agente sur la nature de la relation employeur–employé envisagée. Mais je répète que de toute manière, cette considération n’a pas servi de fondement à la conclusion de l’agente selon laquelle l’obligation de détenir une à deux années d’expérience en mécanique était excessive et ne constituait pas une qualification professionnelle justifiée en ce qui a trait au poste de soudeur, selon la description qu’en donne le code CNP 7265.

[53]           Les motifs de l’agente sont décousus, et ils ne font aucune mention du régime législatif applicable. Cela dit, on peut en dégager la conclusion selon laquelle l’offre d’emploi ne correspondait pas aux besoins légitimes en main-d’œuvre de la demanderesse, une condition nécessaire pour satisfaire à l’exigence d’authenticité visée aux alinéas 200(5)b) et 203(1)a) du Règlement. Compte tenu des motifs de l’agente pris dans leur ensemble, ainsi que du dossier, celle-ci pouvait raisonnablement conclure que l’exigence de la demanderesse selon laquelle le candidat au poste de soudeur devait avoir une expérience en mécanique pour assurer l’entretien et la réparation de génératrices diesel outrepassait les exigences liées au poste; cette conclusion appartenait donc aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-2041-16

 

INTITULÉ :

FREDY’S WELDING INC. c ministre de l’Emploi et du Développement social

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉCEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 JANVIER 2017

 

ComparutionS :

Paul R. Hesse

POUR LA DEMANDERESSE

Brendan Friesen

POUR le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado, LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général

du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR le défendeur

 

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