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Date : 20170119


Dossier : IMM-2684-16

Référence : 2017 CF 68

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

DWAYNE JOHNSON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Résumé

[1]               M. Dwayne Johnson, le demandeur, est un ancien résident permanent du Canada qui fait face à un renvoi en Jamaïque après avoir été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité conformément à l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               M. Johnson a fait une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en raison de sa crainte d’être perçu comme un membre de gang et en tant que personne expulsée du Canada. La demande d’ERAR a été rejetée et c’est cette décision qui est présentée à la Cour aux fins de contrôle judiciaire. M. Johnson soutient que l’agent d’ERAR n’a pas examiné correctement son profil de membre de gang présumé dans l’évaluation des facteurs de risque stipulés à l’article 97 de la LIPR et qu’il a également omis d’examiner la preuve documentaire propre au pays liée à son profil.

[3]               La demande soulève les deux questions suivantes :

A.                 L’agent a-t-il omis de tenir compte des risques auxquels sont confrontés les membres de gangs, présumés ou réels?

B.                 L’analyse de l’agent au sujet de la protection de l’État était-elle raisonnable?

[4]               Après avoir considéré les observations écrites et orales des parties, je suis d’avis que la décision de l’agent est raisonnable. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                 La norme de contrôle applicable

[5]               L’évaluation des risques faite par les agents d’ERAR pour déterminer si la présomption de protection de l’État est réfutée est examinée selon la norme du caractère raisonnable (Portillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678, au paragraphe 18 et Hoo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 283, au paragraphe 8).  La Cour ne doit pas intervenir si la décision d’un agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47).

III.               Analyse

A.                 L’agent a-t-il omis de tenir compte des risques auxquels sont confrontés les membres de gangs, présumés ou réels?

[6]               M. Johnson soutient qu’il sera perçu comme un membre de gang à son retour en Jamaïque parce qu’il a été arrêté et inculpé dans le cadre d’une opération policière ciblant un groupe criminel organisé jamaïcain en 2010. Son identité et les détails de sa mise en accusation, avec d’autres individus accusés dans cette opération policière, ont été publiés dans un journal canadien destiné à la communauté caraïbéenne et sur le site Web du journal. L’avocat de M. Johnson a également soutenu que les marques de tatouage que porte son client ont occasionnellement été utilisées par les membres du groupe criminel organisé en question. Il fait valoir que, de ce fait, il risque de subir des représailles de la part des membres de gangs et de la police en Jamaïque. Il ajoute en outre que l’agent n’a pas tenu compte de son profil. Je ne suis pas d’accord.

[7]               Dans la décision d’ERAR, l’agent a noté les observations de l’avocat de M. Johnson relatives à la crainte de son client et a reconnu la preuve documentaire au sujet des gangs en Jamaïque. Le seul renseignement dont disposait l’agent concernant quelque lien que ce soit entre M. Johnson et les groupes criminalisés a été trouvé dans les observations de l’avocat, dans le contenu d’un article de journal indiquant que des accusations d’appartenance à un groupe criminel organisé avaient été portées contre le demandeur à la suite de l’opération policière de 2010, et dans le rapport circonstancié établi en application de l’article 44 par l’Agence des services frontaliers du Canada. M. Johnson n’a pas présenté d’affidavit à l’agent d’ERAR faisant état des risques qu’il craignait. Il n’a jamais été déclaré coupable des accusations d’appartenance à une organisation criminelle.

[8]               L’examen d’une demande en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR exige une enquête individualisée, qui doit être fondée sur la preuve présentée par un demandeur « dans le contexte des risques actuels ou prospectifs » [Souligné dans l’original] (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99, au paragraphe 15 cité dans Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31, au paragraphe 7). La seule preuve de risque dans cette affaire était des renseignements d’identification publiés dans le journal qui, selon l’avocat, avaient été largement diffusés et lus. M. Johnson n’a déposé aucun élément de preuve sous serment, aucun élément de preuve établissant la notoriété d’un article publié en 2010 ni aucun élément de preuve indiquant que ses tatouages pourraient démontrer un lien avec un groupe de criminels organisés.

[9]               M. Johnson s’est appuyé sur la décision de notre Cour dans l’affaire Burton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 549. Contrairement à l’espèce, M. Burton a établi qu’il avait plaidé coupable à l’accusation de participation à une organisation criminelle; qu’il avait coopéré avec la police et les procureurs et témoigné contre une autre personne; qu’il avait reçu des menaces de mort dans sa communauté en raison de sa coopération avec la police; qu’il avait été identifié dans les bulletins de nouvelles en tant que témoin de l’accusation; et que plusieurs membres du gang qui savaient qu’il avait témoigné avaient été expulsés vers la Jamaïque.

[10]           Dans la présente affaire, un examen personnalisé identifie M. Johnson comme une personne qui a été accusée dans le cadre d’une opération policière en 2010 pour des infractions relatives à une organisation criminelle, mais n’a pas été déclaré coupable de ces accusations. Des documents généraux sur la situation dans un pays ne peuvent normalement à eux seuls établir qu’il existe un risque personnalisé. Au vu du peu d’éléments de preuve pouvant établir le profil allégué, je ne puis constater aucune erreur dans la conclusion de l’agent selon laquelle les observations de l’avocat sur les risques étaient de nature hypothétique.

[11]           L’agent a également conclu que l’allégation de risques liés aux personnes expulsées en Jamaïque est hypothétique. Il était raisonnablement permis à l’agent de tirer cette conclusion. Les risques allégués découlant de la politique jamaïcaine d’interroger tous les déportés à leur retour en Jamaïque étaient liés à son profil en tant que membre présumé ou réel d’un groupe criminel, un profil qui n’a pas été établi.

B.                  L’analyse de l’agent au sujet de la protection de l’État était-elle raisonnable?

[12]           Dans l’examen de la question de la protection de l’État, l’agent a reconnu que prévalait en Jamaïque un taux élevé de criminalité et de graves problèmes sociaux et judiciaires liés à ce taux de criminalité. L’agent a cependant conclu que la Jamaïque est capable d’assurer la protection de ses citoyens.

[13]           M. Johnson soutient que cette analyse ne tient pas compte de la protection de l’État dans le contexte des membres réels ou présumés de groupes criminels et des déportés. Je ne suis pas convaincu.

[14]           Comme indiqué ci-dessus, l’agent avait peu d’éléments de preuve concernant le profil et a conclu que la preuve dont il disposait était insuffisante pour conclure que M. Johnson était ou serait perçu comme un ancien membre d’un groupe criminel. Dans ce contexte, l’agent a raisonnablement conclu que les questions relatives à la criminalité grave en Jamaïque reflètent la situation générale du pays et touchent tous les résidents. En ce qui concerne le caractère adéquat de la protection de l’État pour les personnes expulsées, la conclusion de l’agent était également raisonnable. La discrimination sociale présentée dans la preuve documentaire est liée à d’éventuels désavantages économiques. Il était raisonnable que l’agent conclue que la preuve sur la discrimination sociale n’avait pas établi que l’État ne peut pas assurer une protection adéquate des personnes expulsées.

IV.              Conclusion

[15]           Je suis d’avis que les motifs de l’agent, bien que brefs, justifient la décision d’une manière intelligible et transparente. La décision se justifie au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[16]           Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2684-16

 

INTITULÉ :

DWAYNE JOHNSON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 janvier 2017

COMPARUTIONS

James Gildiner

Pour le demandeur

 

Laoura Christodoulides

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

James Gildiner

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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