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Date : 20170106


Dossier : IMM-582-16

Référence : 2017 CF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

AHMAD RASHID SIDIQI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), relativement à une décision du 25 novembre 2015 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR (la décision).

[2]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                 Faits

[3]               Le demandeur, citoyen de l’Afghanistan et diplômé universitaire, travaillait comme fonctionnaire avant de fuir son pays. Il est marié et a plusieurs enfants; sa fille aînée (la fille aînée) était âgée de quatorze ans au moment où sont survenus les événements qui constituent le fondement de sa demande d’asile. Il dit craindre d’être persécuté par le beau-frère de son épouse (le beau-frère) qui, allègue-t-il, appartient à une famille de seigneurs de guerre notoire. Il allègue plus précisément que les membres de la famille du beau-frère sont d’anciens combattants et seigneurs de guerre moudjahidines et que le beau-frère a hérité du poste de commandant local des moudjahidines qu’occupait son propre frère. Le demandeur soutient que le beau-frère se trouve aujourd’hui à la tête de l’une des familles les plus puissantes de l’Afghanistan et que celle-ci a une [traduction« réputation particulièrement brutale ». De plus, il prétend qu’il est fréquent en Afghanistan que les familles détenant des pouvoirs comme celle du beau-frère infiltrent l’appareil de sécurité du gouvernement et de diverses provinces par l’intermédiaire de membres de leur famille.

[4]               Le demandeur soutient que le beau-frère a épousé de force la sœur de son épouse et qu’il la bat souvent. Il ajoute que le fils du beau-frère suit les traces de son père. Il porte une arme et on le craint déjà parce qu’il se comporte comme un fier-à-bras.

[5]               L’événement qui sert de fondement à la demande d’asile du demandeur est survenu en 2014. Le demandeur allègue que, à cette époque, il avait assisté à un mariage familial où le beau-frère était également présent. Ce dernier serait allé le voir et aurait exigé que sa fille aînée épouse son fils; les deux enfants étaient alors âgés de quatorze ans. Le demandeur aurait dit au beau-frère que sa fille était trop jeune pour se marier et qu’elle était encore aux études; le beau‑frère se serait mis en colère, aurait placé son arme contre la joue du demandeur et aurait menacé de le tuer s’il refusait de nouveau. Après l’intervention des autres personnes présentes, le beau‑frère aurait annoncé à tous que la fille aînée allait épouser son fils. C’est à ce moment-là que l’affaire est devenue une question d’honneur de famille.

[6]               Le demandeur allègue que sa famille et lui ont décidé sur‑le‑champ de se rendre en automobile à Kaboul, et ils sont partis le lendemain, sans avertir qui que ce soit. À Kaboul, la famille du demandeur s’est installée chez un ami de confiance, et lui-même a vécu dans une enceinte sécurisée. Il allègue que leurs conditions de vie sont restées les mêmes jusqu’à son départ de l’Afghanistan en février 2015.

[7]               Le demandeur soutient que, pendant qu’il se cachait à Kaboul, le beau‑frère s’est présenté chez ses amis et les membres de sa famille, y compris son père, dans l’espoir de retrouver le demandeur, sa fille aînée ainsi que le reste de la famille. Le demandeur a déclaré que le fait d’avoir refusé que sa fille aînée épouse le fils du beau‑frère avait entaché la réputation de ce dernier. Il était donc furieux et prêt à faire tout ce qu’il fallait pour laver son honneur...

[8]               Le demandeur a pu organiser une visite d’affaires aux États‑Unis en 2015. Un passeport afghan lui a été délivré, et il a reçu son visa américain en décembre 2014. Il est arrivé à New York en février 2015.

[9]               Le demandeur ne s’est pas présenté à la conférence d’affaires à laquelle il était censé assister. Il est plutôt resté chez un ami à New York et, le 23 février 2015, il a présenté une demande d’asile au poste frontalier de Niagara Falls. Cependant, il n’a pas été autorisé à entrer au Canada parce que l’oncle qui lui servait de point d’ancrage pour sa demande d’asile était censément en voyage en Inde à ce moment‑là et se trouvait dans l’impossibilité de le rencontrer à la frontière. Le demandeur est retourné aux États‑Unis, où il a vécu chez des cousins jusqu’en juillet 2015. Selon le demandeur, ce long séjour s’explique par le fait que son oncle s’était blessé à la jambe pendant son voyage en Inde et qu’il avait donc dû y rester plus longtemps que prévu. Le 20 juillet 2015, le demandeur a demandé l’asile au poste frontalier de Fort Erie. Son oncle était présent, et les deux hommes ont été interrogés. L’agent en poste au point d’entrée a conclu que le demandeur tombait sous le coup d’une exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs et sa demande a donc été transmise à la SPR.

[10]           La SPR a conclu que le demandeur n’était pas digne de foi et elle a rejeté sa demande d’asile. Le demandeur a interjeté appel auprès de la Section d’appel de l’immigration (SAI) mais son appel a été rejeté pour défaut de compétence aux termes de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR.

III.               Décision

[11]           Le 24 novembre 2015, la SPR a décrété que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de la LIPR. Cette décision reposait en grande partie sur la crédibilité du demandeur et de son récit.

[12]           La SPR a tiré cinq conclusions défavorables importantes quant à la crédibilité, fondées sur les motifs suivants : le défaut du demandeur de solliciter l’asile aux États‑Unis, la vraisemblance du fait que le demandeur et sa famille aient pu se cacher du beau‑frère avec succès pendant une période de sept mois lors de leur séjour à Kaboul, le manque de preuve à propos du statut de seigneur de guerre du beau-frère, le manque de documents concernant les membres de la famille du demandeur ou leur emplacement à Kaboul, ainsi que la vraisemblance du fait que le demandeur ait laissé sa fille aînée à Kaboul.

[13]           La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était à la recherche du pays d’accueil le plus accommodant. Elle a jugé non crédible le fait que le demandeur n’ait pas au courant du programme de voyage de son oncle s’il avait bel et bien l’intention d’utiliser ce dernier comme point d’ancrage pour sa demande d’asile. La SPR a fait remarquer que le demandeur avait séjourné [traduction« cinq mois aux États-Unis et […] le défaut de présenter une demande dans ce pays n’était pas crédible, compte tenu du fait que sa famille se trouvait à Kaboul, sans un membre de la famille paternelle pour la protéger ».

[14]           La SPR a fait remarquer qu’aucune preuve n’avait été produite pour étayer la prétention du demandeur selon laquelle l’enceinte était une cachette sûre ou pour corroborer sa prétention selon laquelle le beau‑frère était un seigneur de guerre puissant, surtout compte tenu du fait que l’épouse et la famille du demandeur étaient en contact régulier avec la sœur, soit l’épouse du beau‑frère. Elle a conclu qu’il manquait de documents personnels sur le beau‑frère et que la preuve documentaire produite n’étayait pas la prétention selon laquelle le beau‑frère était un seigneur de guerre puissant et bien connu en Afghanistan. Elle a ajouté que le demandeur avait produit quelques articles parus sur Internet et dans des journaux sur les crimes d’honneur, sur le système judiciaire en Afghanistan et sur une personne en fuite âgée de 18 ans, mais qu’aucun de ces documents, ni le cartable national de documentation, ne faisaient référence à des familles de seigneurs de guerre afghans. La SPR a jugé non crédible qu’un seigneur de guerre censément puissant comme le beau‑frère n’ait pas pu dépister le demandeur pendant sept mois, surtout compte tenu de la prétention de ce dernier selon laquelle des familles puissantes avaient [traduction« infiltré l’appareil de sécurité du gouvernement afghan ».

[15]           La SPR a fait remarquer qu’il n’y avait aucun document à l’appui des allégations du demandeur selon lesquelles son épouse et ses enfants se trouvaient à Kaboul, ou même qu’il avait une épouse et des enfants, et ce, même si, durant son séjour aux États-Unis, il avait eu cinq mois pour obtenir des documents justificatifs.

[16]           Enfin, la SPR a conclu qu’il « est difficile de croire que le demandeur […] a laissé derrière sa fille, qui cour[ai]t un danger imminent » en Afghanistan. Citant l’arrêt Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CA) à la page 244 (juge MacGuigan), la SPR a écrit :

[25] Le tribunal est conscient du fait qu’aucun des doutes qui ont été soulevés quant à la crédibilité ne suffit, en soi, à justifier le rejet de la demande d’asile. Cependant, leur effet cumulatif est tel que le tribunal n’a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour conclure que le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention. Comme l’a déclaré la Cour d’appel dans la décision Sheikh :

[…] même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le [tribunal] peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication […]. En d’autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

[17]           Concluant que le témoignage du demandeur manquait de véracité, la SPR a conclu :

Le tribunal ne croit donc pas que le demandeur d’asile a été menacé par [le beau-frère], que [le beau-frère] voulait marier son fils à la fille du demandeur d’asile, que le demandeur d’asile et sa famille se cachaient à Kaboul ni que l’épouse et les enfants du demandeur d’asile se cachent chez l’ami de ce dernier à Kaboul.

[18]           C’est sur cette décision que porte la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

IV.              Question en litige

[19]           La question en litige consiste à savoir si la SPR a tiré de manière déraisonnable ses conclusions quant à la crédibilité.

V.                 Norme de contrôle applicable

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 57 et 62 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada conclut qu’il est inutile de procéder à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La question de la crédibilité doit être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité. Il convient de faire preuve d’une déférence considérable à l’égard des conclusions que tire la SPR à propos de la crédibilité : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 22 et 42, Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 941, au paragraphe 314; Zaree c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 889, au paragraphe 6; Geng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 275, [2001] ACF No 488, au paragraphe 15.

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada explique ce que l’on attend d’un tribunal qui procède à un contrôle en fonction de la norme de la raisonnabilité :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.              Analyse

[22]           La présente demande repose presque entièrement sur les conclusions qu’a tirées la SPR en matière de crédibilité. La SPR jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour privilégier certains éléments de preuve à d’autres et pour déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve qu’elle accepte. Cette règle de droit est réitérée dans de nombreuses affaires, dont Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 692, une décision dans laquelle j’ai relevé plusieurs de ces décisions jurisprudentielles, dont quelques arrêts de la Cour d’appel fédérale :

[10]      Comme la présente affaire repose presque uniquement sur la crédibilité, il convient de renvoyer à d’autres décisions à ce sujet. Il est bien établi que la SPR a un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de préférer certains éléments de preuve à d’autres et de déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve qu’elle accepte : Medarovik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 61, au paragraphe 16; Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867, au paragraphe 67. L’analyse des conclusions de fait et des conclusions quant à la crédibilité est au cœur de son expertise : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238, à la page 239 (CAF). En fait, il est reconnu que la SPR possède une expertise en matière d’évaluation des demandes d’asile, et elle est autorisée par la loi à appliquer ses connaissances spécialisées : Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 805, au paragraphe 10. Par conséquent, la Cour ne doit pas substituer ses propres conclusions à celles de la SPR lorsqu’il était raisonnablement loisible à la SPR d’arriver à ses conclusions : Giron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1377, au paragraphe 9 [Giron].

[11]      Dans l’arrêt Siad c Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 CF 608, au paragraphe 24 (CAF), la Cour d’appel fédérale a déclaré que la SPR :

se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent “l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits” doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve.

[23]           La SPR est également en droit de tirer des conclusions relatives à la crédibilité qui reposent sur l’invraisemblance, le bon sens et la raison; par contre, les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne devraient pas « […] reposer sur un examen à la loupe de questions secondaires ou non pertinentes à une affaire » : Haramicheal, précité, au paragraphe 15, citant Lubana, précitée, aux paragraphes 10 et 11; Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444. La SPR peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci « ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l’affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve » : Lubana, précitée, au paragraphe 10. La SPR peut également conclure à bon droit que le demandeur n’est pas crédible « à cause d’invraisemblances contenues dans la preuve qu’il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés “en termes clairs et explicites” » : Lubana, précitée, au paragraphe 9.

[24]           Je suis conscient que dans la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749, la Cour met en garde contre les dangers que présentent les conclusions relatives à la vraisemblance :

54        Il s’agit là de conclusions quant à la vraisemblance et, comme la Cour l’a souligné de nombreuses fois, de telles conclusions sont fondamentalement dangereuses et ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents : voir Valtchev, précitée, aux paragraphes 6 à 8; Giron, précitée; Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 774, 81 FTR 303 (TD), au paragraphe 15; Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526, au paragraphe 16; Ansar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1152, au paragraphe 17; Jung v Canada (Citizenship and Immigration), 2014 CF 275, au paragraphe 74. […]

[25]           Cependant, après examen, il était loisible à la SPR de tirer ses conclusions, au vu du dossier. J’examinerai maintenant chacune d’elles.

A.                 Le défaut du demandeur de solliciter l’asile aux États‑Unis

[26]           Le demandeur a tenté d’entrer au Canada peu après son arrivée aux États‑Unis. On lui a permis de retirer sa demande d’asile parce que son oncle n’était pas disponible. La SPR a déclaré qu’il n’était pas crédible que le demandeur ne soit pas au courant du programme de voyage de son oncle s’il comptait bel et bien sur ce dernier pour soutenir sa demande d’asile. À mon avis, il est raisonnable de rejeter l’explication du demandeur. Il est raisonnable de penser que le demandeur serait entré en contact avec son oncle avant d’essayer d’entrer au Canada, mais il semble qu’il ne l’ait pas fait.

[27]           Le demandeur a ensuite attendu cinq mois avant de se présenter de nouveau à la frontière. Il a déclaré que sa fille aînée était en danger; selon moi, il était loisible à la SPR de considérer que son explication pour ce très long délai n’était pas digne de foi si le danger que sa fille aînée et lui couraient en Afghanistan était bel et bien la raison pour laquelle il voulait venir au Canada. Il était également loisible à la SPR de conclure que le demandeur était à la recherche d’un lieu d’asile accommodant – il avait de la famille aux États‑Unis et un oncle au Canada. Le demandeur a quand même allégué que la longue absence de son oncle était attribuable au fait que celui-ci s’était blessé en Inde, mais, dans les circonstances, il demeurait loisible à la SPR de rejeter ce fait comme étant l’explication de ce retard. Cette conclusion relative à la vraisemblance est liée aux faits et, en réalité, au fait le plus crucial, soit le danger que courait prétendument la fille aînée du demandeur.

[28]           Comme la Cour l’a souvent déclaré, le point de départ d’une analyse de la crédibilité est que les allégations d’un demandeur d’asile sont présumées véridiques, sauf s’il y a des raisons de douter de leur véracité : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA); et voir Shehzad Khokhar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 20 :

[20]      En outre, dans l’évaluation de la crédibilité, il convient de se rappeler que les allégations du demandeur du statut de réfugié sont présumées être vraies, sauf s’il y a des raisons de mettre en doute leur véracité (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 208 F.T.R. 267, 2001 CFPI 776, au paragraphe 6 (C.F.1re inst.); voir également Moldonado [sic] c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 C.F. 302, [1979] A.C.F. n° 248 (C.A.F.) (QL) [Moldonado] [sic]).

[29]           Cependant, on peut percevoir dans la question du défaut du demandeur de solliciter l’asile aux États-Unis une raison de douter de sa véracité.

B.                 La vraisemblance du fait que le demandeur et sa famille aient pu se cacher du beau-frère avec succès pendant sept mois, lors de leur séjour à Kaboul

[30]           La famille a réussi à se cacher pendant au moins quatorze mois, malgré le pouvoir et l’influence qu’exerçait censément le beau‑frère. Cette conclusion relative à la vraisemblance repose sur les faits que le demandeur lui-même a allégués. Après avoir fait ces affirmations, il ne peut pas alléguer que la conclusion relative à la vraisemblance qui a été tirée à cet égard est déraisonnable. Voilà qui étaye davantage la raisonnabilité des doutes que la SPR a formulés au sujet de la sincérité du demandeur.

C.                 Le manque de preuves à propos du statut de seigneur de guerre du beau‑frère

[31]           Là encore, la conclusion relative à la vraisemblance repose sur les faits que le demandeur a lui-même avancés. Il a soutenu que le beau‑frère était [traduction« notoire » et pourtant il n’existe aucune preuve qui corrobore cette allégation. La SPR a expressément déclaré : « [i]l n’est fait mention d’aucune famille de seigneurs de guerre de quelque région de l’Afghanistan que ce soit. Le cartable national de documentation (CDN) sur l’Afghanistan ne fait état d’aucun clan notoire ». À cet égard, la SPR n’a pas tiré qu’une simple conclusion relative à la vraisemblance; la conclusion qu’elle a tirée est étayée par des preuves sur la situation du pays. Il convient de reconnaître à cet égard que la SPR jouit d’une expertise spécialisée.

D.                 Le manque de documents concernant les membres de la famille du demandeur ou leur emplacement à Kaboul

[32]           Le demandeur a eu le temps de préparer sa demande d’asile pendant qu’il se trouvait à Kaboul. Il a eu cinq mois de plus entre son premier et son second voyage jusqu’à la frontière canadienne pour se préparer à l’audition de sa demande d’asile. Après avoir obtenu l’autorisation d’entrer au Canada, il a eu deux mois de plus pour se préparer à l’audience de la SPR. Après avoir bénéficié de ce que l’on peut raisonnablement considérer comme un temps de préparation considérable, il s’est présenté à l’audience de la SPR muni seulement de ses pièces d’identité et d’une lettre de son employeur. Il n’avait aucune copie de documents relatifs à son épouse ou à sa famille et rien pour montrer qu’il avait même une fille. À cet égard, la décision de feu le juge Blanchard dans l’affaire Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 400 [2002] ACF no 520, est pertinente :

17. Bien qu’il n’existe pas d’exigence légale de produire des éléments de preuve corroborants, il n’était pas déraisonnable, dans les circonstances particulières de la présente espèce, pour la SSR d’examiner parmi les nombreux facteurs dans le cadre de l’évaluation du bien-fondé de la crainte du demandeur, l’absence totale de toute preuve suggérant que les Talibans visaient des membres de la tribu Gadoon. Je crois que la déclaration de Monsieur le juge Hugessen dans l’arrêt Adu c. Canada (M.E.I.), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.), en ligne : QL (A.C.F.) est applicable aux circonstances de l’espèce :

La « présomption » selon laquelle le témoignage sous serment d’un requérant est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l’être par l’absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver.

[33]           Le demandeur avait le fardeau de la preuve. Lui, et tous les demandeurs comme lui, sont encouragés à étayer leur demande des documents nécessaires. Par ailleurs, dans cette affaire, le commissaire lui a demandé à six reprises au moins si le demandeur avait des documents de divers types. Ce dernier a eu amplement l’occasion de réunir des documents justificatifs, mais rien n’a été produit. Le demandeur a eu la possibilité de traiter des documents manquants à l’audience mais, à part ses réponses (auxquelles la SPR n’a pas souscrit), il a décidé de ne pas tenter d’obtenir les documents manquants après avoir été interrogé. Dans les circonstances, je ne puis trouver à redire à l’évaluation de la SPR, ainsi qu’à sa conclusion, qui, selon moi, est raisonnable.

E.                  La vraisemblance du fait que le demandeur ait laissé sa fille aînée à Kaboul

[34]           Ici encore, la conclusion relative à la vraisemblance est étroitement liée à la principale allégation du demandeur : sa fille aînée adolescente était en danger. Cependant, malgré ce prétendu danger, le demandeur a laissé sa fille à Kaboul alors que lui a fui aux États‑Unis, et ensuite au Canada cinq mois plus tard. La SPR a déclaré qu’il « est difficile de croire que le demandeur d’asile a laissé derrière sa fille qui court un danger imminent ». Le demandeur a été capable d’obtenir pour lui‑même un visa d’entrée aux États‑Unis, un pays dans lequel il a de la famille, mais il semble n’avoir fait aucun effort pour en obtenir un pour sa fille, qui était apparemment en danger. À mon humble avis, les commentaires de la SPR à cet égard sont raisonnables et liés aux faits.

[35]           Le demandeur a également exhorté la Cour à contrôler l’affaire en fonction des observations qu’il avait faites à son arrivée, des observations qui, dit-il, fournissent des informations manquantes qui peuvent lui être utiles. Cependant, il n’appartient pas à la Cour d’entendre de nouveau l’affaire; un contrôle judiciaire n’est pas un nouveau procès. La SPR n’est pas tenue de prendre en considération la totalité des éléments de preuve qui lui sont soumis et d’en rendre compte dans ses motifs. Il est présumé que la SPR a passé le dossier en revue avant de se prononcer. En l’espèce, il semble que la SPR n’ait pas admis que les explications données par le demandeur dans les documents qu’il avait déposés antérieurement réfutaient ses nombreuses affirmations problématiques et, en fin de compte, non crédibles.

VII.            Question certifiée

[36]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question de portée générale à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

VIII.         Conclusion

[37]           Après avoir conclu que la SPR était en droit d’effectuer les diverses évaluations de la crédibilité susmentionnées, la Cour se doit de déterminer si la décision de la SPR est raisonnable. Il est bien établi qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse aux erreurs. La décision doit être traitée comme un tout et, par ailleurs, elle doit être lue au regard du dossier.

[38]           À mon humble avis, la décision est justifiée et transparente, et le processus décisionnel intelligible. Par ailleurs, elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle répond de ce fait au critère de la raisonnabilité, tel qu’énoncé dans l’arrêt Dunsmuir. Il y a lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée; aucune question n’est certifiée et aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-582-16

 

INTITULÉ :

AHMAD RASHID SIDIQI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NOVEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 6 JANVIER 2017

 

COMPARUTIONS :

MICHAEL CRANE

 

POUR LE DEMANDEUR

 

STEPHEN JARVIS

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MICHAEL CRANE

AVOCAT

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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