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Date : 20170119


Dossier : IMM-2894-16

Référence : 2017 CF 66

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

YUXIAN SU

JIA WEI JIANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le Guyana affiche l’un des taux de criminalité les plus élevés de l’hémisphère occidental. Le vol est un grave problème, particulièrement pour les résidents qui exploitent une entreprise, que l’on soupçonne de conserver de l’argent et d’autres objets de valeur dans leurs locaux commerciaux et à leur domicile. Les demandeurs ont été victimes de vols au Guyana et soutiennent qu’ils ont été ciblés en raison de leur race et que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté à tort leur demande d’asile au Canada.

[2]  Ils ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR ou la Loi), à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés le 1er juin 2016. La Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi.

[3]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.  RÉSUMÉ DES FAITS

[4]  Yuxian Su et son fils, Jia Wei Jiang, sont d’origine ethnique chinoise et citoyens du Guyana. En 2003, Mme Su est devenue citoyenne du Guyana; pour ce faire, elle a renoncé à sa citoyenneté chinoise. Jia Wei Jiang est né au Guyana et est âgé de 14 ans au moment de rédiger les présents motifs. De 2008 à 2010, il a fréquenté une école en Chine.

[5]  De 2001 à 2011, Mme Su et son mari ont exploité un restaurant qu’ils avaient ouvert à Georgetown, au Guyana. Au cours de cette période, leur entreprise a été victime de cinq vols à main armée. Mme Su affirme qu’ils ont appelé la police après chacun de ces vols, mais cette dernière ne s’est jamais présentée. De 2011 à 2014, Mme Su et son mari ont travaillé dans un autre restaurant dont ils n’étaient pas propriétaires.

[6]  En mars 2014, les demandeurs ont été agressés et volés à leur domicile. Dans son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés, Mme Su a indiqué que lors du vol, elle a perdu connaissance et que son fils était ligoté pendant que l’on dépouillait leur maison de leurs objets de valeur et de leur argent.

[7]  En avril 2014, Mme Su, son mari et son fils se sont rendus en Chine afin de savoir comment récupérer leur citoyenneté et obtenir la citoyenneté chinoise au nom de leur fils. Ils sont retournés bredouilles au Guyana en juin 2014.

[8]  En février 2015, alors que Mme Su reconduisait son fils à l’école, deux hommes guyanais leur ont lancé de l’eau et ont crié que [traduction] « tous les Chinois devraient être expulsés du pays ». En août 2015, un bon ami de la famille, un propriétaire de restaurant d’origine chinoise, a été assassiné pendant un vol.

[9]  Par conséquent, la famille est retournée en Chine le 30 septembre 2015 afin de voir si elle pouvait y acquérir un statut. Les perspectives demeuraient toutefois incertaines, parce qu’ils ne voulaient pas s’exposer au risque de devenir apatrides en renonçant à leur citoyenneté guyanaise. Les demandeurs sont entrés au Canada par les États-Unis le 4 novembre 2015 avec l’aide d’un passeur. Le père est demeuré en Chine puisqu’ils n’avaient pas les fonds requis pour payer le passeur pour lui aussi. Les demandeurs ont présenté leur demande d’asile le 2 décembre 2015.

II.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

A.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[10]  La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il n’y avait aucun lien avec un motif prévu par la Convention, soit la race, dans la demande présentée par les demandeurs. La Section de la protection des réfugiés a aussi conclu que les demandeurs ne pouvaient pas avoir qualité de réfugié au titre du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, qui porte sur le « risque généralisé ». On a conclu que le récit des vols fait par Mme Su était crédible. Sa crédibilité a toutefois été mise en doute lorsqu’on l’a interrogée sur ses interactions avec la police après les vols. Le commissaire a conclu que son témoignage à cet égard était répétitif et peu détaillé.

[11]  Quoi qu’il en soit, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés a indiqué que la question déterminante dans ce dossier n’était pas la protection accordée par l’État, mais plutôt le fait de savoir si les demandeurs étaient exposés à un risque personnel. Le commissaire a rejeté l’allégation des demandeurs selon laquelle il y avait un lien avec un motif prévu par la Convention, soit la race. Le commissaire a plutôt déterminé que c’est l’apparence de richesse de Mme Su, en tant que propriétaire d’un restaurant, qui constituait la motivation sous-jacente aux vols. Elle avait indiqué, dans son témoignage, qu’il existe une perception au Guyana selon laquelle les citoyens guyanais d’origine chinoise sont riches, tout en indiquant que cette perception s’appliquait tout autant aux gens d’affaires en général. Entre le moment où ils ont fermé le restaurant en 2011 et 2014, quand ils ont été agressés dans leur domicile, les demandeurs n’avaient pas fait l’objet d’autres incidents violents ou vols. Le commissaire n’a pas retenu l’argument selon lequel l’invasion de domicile était liée à la race ou que la famille était ciblée personnellement.

B.  La décision de la Section d’appel des réfugiés

[12]  En appel, le tribunal de la Section d’appel des réfugiés a commencé son analyse en définissant son rôle par rapport à la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés, s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] ACF no 313, [Huruglica].

[13]  Étant donné que les demandeurs soutenaient que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en réfutant que la race constituait un facteur de motivation dans les crimes commis à leur endroit, le commissaire de la Section d’appel des réfugiés s’est penché sur cette conclusion. Après écoute de l’enregistrement audio de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés a conclu que Mme Su avait reconnu, dans son témoignage, que les propriétaires d’entreprise étaient ciblés puisqu’ils étaient réputés être riches. La Section d’appel des réfugiés a conclu que ces vols, tout aussi déplorables qu’ils soient, n’étaient pas motivés par la race.

[14]  Pour parvenir à cette conclusion, la Section d’appel des réfugiés a été guidée par la décision rendue par la Cour dans Bacchus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 821, [2004] ACF no 1023, au paragraphe 11, où j’ai indiqué que « bien que le demandeur ait été victime de crimes violents, tous les Guyaniens courent les mêmes risques. » Dans cette affaire, le demandeur était indo-guyanais.

[15]  La Section d’appel des réfugiés a aussi examiné l’analyse du « risque généralisé » menée par la Section de la protection des réfugiés et a confirmé ses conclusions. Le commissaire de la Section d’appel des réfugiés a conclu que les demandeurs n’étaient pas personnellement ciblés et qu’ils s’exposaient au même risque que celui auquel s’exposent généralement d’autres résidents du Guyana qui sont réputés être riches. La Section d’appel des réfugiés a réitéré que les demandeurs reconnaissaient que les propriétaires d’entreprise étaient ciblés au Guyana puisqu’on les croit fortunés. La Section d’appel des réfugiés a mentionné que Mme Su avait affirmé dans son témoignage qu’elle ignorait l’identité des auteurs des vols et qu’il ne semblait pas s’agir des mêmes personnes.

[16]  La Section d’appel des réfugiés a aussi pris en considération les éléments de preuve documentaire et a particulièrement mentionné un rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, qui établit le taux d’homicides survenus en 2012 au Guyana à 17 par 100 000 personnes – le quatrième taux d’homicides en importance en Amérique du Sud. Le commissaire a aussi reconnu que des vols à main armée surviennent régulièrement, à ce qu’on dit, surtout dans les quartiers d’affaires et les zones commerciales. La Section d’appel des réfugiés a donc conclu que les éléments de preuve documentaire soutenaient la conclusion selon laquelle ces vols ne sont pas motivés par l’ethnicité; ce sont plutôt des actes criminels habituels commis à l’endroit de personnes réputées riches.

[17]  La Section d’appel des réfugiés s’est penchée sur la « protection de l’État » à titre de motif subsidiaire, en indiquant que selon Huruglica, précitée, elle est chargée de mener sa propre évaluation indépendante du dossier dans son ensemble. Ce motif a été soulevé dans le dossier d’appel des demandeurs, même si la Section de la protection des réfugiés n’avait pas tiré de conclusion à cet égard.

[18]  Le commissaire de la Section d’appel des réfugiés a invoqué la présomption selon laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens, sauf dans le cas d’un effondrement complet de l’appareil étatique : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux pages 709 et 725. Par conséquent, le demandeur qui prétend que la protection de l’État est inadéquate doit présenter une preuve « claire et convaincante » que l’État est incapable de protéger ses citoyens : Carrillo c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636.

[19]  En ce qui concerne les interactions de Mme Su avec la police, la Section d’appel des réfugiés s’est dite d’accord avec la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle son témoignage était peu détaillé. Qui plus est, la Section d’appel des réfugiés a mentionné qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté afin de montrer qu’elle s’était rendue personnellement au poste de police pour porter plainte ou qu’elle avait pris d’autres mesures pour se plaindre du service de police lui-même.

[20]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu qu’il existe des preuves de corruption de la police au Guyana, tout en relevant certaines preuves de voies pouvant être empruntées pour signaler ces abus. Elle a finalement conclu à l’absence d’éléments de preuve selon lesquels la corruption avait mené à un effondrement complet de l’ordre social ou qu’elle avait fait en sorte que la force policière et le système judiciaire ne s’acquittaient pas de leurs fonctions de manière adéquate ou efficace dans tous les cas. La Section d’appel des réfugiés a donc conclu qu’il faut évaluer la probabilité que la corruption mène à une protection inadéquate ou inefficace de l’État au cas par cas. En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il était déraisonnable pour Mme Su de ne pas demander la protection de l’État en raison d’une corruption possible.

[21]  En conséquence, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer un lien avec la race. Subsidiairement, après avoir mené une évaluation indépendante du dossier qui lui avait été présenté, la Section d’appel des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

III.  QUESTIONS EN LITIGE

[22]  Après avoir étudié les questions présentées par les parties, je les définirais ainsi :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’évaluation des nouveaux éléments de preuve par la Section d’appel des réfugiés était-elle raisonnable?

  3. La conclusion de la Section d’appel des réfugiés quant au lien était-elle déraisonnable?

  4. La conclusion de la Section d’appel des réfugiés quant à la protection de l’État était-elle déraisonnable?

IV.  DISCUSSION

A.  Norme de contrôle

[23]  Les parties s’entendaient sur le fait que la demande soulève des questions mixtes de fait et de droit qui exigent d’appliquer la norme de la décision raisonnable : Huruglica, aux paragraphes 30 et 35. Cette norme s’applique particulièrement aux conclusions sur la crédibilité et à celles liées à l’existence d’un lien avec un motif prévu par la Convention ou à la protection de l’État : Cheema c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 441, [2015] ACF no 494, au paragraphe 6 [Cheema].

[24]  L’application de la norme de la décision raisonnable signifie que la Cour ne reviendra pas sur la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés à moins qu’elle ne soit pas justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle n’appartienne pas à l’éventail des issues possible pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[25]  À l’audience, les demandeurs ont soutenu que la Section d’appel des réfugiés avait commis une erreur de droit dans son examen de la question sur la protection de l’État, même si la Section de la protection des réfugiés n’avait pas tiré de conclusion à cet égard dans sa décision. Ils ont affirmé qu’il s’agit d’une erreur de droit qui commande l’application de la norme de la décision correcte. Dans Huruglica, au paragraphe 78, elle a conclu que la Section d’appel des réfugiés doit intervenir quand la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte.

[26]  En l’espèce et selon son examen de l’alinéa 111(1)a) de la LIPR et de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Huruglica, la Section d’appel des réfugiés a conclu que son rôle consistait à mener une évaluation indépendante du dossier en appel. Par conséquent, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il lui était loisible d’examiner également la question de la protection de l’État.

[27]  L’évaluation et la définition, par la Section d’appel des réfugiés, de la portée de sa fonction d’appel sont des questions de droit qui relèvent de son expertise et qui commandent donc l’application de la norme de la décision raisonnable : Huruglica, précitée, aux paragraphes 31 et 32.

B.  L’évaluation des nouveaux éléments de preuve par la Section d’appel des réfugiés était-elle raisonnable?

[28]  Les demandeurs soutiennent que la Section de la protection des réfugiés s’était livrée à une interprétation sélective de la preuve et avait commis une erreur susceptible de contrôle en mettant l’accent sur des éléments de preuve qui étayaient une conclusion déterminante tout en écartant des éléments de preuve qui contredisaient ou contestaient cette conclusion : Ragunathan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993]ACF no 253 [Ragunathan]; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 [Cepeda-Gutierrez]; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 140 [Zheng]. Les demandeurs font valoir que la Section d’appel des réfugiés aurait dû annuler la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés pour ce seul motif.

[29]  Les demandeurs citent trois articles de presse dont la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés n’ont pas tenu compte, selon ce qu’ils affirment : [traduction]

  • Ÿ « Deux ressortissants chinois abattus », 30 avril 2014, actualités en ligne Demerara Waves;

  • Ÿ « Chinois battu et blessé à Canaan Garden samedi soir – jusqu’à hier, la police ne lui avait pas encore rendu visite à l’hôpital », 26 août 2015, Guyana Chronicle;

  • Ÿ « Meurtre dans un restaurant chinois […] Les caméras captent l’assassinat d’une serveuse », 25 août 2014, KNews.

[30]  Les demandeurs affirment que ces documents contestent directement la conclusion selon laquelle le fil conducteur des conclusions de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés résidait dans le fait que les victimes étaient ciblées pour des raisons économiques plutôt qu’en raison de leur race. Ces articles renvoient aux préoccupations de la communauté chinoise au Guyana (qui ne constitue que 1 % de la population globale) sur le niveau de violence dont ses membres sont victimes et sur l’absence d’une intervention policière rapide et efficace.

[31]  Il est bien établi en droit, selon ce que soutient le défendeur, que les décideurs sont présumés avoir examiné l’ensemble de la preuve qui leur a été présentée : Simpson c Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, [2012] ACF no 334, au paragraphe 10. Ils ne sont pas tenus de renvoyer à chacun de ces éléments et d’expliquer comment ils les ont traités. Le défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62, au paragraphe 16).

[32]  Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait : Cepeda-Gutierrez, précitée, aux paragraphes 16 et 17.

[33]  En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés avait mené une analyse détaillée et un examen approfondi du dossier qui lui avait été présenté. Même si la Section d’appel des réfugiés n’a pas cité explicitement chacun des éléments de preuve, il ressort clairement de ses motifs qu’elle a tenu compte des éléments de preuve importants. La Section d’appel des réfugiés a tenu compte expressément des éléments de preuve contradictoires au dossier, mais elle s’est dite d’accord avec la Section de la protection des réfugiés quand elle affirmait que la hausse des attaques ciblant des commerces chinois n’était pas devenue considérable au point de devenir une tendance. Au paragraphe 33 de la décision, la Section d’appel des réfugiés renvoie aux documents qui indiquent que [traduction] « deux meurtres et deux agressions signalés en août 2015 ». Cela correspond aux articles de presse cités par les demandeurs, dont la Section d’appel des réfugiés n’aurait pas tenu compte selon eux.

[34]  Je ne suis donc pas convaincu que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur susceptible de révision dans son examen des éléments de preuve.

C.  La conclusion de la Section d’appel des réfugiés quant au lien était-elle déraisonnable?

[35]  Les demandeurs font valoir que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont commis une erreur en interprétant mal les éléments de preuve, en écartant des éléments de preuve qui indiquent des motifs raciaux et la persécution de ressortissants chinois au Guyana.

[36]  Cet élément de preuve documentaire comprenait un article de presse du 6 mars 2013 qui rendait compte d’une déclaration du ministère de l’Intérieur reconnaissant que le niveau de violence à l’endroit des résidents chinois était en hausse. Cette déclaration établissait un lien entre la violence et une réaction aux avancées politiques, y compris les décisions du gouvernement visant à encourager l’investissement chinois au Guyana. Cette déclaration comprenait les commentaires qui suivent.

[traduction] Le ministère souhaite porter à l’attention du public que cette hausse soudaine des attaques criminelles à l’endroit de membres de la communauté chinoise au Guyana n’est pas passée inaperçue, qu’elle est issue d’une campagne aux motivations politiques orchestrée par des éléments connus de l’opposition et qu’elle coïncide avec cette campagne. Cette campagne est caractérisée par des efforts soutenus et systématiques de diffamation, de criminalisation et de comportements xénophobes visant principalement la communauté chinoise. [Non souligné dans l’original]

[37]  Cette réponse, indique-t-on dans l’article, semble avoir un lien avec le fait que le gouvernement permettait de n’employer que des travailleurs chinois pour la construction d’un nouvel hôtel à Kingston financé par des investissements chinois. Cette situation pourrait indiquer que la hausse soudaine de la violence à l’endroit de la communauté chinoise est temporaire et non durable. L’article fait état d’un facteur contributif, soit que les attaques ciblent les entreprises qui effectuent des opérations en espèce plutôt que celles qui acceptent les cartes de crédit ou de débit.

[38]  Selon un rapport de 2015 du département d’État des États-Unis joint au dossier, [traduction] « même si les incidents de crimes violents ne semblent pas être motivés par la race, les différences politiques ont tendance à suivre des divisions raciales ». On renvoie ici aux tensions continues entre les communautés afro-guyanaise et indo-guyanaise.

[39]  Les demandeurs soutiennent que cet élément de preuve montre que la communauté chinoise fait l’objet d’attaques persistantes. Par conséquent, il y a une « chance raisonnable » ou « plus qu’une simple possibilité » que les demandeurs soient victimes de persécution en raison de leur race s’ils retournent au Guyana. Il a toutefois été concédé au nom des demandeurs pendant l’audience que le dossier n’indique pas ce que le taux de criminalité représente dans la communauté chinoise au Guyana par rapport à celui des communautés plus importantes. Comme il est indiqué ci-dessus, la communauté chinoise ne représente que 1 % de la population globale au Guyana. Si des éléments de preuve montrant qu’elle subit un niveau de violence disproportionnel avaient été présentés, la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés auraient peut-être tiré une conclusion différente.

[40]  La déclaration du ministre de l’Intérieur représente l’élément de preuve le plus solide à l’appui de la thèse des demandeurs. Elle ne contredit toutefois pas, selon moi, la conclusion tirée par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés selon laquelle les attaques perpétrées à l’endroit de gens d’affaires guyanais d’origine chinoise sont motivées par des raisons économiques.

[41]  Les demandeurs ont reconnu que les propriétaires d’entreprise au Guyana étaient la cible de crimes, puisqu’ils sont réputés être riches. C’est ce qui se dégage du fait, à une exception près, que les articles de presse sur lesquels les demandeurs s’appuient renvoient à des attaques à l’égard d’entreprises que l’on pourrait croire détenir d’importantes sommes d’argent comptant dans leurs locaux, comme les restaurants et les supermarchés.

[42]  La seule exception indiquée dans les articles concerne l’attaque commise à l’endroit d’un homme qui semblait être un Chinois. Dans ce cas, la victime avait été impliquée dans un différend dans la rue avec une femme qui avait ensuite fait appel à ses frères pour lui administrer une raclée. Rien dans l’article n’indique que l’attaque était motivée par l’ethnicité de la victime.

[43]  La seule autre preuve de discrimination fondée sur la race est le récit livré par la demanderesse principale, où elle a indiqué que deux personnes avaient lancé de l’eau à son fils et à elle en leur criant des insultes raciales. Ce comportement, même s’il est déplorable, ne constitue pas de la persécution.

[44]  L’élément de preuve documentaire dans son ensemble donne une multitude d’exemples où les auteurs ciblaient les Indo-Guyanais et les entreprises chinoises en raison de la perception générale selon laquelle les propriétaires sont riches. Les éléments de preuve examinés par la Section d’appel des réfugiés portent à croire que les crimes graves, comme les meurtres et les vols à main armée, sont chose courante au Guyana.

[45]  Vu les éléments de preuve au dossier, il était loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que la motivation pour les crimes commis à l’endroit des demandeurs était économique plutôt que raciale. Il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de conclure que le risque auquel les demandeurs s’exposent est un risque auquel d’autres résidents du Guyana s’exposent généralement aussi. Cette conclusion appartenait aux issues possibles et acceptables.

D.  La conclusion de la Section d’appel des réfugiés quant à la protection de l’État était-elle déraisonnable?

[46]  Les demandeurs soulignent rapidement dans leur plaidoyer écrit que la Section d’appel des réfugiés avait tiré une conclusion sur la protection de l’État alors que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas rendu de décision à cet égard. Ils font valoir que la Section d’appel des réfugiés commet une erreur susceptible de révision quand elle tire une conclusion sur des questions que la Section de la protection des réfugiés n’a pas soulevées, sauf si elle donne à l’appelant l’occasion de répondre en présentant des observations ou des éléments de preuve : Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896, [2015] ACF no 909 [Ojarikre].

[47]  On n’a pas insisté sur cet argument à l’audience puisque l’avocat préférait se concentrer sur le bien-fondé de la question à trancher. Comme il est indiqué ci-dessus, la question avait été soulevée dans le mémoire d’appel des demandeurs. Contrairement à Ojarikre, la Section d’appel des réfugiés n’a pas confirmé la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés sur un autre fondement. J’ajouterais que même si les demandeurs ne l’ont pas fait valoir, il ne s’agit pas d’un cas où la Section d’appel des réfugiés a choisi de confirmer la décision de la Section de la protection des réfugiés en s’appuyant sur un autre fondement sans conclure expressément que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur, comme dans Angwah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 654.

[48]  En l’espèce, le commissaire de la Section d’appel des réfugiés a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés sur le lien avec la question de la race; il a cependant ajouté qu’à titre subsidiaire, les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. L’évaluation indépendante du dossier par la Section d’appel des réfugiés a respecté adéquatement les paramètres exposés par la Cour d’appel fédérale dans Huruglica, précitée, aux paragraphes 78 et 103.

[49]  Les demandeurs ne remettent pas en doute la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle le Guyana est un État démocratique relativement fonctionnel. Ils s’entendent pour dire que la présomption de protection de l’État s’applique et qu’elle doit être réfutée. Ils soutiennent cependant que la preuve objective des conditions dans le pays porte à croire que l’État offre une protection inadéquate au Guyana : EB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 11, [2011] ACF no 135, aux paragraphes 9 et 10 [EB]; Persaud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 850; [2010] ACF no 1057, au paragraphe 23.

[50]  Les demandeurs soutiennent que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents qui sous-entendaient que la corruption de la police au Guyana est importante et que son intervention en matière de criminalité est largement inefficace. Ils sous-entendent aussi que la Section d’appel des réfugiés a omis d’examiner si les citoyens chinois recevraient un service et une protection moindres de la police en raison du racisme. Les demandeurs soutiennent que les éléments de preuve permettent de conclure qu’ils ne recevraient pas une protection adéquate de l’État à leur retour au Guyana.

[51]  La Section de la protection des réfugiés reconnaît bien que les éléments de preuve concernant la protection de l’État au Guyana sont tout au plus variables. La Section d’appel des réfugiés a traité de façon détaillée les divers problèmes liés à la corruption de la police et aux éléments de preuve indiquant l’existence d’une violence généralisée au Guyana. Toutefois, le principal problème pour la Section d’appel des réfugiés, tout comme pour la Section de la protection des réfugiés, résidait dans l’absence de détails dans le témoignage de Mme Su sur les appels à la police et l’absence d’éléments de preuve sur les efforts supplémentaires déployés par les demandeurs pour avoir accès à la protection de l’État.

[52]  Les cinq vols ont été commis sur une période de dix ans. Aucun élément de preuve ne porte à croire que les demandeurs ont tenté, pendant cette période, d’épuiser tous les moyens de protection possibles à leur disposition. Qui plus est, aucun élément de preuve ne porte à croire que l’intervention policière à la suite des vols ou l’absence d’une telle intervention, était motivée par le racisme.

[53]  Selon les faits présentés en l’espèce, les demandeurs n’ont pas réussi à s’acquitter de leur fardeau en demandant à obtenir la protection de l’État. Il était donc loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption.

[54]  Étant donné que les parties s’entendaient sur le fait que la présente affaire portait sur les faits, aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne le sera.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2894-16

INTITULÉ :

YUXIAN SU, JIA WEI JIANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 janvier 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 19 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Phillip J.L. Trotter

Pour les demandeurs

Christopher Ezrin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillip J.L. Trotter

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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