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Date : 20170103


Dossier : IMM-1613-16

Référence : 2017 CF 3

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2017

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

JEAN CLAUDE MUHENDANGANYI

CLAUDE STEPHANE NICITEGETSE

NATHALIE NDAYISHIMIYE

MICHAELLA ISHIMWE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Monsieur Jean Claude Muhendanganyi [Demandeur principal], son fils majeur, Claude Stéphane, et ses filles mineures, Nathalie et Michaella, demandent le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration, par laquelle il rejette leur demande d’exemption de l’obligation de déposer leur demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, pour des motifs d’ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

II.                Faits

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Burundi. Ils sont arrivés au Canada le 15 août 2012 et ont présenté une demande d’asile le jour de leur arrivée. Cette demande et leur demande de contrôle judiciaire présentée devant cette Cour ont été rejetées.

[3]               Un an plus tard, ils ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée une première fois et leur première demande de contrôle judiciaire de cette décision a été accordée du consentement des parties, puisqu’elle ne contenait aucune analyse de l’intérêt supérieur des enfants mineurs visés par la décision.

[4]               La demande a été rejetée pour une seconde fois et bien que les demandeurs se trouvent au Canada sans statut et que leur dossier ait été acheminé à la section des renvois de l'Agence des services frontaliers du Canada, il bénéficie présentement de la suspension temporaire de renvois vers le Burundi, compte tenu de la crise qui sévit dans ce pays depuis le printemps 2015.

III.             Décision contestée

[5]               D’entrée de jeu, l’agent rappelle que les demandeurs ont le fardeau de démontrer qu’ils subiraient des difficultés exceptionnelles si leur demande n’était pas accordée. Après avoir soupesé l’ensemble de la preuve soumise par les demandeurs, il conclut que celle-ci n’est pas suffisante pour démontrer que les demandeurs sont solidement établis au Canada. Il conclut également que la preuve est déficiente pour soutenir que l’intérêt supérieur des enfants contrebalancerait les autres facteurs considérés. L’agent se dit conscient de la situation très préoccupante qui sévit présentement au Burundi. Toutefois, il conclut que les demandeurs n’ont pas démontré que leur situation personnelle justifie l’octroi d’une exemption des exigences de la LIPR et qu’en tout état de cause, ils bénéficieront de la suspension des renvois vers ce pays, jusqu’à ce que la situation socio-politique ne s’améliore.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[6]               À mon avis, cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question :

L’agent a-t-il erré dans son appréciation de la preuve et des divers facteurs justifiant l’octroi d’une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire?

[7]               Les décisions fondées sur l’article 25 de la LIPR sont, par nature, discrétionnaires. Elles sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 10; Terigho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835 au para 6).

[8]               Lorsque cette norme de contrôle s’applique, la Cour ne peut substituer sa propre conclusion à celle qui a été retenue par le décideur. Elle doit plutôt déterminer si cette conclusion fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; Kanthasamy, ci-dessus au para 111). Bien qu’il puisse exister plus d’une issue raisonnable, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 au para 59).

V.                Analyse

L’agent a-t-il erré dans son appréciation de la preuve et des divers facteurs justifiant l’octroi d’une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire?

[9]               À mon avis, la décision de l’agent est raisonnable. Il a analysé tour à tour l’intérêt supérieur des demanderesses mineures, l’impact de la suspension temporaire de renvois vers le Burundi et le degré d’établissement et d’intégration des demandeurs. Il a évalué ces facteurs à la lumière de la preuve et il a raisonnablement conclu que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que leurs circonstances justifient l’octroi d’une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[10]           La LIPR confère au Ministre ou à ses agents un large pouvoir discrétionnaire d’accorder une telle exemption et il n’y a pas de circonstances prescrites qui doivent conduire à l’exercice favorable de ce pouvoir discrétionnaire (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 967 au para 17).

[11]           Les demandeurs doivent toutefois démontrer qu’ils rencontreraient des difficultés « inhabituelles et injustifiées » ou « démesurées » si leur demande n’était pas accordée. Sont qualifiées de difficultés « inhabituelles et injustifiées », celles qui ne sont pas envisagées par la Loi ou son règlement; elles doivent être le résultat de circonstances indépendantes de la volonté des demandeurs. Les difficultés démesurées sont celles qui « auraient un impact déraisonnable sur le demandeur en raison de sa situation personnelle » (Kanthasamy, ci-dessus au para 26).

[12]           Dans Kanthasamy, la Cour suprême précise que ce qui justifie une dispense dépend des faits et du contexte du dossier. L’agent qui doit « se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy, ci-dessus au para 25). C’est, à mon sens, ce que l’agent a fait.

(1)               L’intérêt supérieur de l’enfant

[13]           L’agent a fait une analyse détaillée de la situation des demanderesses mineures. On peut lire de ses motifs qu’il était réceptif, attentif et sensible à leur meilleur intérêt (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75; Kanthasamy, ci-dessus au para 143).

[14]           Les demandeurs invoquent l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 et plaident que l’agent devait faire une analyse des avantages et inconvénients que représentent pour l’enfant le fait de demeurer ou non au Canada. Or, bien que les faits de l’arrêt Hawthorne soient fort différents de ceux devant moi en ce que l’enfant en cause était canadien, je suis d’avis que l’agent a fait cet exercice.

[15]           Dans Hawthorne, la Cour rappelle qu’un agent n’est pas réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur d'un enfant touché du simple fait qu’il y a une mention à cet effet dans ses motifs (Hawthorne, ci-dessus au para 32; Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) c Legault, 2002 CAF 125 au para 12; Kanthasamy, ci-dessus au para 39). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, ci-dessus au para 39).

[16]           Dans le cas qui nous occupe, l’agent souligne que les demandeurs n’ont soumis que très peu de preuve concernant les enfants mineures. Il considère le fait que les enfants vivent au Canada avec leur père uniquement, mais que le reste de leur famille réside au Burundi, alors que leur mère réside au Soudan du Sud. Il conclut que les demandeurs n’ont pas démontré en quoi il serait dans l’intérêt des enfants de demeurer au Canada; ils n’ont soumis aucune lettre de la mère des enfants en ce sens et ne font valoir ni circonstances personnelles ni besoins spéciaux qui justifieraient une pareille conclusion. Tenant compte des conditions particulières du Burundi, l’agent conclut que les demandeurs n’ont pas démontré que les enfants seraient personnellement à risque d’abus sexuels. La preuve démontre plutôt qu’elles bénéficieraient de l’encadrement et de la protection de leur père et du reste de leur famille.

[17]           Se fondant à nouveau sur l’arrêt Hawthorne, les demandeurs plaident qu’avant de conclure à une insuffisance de preuve quant à l’intérêt supérieur des enfants mineures, l’agent avait une « obligation de fouiller » davantage la question (Hawthorne, ci-dessus au para 47). À mon avis, les demandeurs se méprennent sur le passage cité de cet arrêt. Dans cette affaire, l'agente a conclu qu'il n'y avait pas lieu d’attacher une importance particulière aux allégations d’agressions sexuelles du père contre sa belle-fille, en l’absence de preuve de mise en accusation du père. Les inquiétudes de l’enfant concernée par la décision, à l’idée d’aller vivre avec son père, étaient toutefois appuyées d’une preuve qu’un bureau de l’aide à l’enfance avait émis des réserves sur les aptitudes parentales de ce dernier. C’est, selon la Cour, cette preuve qui aurait dû être davantage fouillée.

[18]           On ne peut inférer de ce passage une obligation de la part d’un agent de fouiller afin de suppléer à une preuve inexistante ou déficiente. Le fardeau de preuve incombe incontestablement aux demandeurs (Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 175 au para 42). C’était à eux de soumettre une preuve quant à l’impact qu’aurait un refus de leur demande d’exemption sur les demanderesses mineures, en raison de leur situation personnelle. Ils ne l’ont pas fait.

(2)               La suspension temporaire des renvois vers le Burundi

[19]           Les demandeurs soumettent que la suspension temporaire des renvois vers le Burundi devrait appuyer leur thèse puisqu’elle confirme que ce pays est aux prises avec des conditions socio-politiques exceptionnellement dangereuses. Ils devraient donc, à moins d’interdiction de territoire ou autre obstacle légal, bénéficier « ipso facto » de l’exemption prévue à la LIPR.

[20]           L’existence de conditions dangereuses ou la suspension temporaire des renvois vers un pays donné ne crée pas une présomption à l’effet qu’un demandeur de résidence permanente aura droit à l’exemption prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR (Alcin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1242 au para 55). L’agent a considéré la situation actuelle du Burundi et la suspension temporaire des renvois vers ce pays, facteurs qu’il a soupesés avec le reste des facteurs d’ordre humanitaire qu’il devait considérer. Contrairement à ce que plaident les demandeurs, la suspension temporaire des renvois n’est pas le seul facteur considéré par l’agent. Il a toutefois conclu que cette suspension contrecarrait les allégations de difficultés exceptionnelles que subiraient les demandeurs du fait des conditions socio-politiques actuelles prévalant au Burundi. Cette analyse de la preuve est, à mon avis, raisonnable.

(3)               Allégation quant à un supposé pays africain alternatif

[21]           Contrairement à ce que suggèrent les demandeurs, l’agent n’a pas conclu que les demandeurs pouvaient s’installer dans un autre pays du continent africain que le Burundi. Les demandeurs ont, de toute évidence, mal interprété le passage suivant des motifs de l’agent :

As noted earlier in this decision, the applicants have a number of family members in Burundi and the children’s mother reportedly resides in South Sudan. No letter from the children’s mother is on file explaining why it would be in the children’s best interests to remain in Canada. Without any evidence to the contrary, I find it reasonable to conclude that the children may also benefit from living in closer proximity to their mother and other relatives in Africa, allowing them to develop family relationships and access support. (Décision de l’agent de CIC, p 5).

[TRADUCTION] Tel que signalé plus tôt dans la présente décision, plusieurs membres de la famille des demandeurs demeurent au Burundi et la mère des enfants demeure apparemment au Soudan du Sud. Aucune lettre de la part de la mère expliquant pourquoi il serait dans l’intérêt supérieur des enfants de rester au Canada ne se trouve au dossier. En l’absence de preuves contraires, je trouve qu’il est raisonnable de conclure que les enfants pourraient aussi bénéficier de demeurer plus près de leur mère et des autres membres de leur famille en Afrique, leur permettant de développer des liens familiaux et d’avoir accès au soutien. (Décision de l’agent de CIC, p 5).

[22]           Dans le cadre de son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a simplement considéré le fait qu’au Canada, les enfants sont sous la charge unique de leur père et n’ont aucun autre réseau familial, alors que plusieurs membres de leur famille demeurent au Burundi et que leur mère demeure au Soudan du Sud, pays beaucoup plus rapproché du Burundi que le Canada. L’agent ne suggère aucunement que les demandeurs résident dans un autre pays africain que le Burundi et cet argument des demandeurs est sans fondement.

(4)               Le degré d’établissement et d’intégration

[23]           À cet égard, les demandeurs ne font que réitérer certains faits et éléments de preuve analysés par l’agent, tout en espérant que cette Cour leur accorde plus de poids que ne l’a fait l’agent. Ce dernier a reconnu que les demandeurs avaient certains liens au Canada, à la lumière de la courte période depuis leur arrivée; il a considéré les deux emplois du Demandeur principal, le fait que les enfants fréquentent l’école au Canada, les activités de bénévolat du fils aîné et l’implication du Demandeur principal dans une organisation communautaire.

[24]           Toutefois, l’agent souligne que la preuve ne lui permet pas de déterminer la nature ou la fréquence des activités du Demandeur principal et de son fils. Il existe également très peu d’information concernant la gestion des finances du Demandeur principal au Canada, outre le fait que son épouse (qui travaille pour les Nations Unies au Soudan du Sud et qui gagne un bon revenu) et lui se soient qualifiés pour un emprunt hypothécaire et l’achat d’une maison à Ottawa.

[25]           Rien dans les motifs de l’agent ne me permet de conclure qu’il a tiré une conclusion arbitraire quant à l’établissement et à l’intégration des demandeurs au Canada. La décision de l’agent à cet égard est, à mon avis, raisonnable.

VI.             Conclusion

[26]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs sera rejetée. Les demandeurs n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fins de certification et cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.               La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée;

2.               Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1613-16

INTITULÉ :

JEAN CLAUDE MUHENDANGANYI, CLAUDE STEPHANE NICITEGETSE, NATHALIE NDAYISHIMIYE, MICHAELLA ISHIMWE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Pacifique Siryuyumusi

Pour les demandeurs

Adrian Bieniasiewicz

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pacifique Siryuyumusi

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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